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1 septembre 1833 - Numéro 35
 
 

 



 
 
    
Au Rédacteur.

La Croix-Rousse, le 29 août 1833.

Monsieur,

Permettez-moi d’emprunter la voie de votre journal pour détruire un bruit assez mal fondé qui pourrait avoir un résultat fâcheux pour mon honneur, si je ne parvenais à éclairer le public sur ce qu’il y a de vrai dans toute cette affaire.

Dans le courant du mois de juillet dernier, mes ouvriers, ainsi qu’une partie de leurs confrères, abandonnèrent leurs métiers ne pouvant y gagner leur vie faute d’une augmentation dans le prix de la main d’œuvre que les négocians se refusaient obstinément d’accorder.

Sur ces entrefaites, M. Trillat, ouvrier, lié d’amitié avec ceux que j’occupais alors, vint, sur leur invitation et en mon absence s’entretenir avec eux, comme cela se pratique journellement, et après avoir causé quelque temps des nouvelles du jour, sortît avec eux pour aller je ne sais où. Quelques instans après je rentrai chez moi et demandai à ma domestique si quelqu’un était venu pendant mon absence ; elle me répondit qu’elle n’avait vu qu’un monsieur qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle avait entendu nommer Trillat qui, après [2.2]avoir examiné mes métiers et fureté partout, ce sont ces expressions, était descendu en compagnie de mes ouvriers.

Je dois faire observer ici que mon atelier est divisé en plusieurs appartemens, et que M. Trillat ayant été vers tous les métiers sur lesquels on fabrique des dessins fort riches, dans l’intention bien innocente de recréer sa vue, elle a pu croire, d’après les bruits qui couraient, que cette visite n’était pas de simple curiosité.

Je fis d’abord peu attention à ce rapport de ma domestique, et me livrai à mes occupations ordinaires. Quelque temps après M. le commissaire central, qui cherchait des coupables et qui sans doute avait déjà jeté ses vues sur M. Trillat, me fit appeler et me demanda si ce dernier n était pas allé chez moi pour débaucher mes ouvriers. Ignorant dans quel dessin il m’adressait cette question, je crus devoir lui répéter comme simples renseignemens ce que ma domestique m’avait appris. Il n’en fallut pas davantage pour que M. Prat y trouva la preuve de la culpabilité de M. Trillat, et des ordres furent donnés pour l’arrêter et l’écrouer à la prison de Roanne. Les débats qui viennent d’avoir lieu ont assez appris combien les charges qui pesaient sur lui étaient légères, puisque son acquittement a été prononcé à la satisfaction générale et à la mienne en particulier ; car j’étais au désespoir d’avoir contribué, quoique bien innocemment sans doute, à la privation de la liberté d’un citoyen estimable, que la fatalité seule a livré à la police, à laquelle il fallait une occasion quelconque de signaler son zèle et son utilité.

Maintenant il ne me reste plus qu’à désirer que la sincérité de ce récit parvienne à détruire les préventions funestes qui pourraient peser sur la loyauté de mon caractère, moi qui ait toujours regardé comme le plus précieux des trésors, l’estime de mes concitoyens.

Recevez de votre abonné, etc.

Colonel,

Chef d’atelier, clos Dumont, à la Croix-Rousse.

 

 

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