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1 septembre 1833 - Numéro 35
 
 

 



 
 
    
RÉPONSE A LA LETTRE DE M. J. C. B.

Une nouvelle lettre de M. J. C. B., insérée dans le Journal du Commerce du 25 août, nous force à continuer malgré nous une discussion que nous avions lieu de croire terminée. Elle le serait sans doute, si notre antagoniste, honteux d?avoir été trop bien compris n?eût cherché, comme il le devait, à justifier les intentions peu louables que nous étions en droit de lui prêter après lecture faite de sa lettre insérée dans l?Echo de la Fabrique. Aussi, à l?aide d?un faux-fuyant essaie-t-il de ramener l?attention des lecteurs sur un projet d?organisation générale que de grands économistes, dont il s?est fait l?écho, ont indiqué avant lui, et sur l?autorité desquels il s?appuie.

Si telle fut d?abord l?intention de M. J. C. B., elle est très-louable sans doute, et nos sympathies lui sont acquises comme à tous les philantropes qui cherchent sans détours et sans restrictions l?amélioration du sort des travailleurs. Cependant nous lui ferons observer que nous avons lu sa lettre à plusieurs reprises et avec toute l?attention qu?elle méritait, et que nous n?y avons nulle part reconnu ses intentions bienfaisantes ; mais au contraire une tendance bien marquée à semer la division parmi des hommes que les mêmes intérêts lient et que le bien-être commun oblige à vivre dans le plus parfait accord.

Ainsi, que M. J. C. B., dans sa sollicitude pour tout ce qui tend au bonheur des classes laborieuses et notamment celle des tisseurs de soie, prête le secours de sa plume et de ces talens à la propagation des idées nouvelles, et fasse ses efforts pour les implanter dans l?esprit de tous les hommes qui pourront peut-être y trouver une part plus grande de bien-être et de bonheur, nous l?en féliciterons, et nous formerons des v?ux pour que ses travaux fructifient. Mais que dans une organisation existante il proclame, de sa propre autorité, qu?une classe de travailleurs est un intermédiaire inutile et même nuisible aux intérêts de telle ou telle autre classe d?industriels, c?est, à notre avis, une sentence [3.1]prétentieuse et irritante qu?il n?appartient à personne de publier sans qu?il soit permis de suspecter la franchise d?une telle opinion, quand surtout elle n?est appuyée d?aucune preuve et justifiée par aucun mode organisateur qui puisse remplacer avantageusement et incontestablement ce qu?on voudrait détruire ; voila ce que nous avons cru devoir critiquer dans notre réplique à M. J. C. B., à laquelle il ne répond qu?en posant de nouveau la même question qu?il résout encore tout seul, en avouant cette fois qu?il pourrait bien être dans l?erreur. Nous prenons acte de cet aveu, laissant aux lecteurs le soin de l?apprécier, et nous nous bornerons à faire observer à M. J. C. B. que le reproche qu?il nous adresse de n?avoir pas donné une raison valable pour justifier l?organisation actuelle de la fabrique lyonnaise, est peu fondé, en ce que nous n?avons point été appelés par lui à discuter sérieusement cette question, et que d?ailleurs nous croyons avoir assez prouvé que l?organisation actuelle est la meilleure de toutes en ce qui concerne les moyens d?exploitation, puisque jusqu?à ce jour elle a triomphé et triomphera long-temps encore, quoi qu?on en dise, de la concurrence étrangère, surtout si, comme nous en avons l?espérance, on obtient des lois qui protègent mieux l?industrie en général, et notre fabrique en particulier. Mais, encore une fois, dans sa lettre la question n?était pas de savoir quel était le mode à employer pour améliorer le sort des travailleurs. M. J. C. B. ne la soumet à personne ; il la résout lui-même, et, tranchant d?un seul coup la difficulté, il s?écrie que : Les chefs d?atelier sont un intermédiaire inutile entre le négociant et l?ouvrier compagnon ; qu?ils sont la véritable plaie de la fabrique, etc., sans au préalable avoir mis sous les yeux de l?opinion publique les avantages qui résultaient de la présence de ce rouage dans la complication des innombrables détails de cette industrie ; ce que nous avons dû faire afin d?éclairer le jugement des lecteurs et détruire ainsi la fâcheuse influence sous laquelle auraient pu les placer les paroles sentencieuses de M. J. C. B.

