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22 septembre 1833 - Numéro 38 |
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DÉCROUAGE DES CRÊPES.
Une cause marquante est actuellement en instance devant le conseil des prud’hommes ; elle se rattache à une question majeure, celle du décrouage que jusqu’à présent les prud’hommes ont considéré comme insoluble, lorsqu’on veut l’envisager sous un autre point de vue que sous celui de la bonne foi. Attendu que lorsqu’une étoffe est décrouée, l’on ne peut qu’évaluer la somme d’ingrédiens qui chargeaient la soie en sus du gré, mais non indiquer celui qui est coupable de fraude. Est-ce le moulinier, l’ovaliste ou le tisseur ? C’est là où sont venues échouer toutes les tentatives faites jusqu’à ce jour par les prud’hommes pour connaître la vérité. La plupart des fabriques, parmi lesquelles nous en pourrions citer comme appartenant au premier ordre ; ont considéré ce genre de fabrication comme une affaire de confiance. Nous devons, à la vérité, d’avouer que quelques chefs d’atelier n’ont pas senti, non-seulement combien ils se sont rendus coupables d’abuser de cette confiance, mais aussi quel tort immense ils font à la fabrique en se permettant ces soustractions clandestines de coupons qui, livrés au trafic d’une véritable espèce de piquage d’once, désapprécient le prix de la vente et exposent le négociant lésé à voir le fruit de ses veilles et le produit de son génie inventif, à la merci de ces plagiaires qui ne possèdent d’autres dextérités que celles de copier les productions d’autrui. Mais heureusement il est des maisons d’ordre où le grand nombre des tisseurs honnêtes ne sont pas confondus avec ceux de leurs confrères qui méconnaissent leurs devoirs ; voici comment ces négocians procèdent : [1.2] Chaque pesée de bobines pleines indique sur le livre du tisseur, non seulement le poids en toutes lettres, mais encore le nom du moulinier où elles ont été montées. L’on fait des expériences comparatives en faisant décrouer dans le même bain un certain nombre de coupons fabriqués par divers tisseurs, mais d’une soie provenant du même ballot et des mêmes moulinier et ovaliste. S’il se trouve un ou plusieurs coupons qui aient éprouvé une perte plus considérable que les autres, l’on se contente d’une observation qui consiste à prescrire le mouillage à employer pour ne pas plus charger que le besoin l’exige, après quoi, si une nouvelle expérience trouve encore le même tisseur en défaut, il est congédié sans réclamation. Ajoutons à ces moyens un calcul bien simple qui aide encore le négociant à connaître la bonne ou mauvaise foi des tisseurs qu’il occupe : c’est la longueur des pièces fabriquées relative à celles de l’aunage de la chaîne. Mais toutes ces précautions ne peuvent établir que des présomptions mais non des preuves évidentes telles qu’il les faut pour faire foi en justice. C’est pour cela que les prud’hommes, dans de semblables contestations, ne se sont pas crus suffisamment éclairés, et ont jusqu’à présent toujours débouté de leurs demandes les négocians qui se sont crus fondés à se constituer réclamans par le seul fait du décrouage ; et nous approuvons franchement les précédentes décisions du conseil à cet égard, attendu que, pour que le décrouage puisse faire foi, il faudrait non-seulement prendre toutes les mesures que nous venons d’indiquer, mais encore que le décrouage ait eu lieu par l’intermédiaire d’un tiers désigné d’avance par les partiesi ; encore faudrait-il que le négociant fournisse des preuves qui démontrent d’une manière palpable que la soie employée aux tissus comparés est moulinée par le même moulinier, ouvrée par le même ovaliste, et appartient [2.1]au même ballot. Sans ce concours de preuves les arbitres consciencieux, comme nous les supposons tous, ne peuvent et ne doivent prononcer. En agissant sans l’une des mesures indiquées, voyons dans quelles erreurs ils se plongeraient pour condamner le tisseur : 1° La soie des coupons n’étant pas du même ballot, quoique d’un titre conforme, éprouve une perte plus ou moins considérable ; l’apprêt du filateur varie non-seulement par la différente quantité d’ingrédiens, mais encore par un mauvais procédé usité dans des contrées entières, tel le Dauphiné, qui consiste à écraser la chrysalide dans le cocon avant de filer la soie qui en provient, est non-seulement d’une nuance moins éclatante mais plus chargée : cela se conçoit ; on sait aussi que les soies fortes perdent plus que les soies fines. 2° Même moulinier. L’apprêt des mouliniers varie suivant leur dextérité et leur bonne foi. Souvent on a remarqué des bobines chargées de corps visqueux et gras, et en telle abondance que le fer blanc en était couvert ; les uns emploient de la cire jaune ; d’autres vont jusqu’à charger la trame d’une matière pulvérulente qui se détache, soit en exposant les bobines pleines dans un bain d’eau froide, et encore plus en procédant au cannetage. Les trames les plus chargées sont conséquemment celles qui perdent le plus entre les mains du tisseur en les vaporisant ; c’est par cette raison que, pour ne pas léser les tisseurs qu’ils occupent, des négocians ont l’habitude de les faire vaporiser eux-mêmes. Ajoutons que les trames chargées par le moulinier avec mauvaise intention, déposent une grande quantité de matières visqueuses lorsqu’on leur procure l’humidité, ou pour mieux dire le bain indispensable pour faire de bonnes cannettes qui, sans cela, seraient hors d’emploi. 3° Même ovaliste. On a reconnu qu’un très grand nombre d’ovalistes graissaient les trames destinées aux chaînes de crêpes de Chine ; ce qui est plus fort, c’est qu’il y en a qui ont poussé la fraude si loin, qu’un des négocians que nous avons consulté, nous a déclaré que sur un ballot de soie, par le fait du mettage en main opéré sous ses yeuxii, il s’est détaché plus de six livres de matières pulvérulentes. On peut juger quel énorme déchet cette matière a dû faire au dévidage, ourdissage, tissage ; nous devons avouer qu’il nous a cité ce fait comme très extraordinaire. 4° Décrouer dans le même bain. On comprend que sans cela la quantité de véhicules dans laquelle le savon est dissous ne pourrait être égale, relativement à celle des matières où l’on fait cuire les tissus, et cette disproportion ne permettrait pas d’établir une règle certaine. Il en serait de même de l’ébullition plus ou moins accélérée ou d’une durée plus ou moins prolongée. D’après ces détails, on ne peut disconvenir que l’absence de l’une de ces mesures ne peut autoriser les arbitres à condamner le tisseur, à moins qu’ils ne soient des hommes aussi légers (pour ne pas dire coupables d’une blâmable partialité), qui leur permettrait de blâmer d’après une simple prévention favorable au négociant et préjudiciable au tisseur. Nous avons embrassé la question d’une manière générale, maintenant il faut aborder les spécialités. Le déchet, dans l’article crêpe de Chine, fut d’abord fixé à 3 pour 100, et plus tard, à 1 et 1/2. Considérant que le parage de la chaîne, quoique moyen et même [2.2]léger, ne laissait pas d’augmenter le poids du tissu, ce poids fut donc généralement évalué à un et demi pour cent ; cette réduction du déchet fut considérée de part et d’autre comme équitable. Mais il en surgit bientôt un nouvel abus ; le voici : des fabriques adoptèrent pour règle de faire