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29 septembre 1833 - Numéro 39
 

 




 
 
     

MM. les actionnaires du journal sont prévenus qu?il y aura assemblée générale lundi prochain, 30 septembre, à 7 heures du soir, pour procéder à la nomination de la commission de surveillance.

Abus en Fabrique.

Nous avons, dans un précédent article, signalé un abus révoltant, celui de l?exploitation du chef d?atelier par le négociant. En voici un second qui ne lui cède rien sous le rapport du préjudice énorme qu?il cause aux intérêts des travailleurs, nous voulons parler du temps que les chefs d?atelier passent dans la cage pour rendre leurs étoffes fabriquées ou recevoir des matières. Des renseignemens sans nombre, et notre expérience journalière, nous prouvent malheureusement que dans chaque atelier il est presque indispensable qu?une personne s?occupe constamment et exclusivement des courses au magasin, où elle est quelquefois condamnée à rester plusieurs heures en attendant qu?il plaise à un trop jeune commis de s?occuper d?elle.

Nous avons été souvent témoins de faits trop scandaleux, et que nous ne croyons pas d?ailleurs être heureusement assez généraux pour leur donner cette fois place dans nos colonnes ; espérons qu?ils ne se renouvelleront pas.

En vérité, il est difficile à comprendre que des chefs de commerce qui doivent savoir, mieux que personne, tout le prix de l?emploi du temps, ne tiennent pas mieux la main à ce que leurs employés font pour l?économiser et le faire économiser aux ouvriers qu?ils occupent ; tout [1.2]le monde y gagnerait, l?ouvrier, un temps précieux qu?il emploierait au tissage, et le négociant une économie de métiers ; car des balances bien menées feraient, à notre avis, plus et de meilleure besogne avec 100 métiers qu?elles n?en font aujourd?hui avec 150. A coup-sûr, si l?on voulait calculer le dommage que fait à la fabrique cette faute essentielle de l?administration des magasins, on serait effrayé de ses suites ; et nous avons assez de foi dans les bonnes intentions des négocians pour croire qu?ils s?empresseront de faire disparaître cette plaie funeste à notre industrie, qui est tout au moins pour eux sans avantage.

Chargés de l?honorable mission de faire entendre les réclamations de la classe ouvrière, nous nous acquitterons d?abord de ce devoir avec toutes les formes que l?urbanité et notre amour de la concorde nous prescrivent ; mais si nos observations pacifiques étaient méconnues, on aurait alors bien mauvaise grace à nous accuser de tracasserie, si, cédant à notre indignation, nous laissions un libre essor à notre plume qui espère encore obtenir par toutes les voies conciliatrices ce que la bonne foi exige, et que l?intérêt même des négocians réclame depuis long-temps.

B......

NOUVEAU MODE

de conditionnement des soies.

Un grand nombre de causes diverses concourent à rendre essentiellement vicieux le mode actuel de conditionnement des soies.

Dans les établissemens existans, la température, la pression atmosphérique, l?état hygrométrique ne sont pas les mêmes pour tous les établissemens, mais varient dans les diverses parties du même établissement.

De là les différences dans le poids vénal des soies, non-seulement d?une place à une autre place, d?un jour à un autre jour, mais le même jour et dans le même établissement.

Il y a plus ; un ou plusieurs ballots très chargés d?humidité, arrivant à la condition, cèdent très facilement cet excès d?humidité aux soies déposées dans les armoires voisines ; de sorte qu?un ballot qui avait perdu, reprend ainsi une partie de sa déperdition.

De là encore aucune certitude dans l?opération (Cette [2.1]variation peut être de 1 à 3 p. %, et même beaucoup plus dans quelques circonstances anormales).

De là, enfin, nécessité absolue de perfectionner les moyens de conditionnement.

Trois procédés ont été proposés : leur exposition complète nous entraînerait trop loin ; d?ailleurs il ne s?agit pas d?en adopter un, mais d?emprunter à l?un un principe nouveau, à l?autre une idée ingénieuse, à l?autre enfin un procédé d?application simple et facile.

La discussion ouverte à Lyon par M. Darcet, envoyé par M. le ministre du commerce pour examiner la question concurremment avec une commission composée d?hommes spéciaux, a confirmé un résultat qui servira de base au procédé à adopter.

Une soie bien tenue, sortant d?une condition faite dans des circonstances moyennes, contient 90 parties de soie, 10 parties d?eau.

Ainsi, pour avoir une condition uniforme, un moyen certain serait de dessécher complètement un ballot, d?ajouter 10 p. % à son poids absolu, et l?on aura un poids de condition ou poids vénal qui sera le même à Nîmes et à Lyon, par un temps vif et sec, et par un temps doux et humide, à la sortie de la filature et à celle du moulinage.

Plus d?à peu près, plus d?incertitude.

C?est pour reconnaître si ce terme de 10 p. % est uniforme dans toutes les localités que M. Darcet a été chargé de les visiter.

Le procès-verbal des expériences faites à Nîmes le 18 juin, en présence de la commission, constate les résultats obtenus.

