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15 septembre 1833 - Numéro 37
 

 




 
 
     

QUESTIONS DU MOMENT.

L?article suivant, que nous empruntons au Journal des Marchands nous paraît renfermer des idées si justes sur la question du moment, que nous avons cru faire plaisir à nos lecteurs en l?insérant dans notre feuille. Ce journal, du plus haut intérêt pour l?industrie, est recommandable surtout par les noms des célèbres économistes qui y consacrent leurs plumes, et par la modicité de son prix. (Voy. les Annonces.)

DU SALAIRE DES OUVRIERS.

Il faut que l?ouvrier vive, dit-on avec raison, et il ne faut pas que l?entrepreneur fasse faillite. Or, si l?ouvrier reçoit un salaire hors de proportion avec le prix de vente des produits auxquels il coopère, le fabricant doit cesser de travailler, sous peine de succomber ; et à son tour l?ouvrier mourra de faim, lui ou les siens, si le salaire qu?il reçoit est insuffisant pour sa subsistance et pour celle de sa famille. La difficulté consiste à trouver un tel terme que l?ouvrier prospère et que l?entrepreneur fasse des profits. Tant que cette double condition ne sera pas établie sur des bases régulières, il y aura du malaise dans la société industrielle, et par suite de l?agitation dans la société politique. C?est là, comme on voit, une grande et belle question de paix publique et de prospérité nationale : essayons de la résoudre.

L?entrepreneur d?industrie, ou plutôt le fabricant, pour me servir du terme consacré, est un homme qui joint à l?intelligence des affaires et à la science de la production, les capitaux nécessaires pour alimenter le travail. [1.2]L?ouvrier, sous ce rapport, est son subordonné, car le fabricant seul peut lui faire des avances pour vivre sur le prix à venir des produits fabriqués. Le fabricant, de son côté, ne peut se passer de l?ouvrier, et il doit évidemment un salaire suffisant à l?associé temporaire qui lui apporte le tribut de ses bras. Mais la fixation de ce salaire ne dépend pas plus du fabricant seul que de l?ouvrier : un élément particulier, le prix courant des choses, indépendant de tous deux, et par malheur variable, intervient dans leurs relations et en modifie incessamment la nature. Une forte demande peut faire hausser ce prix ; la concurrence étrangère ou nationale peut le faire baisser, et l?on comprend facilement qu?un ébéniste, par exemple, paiera plus cher ses ouvriers si les meubles se vendent bien que s?ils se vendent mal.

D?où vient donc qu?il règne si peu d?harmonie entre des associés qui ne peuvent se passer les uns des autres, et dont la bonne intelligence est seule capable d?assurer la prospérité. Outre l?influence inévitable et incertaine du prix des choses, il y a des conditions inhérentes à nos m?urs industrielles et à notre législation fiscale, dont on n?a pas encore assez signalé l?influence sur le taux des salaires. Quand l?ouvrier se présente dans une boutique pour acheter une livre de sucre, une livre de viande, un litre de vin ou un mouchoir de poche, s?il trouve un impôt de dix sous sur le sucre, de deux sous sur la viande, de même somme sur le vin et du double sur le mouchoir de poche, n?est-il pas évident que son salaire est amoindri d?autant, sans que le fabricant puisse y porter remède ? Est-ce la faute du fabricant si le fisc intercepte la moitié ou le tiers du salaire qu?il paie à ses ouvriers ? Et ne peut-on pas dire que l?entrepreneur d?industrie n?est pas plus responsable de ce dommage que de celui qu?éprouvent les ouvriers quand ils vont perdre au cabaret ou à la loterie le prix de leur journée ?

Il y a donc un taux de salaires que les industriels ne sauraient dépasser ; car si l?ouvrier rencontre dans son chemin la douane, la gabelle ou l?octroi, le fabricant rencontre aussi la concurrence étrangère qui fixe le taux de ses prix et ne lui permet pas de payer à l?ouvrier au-delà d?une certaine somme, parmi les autres frais de production. Voila la principale difficulté, d?où résulte bien clairement, comme on voit, la nécessité de mettre en harmonie nos lois de douanes avec la situation actuelle de l?industrie. Tel qui profite, en qualité de monopoleur, [2.1]d?un privilège industriel, souffre de tous les privilèges que notre ignorance des véritables intérêts de la production conserve à ses rivaux, et l?élévation des salaires nécessités par l?exagération des tarifs, peut être considérée comme un correctif dangereux de ces privilèges si chaudement défendus. Quand une ville comme Lyon tombe au pouvoir de ses ouvriers, braves gens du reste, et assez probes pour être embarrassés de leur victoire, croit-on que les questions de salaires puissent être traitées avec légèreté ou ajournées impunément ? C?est donc sur les tarifs qu?il faut mettre la main, car là surtout est pour les fabricans la cause de leurs dangers, et je ne puis m?expliquer l?acharnement avec lequel ils les soutiennent, autrement que par leur ignorance ou par leurs préjugés.

Mais toute la question ne se résume pas dans un seul bill d?accusation contre les douanes. Il y a aussi parmi les industriels français une cause secrète de malaise qui leur nuit d?autant plus profondément qu?ils s?efforcent davantage de la cacher, et qu?on pourrait dire particulière à nos seuls concitoyens. Cette cause, c?est le besoin prématuré du repos et des jouissances qui tourmente nos industriels souvent même imberbes, et qui leur fait considérer comme secondaire toute industrie qui ne mène pas très-rapidement à la fortune. Chez nous, à peine un négociant et un fabricant ont-ils accumulé un petit capital, qu?ils songent à se retirer, pour parler leur langage, c?est-à-dire à vivre, dans l?oisiveté, du travail d?autrui appliqué a ce petit capital. Ils deviennent rentiers et ils agiotent à la Bourse. L?industrie, dépourvue de capitaux, languit faute d?alimens, et le travail, cessant d?être demandé comme il devrait l?être dans un pays tel que la France, les salaires retombent à des taux insuffisans pour nourrir le travailleur. Le fabricant, pressé de jouir et d?acheter des rentes, marchande alors avec l?ouvrier et cherche à se retirer avec le plus de profit possible pour échapper aux orages de la production ; de sorte que souvent, telle est du moins ma pensée, les ouvriers sont fondés à se plaindre que les entrepreneurs leur fassent une part trop petite dans le partage de leurs bénéfices.