décrouer les tissus en n’accordant toujours qu’un et demi de déchet ; cette disposition conventionnelle, quoique inscrite sur le livre du tisseur en tête de chaque pièce, ne fut néanmoins jamais admise par les prud’hommes comme licite, et fut rejetée d’après les motifs que nous avons énumérés. A l’appui de ce que nous avançons, nous citerions au besoin un jugement de l’ancien conseil qui fut rendu à la suite d’une contestation de ce genre où ce fut le moulinier qui fut convaincu et condamné à de forts dommages et intérêtsiii. Aujourd’hui le conseil hésite sur cette question ; déjà un arbitrage a eu lieu, et à l’audience du 12 courant, le conseil, attendu la dissidence des deux arbitres, en a désigné deux de plus qui auront à statuer, non sur les faits, attendu que le négociant s’est constamment refusé à consentir à des expériences comparatives, se renfermant strictement dans la question de droit, en ce qui concerne la validité on non validité d’une convention ainsi conçue : « On fera décrouer les mouchoirs. » Malgré toute la sagacité des arbitres, nous osons croire qu’ils nous sauront gré d’émettre notre opinion ; la voici : d’abord, comme il n’y a point de déchet fixé dans les conventions, le tisseur n’est pas obligé de se soumettre à la règle de cette fabrique qui accorde un et demi. Les mots on fera décrouer les mouchoirs, n’expriment pas qui supportera les conséquences du décrouage. La convention est donc obscure par ce seul fait. Les juges (dit la loi) doivent, lorsqu’un contrat est obscur, statuer en faveur de celui qui a contracté et au préjudice de celui qui a stipuléiv. Comme c’est le négociant qui a stipulé, il doit subir les conséquences rigoureuses de la loi. La loi dit encore (en s’adressant toujours aux juges), dans l’interprétation d’un contrat, l’on doit plutôt s’attacher à l’intention des parties qu’au sens littéral des termesv. De là nous déduisons la conséquence suivante, que le tisseur avait l’intention d’obtenir 3 p. 100 si l’on faisait décrouer. Que plus, il avait aussi l’intention de faire décrouer par un tiers, et non s’en rapporter au décrouage opéré par un des auxiliaires du négociant (son teinturier), attendu que le témoignage d’un ouvrier de la maison peut être révoqué en doute. Nous allons terminer par l’examen du principal point de droit. La convention est-elle valide ? Nous répondrons non, parce qu’elle est illicite, et, suivant l’expression de la loi, toute convention contraire aux mœurs est nullevi. Nous la considérons immorale, attendu qu’elle offre au préjudice du tisseur une assurance au négociant contre les fraudes des ouvriers qui ont manipulé la soie, tels que le fileur, moulinier et ovaliste. Attendu aussi que ce nouveau genre d’assurance donnerait lieu à de graves abus, le négociant n’étant plus intéressé à surveiller le choix des filateurs, ainsi que les procédés de ses mouliniers et ovalistes, se reposerait, sur qui ?… Sur le malheureux tisseur qui paierait pour tous. ch…..r et Ce.
i. Ne pourrait-on pas créer un décrouage public qui ne serait qu’un bureau accessoire à la Condition des soies ; là, les tissus conditionnés avant et après la cuite, offriraient des résultats sûrs. Des bobines mises en flottes subiraient le même examen, qui tous seraient d’une autorité irrévocable. Afin de prévenir toute erreur de coupe, les tisseurs seraient tenus de placer à la tête et à la fin de chaque coupe, un nombre fixe de passées d’une couleur quelconque désignée sur son livre, à chaque pièce qui lui serait confiée. L’un aurait 4 passées rouges, l’autre 3 bleues ou 10 rouges, etc., etc. ; de cette manière on pourrait tellement varier les marques que peu de maîtres auraient les mêmes. ii. Ces faits et cette communication sont récens. iii. Communiqué par un membre de l’ancien conseil des prud’hommes. iv. Code civil, art. 1162. v. Code civil, art. 1156. vi. Id. art. 1133 et 1172.
ÉCONOMIE POLITIQUE. Influence du mouvement des populations sur le bonheur des peuples.
CONSEIL AUX OUVRIERS. [3.1]C’est par la longueur de la vie moyenne des hommes, que nous pouvons apprécier leur bien-être. Cette longueur nous démontre que ceux qui en jouissent peuvent facilement se procurer ce qui leur est nécessaire, se conserver et vivre long-temps. Ce moyen de juger du bonheur des peuples est beaucoup plus sûr que celui que nous avons l’habitude de tirer sur l’augmentation des populations. C’est par le nombre de mariages et de naissances que nous pouvons calculer cette dernière. Or, l’expérience de toutes les nations nous prouve que la misère des peuples est proportionnelle aux mariages qu’ils contractent et aux enfans qu’ils mettent au monde. C’est ainsi que dans la Russie, dans le Mexique, où le despotisme et la superstition tiennent les habitans dans la misère et dans tous les vices qui en naissent, les mariages sont précoces, nombreux et très féconds. Le mouvement des populations y est autrement rapide, et la vie moyenne fort courte. Ces peuples sont épuisés par une foule d’individus qui naissent et meurent après avoir infructueusement diminué les produits des autres, et avant d’avoir atteint l’âge où ils auraient pu fournir leur contingent de bien-être aux famillesi. « Quoi de plus appauvrissant pour les familles que la dépense improductive et toujours renouvelée que leur inflige ce débordement continu de nouveaux-nés qui n’arrivent point à l’âge viril ? Quoi de plus ruineux qu’une fécondité qui peuple les tombeaux avant le temps ; et par suite, quoi de plus désirable pour l’accroissement des travaux dont les produits multiplient les conforts de la vie humaine, qu’un balancement de naissances et de décès qui noue le cercle des générations avec le moins possible d’enfantemens et d’enterremens… ? » (F. divernois1). C’est ce que nous voyons dans les régions de l’Europe où les peuples sont le plus heureux : les mariages y sont tardifs, les naissances rares, et presque tous les nouveaux-nés y parviennent à l’âge adulte. Nous avons encore des économistes qui, ne voulant pas distinguer les simples enfantemens des enfans qui deviennent hommes, calculent le bonheur d’un pays d’après les naissances qu’ils y comptent. Si les naissances y sont nombreuses, disent-ils, c’est une preuve de richesse, car la population d’une contrée est toujours proportionnelle à la nourriture qu’elle y trouve : s’il y a moins de subsistance que de population, la mort vient rétablir l’équilibre… Or, c’est là précisément la chose à éviter : il faut, par une sage prudence, éviter à la mort la peine de venir mettre la population en rapport avec la subsistance. Pour rétablir cet équilibre, les agens qu’emploie la mort sont la misère et les vices. Mais pourquoi ne jugerions-nous pas, d’après ce que nous observons dans les familles, des effets que la grande fécondité des peuples produit sur les nations ? Nous le demandons, en supposant que deux mariages se fassent dans les mêmes circonstances, lequel sera le [3.2]plus heureux, quinze ou vingt ans après qu’ils auront été célébrés, celui qui aura produit dix ou douze enfans ou celui qui n’aura donné naissance qu’à deux, tout étant resté égal ? D’ailleurs, ce que nous disons d’un ménage s’applique avec la même exactitude à une ville, à une nation. « De jour en jour je reste plus convaincu, Monsieur, écrit à M. Villermé le philosophe suisse que nous venons de citer, que le paupérisme qui