Nous croyons utile de répéter ici les raisons que nous avons données dans notre précédent article, pour prouver que les chefs d?atelier sont des intermédiaires indispensables et même nécessaires entre le négociant et l?ouvrier compagnon, et dans lequel nous avons aussi fait ressortir une partie des inconvéniens et des désavantages qui résulteraient pour le compagnon maître de son métier s?il était obligé de traiter directement avec le négociant. Cependant M. J. C. B. paraît encore croire que ces ouvriers, qui sont aujourd?hui possesseurs d?un métier sont plus heureux et plus indépendans que leurs confrères, ce qui n?est pas probable, même d?après l?organisation actuelle, bien qu?il n?ajoute pas, ce qui est pourtant essentiel, que ces ouvriers occupent une place dans un atelier où fonctionnent plusieurs métiers, dirigés par un chef qui se charge complaisamment de tous les petits détails que nous avons énumérés, et de faire toutes les courses auxquelles ils seraient eux-mêmes contraints s?ils travaillaient isolément.

Cet éclaircissement, une fois donné, il nous reste maintenant à répondre à la 3e question, qui est ainsi posée : La moitié des façons retenue par le chef d?atelier au compagnon, n?est-elle pas un loyer exorbitant du métier qu?il fournit, des démarches et frais qu?il peut faire ? Nous renvoyons M. J. C. B. à la dernière partie de notre premier article, qui est le langage sans apprêt d?un chef d?atelier, peignant la situation générale de ses confrères, et nous lui demanderons si c?est de bonne [3.2]foi qu?il nous fait cette question. Il nous semble que ce sont des faits qui parlent assez intelligiblement pour qu?on puisse les comprendre et engager les économistes à chercher quelque autre moyen, dans une nouvelle législation, par exemple, pour faire cesser un vice que sans cela les raisonnemens ne parviendront pas à détruire.

Enfin, s?appuyant sur les renseignemens qu?il a pu prendre, et dont il résulte que dans le velours uni, et quelques autres articles, tels que la passementerie où les montages de métiers sont peu coûteux et invariables, pour la fabrication desquels les frais de dévidage, cannetage, etc., sont presque nuls, les chefs d?atelier donnent, il est vrai, quelque chose de plus que la moitié de la façon à l?ouvrier, qui ne pourrait pas se livrer à ce travail et y gagner sa vie sans cette bonification ; M. J. C. B. en conclut que tous doivent faire de même, sans s?informer des raisons qui ne permettent pas d?en agir ainsi dans les autres genres de fabrication. Nous avions cru pourtant nous être assez expliqué sur les obstacles qui s?y opposaient, et nous prions M. J. C. B., qui ne craint pas de se déplacer pour s?instruire, de s?en informer lui-même auprès des chefs d?atelier. Nous sommes étonnés qu?il ne nous ait pas cité aussi l?exemple des mousseliniers qui donnent les deux tiers de la façon à leurs compagnons ; mais il nous aurait avoué sans doute que l?ouvrier tord sa pièce, mange et couche à l?auberge, et par conséquent ne cause aucun embarras et aucun dérangement au maître.

En attendant que M. J. C. B. découvre encore quelques gains illicites de la part des chefs d?atelier, il nous permettra bien de lui observer qu?il est fort inconvenant de traiter une classe d?industriels qui, jusqu?à présent, a rendu des services incontestables à la fabrique lyonnaise, de la traiter, disons-nous, de rouages inutiles et de fretons qui se nourrissent des sueurs des travailleurs, surtout quand on n?a pas des raisons convaincantes à donner, et qu?on se voit forcé d?avouer qu?on peut se tromper. Nous lui conseillons donc d?être plus poli dans ses expressions, plus prudent dans ses écrits, et de mettre enfin la plus scrupuleuse attention dans ses recherches, autrement nous lui dirions avec Lafontaine1 :
Rien n?est si dangereux qu?un ignorant ami,
Mieux vaudrait un sage ennemi.

B......

Notes ( RÉPONSE A LA LETTRE DE M. J. C. B.)
1. Jean de La Fontaine, L?Ours et l?Amateur des jardins, publié dans le livre VIII de ses Fables.

 

 

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