C?est là une des grandes plaies de l?industrie française. Et cette circonstance explique naturellement pourquoi nos entreprises commerciales n?ont pas le caractère grandiose des spéculations anglaises. Quel esprit de suite peut-on apporter dans des opérations qui ne sont point un but, mais un moyen d?arriver à l?oisiveté par le chemin le plus court ? L?Anglais travaille pour travailler, pour le plaisir qu?il y trouve, et par une sorte de noble orgueil qui relève sa dignité d?homme : nous, nous travaillons pour jouir, pour avoir des chevaux, des hôtels, une loge à l?Opéra. Les enfans héritent des goûts de leurs pères, et quand il faut partager ces fortunes rapides que la dépréciation du numéraire, au défaut de l?oisiveté, entame chaque jour, il ne reste rien à la jeunesse qu?un amour effréné pour les places, maladie endémique en France, et qui doit faire passer aux ministres de bien mauvais momens. Je regarde ce défaut de persévérance comme une des causes les plus positives de l?infériorité de notre industrie relativement à l?industrie anglaise. En Angleterre, on ne se repose jamais. Sauf quelques grandes familles aristocratiques, que j?appellerais presque princières, tout le monde travaille jusqu?au dernier soupir, et les plus riches négocians ne connaissent d?autres momens de délassement que ceux qu?ils passent le dimanche à la campagne.

Il ne faut pas nous étonner dès lors de la richesse immense qui s?est développée en Angleterre, et de la possibilité [2.2]où en est venue cette nation de supporter, sans rompre, le poids d?un budget de 1,800 millions. Les Anglais ne sont ni plus robustes, ni plus intelligens, ni plus favorisés du ciel que nous, et leur population est moins nombreuse que la nôtre : tout le secret de leur énorme production est dans le travail. Il n?y a chez eux aucun capital qui ne soit placé en commandite dans quelque industrie. Quand on a travaillé quinze ou vingt ans dans ce pays, on ne songe pas à se retirer, c?est-à-dire, je le répète, à vivre du travail d?autrui. Il faut se figurer la Grande-Bretagne comme un vaste atelier où l?ouvrier entre en partage plus avantageusement que chez nous des profits de son maître ; et si l?on m?oppose la taxe des pauvres, qui s?élève aujourd?hui à plus de 250 millions de francs par année, je répondrai que cette taxe des pauvres n?est qu?une compensation équitable du tort causé aux classes laborieuses par l?impôt indirect que l?aristocratie territoriale, législatrice, a substitué dans ce pays à la contribution foncière.

Je voudrais faire honte à mes concitoyens de cette propension aux jouissances et de cette soif de places qui tourmente la génération actuelle. En présence de notre agriculture inexploitée sur tant de parties de notre sol, de nos chemins vicinaux défoncés, de nos rivières sans bateaux à vapeur, de nos richesses minérales stériles, se peut-il qu?on voie des ouvriers manquer d?ouvrage, et des émeutes causées par la faim ? Quelle vigueur pourtant et quelle sève dans ce peuple français ! Qui n?était fier de parcourir à Paris, le 28 juillet, cette longue ligne de soldats gais et dispos qui nous coûtent 300 millions par année et qui ne se porteraient pas plus mal s?ils faisaient des routes commerciales en même temps que des chemins stratégiques ? Que de bras sont en mouvement pour solder l?oisiveté forcée de ces braves : que de salaires d?ouvriers sont amincis pour suffire à ce déploiement de pompes militaires ! C?est là aussi qu?il faut mettre la main et ne pas faire de la richesse française deux parts trop inégales, l?une bien exiguë pour ceux qui travaillent, l?autre bien ample pour ceux qui se reposent ! Alors les questions de salaires pourront se simplifier, et nous n?aurons pas sous les yeux le triste spectacle d?hommes qui ne peuvent gagner, par un travail de 12 ou 13 heures par jour, de quoi payer leur subsistance ; comme si la grande patrie française était une marâtre et ses législateurs des hommes sans entrailles !

Il faut aussi qu?on se persuade que le métier d?oisif et de rentier devient de jour en jour moins rassurant, quelles que soient les douceurs de la vie contemplative. L?homme qui cesse de travailler, pour vivre d?un revenu est condamné par sa position même à des privations que nos besoins multipliés tendent journellement à accroître. Il voit autour de lui augmenter le prix des loyers, des vêtemens, des subsistances, et il demeure, avec son revenu, toujours le même, en présence d?une société plus riche. Pour peu qu?il faille partager entre quelques enfans ce revenu qui diminue réellement, quoique le chiffre en soit immuable, le rentier descend au rang du prolétaire, et comprend alors, par sa propre expérience, la triste position de l?ouvrier nécessiteux. J?entends dire que c?est une extrémité bien pénible, une grande injustice de ne pouvoir compter dans ses vieux jours sur une aisance acquise au prix du travail, quoique ce travail n?ait parfois duré que peu de temps, mais il est aussi, dit-on, fort désagréable de renoncer à certaines libertés quand on est vieux, et cependant il faut vieillir.

Quelques efforts qu?on fasse, il devient tous les jours plus difficile d?échapper à cette grande loi du travail. Les [3.1]gouvernemens libres ne diffèrent des gouvernemens absolus que par la nécessité de travailler davantage. Dans les pays constitutionnels, malgré la large étoffe du budget, plus d?un haut fonctionnaire est obligé de gagner sa vie à la sueur de son front. Quelque peu disposé que l?on soit à faire des complimens aux ministres, chacun sait que la plupart d?entr?eux se lèvent à quatre heures du matin, et que les discussions des chambres ont abrégé la vie de plus d?un orateur de l?opposition. Au milieu du concours des ambitions qui s?élèvent du sein de notre exubérante population, quel avenir y a-t-il pour l?homme enclin à l?indolence ? Nous tendons tous, plus ou moins, à rester ou à devenir prolétaires. Quand un vaisseau vogue sur une mer agitée, les matelots sont astreints à un service plus pénible ; nul d?entr?eux n?a le droit exclusif de dormir quand les autres travaillent. Telle est l?image de la société actuelle : celui qui s?arrête se meurt. Etre rentier, c?est-à-dire cesser de travailler, c?est commencer à décheoir, et l?on peut être assuré que nous nous éloignons de plus en plus, par la seule force des choses, du vieux système qui mettait naguère le travail, presque sans conditions, aux ordres des capitaux.

blanqui aîné1.

COMMENT SE FONDE

LA LIBERTÉ DU GENRE HUMAIN.

Il n?y a pas d?homme plus dépendant que celui qui n?a rien à manger ; il est à la merci de celui qui peut le nourrir.

Esaü revenant de la chasse avec un appétit dévorant, vendit ses droits d?aînesse à Jacob pour un plat de lentilles, et il faut se rappeler que dans les temps de la patriarchie, l?aîné était le seigneur de ses frères qui étaient ses serviteurs.