commence à devenir la plaie générale de l’ Europe, n’a point d’autre antidote que la circonspection des classes pauvres. La mesure récemment adoptée par tel de nos cantons suisses (celui de St-Gall), où l’on a frappé tous nouveaux mariages d’une taxe dont le produit sera versé dans la caisse des pauvres, n’est qu’un misérable palliatif qui ne servira à rien, si ce n’est à démontrer que cette législature démocratique a découvert le siège du mal et en cherche encore le remède. Le seul efficace est dans les inspirations d’une prévoyance dictée par l’effroi de la pauvreté. Or, pour y amener le petit peuple, il faut lui ouvrir le trésor d’une éducation propre à le rendre circonspect, c’est-à-dire soucieux sur son avenir. » C’est surtout aux ouvriers qu’il importe d’être circonspects dans le mariage. Ils ne doivent le contracter qu’après s’être assurés qu’ils sont en état d’en soutenir les charges ; et après s’être engagés dans cette union, ils doivent rester encore assez réservés pour éviter qu’un trop grand nombre d’enfans ne change le mariage, qui doit être une association de douceur, en une source de malheurs et de dépravations. Nous concevons tout ce qu’a de délicat la moralité de cette question ; mais combien n’est-il pas plus humain de travailler à la conservation des hommes qui existent, que de donner naissance à des malheureux qu’on ne pourrait pas préserver de l’affreuse misère et des hideuses conséquences qu’elle entraîne. « On ne saurait trop environner de soins conservateurs les générations existantes, mais quant à celle qui n’existent pas encore, on ne leur doit rien, absolument rien, si ce n’est de les appeler à la vie sous un régime qui n’en fasse pas pour elles une vallée de larmes et de misère.» (divernois.) Si la population est trop nombreuse, c’est l’ouvrier qui en souffre le premier ; sur lui se font d’abord sentir la disette, la cherté des vivres. En donnant naissance à des enfans il crée des concurrens et reste exposé au manque de travail et à la baisse des salaires. H. M.
i. En étudiant la statistique d’une nation, d’un département, d’une ville, nous voyons ce que nous venons d’observer en examinant les peuples en général ; nous voyons les mariages précoces, les familles nombreuses être l’apanage de la classe la plus malheureuse ; nous voyons des pépinières d’enfans venir épuiser les ressources déjà insuffisantes de ceux qui vivent quelques années de plus.
Le mont St-Michel
L’article suivant nous avait été envoyé la semaine dernière pour être inséré dans le N° précédent ; mais le temps et l’espace ayant manqué, nous nous sommes vus forcés de le renvoyer à aujourd’hui. Il vient de se passer au mont St-Michel un fait grave, important, qui aura dans toute la France un grand retentissement, et qui, s’il afflige profondément les amis des détenus politiques de cette affreuse prison, aura du moins pour eux l’avantage de démasquer la cruelle hypocrisie des hommes du pouvoir. Cinq voleurs, exaspérés par les traitemens qu’on leur fait subir dans la prison du mont mont St-Michel, viennent de se mutiner et de couper les pièces de coton auxquelles ils travaillaient ; traduits pour ces faits devant le tribunal correctionnel, ils ont été condamnés, les uns [4.1]à trois mois, les autres à six mois d’emprisonnement ; mais une condamnation de cette nature ne les arrachait pas à l’horrible séjour qu’ils ne peuvent plus supporter, et lorsque les magistrats ont ordonné de les reconduire à leur prison, tous cinq, par un mouvement spontané, rapide comme la pensée, prompt comme l’éclair, ont essayé d’assassiner leurs juges ! entendez-vous bien ? Assassiner leurs juges ! Leurs juges qu’ils ne connaissaient pas, et qui, en les condamnant, n’avaient fait qu’appliquer la loi ; et lorsque le procureur du roi les envoyant à l’instant même devant la cour d’assises, requérait contre eux l’application d’un article de loi qui entraîne la peine de mort : oui, oui, la mort ! se sont-ils écriés ; voila ce que nous voulons ! Tous les criminels condamnés à mort se pourvoient en cassation, essaient d’obtenir des sursis, adressent des demandes en grâce, afin de gagner quelques jours d’une existence misérable, dans d’affreux cachots ; d’une existence qui au moindre bruit tremble de finir, et se traîne entre la crainte de 1’échafaud et l’espérance des galères. C’est que cette vie animale, ce souffle qui les anime est pour eux toute leur existence ; pour eux que la société rejette de son sein parce qu’elle les redoute ; il n’y a plus de liens de famille, plus d’épouse, plus de sœur, plus de mère ; ils ne croient pas à l’amitié, et ils ont des mots pour railler l’amour. Renfermés dans eux-mêmes, ils pourraient défier leurs bourreaux de leur imposer des souffrances morales, et comme ils n’ont de vulnérable que leur chair, ils veulent la conserver. Comment donc se fait-il que cinq de ces hommes qui n’ont rien autre au monde que la vie, viennent aujourd’hui briguer le bonheur de mourir ? Et de mourir, non pas d’une mort glorieuse, sur un champ de bataille, dans un combat singulier, ou dans une expédition hasardeuse qui leur laisserait au moins la chance d’une évasion, mais la mort de l’échafaud avec sa lenteur et ses affreux apprêts ? Comment cela se fait ? C’est que chaque jour qui se lève leur amène des souffrances nouvelles ; c’est que tout est pour eux douleur et tiraillement ; c’est que toutes les actions qu’on leur impose sont des tortures ; et vous conviendrez qu’il faut bien souffrir pour demander à la société qu’elle vous tue, qu’elle vous fasse la charité de la guillotine ! Si des voleurs en sont arrivés là, quelle vie doit donc être celle des malheureux républicains qui gémissent au mont St-Michel ? De ces hommes aux passions vives, à la tête ardente, et aux sentimens généreux ? De ces hommes qui ont joué leur tête pour faire triompher leur foi politique, et qui, victorieux, n’attendaient rien pour prix de leur sang ? L’amitié leur apportait des consolations ; l’amour venait refleurir une vie fanée ; et tous deux ensemble leur composaient une seconde existence qui les aidait à supporter l’autre. Eh bien ! on a jeté des barreaux de fer entr’eux et l’amitié consolatrice ; on a posté des gardes entre les baisers d’une femme et les lèvres d’un captif. Il leur restait la vue de la mer qui vient de ses flots battre l’indestructible roc sur lequel ils végètent. Ils pouvaient, en voyant au loin fuir les vaisseaux se livrer encore à des rêves d’espérance et de bonheur ; on élève un mur entre la mer et eux ; on limite l’eau qu’ils doivent boire, et toutes ces tortures, on ne les invente que pour eux ; les voleurs sont mieux traités ! C’est qu’on veut tenailler non-seulement leur corps, mais surtout leur âme dont la grandeur inquiète leurs bourreaux. Leur existence pèse ; elle embarrasse ; on a besoin qu’ils demandent la mort, et comme on ne la donne pas pour rien, on voudrait peut-être qu’ils essayassent [4.2]aussi d’assassiner leurs juges ou leurs geôliers ; car alors on pourrait dire au parti dont ils sont les martyrs : Voila vos hommes, ce sont des assassins ! Qu’on y prenne garde, l’opinion publique se révolte à l’idée de semblables persécutions ; l’opinion publique a fait reculer l’échafaud qui s’approchait naguère. L’opinion tient compte aux victimes des souffrances qu’elles endurent ; elle en demande compte aux victimaires ! K.