Le meilleur moyen de les confirmer est de multiplier les expériences.

L?idée, qui fait la base du nouveau système, présente une fixité si heureusement appropriée aux besoins du commerce des soies, qu?il a été reconnu que lors même que la série d?expériences que l?on entreprend sur divers points ne présenterait pas un résultat complètement identique, il serait désirable que ce point fixe fût universellement adopté ; de sorte que partout le poids vénal des soies serait un poids fictif si l?on veut, mais uniforme. Ce mode d?opérer n?est pas nouveau dans le commerce, et n?est pas autre chose que l?emploi des monnaies fictives dans les opérations de change. Mais tout porte à croire que l?on n?aura à cet égard aucune concession à faire à la vérité presque mathématique, puisque toutes les expériences faites jusqu?aujourd?hui présentent des résultats qui ne diffèrent que sur les millièmes, fractions que les balances des conditions ne permettent pas d?apprécier.

Les moyens employés pour les expériences faites à Nîmes ont donné lieu à quelques observations que nous allons retracer.

A défaut d?appareil de dessication, M. Darcet a procédé par une marche fort ingénieuse.

Il a pesé trois échantillons de soie, il les a plongés chacun dans un vase contenant du suif fondu, après s?être assuré avec exactitude du poids de chaque vase et de son contenu.

Les vases ont été chauffés, le dégagement de l?air s?est opéré sous formes de globules, et a cessé lorsque la soie en a été complètement purgée.

Mais lorsque les thermomètres plongés dans chacun des vases ont dépassé 100°, l?eau contenue dans la soie s?est vaporisée et a occasionné un nouveau dégagement de globules qui a été beaucoup plus considérable pour la soie que l?on savait être plus chargée d?humidité, et [2.2]beaucoup moindre pour celle que l?on savait être dans des circonstances contraires.

La température a été portée à 170°, et maintenue jusqu?à ce que le dégagement ait à peu près cessé.

A ce point, on a repesé chaque vase après l?avoir ramené à la température primitive, et la différence de ce poids avec la somme de ceux de chaque échantillon et du vase dans lequel il avait été plongé, a donné le poids de l?eau que la soie avait perdu.

Les résultats, ainsi que le constate le procès-verbal, ont été conformes aux prévisions.

« Peut-on supposer qu?une portion de la perte du poids reconnu doit être attribuée à une portion de suif vaporisée ? »

M. Darcet a établi que cette supposition ne pouvait être admise puisque ce n?était qu?à 250° que cet effet pouvait se produire d?une manière appréciable, et que, malgré l?odeur assez forte qui était répandue, tout se passait comme dans les émanations du musc, qui, dans un très long espace de temps, ne diminuait pas la masse, quoiqu?agissant fortement sur l?odorat.

« La dissolution de la gomme et de la résine, principes constitutifs de la soie, et ensuite leur vaporisation peuvent-elles entrer pour quelque chose dans la perte de poids reconnue ? »

M. Darcet a fait observer que tout portait à croire qu?elles n?y entraient pour rien, puisque les échantillons soumis au décreusage ont perdu 24, 25 p. 100, comme une soie ordinaire ; ce qui prouvait que sa constitution n?avait éprouvé aucune altération, ce que d?ailleurs l?inspection et l?essai de la tenaison à la main semblent confirmer. D?ailleurs, l?expulsion de l?eau faite au moyen de l?appareil de dessication présente à peu près les mêmes résultats, et les légères différences que l?on pourrait trouver sont dues à une petite quantité d?eau, dont il est plus difficile de purger la soie dans un milieu aussi résistant que le suif fondu, que dans l?air mu par une ventilation énergique que l?on se procure dans l?appareil de dessication.

Cette expérience ayant prouvé qu?une soie sortant de condition contenait 9,25 d?eau, on peut regarder comme certain le chiffe de 10, si l?on considère que le moyen employé rendait très difficile l?expulsion totale des dernières parties d?eau contenues dans la soie, et l?on peut dès à présent conclure que l?appareil de dessication aurait donné exactement ce chiffre de 10.

« La soie qui a servi à l?expérience et qui a été immergée pendant plusieurs heures dans du suif à la température de 170°, a-t-elle été altérée ? »

Nous avons déjà dit que cette soie s?était comportée comme une soie ordinaire dans l?opération du décreusage, mais dans la discussion de cette question spéciale, on a remarqué :

1° Que la dessication complète au moyen de l?appareil n?exigeait pas l?immersion dans le suif, et ne soumettait la soie qu?à une température de 103 à 104, au lieu de 170.

2° Que pour conditionner un ballot, on n?avait besoin de soumettre à la dessication que quelques décagrammes.

3° Que tout portait à croire que cette faible quantité ne serait pas perdue, mais, que pour plus de certitude, on avait opéré à Lyon la dessication complète de 10 kil. avec lesquels on fabriquait aujourd?hui des étoffes de diverses couleurs. Les résultats de cette expérience seront complets et concluans.