En général, il ne peut y avoir de liberté là où les subsistances ne sont pas abondantes. Dans un pays où les vivres sont rares on peut être certain que la majorité recevra la loi d?une minorité plus rusée ou plus prévoyante.

C?est là l?histoire de toutes les nations anciennes, républiques et monarchies. Dans les temps les plus reculés, avant que les hommes ne fissent un usage habituel du blé, ils ne pouvaient se nourrir que du produit de la chasse et des arbres fruitiers. Alors la famine était toujours imminente, parce que l?on ne pouvait faire des provisions pour long-temps avec des objets susceptibles de se gâter ; et souvent des accidens, la sécheresse ou le froid, une inondation ou les ravages de la guerre empêchaient qu?on ne les renouvelât. Aussi, à cette époque, les nations se composaient d?une très petite quantité de prêtres et de guerriers nobles ayant sous eux des masses innombrables d?esclaves obligés de reconnaître leur autorité sous peine de mourir de faim. Les lumières, l?adresse étaient le partage exclusif des nobles et des prêtres ; leurs enfans seuls étaient admis dans les collèges sacrés. Le peuple était dans l?abrutissement le plus dégoûtant, et il y croupissait comme un troupeau de pourceaux.

Quand la culture du blé se répandit parmi les hommes ce fut un événement immense pour la liberté ; et cela sans que le nom de la liberté, ce nom sacré qui dans les temps modernes a réalisé tant de merveilles, fût seulement prononcé. Il est probable que le blé fut importé de la presqu?île de l?Inde dans la Haute-Egypte, par des mécontens, des libéraux de ce temps-là, qui s?expatrièrent pour aller chercher fortune dehors plutôt [3.2]que de se soumettre au despotisme des vieux brahmann et des kchactryas qui étaient les prêtres et les nobles du pays. De là le blé passa sur tout le littoral de la Méditerranée par les Phéniciens qui faisaient le commerce, et par les libéraux égyptiens tels que Cécrops, Moïse et autres, qui à leur tour quittèrent leur patrie pour aller respirer un air plus libre sur d?autres terres.

Plus tard, les conquêtes des Grecs et des Romains transportèrent le blé sur tous les points du monde connu des anciens.

Or, le blé présente cet inappréciable avantage sur tous les alimens usités jusque-là, qu?il peut se conserver très long-temps et se transporter sans se détériorer : de plus, c?est de toutes les cultures celle dont le produit est le plus fixe et le plus régulier. Dès lors un homme qui avait fait sa récolte avait sa subsistance et celle de sa famille assurée pendant plus d?un an, et par conséquent il était indépendant durant ce temps-là sous le rapport de la nourriture. Il n?y a qu?un prolétaire, c?est-à-dire un père ou une mère qui tous les matins à son réveil est saisi pour ainsi dire à la gorge par cette pensée : « Comment aujourd?hui nourrirai-je mes enfans, mes vieux parens et moi-même ? » Il n?y a qu?un prolétaire qui puisse sentir quels transports de joie la découverte du blé dut exciter chez les peuples de ce temps-là. Il n?y a qu?un prolétaire dont le c?ur puisse comprendre que dans leur reconnaissance les peuples aient dressé des autels à ceux qui leur apportèrent ce don vraiment divin. Ce fut un grand jour pour la liberté celui où les pauvres purent se dire : « Nous n?irons plus à la porte des riches tendre la main afin qu?ils daignent laisser tomber dans nos mains jointes le rebut des fruits entassés dans leurs greniers, les débris à demi-pourris des produits de leur chasse. Et nous aussi nous saurons, par notre travail, par celui de nos femmes et de nos enfans, gagner notre nourriture. Maintenant la terre est féconde pour tous. Cérès est une grande déesse. »

L?on voit, par cet exemple, combien des faits qui, au premier abord, paraissent sans rapport avec la liberté, peuvent exercer d?influence sur elle. Je me propose de passer en revue une autre fois les différens objets qui ont contribué et contribuent tous les jours à l?émancipation du genre humain. Il en ressortira, je l?espère du moins, cette vérité que l?industrie n?a pas moins fait pour la liberté humaine que le progrès des lumières. La science et l?industrie sont s?urs. L?une avec son flambeau éclaire le chemin à la liberté, l?autre avec ses bras et ses outils lui aplanit la route. Il est bon que les travailleurs connaissent toute la portée de leurs ?uvres, et qu?ils sachent que leurs plus modestes efforts pèsent d?un poids toujours croissant dans la balance des libertés publiques.

Entr?autres conséquences importantes qui ressortent de ces considérations, il en est une qu?il est utile de signaler, c?est que la liberté ne peut être réelle et solide qu?autant qu?elle est fondée sur des améliorations matérielles, et qu?un des plus sûrs moyens de travailler pour la liberté en France, c?est de pousser le pouvoir dans la voie des grandes entreprises d?utilité publique, destinées à répandre le bien-être dans toutes les classes, surtout dans les classes nécessiteuses.

Celui qui apprend à ses semblables comment ils pourront utiliser à leur profit les forces et les richesses de la nature, celui-là aura plus fait pour la liberté que les théoriciens les plus éclatans.

Loin de moi cependant cette opinion qu?il y a danger à parler aux ouvriers de leurs droits, quand on le fait [4.1]avec cette mesure et ce calme qui sont le cachet de l?homme libre !

Oui, il est bon, il est indispensable que tous sachent leurs droits, que tous reçoivent l?enseignement de la liberté : malheur à ceux qui prétendraient tenir la lumière sous le boisseau, et qui diraient, les insensés : Que la liberté n?est pas comme le soleil, qu?elle n?est pas faite pour tout le monde ! Mais il ne suffit pas de savoir qu?on doit être libre, il faut savoir par quels moyens l?on peut acquérir la liberté et la conserver. Il ne s?agit plus d?une liberté négative, il faut une liberté positive ; le mysticisme n?est bon en aucune matière, pas même en matière de liberté ; la liberté ne peut exister sans déception qu?à la condition d?être à la fois théorique et pratique ; il faut qu?elle se trouve dans les livres et dans le bien-être. Or, ce dernier résultat qui fondera la liberté pratique et positive, la vraie liberté, ne peut être obtenue que par un accroissement de la richesse générale qui est la richesse de tous et de chacun ; et la richesse générale ne s?accroît que par le développement régulier et pacifique des lumières et de l?industrie.