L’Echo de Rouen1 rapporte un fait qui mérite de fixer l’attention de toutes les villes manufacturières. Depuis long-temps le commerce de la ville d’Elbeuf était en proie aux plus affreuses dilapidations, à tel point que des pièces entières étaient fabriquées avec des fils soustraits aux fabricans. Il n’a fallu rien moins que la circonstance que nous allons rapporter pour décider l’autorité à intervenir. Dans la nuit du 1er au 2 de ce mois, une patrouille arrêta plusieurs individus chargés de draps faits avec des fils volés ; à l’aspect de quatre pièces déposées à la mairie, on reconnut la profondeur du mal. Des perquisitions furent faites par les membres du conseil des prud’hommes, le commissaire de police aidé de ses agens et de 50 gardes nationaux. Pour donner plus d’importance aux recherches, M. le procureur du roi, M. Nauvel, juge, et les maires des communes voisines s’étaient rendus sur les lieux. Ce concours de toutes les autorités a amené des résultats tels, que cette fois les tribunaux devront user d’une sévérité exemplaire. Ce fait est trop grave pour que nous n’y joignions pas quelques réflexions. Lyon, peut-être, plus que toute autre ville, est accablée sous le poids de ses soustractions frauduleuses, nommées piquage d’once. Plusieurs négocians alimentent en partie leurs fabriques de matières provenant de ces sources impures, soustraites soit à la teinture, soit dans les ateliers ou au dévidage. Tous les honnêtes négocians sont d’accord que c’est ce honteux trafic qui est une des principales causes qui ont amené la concurrence locale, la plus funeste de toutes, puisque c’est pour la soutenir que depuis plusieurs années les prix des façons ont été réduits ; les ouvriers, ne pouvant plus vivre du prix de leurs travaux, devenu insuffisant pour satisfaire leurs besoins de première nécessité, leur misère seule fut la cause de tous les maux que nous avons ressentis. Le piquage d’once est un des fléaux de notre industrie, également funeste aux négocians et aux chefs d’atelier ; il déprécie également la réputation que nos étoffes ont acquises ; car celles fabriquées avec des soies de divers titres et diverses nuances, sont toujours très inférieures. Mais, ce dont on sera comme nous étonné, c’est que notre conseil des prud’hommes, sur lequel on fondait quelques espérances, n’a encore rien fait pour détruire ce scandaleux abus. Attend-il pour agir des circonstances semblables à celles d’Elbeuf ? Elles se renouvellent à tout heure ; ici on ne se cache pas.
DU MONT-DE-PIÉTÉ.
L’institution du Mont-de-Piété doit comparaître devant le peuple auquel elle doit compte des services qu’elle rend ou des maux qu’elle cause : on se demande d’abord par qui elle fut fondée en France ? Et l’on apprend [5.1]que ce fut par Louis XIV, par ce roi des dragonnades, par un Bourbon enfin (il n’y a plus dès-lors à s’étonner qu’elle soit funeste au peuple dès qu’elle est un don de la monarchie). Sous Louis XV elle couvrit d’un manteau de charité et d’un titre imposteur, l’hypocrite et crapuleuse lubricité de la cour ; c’est à peine, si la république eut le temps de cicatriser en passant les plaies que cette institution tenait continuellement ouvertes ! Le despotisme de l’Europe, sous le bruit des armes, se croisant, se heurtant aux frontières, couvrit la grande voix de la Convention qui déjà avait dit : « Il sera fait un rapport sur la question de savoir s’il est utile au bien général de conserver les établissemens connus sous la dénomination de monts-de-piété. » Dans les décrets de l’an 12, de l’an 13, de 1806, 1807, 1809, 1811, 1812, qui font tache à la gloire de l’empire, cette institution spoliatrice, à demi ébranlée par la république, reçut une nouvelle vie que nous voudrions lui voir perdre ; car elle coûte cher, bien cher au peuple. Voici M. le directeur qui consacre ses veilles à l’établissement ; il faut qu’il soit proprement logé, assez bien nourri et entretenu ; il faut qu’il représente ; il a une femme, des enfans, et un domestique : tout cela doit être bien et mener belle vie : peuple, payez ! Voici M. le garde-magasin et sa famille, leur existence doit être honorable ; peuple, payez ! Voici le caissier et sa famille ; le caissier prend peine à tenir ses livres ; il doit en êtrc dédommagé par un sort brillant : peuple, payez ! Voici M. l’inspecteur-général et sa famille ; qu’il soit entouré de respect et de dignité : peuple, payez ! Voici le garde des dépôts, voici les commis des bureaux, les commissaires appréciateurs, les chefs, sous-chefs, les garçons de peine, crieurs publics : peuple, payez ! Voici un essaim de préposés de toute nature avec leurs nombreuses familles, qu’honnêtement ils gagnent leur vie : peuple, payez ! Il faut que ces dépenses excessives pour sustenter ces myriades de fonctionnaires soient répétées autant de fois qu’il y a de bureaux séparés : peuple, payez ! Voici un palais, un ameublement, des appartemens nécessaires aux opérations : peuple, payez ! Voici les réparations, les embellissemens, le chauffage, l’éclairage, etc., etc. : peuple, payez ! Enfin, l’argent prêté sur gage, le Mont-de-Piété l’emprunte lui-même à 5 pour 100, et il faut qu’il rattrape ces intérêts avant de commencer à se couvrir de ses dépenses : peuple, payez ! Or, à quelle source coupable se puise tout cet or ? Venez, je vais vous le montrer. Dans ce triste réduit habite une famille ; de petits enfans se jouent insoucians autour de leurs pauvres parens ; ceux-ci sortent : suivons-les des yeux. Ils ont arraché les draps et les couvertures de leur couche ; ils ont distrait le meilleur de leur mince garde-robe, soit défaut de travail, soit maladie, soit accident, le besoin les presse ; ils entrent au Mont-de-Piété ; ils touchent au comptoir : Voila un gage, ont-ils dit, donnez-nous quelque argent. – Vous avez un cœur, prêteriez-vous sur gage au pauvre, si ce gage était son linge de tous les jours, le linge de sa famille ? Oh ! l’humanité ne règne pas là ; voyez, ils ont déposé au moins pour 120 fr. de valeur ; l’appréciateur les porte à 60 fr. ; écoutez, ils se plaignent ; mais le décret impérial rendant l’appréciateur responsable du montant de l’évaluation, il est clair que cette évaluation n’atteindra jamais la valeur réelle ! Il faut bien se taire, et accepter la réduction à 60 fr. Honteux, humiliés, ils tendent la main pour recevoir au moins ces 60 fr. ; on leur [5.2]en offre 40, car le décret a fixé le montant de la somme à prêter, aux deux tiers de l’évaluation du gage ! Et voila que d’avance on prélève encore sur ces 40 fr. un mois d’intérêts. Un usurier, tant barbare fût-il, aurait-il le courage d’imposer telles conditions ? Et les intérêts, à quel taux, s’il vous plaît ? Avez-vous entendu ? Les emprunteurs n’ont pas compris ; à 12 pour 100 ! Douze pour cent, grand Dieu ! Et l’opinion publique réprouve comme un malhonnête