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8 septembre 1833 - Numéro 36
 
 

 



 
 
    
Du Procès

Des Mutuellistes et des Ferrandiniers.

Une plume consciencieuse et amie avait tracé le compte-rendu du procès contre les mutuellistes et les ferrandiniers, publié dans notre dernier numéro, et nous l’eussions accompagné de nos réflexions, si le Courrier de Lyon, comme pour reprocher au tribunal [2.2]en même temps qu’à M. le procureur du roi, ce qu’il taxe sans doute de modération, mais que nous appelons nous, justice, rien que justice ! ne se fût hâté de vomir presque aussitôt des insinuations injurieuses à la classe ouvrière.

Aujourd’hui, nous ne savons trop, en vérité, si de semblables procès, quelquefois répétés, feraient grand honneur à MM. les négocians (sauf exception) !

De sévères paroles, nous dirons même flétrissantes ! sont sorties de la bouche de la justice ; et c’est bien quelque chose aussi que de paraître à la barre de l’opinion publique ! – Qu’en pensent ces messieurs ?

Nous ne rentrerons pas dans les débats de cette cause : – Le calme et l’honorable franchise des prévenus, les vengent assez des sottes injures dont on abreuve si souvent, la classe ouvrière, et ce que nous ajouterions serait superflu.

Nous aussi, nous aimons à rendre bonne et loyale justice à M. le président baudrier. – Pourtant nous ne sommes pas prodigues d’éloges, on le sait : – aussi les occasions sont si rares ! – et si peu d’hommes s’en rendent dignes ! – Mais aujourd’hui c’est une dette que nous payons de bonne grace, et pour l’acquit de notre conscience.

Mais qu’est-ce donc que nos lois ? pour que M. le procureur du roi ait demandé l’application de la peine indiquée par l’article 415 du code pénal MODIFIÉE par l’art. 463…

Qu’est-ce donc que cet article 415 ? pour que M. baudrier ait témoigné l’espoir de le voir bientôt disparaître de nos codes…

Le voici :

Toute coalition de la part des ouvriers pour faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s’y rendre et d’y rester avant ou après de certaines heures, et en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, s’il y a eu tentative ou commencement d’exécution, sera punie d’un emprisonnement d’un mois au moins et de trois mois au plus.

Les chefs ou moteurs seront punis d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans.

Nous concevons bien que cet article ait été ainsi fait et exécuté dans des temps d’ignorance et d’esclavage ! – Mais en 1833 ! en face même d’une Charte qui proclame tous les Français égaux devant la loi ! – Qui déclare toutes les propriétés inviolables et sacrées ! – En vérité, c’est une anomalie qui dit assez haut l’inqualifiable préoccupation de nos législateurs.

Mais quelle sera donc notre sauvegarde, à nous, travailleurs, si toute coalition tendant à suspendre, empêcher ou enchérir les travaux, nous est interdite DE PAR LA LOI ?

Où donc est la loi qui nous protège contre la baisse des salaires, et les spéculations commerciales qui font que nous n’avons du travail que quand tel est l’intérêt ou le bon plaisir des négocians ?

Où donc est celle qui nous défend de cette INFAME coalition qui nous condamne à une vie toute de privations et de misères révoltantes ?

Nous, qu’un travail pénible et continu, souvent mortel ! dévoue à une mort lente et prématurée.

Nous, dont le corps épuisé tombe enfin sur la paille d’un galetas, ou bien s’éteint sur un lit que nous tend la pitié publique !

Nous, qui léguons misères et douleurs à nos femmes, haillons et faim à nos fils et à nos filles !…

[3.1]Oh ! notre cœur bondit d’indignation, et notre plume se refuse à dire le reste de notre pensée…

Où donc est-elle, cette loi qui nous défend de tant d’INFAMES coalitions ? – Ne sommes-nous pas aussi FRANÇAIS ?

Et pourtant, à nous le travail ! à nous d’alimenter et d’arrondir les coffres du riche ! car c’est le travail ! oui, c’est le travail qui produit la richesse.

Et quand nous cherchons une loi qui défende nos droits, notre propriété ! peine inutile… Et tous les hommes, dit-on, sont ÉGAUX devant la loi ! toutes les propriétés INVIOLABLES !

Oh ! si nous n’avions foi en l’avenir… Mais des hommes viennent parmi nous, qui s’asseoient à nos tristes foyers, interrogent nos misères, s’en indignent : puis quand nous sommes sur le banc des accusés, ils viennent encore s’asseoir à nos côtés ; puis leur voix généreuse fait retentir notre défense ou plutôt nos accusations.

Honneur à eux ! Honneur à vous, Jules favre, chanay ! – à vous aussi, périer, dupont, charassin ! car vous êtes tous des DEFENSEURS du Peuple ! allez : le Peuple garde de vous BONNE MÉMOIRE.

Mais nous allions oublier de payer notre tribut à M. le commissaire central de police. Halte-là !

Eh bien ! M. le commissaire central, êtes-vous aussi à l’aise dans le temple de la JUSTICE, en face des témoins, des avocats et du public, qu’au fond de votre cabinet ?

Croyez-vous qu’on arrache des citoyens à leurs familles, à leur travail, sans que l’opinion flétrisse les arrestations arbitraires ?

Les citoyens Chapiron, Trillat et Glenas, ne l’ont-ils pas été par vous ? – Leur acquittement devrait-il être la seule réparation qui leur soit due ? En un mot, la police a-t-elle mission de protéger ou d’insulter ainsi d’honnêtes citoyens ? Répondez, M. le commissaire central ?

Mais c’est que peut-être vous n’avez pas encore vos éperons ? Eh bien ! que justice vous soit rendue, et vous ne les attendrez pas long-temps.

B......

 

 

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