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22 septembre 1833 - Numéro 38
 
 

 



 
 
    
ÉCONOMIE POLITIQUE.
Influence du mouvement des populations sur le bonheur des peuples.

CONSEIL AUX OUVRIERS.

[3.1]C’est par la longueur de la vie moyenne des hommes, que nous pouvons apprécier leur bien-être. Cette longueur nous démontre que ceux qui en jouissent peuvent facilement se procurer ce qui leur est nécessaire, se conserver et vivre long-temps. Ce moyen de juger du bonheur des peuples est beaucoup plus sûr que celui que nous avons l’habitude de tirer sur l’augmentation des populations. C’est par le nombre de mariages et de naissances que nous pouvons calculer cette dernière. Or, l’expérience de toutes les nations nous prouve que la misère des peuples est proportionnelle aux mariages qu’ils contractent et aux enfans qu’ils mettent au monde. C’est ainsi que dans la Russie, dans le Mexique, où le despotisme et la superstition tiennent les habitans dans la misère et dans tous les vices qui en naissent, les mariages sont précoces, nombreux et très féconds. Le mouvement des populations y est autrement rapide, et la vie moyenne fort courte. Ces peuples sont épuisés par une foule d’individus qui naissent et meurent après avoir infructueusement diminué les produits des autres, et avant d’avoir atteint l’âge où ils auraient pu fournir leur contingent de bien-être aux famillesi.

« Quoi de plus appauvrissant pour les familles que la dépense improductive et toujours renouvelée que leur inflige ce débordement continu de nouveaux-nés qui n’arrivent point à l’âge viril ? Quoi de plus ruineux qu’une fécondité qui peuple les tombeaux avant le temps ; et par suite, quoi de plus désirable pour l’accroissement des travaux dont les produits multiplient les conforts de la vie humaine, qu’un balancement de naissances et de décès qui noue le cercle des générations avec le moins possible d’enfantemens et d’enterremens… ? » (F. divernois1). C’est ce que nous voyons dans les régions de l’Europe où les peuples sont le plus heureux : les mariages y sont tardifs, les naissances rares, et presque tous les nouveaux-nés y parviennent à l’âge adulte.

Nous avons encore des économistes qui, ne voulant pas distinguer les simples enfantemens des enfans qui deviennent hommes, calculent le bonheur d’un pays d’après les naissances qu’ils y comptent. Si les naissances y sont nombreuses, disent-ils, c’est une preuve de richesse, car la population d’une contrée est toujours proportionnelle à la nourriture qu’elle y trouve : s’il y a moins de subsistance que de population, la mort vient rétablir l’équilibre… Or, c’est là précisément la chose à éviter : il faut, par une sage prudence, éviter à la mort la peine de venir mettre la population en rapport avec la subsistance. Pour rétablir cet équilibre, les agens qu’emploie la mort sont la misère et les vices.

Mais pourquoi ne jugerions-nous pas, d’après ce que nous observons dans les familles, des effets que la grande fécondité des peuples produit sur les nations ?

Nous le demandons, en supposant que deux mariages se fassent dans les mêmes circonstances, lequel sera le [3.2]plus heureux, quinze ou vingt ans après qu’ils auront été célébrés, celui qui aura produit dix ou douze enfans ou celui qui n’aura donné naissance qu’à deux, tout étant resté égal ? D’ailleurs, ce que nous disons d’un ménage s’applique avec la même exactitude à une ville, à une nation. « De jour en jour je reste plus convaincu, Monsieur, écrit à M. Villermé le philosophe suisse que nous venons de citer, que le paupérisme qui commence à devenir la plaie générale de l’ Europe, n’a point d’autre antidote que la circonspection des classes pauvres. La mesure récemment adoptée par tel de nos cantons suisses (celui de St-Gall), où l’on a frappé tous nouveaux mariages d’une taxe dont le produit sera versé dans la caisse des pauvres, n’est qu’un misérable palliatif qui ne servira à rien, si ce n’est à démontrer que cette législature démocratique a découvert le siège du mal et en cherche encore le remède. Le seul efficace est dans les inspirations d’une prévoyance dictée par l’effroi de la pauvreté. Or, pour y amener le petit peuple, il faut lui ouvrir le trésor d’une éducation propre à le rendre circonspect, c’est-à-dire soucieux sur son avenir. »

C’est surtout aux ouvriers qu’il importe d’être circonspects dans le mariage. Ils ne doivent le contracter qu’après s’être assurés qu’ils sont en état d’en soutenir les charges ; et après s’être engagés dans cette union, ils doivent rester encore assez réservés pour éviter qu’un trop grand nombre d’enfans ne change le mariage, qui doit être une association de douceur, en une source de malheurs et de dépravations. Nous concevons tout ce qu’a de délicat la moralité de cette question ; mais combien n’est-il pas plus humain de travailler à la conservation des hommes qui existent, que de donner naissance à des malheureux qu’on ne pourrait pas préserver de l’affreuse misère et des hideuses conséquences qu’elle entraîne.

« On ne saurait trop environner de soins conservateurs les générations existantes, mais quant à celle qui n’existent pas encore, on ne leur doit rien, absolument rien, si ce n’est de les appeler à la vie sous un régime qui n’en fasse pas pour elles une vallée de larmes et de misère.» (divernois.)

Si la population est trop nombreuse, c’est l’ouvrier qui en souffre le premier ; sur lui se font d’abord sentir la disette, la cherté des vivres. En donnant naissance à des enfans il crée des concurrens et reste exposé au manque de travail et à la baisse des salaires.

H. M.

Notes ( ÉCONOMIE POLITIQUE.
Influence du mouvement des populations sur le bonheur des peuples.)

1. Il s’agit ici probablement du statisticien et historien suisse Francis d’Ivernois (1757-1842) qui va publier peu après Sur la mortalité proportionnelle des peuples considérée comme mesure de leur aisance et de leur civilisation.

 

 

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