A. Z.

Education industrielle des Ouvriers.
AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Dans une première lettre, intitulée les ouvriers de Glascow, j?ai fait sentir à la classe ouvrière une partie des améliorations que la culture des sciences industrielles apporterait à son sort, à sa position dans la société. Il me reste à faire connaître par quelle voie la régénération peut avoir lieu. Elle est déjà pressentie, c?est par l?instruction ; et l?enseignement primaire que l?on va établir dans toute la France pour les enfans et les adultes, ne réfléchira que bien peu sur les hommes faits, sur les jeunes gens occupés à des travaux manuels ; cependant les ouvriers de cette époque se distinguent par un sens droit, par l?intelligence des affaires, par l?ordre et la règle auxquels ils s?assujétissent dans les réunions où ils discutent leurs intérêts. Si cet esprit naturel était cultivé ou étayé de connaissances positives, que ne devrait-on pas attendre de cette classe d?industriels ?

J?en reviens encore aux ouvriers de Glascow. Ils seront le modèle que je prendrai pour donner aux ouvriers de Lyon le conseil et les moyens de cultiver leur esprit et leurs talens.

Les ouvriers écossais quittent certains jours l?ouvrage à une heure fixe, et se réunissent en grand nombre dans un local où un professeur fait la leçon sur un sujet convenable, et en général ces leçons sont constituées en un cours qui établit une instruction directe et suivie sur une science industrielle.

Les ouvriers étant bien pénétrés de l?utilité de ces cours, voici les moyens que je propose pour les rendre fructueux. Un grand nombre, par une cotisation légère pour chacun, peut faire une somme suffisante pour les honoraires d?un professeur qui se chargera d?une ou de plusieurs parties de l?enseignement.

M. N. Tissier, directeur de l?institution lyonnaise de commerce et des arts industriels, offre à cet effet le local de son école.

Les réunions auraient lieu le soir à huit heures, et les cours suivans, dont la durée pour chacun serait de quatre mois, seraient ainsi distribués :

M. Germain, professeur à l?enseignement mutuel, [4.2]donnera des leçons d?orthographe française deux fois la semaine, les lundis et mercredis.

D?arithmétique, 2 leçons, les mardis et vendredis.

De géométrie, deux fois, les jeudis et samedis.

M. N. Tissier, ex-professeur en chimie de l?Ecole de St-Pierre, professera la mécanique deux fois la semaine, les mercredis et vendredis.

Et la chimie, les mardis et jeudis.

Ces cours se renouvelleront trois fois l?année, et le prix sera pour tous de 3 fr. par mois, soit 12 fr. pour les 4 mois.

Le dimanche il sera établi, de neuf à onze heures du matin, un cours d?écriture élémentaire et perfectionnée, et de onze à une heure, un cours de dessin linéaire, et pour la figure et l?ornement.

Le prix de l?abonnement est pour les deux cours de 3 fr. par mois ; pour un des deux seulement, 2 fr.

Un cours d?histoire naturelle des choses utiles dans les arts industriels et économiques, aura également lieu le dimanche matin, à neuf heures, et durera 6 mois. Le prix en sera de 18 fr.

Ces classes s?ouvriront le octobre 1833, à l?institution lyonnaise de commerce et d?industrie. Les inscriptions se prennent au bureau, ouvert tous les jours de onze à deux heures, grande-rue des Feuillans, n° 6, au 3e.

tissier.

Les Saint-Simoniens.

Le père Enfantin, chef de la religion saint-simonienne, pensant qu?il avait assez fait pour la propagation de ses théories, et que la France le jugerait plus impartialement lorsqu?il n?y serait plus, s?est décidé à partir pour l?Egypte avec plusieurs de ses disciples les plus distingués, et entr?autres :

Fournel et Lambert, ingénieurs ;

Ollivier, ancien élève de Raville ;

Hoart et Bruneau, ex-capitaines d?artillerie ;

Dugeyt et Alexis Petit, ex-avocats ;

Holstein, ancien négociant.

Plusieurs ingénieurs, médecins et artistes sont déjà partis pour l?Orient avec l?apôtre Barrault, et contribueront à former au père Enfantin une cour ou un état-major vraiment brillant sous le rapport des capacités.

Au dire de tous les journaux, l??uvre que ces hommes méditent est colossale et au-dessus de leurs forces, et surtout de leurs moyens financiers depuis long-temps épuisés.

Faire un chemin ou un canal à travers un désert de plus de 30 lieues afin de réunir la Mer-Rouge à la Méditerranée, et de rendre ainsi l?Europe toute voisine de l?Inde ; voila le travail qu?avec des hommes d?une grande valeur, il est vrai, mais sans argent, le père Enfantin veut entreprendre.1

Quoique nous ne partagions pas les idées religieuses des saint-simoniens, nous apprécions leur dévoûment et leur savons gré de leur but, qui est l?amélioration du sort du peuple.

Nos v?ux les accompagnent.

Une souscription en faveur des réfugiés piémontais et savoyards est ouverte à la Glaneuse  ; voulant nous associer à cet ?uvre philantropique, nous en avons ouvert une dans nos bureaux, dont le montant sera reversé à la Glaneuse .

DES PATENTES.

[5.1]Depuis près d?une année nous avons reçu les plaintes de plusieurs chefs d?atelier à qui l?on veut imposer une patente, et M. le percepteur, dans son zèle pour l?intérêt des finances, menace de faire saisir et vendre leurs meubles ; quelques-uns ont cédé à la peur et ont payé ; d?autres, avec raison, s?y refusent, car toute taxe, arbitrairement répartie, doit l?être ; les patentes ne furent jamais imposées qu?aux chefs d?atelier qui fabriquaient pour leur compte, c?est-à-dire étaient en même temps chefs d?atelier et marchands-fabricans, et non à ceux qui ne travaillent qu?à façon. Mais, ce n?est pas tout, l?administration qui veut faire payer aux chefs d?atelier une patente, en exempte un sixième des négocians nous pourrions donner la preuve, au besoin, qu?au moins 40 maisons de commerce, parmi lesquelles il s?en trouve du premier ordre, et dont l?existence date de plusieurs années, ne paient aucune patente. En effet, n?est-il pas tout-à-fait révoltant pour un chef d?atelier, de se voir poursuivi, saisi peut-être pour le paiement d?une patente qu?il ne doit pas, tandis que les négocians pour lesquels il travaillera en seront exempts. Nous ne pousserons pas plus loin nos investigations sur un sujet si grave, persuadés que l?autorité supérieure, une fois avertie, voudra bien s?informer des faits que nous signalons, et rendra justice à qui de droit. S?il n?en était pas ainsi, nous croirions de notre devoir de signaler tout l?arbitraire qui existe dans la taxe des patentes, tous les abus et les partialités qui se commettent sur un des impôts qui devrait être réparti avec la plus scrupuleuse attention.