homme qui prête à plus de six ? Et la loi l’emprisonne comme escroc ! Douze pour cent ! et semblables marchés se traitent sur nos places publiques, en plein soleil ! ô ministres, parlez maintenant de morale et de religion ? Nous savons à quoi nous en tenir sur vos hypocrites doléances ! Mais ce n’est pas tout, il faut payer en outre un droit de commission ou perdre le prix d’une journée dans les encombremens du bureau central ! Y a-t-il dans l’ame de l’homme assez d’indignation pour de semblables spoliations ? Oh ! que de haine contre notre société doit bouillonner au fond du cœur de malheureux ainsi jugulés au nom de la piété ! Et si après quelques mois de privations ils amassent par hasard de quoi recouvrer leurs gages, le croirez-vous ? on leur extorque encore les intérêts à 12 pour 100 de tout le mois courant, quand bien même il n’est qu’à demi expiré, de sorte qu’ils paient les intérêts d’une somme qui déjà ne leur est plus prêtée ! Comment la main du héros d’Austerlitz a-t-elle pu souscrire de telles infamies ? Et le lieu où chaque jour s’exerce cet affreux métier se nomme mont-de-piété ! hypocrites, soyez donc vrais une fois, dites le mont de spoliation. Que si l’année fatale s’écoule sans dégagement, que deviennent les infortunés ? Cachés dans la salle de vente, blottis dans la foule, voilés de honte et de misère, les yeux pleins de larmes, le cœur serré de douleur, alors qu’ils entendent crier à l’encan, qu’ils voient étalés et adjugés à vil prix les hardes qui devaient réchauffer leurs enfans ; alors que les frais de vente, le dépérissement, les intérêts accumulés dévorent à leurs yeux la modique ressource qu’ils espéraient de ces débris. Heureux encore si la fatalité ne les pousse pas à renouveler leur gage et à le doubler pour gagner une année : car ils ouvrent une plaie qui leur coulera chaque jour le prix de leurs sueurs, et qu’ils ne pourront peut-être plus refermer. Ah ! laisse vendre tes meubles, pauvre emprunteur, tu ne les perdras du moins qu’une fois. Oui, j’aime mieux voir le nécessiteux sous les serres d’un spéculateur avide, qui s’engraisse de ses dépouilles, mais qui n’a pas comme le Mont-de-Piété une habitation authentique, ni une adresse universellement connue ; un spéculateur qui se rencontre difficilement, et avec lequel il est au moins permis de débattre le prix et la valeur du gage, et qui d’ailleurs, quoi qu’il exige, ne pourrait faire pire condition que l’impitoyable piété du gouvernement monarchique ; puis enfin l’emprunteur sait alors à qui s’en prendre de sa détresse. Franchement, qu’espérer d’utile de ces prêts scandaleux ? Qu’y peuvent gagner les riches, si ce n’est de se procurer subitement les moyens de satisfaire d’extravagantes passions ? Les débiteurs, si ce n’est de doubler leurs dettes ? Les commerçans embarrassés, si ce n’est de soustraire par une frauduleuse mise en gage les garanties de leurs créanciers ! Les pauvres ? ah ! ne savez-vous pas qu’emprunter à plus de 5 pour 100 c’est être en chemin de se ruiner, et qu’emprunter à 12 c’est sans retour compléter sa ruine ! Oh ! non, ces établissemens ne sont propres qu’à entasser sur ceux qui [6.1]vivent de leur travail, misère sur misère, à leur ravir, sous un masque de charité, le peu qui les sépare de- la mendicité, et à les replonger dans l’abîme à mesure qu’à force de labeurs ils en émergent. Sur cent malheureux qui ont recours à ce déplorable expédient, cinquante par bonheur sont assez misérables pour ne pouvoir sauver leurs effets mobiliers de la vente annuelle ; quelques autres sacrifient à les retirer plus de leurs gains journaliers qu’il n’en aurait coûté pour en acquérir de nouveaux ; et le reste, déposant des gages nouveaux pour sauver les anciens, se dépouille sans cesse et aboutit à la vente entière de ses meubles engagés les uns après les autres, dans l’espérance de les pouvoir dégager tous. Oh ! si la honte n’étouffait la voix des victimes, que d’accusateurs se presseraient à la barre du peuple ! La Convention renaissante connaîtrait bientôt l’utilité des monts-de-piété ; elle entendrait cette foule de misérables qui doivent à cette institution les haillons dont ils tentent de se couvrir, s’écrier de toutes parts : Malédiction ! Elle entendrait du fond des prisons, les cris de malédiction des ouvriers qui vivaient de leurs peines, lorsque le Mont-de-Piété tendit trop facilement à leur inexpérience un or corrupteur ; elle saurait qu’une fois endettés ils désespérèrent du travail, perdirent courage, et arrivèrent à la flétrissure à travers la libertinage et l’oisiveté ! Elle saurait bientôt que le Mont-de-Piété, complice du fléau de la loterie, alimente ce dernier par ses prêts ; que plus d’une mère de famille a mis en gage tout son mobilier, et jusqu’aux hardes de ses enfans, pour les convertir en billets ; elle entendrait ces enfans tendant leurs mains suppliantes tantôt vers l’un de ces fléaux, tantôt vers l’autre, murmurer en sanglotant : malédiction ! malédiction ! Elle entendrait ces jeunes filles (aujourd’hui perdues pour la morale) ; nous étions belles, diraient-elles, et vaines autant que belles, comme sont les jeunes filles ! Pauvres et sans atours nous n’avions point de places dans les jeux et les fêtes ; le travail et la vertu comprimèrent long-temps en nous les désirs de l’amour-propre ; et pourtant chaque jour, en revenant du travail, nous lisions l’enseigne du Mont-de-Piété ! Et pourtant ce Mont-de-Piété était sans cesse sous nos yeux, nous tendant ses corrosives ressources ! La nuit et le jour, complice de notre intime faiblesse, il nous provoquait à toute heure ; qui n’aurait comme nous succombé ? L’éclair passe moins promptement que les fêtes ; il ne nous en resta qu’une dette à acquitter et un goût de luxe à satisfaire ; et, pauvres, nous ne le pouvions ; la nécessité nous apprit à vendre à la brutalité ce que nous devions à l’amour, et les sentimens affectueux de nos cœurs se tournèrent en passion de l’or ; et nous ne crûmes plus qu’à l’intérêt et à la sèche morale de l’intérêt ! Et comme le monde nous couvrit de mépris et d’insultes, nous en vînmes à braver le mépris et l’insulte ; nous jouans des vertus humaines, nous fûmes prostituées parce que le Mont-de-Piété nous avait suggéré de le devenir ; et à chaque jour, dans l’amertume du malheur, nous crions : malédiction ! Oui, la Convention saurait bientôt que les monts-de-Piété sont un appât incessamment offert à tous les funestes penchans du cœur humain, et à toutes les occasions que le génie du mal jette au-devant de la légèreté, de l’inexpérience et de la témérité : elle saurait que ces monts sont là comme un guet-à-pens, où sous l’apparence de ressources à se créer, le pauvre vient semer la gêne, sinon la misère de toute sa vie : elle dirait aussi : [6.2]malédiction ! et elle purgerait le pays de cette immorale institution. F. C.
