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8 septembre 1833 - Numéro 36
 
 

 



 
 
    

[4.2]Puisque M. J. C. B. pense que nous ne l’avons pas compris, ou plutôt qu’il feint lui-même de ne pas nous comprendre, nous allons, le plus brièvement et le plus intelligiblement possible, répondre à ses questions.

Le chef d’atelier est-il entre le négociant fabricant et l’ouvrier compagnon un intermédiaire indispensable ? Comme nous supposons maintenant que M. J. C. B. cherche les moyens de produire le plus économiquement possible, et que c’est pour arriver à ce résultat qu’il propose de retrancher le chef d’atelier de l’exploitation comme rouage inutile, nous répondons : Oui, le chef d’atelier est un intermédiaire indispensable, puisque par lui on obtient un résultat plus économique, en ce sens que les grandes manufactures, soit nationales, soit étrangères, n’ont pu lutter avantageusement avec lui-même, ces dernières avec la différence du prix de leurs denrées, loyers, etc., etc.

Si M. J. C. B. veut bien se rappeler ou s’informer de-ce qui est arrivé il y a 8 ou 10 ans, à toutes les maisons de fabrique de cette ville qui avaient monté des grandes manufactures il nous éviterait la peine de les nommer, ce qui pourrait paraître inconvenant, et, ce que nous ne ferions qu’au besoin, il se convaincrait par-là de l’économie que doit apporter la présence de ce rouage dans l’exploitation pour les négocians, puisque ceux-ci y sont revenu et ne pensent pas, que nous croyons, recommencer de nouveaux essais ; il en résulte, non-seulement une économie dans la production, pour le négociant, mais encore une garantie que son étoffe sera beaucoup mieux soignée et par conséquent de meilleure vente, parce que les chefs d’atelier se trouvant journellement en concurrence avec leurs confrères qui fabriquent le même genre, se piquent d’émulation afin de produire mieux et avec le moins de frais possibles ; aussi est-il résulté de cette émulation, des découvertes en mécaniques que l’état d’isolement où voudrait placer les tisseurs M. J. C. B. ne parviendrait non-seulement pas à produire, mais tendrait encore à arrêter. En second lieu, nous dirons que les compagnons qui ont voulu monter un métier ont tous été obligés, au bout d’un temps plus ou moins long, à monter un atelier de 2, 4 ou 6 métiers, ou bien de se remettre compagnon, ce qui peut convaincre que les ateliers de plus de 6 à 8 métiers et de moins de 2, donnent des résultats moins économiques.

A la 2e question, dans laquelle il s’exprime ainsi : Ne serait-il pas plus avantageux pour l’ouvrier compagnon de traiter avec le négociant ? Nous répondrons non ; il n’est pas aussi avantageux à l’ouvrier compagnon de traiter directement avec le négociant que d’avoir le chef d’atelier pour intermédiaire entre ce dernier et lui. D’abord par les raisons que nous avons données dans nos précédens articles, et ensuite parce qu’il ne manque pas de compagnons qui possèdent assez d’argent pour monter leur métier, et qui préfèrent rester ouvriers chez les autres ; et que, d’ailleurs, s’ils n’eussent pas eu de quoi faire cette dépense, et qu’ils y eussent, ainsi que les négocians, reconnu un avantage réel, ces derniers n’auraient pas laissé échapper cette précieuse occasion d’augmenter leurs bénéfices, et eussent mis en pratique le conseil de M. J. C. B. long-temps avant qu’il l’eût donné.

La 3e question étant résolue par les deux premières, nous passons à la 4e, ainsi posée : La moitié de la façon retenue par le chef d’atelier au compagnon n’est-elle pas un loyer exorbitant du métier qu’il fournit, des démarches [5.1]et frais qu’il peut faire ? Nous répondrons non ; ou bien il faudrait en conclure que les négocians, chefs d’atelier et compagnons qui composent la fabrique, savent moins bien compter que M. J. C. B. tout seul, ou que lui seul sait mieux compter qu’eux tous ensemble. D’ailleurs nous allons démontrer par des chiffres combien est exorbitant le gain d’un chef d’atelier. On nous communique à l’instant l’état détaillé ci-après du montant d’une pièce fabriquée au prix de 65 c. l’aune.

Etat détaillé du montant d’une pièce fabriquée au prix de 65 c. l’aune.

Montant de 58 aunes à 65 c. l’aune : 37 f. 70 c.
Payé à l’ouvrier la moitié de la façon : 18 f. 85 c.
Il m’est resté pareille somme, ci : 18 f. 85 c.

Dévidage de 1 265 grammes soie, à 4 f. le kil. : 5 f. 10 c.
Pliage : 60 c.
Tordage et nourriture de la tordeuse : 2 f.
Frais de cannetage à raison de 5 c. l’aune : 2 f. 90 c.
Emploi d’une flotte de fil par semaine pour l’entretien des mailles, à raison de 20 c. la flotte ; l’ouvrier ayant travaillé 3 semaines à ladite pièce a employé 3 flottes à 20 c. : 60 c.
Je paie un loyer de 320 fr. pour un atelier de 4 métiers ; le métier m’a coûté à raison de 5 fr. par mois, 3 fr. 30 c. pour 21 jours employés à ladite pièce : 3 f. 30 c.
Enlaçage de cartons ou dessins de 400 cartons, à raison de 30 c. les 100 : 1 f. 20 c.
Frais de blanchissage, chauffage, usure de mécanique et autres accessoires : 2 f. 60 c.

Total du compte détaillé ci-dessus : 18 f. 30 c.
Reste pour le chef d’atelier, après avoir prélevé tous ses frais : 55 c.

Après de pareils faits sera-t-il toujours permis de croire que les gains des chefs d’atelier sont trop forts en comparaison des avances qu’ils font ?

Certainement nous ne pensons pas persuader par cet exemple que tous les métiers sont d’un si mince rapport : quel est l’homme qui voudrait se livrer à pareille industrie qui donnerait de tels résultats ? mais nous en lirons la conséquence que l’ouvrier a eu 18 fr, 85 c. de son travail, et que le chef d’atelier n’a eu pour le sien, qui consiste en courses et soins de toute espèce, que la somme de 55 c. Nous pouvons donc en conclure que si l’ouvrier a la peine de tisser, il est sûr au moins du produit net de la moitié de son travail, taudis que le maître n’en retire pas le quart quand il a payé tous les frais accessoires, sans compter les déplacemens que nécessitent les besoins journaliers d’un atelier de tissage.

B......

 

 

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