SOUSCRIPTION

En faveur de la famille bourrat.

Le patriotisme de Bourrat était connu ; aussi fut-il destitué de son emploi au greffe civil, pour avoir fait partie de la commission du banquet Garnier-Pagès. Se trouvant sans ressources, il mit fin à ses jours le 27 janvier de cette année. Sa veuve, restée avec deux enfans en bas âge, vient d?accoucher d?un troisième. L?humanité de quelques amis a pourvu à ses besoins les plus pressans ; mais nous espérons que tous ceux qui portent un c?ur bienfaisant et généreux, entendront l?appel que nous leur faisons, et arracheront ainsi à la misère une mère de famille encore dans la désolation.

lre Liste.

Beruard, 1 fr. Corréa, 1 f 50 c. Berger aîné, 1 fr. Berger (Charles), 1fr., Fazy, 50 c. Charles, compagnon ferrandinier, 25 c. Ferrier, plieur, 50 c. Gauthier, 50 c. Moine, 50 c. Mermet, 1 fr. Maurice, 75 c. Louise Ricard, 50 c. Julie Comte, 25 c. Veuve Nuguet, 1 fr. St-Bonnet, 40 c. Plagneux, 50 c. Thonny, 25 c. Séréna fils, 5 fr. Une veuve, 2 fr. Amblet, 1 fr. Gret, 1 fr. Piattan, 2 fr. Beaufrère, 50 c. Imbert, 50 c. Galland, 50 c. Dumas, 50 c. Manuel Perrier, 25 c. Pouzergue, 25 c. Bonnet, propr., 25 c. Papein, 20 c. Poncin, 50 c. Toucheb?uf, 50 c. Cochard, 50 c. Roallet, comp. ferrand., 50 c. Raudant, 50 c. André, 50 c. George, 60 c. Falconnet, 50 c. Thevenet cadet, 25 c. Thevenet aîné, 25 c. Guignot père, 25 c. Gayet, 25 c. Ce total, 30 fr. 45 c., vient d?être remis à la veuve Bourrat.

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

(présidé par m. riboud.)

Audience du 12 septembre 1833.

La dévideuse est responsable des trames que le chef d?atelier lui confie, autant pour le poids que pour la nuance [5.2]et la qualité de la soie. C?est à elle à prendre ses mesures envers ceux qui lui confient leurs matières.

Le conseil a condamné Mme Garin, dévideuse, à payer 300 grammes de trame à M. Bonnet, chef d?atelier, dont elle n?avait pas rendu le poids et mélangé les nuances.

Nota. Cette affaire, à part les enquêtes qu?elle a nécessitées, fait découvrir un abus dont le piquage d?once profite, si tout au moins il n?encourage pas. Nous engageons les chefs d?atelier à mettre le plus grand soin dans le choix de leurs dévideuses, et nous rappelons à ces dernières que leur industrie, plus peut-être que bien d?autres, reposant sur la confiance, elles doivent s?attacher à la mériter par tous les moyens que la plus sévère probité prescrit, autrement l?antique confiance qu?on a toujours eu en elles dégénérerait bientôt en infamant soupçon.

Un négociant n?a pas le droit de taxer lui-même le rabais à faire sur l?étoffe fabriquée, il doit en référer à l?arbitrage du conseil s?il y a mésaccord entre lui et le maître.

Ainsi jugé entre Gaillard et Tourton frères.

Lorsque l?apprenti ne fait pas son devoir par mauvaise volonté, et que cette conduite est constatée par un membre du conseil, les engagemens sont résiliés avec indemnité au maître.

Ainsi jugé entre Martin et Fiole.

L?apprenti Fiole, ayant insulté le membre du conseil désigné pour constater sa mauvaise conduite, a été condamné à un jour de prison.

Que les jeunes gens qui se destinent à la fabrique prennent exemple, et qu?ils se persuadent bien que les observations paternelles qui leur sont faites par les prud?hommes, n?ont pour but que leur bien-être, et que ce n?est qu?en observant soigneusement les préceptes que leur donnent ceux auxquels leurs parens les ont confiés, qu?ils arriveront à se perfectionner dans un art qui leur assure un jour l?indépendance.

Nous sommes priés de publier l?annonce suivante : M. berbrugger1 doit s?arrêter quelques jours à Lyon pour y développer, en quelques séances, le système de colonisation agricole et industrielle, inventé par M. Charles fourrier. ? La première séance aura lieu le 16 septembre courant, à sept heures précises du soir dans la salle de la Bourse  ; toutes personnes qui ne seront pas munies de leurs cartes ne pourront être admises.

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER.

Suite de l?analyse des passions.

(Voyez le numéro du 25 août.)

Les douze passions caractérielles dont nous avons successivement donné l?analyse, sont les douze ressorts du mécanisme appelé par fourrier attraction passionnelle ; c?est-à-dire impulsion de la nature agissant en dépit de la réflexion, du devoir et des préjugés.

En tout temps, et pour tous les hommes l?attraction passionnelle a tendu à trois buts : à la satisfaction des cinq sens, aux liens d?amitié et à l?harmonie des passions et caractères.

Chacun voudrait, bien certainement, en donnant un libre essor à ses passions, ne pas nuire à sa santé et arriver [6.1]à la fortune (seuls moyens de satisfaire les besoins des sens). ? Chacun voudrait aussi pouvoir se livrer en toute sécurité aux liens affectueux : et chacun, dans son intérêt, voudrait encore voir les passions et caractères s?harmoniser.

D?où vient que nous n?ayons jamais pu parvenir à réaliser ce souhait que nous faisons tous implicitement ?? Pourtant, et cela est aujourd?hui bien évident, la nature nous a donné ces passions dans un but tout contraire ; car elles ne sont point, ainsi que l?on a paru le croire jusqu?à présent, un accident imprévu de notre venue dans ce monde ; leur emploi avait été réglé d?avance, et toutes portent avec elles leur lien de sociabilité. Mais les MONOPOLISEURS du progrès de la raison humaine avaient dit que ces passions étaient mauvaises, destructives de l?ordre, et qu?il fallait les comprimer !

Assez long-temps, Dieu merci, nous avons essayé de leurs déplorables systèmes ; et il appartenait au génie de FOURRIER de nous livrer la clé du mécanisme des passions, la théorie-sociétaire, et de donner un éclatant démenti à ces doctes précepteurs, fort habiles sans doute à nous démontrer les effets, mais peu disposés à s?occuper de la recherche intégrale des causes. ? Qu?ils l?avouent donc franchement ! Il était temps enfin qu?une nouvelle voie vînt remplacer cette ornière tant battue.