Au Rédacteur, Monsieur, J’emprunte les colonnes de votre journal pour prévenir les chefs d’atelier qui seraient dans le cas de prendre de l’ouvrage pour la maison Culat et Valençot de se tenir sur leurs gardes contre une supercherie qui peut avoir les suites les plus funestes pour les interêts des maîtres, et qui n’annonce pas de la part de ces négocians une bien grande délicatesse dans les moyens qu’ils emploient pour arriver à la fortune. Voici le fait : Le 10 juin de l’année courante, ces messieurs me proposèrent une disposition de robes en 3 chemins de 600 cordes, avec promesse de trois pièces de 100 aunes chaque, dont le prix de la façon fut convenu verbalement à 1 fr. 20 c. l’aune. Lorsque la première pièce fut rendue, M. Valençot me dit, à ma grande surprise, que se trouvant compromis dans une banqueroute, il ne pouvait plus me continuer cet ouvrage au même prix ; mais que cependant si je voulais le faire à 1 fr. il me donnerait encore quelques pièces. Vous comprenez, M. le rédacteur, qu’ayant fait des frais et perdu mon temps pour disposer le métier d’après le plan de ce négociant, force fut à moi, pauvre diable, d’accepter ce marché, ou bien de supporter de nouvelles dépenses pour changer d’articles, j’acceptai donc. A la fin de cette deuxième pièce, j’en reçus une troisième du même dessin avec ordre de faire entrer 30 coups au pouce du plus qu’aux précédentes ; malgré ma répugnance à consentir à ce surcroît d’ouvrage, je fabriquai cette pièce, mais quel fut mon désappointement quand on écrivit sur mon livre, le prix à 80 c. sans qu’au préalable on m’eût prévenu ; je réclamais, mais ce fut en vain ; il fallut en passer par-là, parce que je répugne beaucoup à paraître au conseil des prud’hommes qui peut-être m’aurait rendu justice. Si donc j’écris pour signaler cette conduite, ce n’est pas que j’espère obtenir quelque chose par ce moyen ; mais c’est pour moi un devoir et une satisfaction de prévenir mes confrères afin qu’ils se tiennent en garde contre un pareil abus de confiance, et de livrer à la publicité les noms de ces négocians qui comprennent si peu les règles de la probité, et qui exposent, par leurs manières déloyales d’agir, des malheureux pères de famille à périr de besoin. Dans l’espérance que vous voudrez bien insérer cette lettre, j’ai l’honneur de vous saluer. Votre abonné, dufourd, chef d’atelier.
Conseil des prud’hommes.
(présidé par m. riboud.) Audience du 19 septembre 1833. Un maître perd ses droits à une indemnité lorsqu’il renvoie son apprenti sans avoir préalablement fait résilier les engagemens par le conseil. Ainsi jugé entre Valet et Chartron. Lorsqu’un apprenti quitte son maître sans causes légitimes, et que les enquêtes ont prouvé que cet apprenti se permettait souvent des paroles inconvenantes envers son maître, l’engagement est résilié avec indemnité, et l’apprenti ne pourra se replacer que comme apprenti. Ainsi jugé entre Plantard et Duclos. Lorsqu’un apprenti ne fait pas sa tâche, et qu’il est constaté qu’il l’a faite un temps et qu’il en a reçu le produit, il doit rembourser à son maître le déficit de ses tâches. Ainsi jugé entre Paget et Nigri. Lorsque des conditions verbales ont été faites entre deux individus, ces conditions sont reconnues valables et exécutoires quand elles sont attestées par deux témoins. Ainsi jugé entre Revollat et Baumer. Lorsqu’un maître frappe son apprenti les engagemens sont résiliés sans indemnité, et l’élève ne peut se replacer que comme apprenti. Ainsi jugé outre Atuel et Choisi. [7.1]Un maître n’a jamais le droit de retenir le livret d’un compagnon, mais seulement d’inscrire dessus la dette de ce dernier ; et le maître est condamné à payer au compagnon une indemnité pour le temps qu’il lui a fait perdre par cette retenue. Ainsi jugé entre Jay et Denis. nota. Lorsque les chefs d’atelier recevront des matières dont la dessication leur paraîtrait douteuse, ils doivent, pour éviter toute contestation, les porter au greffe du conseil des prud’hommes pour faire constater leur état.
SOUSCRIPTION En faveur des réfugiés piémontais et savoyards. Bernard, 1 f. Chaponot, 25 c. Bernard, 50 c. Verrat, 40 c. Matrod, 1 fr. Cristophe, 50 c. Blanc, 50 c. Drivon cadet, 50 c. Un canut des Tapis, 50 c. Drivon aîné, 50 c. Jaillet, 50 c. Journeau, ami de la liberté, 50 c. Un faiseur de châles, rue Masson, 20 c. Un ennemi des gros toupets, 50 c. Un canut du couvent des Carmélites, 50 c. Un ami du progrès, 50 c. Rang, 10 c. Josserand, ami de la liberté, 1 fr. Gay, ami de la liberté, 50 c. Une demoiselle républicaine, 1 fr. Planche, républicain, ennemi juré des rois, 50 c. Vêlât, id., id., id., 50 c. Un juste milieu à qui les républicains ont levé la cataracte, 30 c., Gorboulet, ennemi du père la Poire, 30 c. Labey, républicain, 75 c. – Total, 13 fr. 40 c.
AU RÉDACTEUR.