Oui, toutes nos passions sont bonnes ! et toutes portent avec elles leurs liens de sociabilité ; ? mais elles veulent être librement développées, et doivent être assises sur le travail, ? sur le TRAVAIL ATTRAYANT !

Déjà il est facile de comprendre que le travail porterait en soi une sorte d?attrait, s?il était continu et si la rétribution qui en est le prix était toujours suffisante pour satisfaire aux besoins indispensables de la vie ; ? pourquoi donc ne le serait-il pas dans un ordre où ces conditions seront naturellement garanties ?

Eh bien ! distribué en subdivisions autant minimes que possible, ? exercé en séances courtes et variées, le travail, en même temps qu?il affranchira l?homme de cette assiduité mortelle à sa santé et destructive de ses facultés physiques et morales, aura pour avantages précieux de développer tous les germes de vocations industrielles, et d?offrir à chaque individualité une sphère dans laquelle elle puisse se placer et se mouvoir à son gré ! Ceci est chose fort importante, selon nous, et cependant les hommes à systèmes ne s?en étaient guère occupé avant que FOURRIER, si long-temps méconnu, si long-temps repoussé, se fût enfin posé au milieu d?eux.

Nous tenons, ainsi que lui, comme essentiellement nécessaire, cette organisation du travail par séances courtes et variées, et par subdivisions parcellaires ; d?abord, parce qu?elle répond aux besoins de notre nature, de nos passions, qu?elle est un gage certain de paix et de concorde entre tous les hommes par la multiplicité des fonctions de chacun et l?harmonie des intérêts de tous, de TOUTES CLASSES ! résultat infaillible de ce nouvel ordre qui, intéressant chaque individu dans la presque totalité des travaux, offre ainsi une garantie assurée de juste répartition en travail, capital et talent.

Un autre avantage ressortira encore de cette organisation, qui sera d?ouvrir à l?homme toutes voies de SANTÉ, de BONHEUR et de RICHESSES.

De bonheur, par la paisible jouissance de tous les avantages que peut offrir l?ordre sociétaire, où toute lutte désastreuse, cessant entre les passions et les intérêts des hommes, sera remplacée par la lutte émulative qui conduira à l?abondance en même temps qu?au [6.2]perfectionnement de tous les produits agricoles et industriels.

De santé, par l?équilibre devant résulter instantanément de l?emploi des passions qui, mises en jeu et agissant librement, provoqueront le développement de toutes les facultés morales et physiques de l?homme, au lieu d?accroître et de perpétuer cet état de décrépitude et de démoralisation incessante, triste effet des systèmes de compression que la CIVILISATION philosophico-morale a toujours opposés aux passions humaines.

Dire combien ces systèmes, au milieu desquels l?homme se débat contre la nature, sont dangereux ! comment ils transforment tant de nobles passions en fléaux dévorans, serait chose inutile aujourd?hui que nous sommes forcés de reconnaître ; que les passions, brisant ces impuissantes digues, jettent partout le trouble, la dégradation et la honte, au sein de cette société où, comme le dit FOURRIER avec tant et de si justes motifs, tout est à contre-sens et lutte contre les vues de DIEU.

De fortune, par le concours de tous, hommes, femmes, enfans et vieillards ; et le ralliement des trois classes, riche, moyenne et pauvre. ? Entraînés au travail par l?attrait et l?entière liberté du choix des fonctions, ? l?harmonieuse distribution des travaux, ? puis la certitude d?être équitablement répartie ; partout les hommes se créeront de nouvelles et abondantes sources de richesses.

Et puis, si nous ajoutons encore que le régime sociétaire substituant à deux à trois cents habitations de deux à trois cents familles, un vaste et bel édifice qui, avec tous ateliers nécessaires, leur offre encore en appartemens petits ou grands, d?un luxe modeste ou richement décorés, une variété telle, que goûts et fortunes puissent également se trouver satisfaits ; ? que substituant aussi à trois cents cuisines, trois cents feux, trois cents greniers et trois cents caves, une seule cuisine, un seul feu, un seul grenier, une seule cave, où les travaux seront certainement beaucoup mieux exécutés et soignés par vingt à trente personnes qui auront opté pour ces travaux qu?ils ne le sont aujourd?hui par TROIS CENTS ménagères, qui, n?en déplaise à MM. les PHILOSOPHES et MORALISTES, sont loin d?avoir toutes un goût très prononcé pour les fonctions du ménage, les seules qu?ils aient daigné leur assigner ! ? Eh bien ! il est dès-lors facile de comprendre combien seront grands les bénéfices et les avantages du régime sociétaire ; et fort heureusement ce calcul est à la portée de toutes les intelligences.

Enfin, aujourd?hui qu?il n?est que trop vrai que la liberté ILLIMITÉE du commerce et de l?industrie, est précisément l?arrêt de mort de l?industrie et du commerce, en même temps qu?elle est le gouffre dans lequel vient forcément s?engloutir le salaire des travailleurs, et puis assez souvent l?OR des capitalistes. ? Aujourd?hui que la production n?est plus en rapport avec les besoins de la consommation ; ? que malgré les pestes, guerres et révolutions, les populations se sont presque accrues d?UN TIERS depuis environ 40 ans ; que cet accroissement tend à un développement bien plus considérable encore, aujourd?hui que nos m?urs repoussent la guerre et se lassent de révolutions ! ? Aujourd?hui, disons-nous, n?est-il pas bien évident que, pour répondre aux besoins de la masse, puis créer la richesse générale (seule voie de LIBERTÉ, d?UNION et d?ORDRE PUBLIC !) La société a besoin d?une organisation toute nouvelle.

Eh bien ! cette organisation, CHARLES FOURRIER [7.1]nous l?offre : ? Place au travail, place au talent, place au capital ! voila le nouveau champ qu?il nous ouvre !

Travail attrayant, concours de tous, harmonie de toutes les classes ! Tel doit être le résultat de la mise en pratique de la théorie-sociétaire.

Pour nous, c?est un devoir comme une ?uvre d?humanité que nous croyons remplir en appelant l?attention sur les travaux de FOURRIER. Et par le temps qui court, nos modestes efforts valent bien, ce nous semble, une dissertation sur les douceurs et la LÉGITIMITÉ de la peine de mort.

R...... cadet.

Variétés.
CHEMIN DE FER DE SAINT-ETIENNE A LYON.

(Suite.)

A peine avez-vous fait une lieue, c?est-à-dire à peine êtes-vous à votre place depuis cinq minutes, que tout-à-coup vous entrez sous une voûte sombre comme la bouche de l?enfer ; tenez-vous bien, enveloppez-vous dans votre manteau, vous allez traverser une montagne qui n?a pas moins de 1507 mètres, c?est-à-dire 4,600 pieds de largeur. Cette montagne, qu?il a fallu percer d?outre en outre a été le premier obstacle du chemin de fer de MM. Séguin. Ils ont hésité long-temps avant de la percer ; long-temps ils se sont demandé s?ils ne procéderaient pas par plans inclinés, comme MM. Henri et Meylet, pour le chemin de Roanne ; enfin ils ont décidé que la montagne serait percée d?outre en outre. Et quelle montagne à percer, grand Dieu ! Vous avez souvent lu dans des récits de voyages l?histoire de ces chemins creusés dans le roc vif, et à ce mot roc vif vous avez fait comme moi, vous vous êtes beaucoup récrié d?admiration, vous vous êtes rappelé involontairement ces rochers calcinés par Annibal, à force de feu et de vinaigre, auxquels nous ajoutons une foi aveugle depuis nos premières études sur l?Histoire romaine. Eh bien ! ces rocs vifs, ces rochers même d?Annibal, confits dans le vinaigre, à supposer qu?ils aient jamais bu tant de vinaigre, ne sont rien, comparés à cette montagne de 1507 mètres, qu?il a fallu creuser à une si grande profondeur dans un terrain qui n?était rien moins que du roc vif.

Ceci est facile à comprendre : quand il ne s?agit que de creuser un rocher, une fois le rocher creusé, on est sûr de son travail. Une fois que la dureté du roc est calculée, on peut préciser, à un certain temps donné, combien de temps et d?argent coûtera ce travail. Cela se calcule heure par heure, pouce par pouce. Mais ici, dans ce terrain friable, déjà miné et contreminé de toutes parts depuis des siècles, dans ce sol mouvant, soumis à des éboulemens de toutes sortes, toute prévision était folle, tout calcul était impossible. A chaque nouveau puits, la terre s?éboulait ; chaque nouvelle ouverture se comblait en une nuit avec le plus grand danger pour les mineurs ; il a fallu toute la patience et toute l?infatigable habileté de ces hommes, et tout l?argent dont la compagnie était maîtresse, pour venir à bout de cet immense travail. Mais enfin, l?obstacle a été percé, les éboulemens ont été prévenus par des voûtes solides, la terre extraite de cette montagne a servi à combler les vallées voisines ; aujourd?hui, la montagne n?est plus qu?une grande voûte de 4,600 pieds. Sous cette voûte, et latéralement à droite et à gauche de la [7.2]route, on a pratiqué une douzaine d?ouvertures qui sont autant de mines de charbon. Vous n?avez plus à présent qu?à frapper devant vous pour avoir de la houille qui, en cet endroit, est de la plus belle qualité. Ceci est encore une des révolutions de mon pays. Quand j?étais enfant, tout St-Etienne aurait bien ri au nez du premier qui serait venu lui dire qu?un jour on entrerait de plein pied dans les mines de charbon : qu?un jour on n?aurait plus besoin, pour aller dans ces villes souterraines, de descendre par ces longs puits, assis dans une benne tremblante, une lampe vacillante à la main, au hasard d?avoir la tête fracassée par la benne montante ou descendante. C?était un périlleux voyage autrefois que le voyage dans une mine : on descendait lentement dans ces profondeurs humides, on remontait lentement ; il fallait avoir soin de ne se heurter ni contre les murailles, ni contre le charbon qui montait. Aujourd?hui, sous la voûte dont je vous parle, vous n?avez qu?à vous détourner à droite ou à gauche, vous êtes dans une mine de charbon. Si bien que la houille, cachée jusqu?à présent dans les entrailles de la terre, et soumise à tant d?obstacles avant de voir le jour, arrive cette fois de plein-pied sur le chemin qui doit la conduire tout d?une haleine dans le Midi ou dans le Nord. Il est impossible de calculer l?économie de temps, d?hommes, d?argent et de dangers que cela procure ; d?autant plus que, dans l?intérieur même de ces mines qui touchent au chemin de fer, on établit aussi de petits chemins de fer pour les brouettes qui viennent aboutir aux wagons ou tombereaux du chemin principal. Ainsi un bloc de houille peut être détaché de la mine, apporté dans le tombereau, et transporté sur le Rhône ou sur la Loire, tout cela le même jour.

Ceci, j?imagine, vous fait très bien comprendre l?avantage immense de ce chemin de fer ; d?autant plus que partout sur la route parcourue par le chemin de fer, tous les propriétaires d?usines, de hauts-fourneaux, de houille, de sables, de verreries, de quincailleries, de toutes les grosses marchandises dont le port fait une très grande partie du prix, établissent des chemins de fer à eux, espèce de chemins vicinaux à volonté qui commencent à leurs manufactures et qui aboutissent par embranchement au chemin de fer principal.

Je reviens à ma voûte de 4,600 pieds. Quand vous êtes entrés sous la voûte, si vous êtes assis sur le devant de la voiture, ayez soin de vous retourner vers le jour. Devant vous, vous êtes dans une obscurité profonde ; retournez-vous, et à l?entrée de la voûte, vous verrez le jour comme un point. C?est une lueur charmante qu?on pourrait comparer au verre d?une lanterne magique qui aurait un paysage immense pour point de vue. La voiture court dans l?ombre, et tout en vous éloignant du soleil, vous voyez au-dessus de votre tête, par l?ouverture même de la voûte, à la lueur d?un soleil, ordinairement éclatant et chaud, tout un paysage animé, des montagnes étincelantes, des arbres vigoureux, tout cela très distinctement, tout cela à la distance de quatre mille pieds. Tant que le Tunnel de Londres, sous la Tamise, ne sera pas achevé, notre montagne de St-Etienne ainsi percée, sera la plus belle chambre obscure de l?univers.