Monsieur, Dans un moment où la plupart des esprits, aveuglés peut-être sur leurs véritables intérêts, s’agitent pour un meilleur avenir, ne comptant que leurs propres yeux pour y arriver, tant les nombreuses déceptions dont on les a abreuvés ont dû naturellement les rendre méfians. Dans ce moment, dis-je, me sera-t-il permis et puis-je enfin espérer de fixer les regards vers un but d’utilité publique, en leur démontrant tout l’avantage qu’ils pourront en retirer ; comme, par exemple, aisance, indépendance et sécurité pleine et entière pour l’existence à venir. Ce tableau, tout riant qu’il est, ne laissera pourtant point que d’être très vrai pour ceux qui voudront essayer de l’échange tel que je l’ai amélioré dans mon agence. De l’avis de tous, dès qu’on est aisé on se procure facilement de l’instruction, et l’intellectualité se développant avec rapidité, dans l’indépendance, me semble former le complément de tous nos désirs. Essayons donc de prouver comment on peut arriver à un pareil état de bonheur pour chaque individu, quelle que soit la position où il puisse se trouver actuellement. Un commerce général où chacun participerait selon ses moyens, et qui aurait pour objet de compléter les bénéfices faits par chaque individu, jusqu’à concurrence d’une somme suffisante pour lui procurer les moyens d’existence convenable, me semblerait le vrai moyen, et peut-être l’unique, pour atteindre le but proposé. Supposons donc un établissement avec lequel on s’engagerait à travailler, et surtout à dépenser la principale partie de ses besoins ; que sur chaque paiement qu’il serait obligé de faire, il prélevât, par exemple, 3 p. 100, pour répartir entre tous ceux de la société dont les bénéfices n’auraient pas atteint la valeur déterminée pour chacun. Cet établissement, dis-je, satisferait tout-à-fait à l’objet de notre sollicitude, et ne serait nullement onéreux puisque les bienfaits en seraient incalculables. En effet, l’ouvrier qui n’y aurait même dépensé que 3 ou 400 fr., n’aurait payé que 9 ou 12 fr. de commission, [7.2]pour recevoir peut-être 5 ou 600 fr. qui lui manqueraient pour complément au bénéfice déterminé. Ensuite, il vieillit, il peut devenir infirme, etc., et alors quel bonheur pour lui et pour quiconque se sent battre un cœur d’homme, de penser que non-seulement il est à l’abri de la misère, mais encore qu’il jouit d’une honnête aisance. Eh ! qu’on n’appréhende point que les bénéfices manquent à la dépense ; car ils seraient énormes : dix mille personnes dépensant chacun 100 fr. par mois, donnent une valeur d’un million ; remboursons-la de suite aux fournisseurs en objets de leurs commerces ou industries : voila donc deux millions d’opérations par mois, et au bout de l’année, y compris les cumuls des premiers mois, fonctionnant aussi mensuellement, nous aurons une valeur de 156 millions qui, à 3 pour 100, donnent un bénéfice de 4 millions 680 mille fr. Continuons nos opérations, et nous aurons pour la deuxième année, au moins 13 millions de bénéfice. Maintenant, que trois mille personnes n’aient rien gagné, vous pourriez donner à chacune d’elles, plus de 3,000 fr., et certes, le calcul ne sera point exagéré pour le moment où l’établissement sera à même de rembourser les fournisseurs en objets de leurs besoins, c’est-à-dire autrement qu’en numéraire. Jusque-là, un peu de patience, car on ne tarderait pas d’y arriver. Telle est l’esquisse succinte, Monsieur, des opérations de mon agence, et des résultats que je m’y propose. Heureux si je puis faire entendre que la méfiance envers moi serait déplacée, puisque je me mets entièrement à la disposition des sociétaires ; que l’organisation d’une commission de dix membres pris parmi eux, a été provoquée par moi-même pour surveiller et approuver mes propres opérations, que les versemens seront déposés dans les maisons les plus recommandables, et qu’enfin ils pourront améliorer les réglemens de la société dans l’intérêt de tous. Enfin, je ne pense pas qu’on veuille faire une comparaison entre cet établissement et les caisses d’épargnes que l’on s’efforce d’établir dans quelques villes ; car dans celles-ci on n’a que l’argent déposé à répartir. Je ne parle point de l’intérêt qu’il aurait produit, puisqu’il existerait également pour l’agence, sur une valeur bien autrement considérable, en outre des bénéfices que nous venons de faire entrevoir. Si vous jugez, M. le rédacteur, que la présente mérite quelque publicité, je vous serai reconnaissant de l’insérer dans l’un de vos numéros. Il faut que tous les amis de l’humanité s’entr’aident. Agréez, etc. H. teissier, Agent de l’Association commerciale d’Echanges, à la Guillotière, rue de Chartres, n° 3, au 1er.
Biographies des Sages-femmes célèbres.
par une société de médecins. Cet ouvrage intéressant et utile, manquait à la gloire de la littérature française ; car, de toutes les biographies, médicales et autres, même le Répertoire des femmes célèbres, ne parlent pas de celles qui ont acquis de la célébrité dans l’art des accouchemens. Cette omission est une injure grave faite à un sexe qui, à beaucoup d’égards, mérite une place dans les fastes de la médecine. En publiant une biographie des sages-femmes célèbres, c’est un hommage que le docteur Delacoux1 et ses confrères [8.1]rendent à un sexe dont le mérite et les services ont été méconnus. Dans tous les temps les services qu’elles ont rendus dans la pratique d’un art aussi utile leur ont été contestés. On conçoit, en effet, que ceux qui ont écrit l’histoire de la médecine, juges-nés de leurs rivales, n’ont pu louer en elles l’exercice d’un art qu’à leur exclusion ils ont toujours cherché à pratiquer. Est-il présumable qu’une carrière qui a commencé avec le monde et que par expérience et par condition les femmes ont été appelées à connaître, n’ait produit qu’un si petit nombre de célébrités ? Est-il croyable que l’antiquité n’ait produit qu’une Agnodice, le moyen-âge une Trotula, les siècles derniers une Bourgeois, et que notre époque ne doive compter que les dames Lachapelle et Boivin ? Si les noms de ces femmes célèbres sont arrivés jusqu’à nous, et doivent vivre dans la postérité, c’est que leurs écrits leur ont marqué une place que la partialité ne saurait leur contester. Notre époque, plus heureuse, compte quelques célébrités ; mais leur nombre est bien plus grand, à notre avis, que celui que les auteurs de cette biographie ont signalé. Aussi cet ouvrage s’adresse-t-il particulièrement aux sages-femmes qui honorent leur profession, et qui sont jalouses d’appeler sur elles-mêmes une considération que l’envie et l’ambition cherchent trop souvent à leur faire perdre. C’est là un prix d’encouragement qui est proposé soit à celles qui sont déjà lancées dans une carrière aussi respectable qu’utile, soit à celles qui s’y destinent. La Biographie des sages-femmes célèbre se composera de vingt feuilles in-4°, beau caractère cicéro, et de 20 portraits dont les dessins sont confiés à M. Leclerc. Pour faciliter l’acquisition de cet ouvrage, il est publié par livraisons, une tous les quinze jours ; la première a paru le 15 avril. Conditions de la souscription. L’ouvrage entier, à Paris, 15 fr. ; pour les départemens, 18 fr. Pour chaque livraison séparée, à Paris, 1 fr. 75 c. ; pour les départemens, 1 fr. 90 c. La souscription sera fermée à la fin de septembre. On peut s’adresser au bureau de cette feuille.