En voyageur véridique, et pour qui les plus petits faits d?un voyage pittoresque ont leur souvenir et leur charme, je dois cependant signaler un danger que courent sous cette voûte tous les voyageurs imprudens ou trop jeunes qui, pendant ce long trajet dans l?ombre, s?occuperaient d?autre chose que de chambre obscure et de perspective dans le lointain. La seconde fois que j?ai traversé la voûte, toutes les voitures étaient au grand [8.1]complet. Nous étions au mardi-gras, et évidemment, pour la majorité des voyageurs, il s?agissait d?un voyage de plaisir. Il faut vous dire, avant de continuer mon anecdote, que cette voûte, de 4,600 pieds, ne va guère en droite ligne que pendant 4,000 pieds. Arrivée à ce terme, cette belle ligne si admirablement droite, qu?à cette distance même vous pouvez voir l?heure à votre montre, fait tout-à-coup un brusque détour, et, à ce détour, comme la sortie de la voûte n?est plus qu?à 600 pieds de là, vous êtes tout-à-coup inondé d?une lumière inattendue. Or, ici est le danger que je signalais tout-à-1?heure. En effet, ce jour-là je fus tiré de ma contemplation muette par les grands éclats de rire de mes compagnons de voyage. A ce grand rire, je me retourne, et je vois une pauvre jeune femme qui cachait de son mieux la rougeur de son visage dans ses deux mains. Il paraît qu?elle s?était laissé prendre un baiser pendant le trajet, comptant un peu trop sur cette obscurité qui avait cessé si vite. Ce brusque détour lui avait été fatal. Un beau jeune homme brun se tenait sans confusion à côté d?elle ; les éclats de rire se prolongèrent jusqu?au moment où la voiture sortit de la voûte ; mais à l?instant même où nous fûmes rentrés sous le ciel, le beau jeune homme brun prit sa revanche des rieurs en les mettant de son côté. ? Messieurs, dit-il en montrant la pauvre jeune personne toute confuse, je vous présente ma femme ! Et en effet, il l?avait épousée la veille à St-Etienne, et il la conduisait, jolie comme elle était, jusqu?à St-Chamond, la première petite ville que vous rencontrez à votre gauche en sortant de cette voûte de 4,600 pieds.

J. J.

(Journal des Débats.)

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(258) Au rabais, Mécaniques à la Jacquard.
DAZON, mécanicien, rue Royer, n° 12, au bout de la rue Saint-Joseph, a l?honneur de prévenir MM. les fabricans d?étoffes qu?il vient d?établir un atelier de mécaniques dites à la Jacquard ; ses prix sont ainsi fixés, mécaniques en 1,500, 190 fr. ; en 1,200, 150 fr. ; en 1,000, 125 fr. ; en 700, 97 fr. ; en 400, 80 fr. ; pour armures, 30 fr.
On trouve dans son établissement des mécaniques toutes prêtes et avec garantie.

(261) A vendre de suite, un métier de lancé au fil, travaillant, monté à neuf, mécanique en 900 ; s?adresser rue des Marronniers, n° 7, 2e cour, au 3e étage, chez M. Mantet. ? Joli appartement pour 3 ou 4 métiers avec cuisine et petite chambre à coucher, du prix de 250 fr. à louer ; on s?arrangerait pour le céder deux mois avant la Noël. S?adresser comme ci-dessus, où l?appartement est situé.

(260) A vendre de suite, 2 métiers lancés en 6/4 à lisses, tout garnis, mécanique en 750 ; les métiers travaillent en ce moment. Le tout en très bon état. S?adresser à M. Rivière, rue de Flesselles, n° 6, au 1er.

[8.2](262) A VENDRE, un métier 6/4 crêpe de Chine avec tous ses harnais, mécanique en 900. S?adresser à M. Jourssin, clos Dumond, 4e allée, au 2e ; on donnera toutes les facilités possibles pour le paiement.

(249) ROUSSY, BREVETÉ,
Prévient le public qu?il continue de vendre les régulateurs comptomètres de son invention dont les principales qualités sont : 1° d?être simples, de n?avoir point de compensateurs et de pouvoir faire toutes sortes d?étoffes fortes ou légères ; 2° de faire toutes les réductions depuis 20 jusqu?à 750 divisions au pouce, inclusivement ; 3° ces régulaleurs tiennent toujours la pièce tendue, même dans l?instant où l?on fait une coupe, laquelle peut être d?une longueur à volonté, l?étoffe étant libre et l?ouvrage tout compté ; 4° les étoffes ne se roulant pas, elles ne sont pas comprimées ; aussi les étoffes brochées or, relevées, y conservent tout leur relief et acquièrent une grande perfection.
Le sieur Roussy se dispense de rappeler tous les éloges et encouragemens qu?il a reçus à ce sujet ; il offre aux personnes qui voudront en prendre connaissance, de leur faire voir ces mêmes régulateurs comptomètres fonctionnant dans son atelier, rue des Marronniers, n° 5, au 2e, seconde montée.

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Nous ne terminerons pas cet article sans annoncer à nos lecteurs la brillante récompense que l?Institut de France a décerné à l?auteur du Traité de la Sagesse Populaire , faisant partie de la Collection (n. 22), en lui accordant une médaille d?or de 1,500 fr. (Prix monthyon.)
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Notes ( QUESTIONS DU MOMENT.)
1. Il s?agit ici d?Adolphe Blanqui, économiste libéral, successeur de Jean-Baptiste Say, déjà mentionné dans le journal.

Notes ( Les Saint-Simoniens.)
1. En 1833, entourant le père Enfantin, plusieurs saint-simoniens, dont Henri Fournel (1799-1876), Charles Lambert (1804-1864), Alexis Petit (1805-1871), Antoine Ollivier (1805-1836), René Holstein (1798- ?), mentionnés ici, partirent étudier la possibilité de creuser un grand canal reliant la Méditerranée et la mer Rouge, aménageant une communication entre l?Orient et l?Occident. Ce n?est cependant qu?une dizaine d?année plus tard qu?une Société d?études pour la réalisation du canal de Suez vit le jour et le projet fut définitivement emporté par Ferdinand de Lesseps en 1854, le canal étant finalement ouvert en 1869.

Notes (Nous sommes priés de publier l?annonce...)
1. Adrien Berbrugger (1801-1869), l?un des principaux fouriéristes du moment. Également archéologue et spécialiste de l?Algérie.

Notes ( AVIS DIVERS.)
1. Principaux titres de la Bibliothèque populaire mentionnés ici : Jules-François Chenu, Dictionnaire français, rédigé d?après l?orthographe de l?Académie ; Auguste Chevalier, Traité élémentaire de mécanique : Extraits des ouvrages de MM. Christian, Franc?ur, Hachette, Poinsot, Poisson, etc. ; Étienne-Bonnot Condillac, Théorie des calculs : ouvrage extrait de celui de Condillac intitulé « Langue des calculs » ; Auguste Savagner, Histoire de France jusqu?en 1789 ; enfin, Jean-Ferdinand Denis, Le brahme voyageur, ou la sagesse populaire de toutes les nations.

 

 

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