MONT-DE-PIÉTÉ. Il sera procédé, le mardi 24 septembre courant, et jours suivans, depuis quatre heures après midi jusqu’à huit, dans la salle des ventes du Mont-de-Piété, rue de l’Archevêché, à l’adjudication, au plus offrant et dernier enchérisseur, de divers objets engagés pendant le mois de août de l’année 1832, depuis le N° 48334 jusque et compris le N° 55784. On vendra, le jeudi 26 septembre, ou à défaut le lundi suivant, deux belles pendules avec candélabres et vases à fleurs. Les lundis et les jeudis, on vendra les bijoux et l’argenterie, les montres et les dentelles, etc. ; Les mardis, les draps, percales, indiennes, toiles en pièces et hardes ; Les mercredis, les matelas, les lits de plume, les glaces, les livres reliés et en feuilles, les vieux papiers, autres objets et hardes ; Et les autres jours, le linge, les hardes, etc.
AVIS DIVERS.
(262) A VENDRE, un métier 6/4 crêpe de Chine avec tous ses harnais, mécanique en 900. S’adresser à M. Jourssin, clos Dumond, 4e allée, au 2e ; on donnera toutes les facilités possibles pour le paiement. (263) On demande des jeunes gens de 12 à 15 ans pour la mise en carte dans une maison de fabrique ; ils auront quelques avantages. S’adresser au portier de la maison de la Banque. (256) A vendre, 8 rateaux pour la fabrique, et une mécanique en 900. S’adresser à M. Thivolet, rue des Tapis, en face de la poste des Chartreux. (264) A vendre à juste prix, un régulateur à roue, sans fin, avec son rouleau, planche d’arcade, plombs, maillons et arcades. S’adresser à madame veuve Sorlié, rue des prêtres, n. 24, au 3e, 2e escal. (265) A VENDRE, un pliage pour plier les poils de peluche par fil. S’adresser à M. Bourget, montée du Garillant, n. 7, au 1er. (266) ADDITION DE BREVET D’INVENTION. tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n. 8, vient d’ajouter un nouveau procédé à ses cannetières, plus simple et plus sûr que tout ce qui a paru jusqu’à ce jour. Il consiste non-seulement à arrêter la cannette lorsqu’un des brins casse, mais encore à les rendre tellement égaux, qu’on les dirait collés ensemble. Il supprime les demoiselles et les plombs pour charger les roquets. On peut les voir en activité, chez le sieur gret, rue Tholozan, n. 20. (267) AVIS IMPORTANT. Le sieur david, mécanicien, au bas de la côte St-Sébastien, inventeur breveté pour les nouvelles mécaniques, de forme ronde, longue et en fer à cheval, pour dévider et faire les cannettes ensemble ou séparément, des matières soies, laines, grenadines, etc., prévient qu’en considération des nombreux placemens qu’il en fait chaque jour, il va augmenter de nouveau ses ateliers afin que les acheteurs soient toujours servis promptement ; il adapte ses nouveaux procédé aux anciennes mécaniques de ce genre, fait des échanges et revend celles de rencontre à bon marché. Il prévient aussi de ne pas se laisser tromper par des contrefacteurs qui ont à cette fin acheté des brevets, et qui n’emploient dans leurs mécaniques que les principaux moyens pour lesquels il est breveté ; lesquels lui donnent le droit de les poursuivre devant les tribunaux, ce qu’il fera avec persévérance, les susdits n’ayant osé les établir parfaitement conformes aux siennes, n’en peuvent livrer que de bien inférieures, ce qui se trouve confirmé par la préférence, fruit de l’expérience de cinq années d’activité dans les ateliers de notre fabrique. (261) A vendre de suite, un métier de lancé au fil, travaillant, monté à neuf, mécanique en 900 ; s’adresser rue des Marronniers, n° 7, 2e cour, au 3e étage, chez M. Mantet. – Joli appartement pour 3 ou 4 métiers avec cuisine et petite chambre à coucher, du prix de 250 fr. à louer ; on s’arrangerait pour le céder deux mois avant la Noël. S’adresser comme ci-dessus, où l’appartement est situé. (258) Au rabais, Mécaniques à la Jacquard. DAZON, mécanicien, rue Royer, n° 12, au bout de la rue Saint-Joseph, a l’honneur de prévenir MM. les fabricans d’étoffes qu’il vient d’établir un atelier de mécaniques dites à la Jacquard ? ses prix sont ainsi fixés, mécaniques en 1,500, 190 fr. ; en 1,200, 150 fr. ; en 1,000, 125 fr. ; en 700, 97 fr. ; en 400, 80 fr. ; pour armures, 30 fr. On trouve dans son établissement des mécaniques toutes prêtes et avec garantie. (253) A vendre de gré à gré, maison avec cour et jardin, situés près de l’escalier du Change, entre les rues Juiverie et St-Barthélemy. S’adresser chez Me Dugueyt, notaire, place du Gouvernement.
ANALYGRAPHIE. Ou méthode facile pour apprendre en peu de temps l’orthographe, sans avoir besoin de conjuguer, ni de réciter de mémoire, etc., 1 vol. in 12, par C. Beaulieu1, prof, de français, etc. Cet ouvrage qui touche à sa 3me édition, et dont l’efficacité de la méthode est aujourd’hui constatée par les plus heureux succès dans mainte maison d’éducation. Se trouve A Lyon, chez M. Rusand et tous les libraires. A Paris, chez M. Hachette, libraire, rue Pierre Sarrazin, n. 12. A Mâcon, chez M. Dillieux, libraire.
Notes ( ÉCONOMIE POLITIQUE. Influence du mouvement des populations sur le bonheur des peuples.)
. Il s’agit ici probablement du statisticien et historien suisse Francis d’Ivernois (1757-1842) qui va publier peu après Sur la mortalité proportionnelle des peuples considérée comme mesure de leur aisance et de leur civilisation.
Notes (L’ Echo de Rouen rapporte un fait qui...)
. Peut-être ici la Revue de Rouen publiée depuis 1833.
Notes ( Biographies des Sages-femmes célèbres.)
. La mention de l’ouvrage d’Alexandre Delacoux, Biographie des sages-femmes célèbres, anciennes, modernes, contemporaines (Paris, Trinquart, 1833) manifeste une nouvelle fois, dans le journal des chefs d’ateliers, la montée d’une réflexion sur les femmes et leur place dans la société nouvelle en gestation.
Notes (ANALYGRAPHIE. Ou méthode facile pour apprendre...)
. Charles Beaulieu, Analygraphie, ou Méthode facile pour apprendre en peu de temps l’orthographe, publié à Lyon, chez P. Rusand, en 1833.
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