On a demandé comment dans un ballot, on pourrait choisir la portion de soie dont la dessication devait [3.1]servir à déterminer le poids vénal du ballot, de manière à garantir les intérêts du vendeur et de l?acheteur.

Cette question, d?une importance radicale, se trouve résolue par la découverte d?un fait tout-à-fait nouveau, qui tient à la propriété hygrométrique de la soie : deux ou plusieurs parties de soie chargées de quantités d?eau différentes, placées toutes ensemble sous un récipient, s?égalisent en peu de temps, de telle sorte que toutes les parties de soie contiennent la même quantité d?eau. On voit que l?application de ce procédé rend tout-à-fait indifférent le choix de l?échantillon régulateur.

On a reconnu que toutes les soies soumises aux mêmes circonstances contenaient la même quantité d?eau, quels que fussent leur qualité, leur titre, leur apprêt plus ou moins forcé. Il n?y a de variable que le temps nécessaire pour leur faire perdre cette quantité d?eau. Et ce qui confirme ce résultat, c?est qu?après leur dessication, elles reprennent cette même quantité d?eau, quelle que soit leur nature, seulement elles la reprennent dans des termes différens. Un tableau qui établit ce fait sur un très grand nombre d?expériences a été communiqué à la commission.

Dans le système actuel, on connaît l?heure fixe où l?opération de la condition est terminée, de sorte que les parties intéressées peuvent, avec un dérangement momentané, se trouver présentes au moment où l?on en constate les résultats.

On a fait observer que le nouveau procédé dont la durée était incertaine, n?offrirait pas le même avantage ; mais on a remarqué que ce n?était qu?une question d?organisation dont la solution serait aisée.

Si l?on se pénètre bien de cette vérité, que les bases du nouveau système ne sont pas plus rigoureuses, mais seulement plus exactes que celles de l?ancien, ce dernier sera universellement abandonné. Une fois bien établi que le poids vénal de soie est composé de 90 parties de soie pure et 10 parties d?eau, les prix se nivelleront sur cette donnée.

(Journal des Marchands, etc.)

Châles.1

Depuis que des expositions plus rapprochées les unes des autres permettent de comparer, à de courts intervalles, notre industrie avec elle-même, l?observateur qui s?applique à en étudier la marche, ne peut voir sans étonnement la rapidité de ses progrès dans la fabrication des châles, et l?importance des combinaisons commerciales que cet art nouveau a fait naître.

A des conjectures plus ou moins fondées sur la forme et sur le mécanisme des métiers dont les Cachemiriens font usage, à des essais par lesquels on s?efforçait d?imiter un travail admirable dans ses résultats, mais dont les procédés étaient environnés de mystère, a succédé, en peu d?années, un art complet, appuyé sur une théorie certaine, occupant un grand nombre d?ouvriers habiles, et donnant lieu à la création d?une masse considérable de produits.

L?Inde peut redoubler de vigilance pour soustraire à nos regards les ateliers où sont fabriqués ses précieux tissus ; elle peut les couvrir d?un voile aussi impénétrable que celui qui cache son origine et ses dieux : nous n?avons plus rien à apprendre d?elle dans un art où elle semblait inimitable, et qu?à notre tour nous avons inventé.

L?espoulinage, ou le procédé à l?aide duquel on parvient à une imitation exacte des châles indiens, est maintenant bien connu de tous les négocians ; tous pourraient [3.2]le pratiquer. Il n?est même plus un secret pour le public puisqu?un métier à espoulins, monté par M. Rey, a fonctionné dans une des salles du Louvre pendant toute la durée de l?exposition de 1827.

Si la perfection absolue des produits était le but unique des arts manufacturiers, l?espoulinage serait exclusivement adopté par nos fabricans, puisque ce procédé est jusqu?ici le seul qui puisse donner naissance à des tissus semblables aux magnifiques modèles que l?Inde nous envoie. Mais une fabrication qui n?intéresse pas les premiers besoins de la vie, ne devient importante, et conséquemment nationale, qu?autant qu?elle pourvoit aux jouissances des classes moyennes de la société, parce que c?est là que se trouve la grande majorité des consommateurs. Or, nos châles espoulinés, bien que moins chers que les vrais cachemires, sont cependant d?un prix où il n?y a guère que l?opulence qui puisse atteindre ; et, puisque le débit en est très limité, la production n?en peut être considérable.

La cherté de ce bel article tient à ce qu?il résulte uniquement d?un travail manuel, et nécessairement très coûteux ; de sorte que la substitution d?un effet mécanique à l?action de la main de l?homme est le seul moyen possible d?en abaisser le prix. Le perfectionnement que nous indiquons, et que nous appelons de tous nos v?ux, présente, il est vrai, de grandes difficultés ; mais 1?avantage en serait immense. Il doit, à ce double titre, exciter l?émulation de nos artistes.

Le lancé est le procédé qu?adoptent presque tous nos fabricans. Il est beaucoup moins coûteux que l?espoulinage, parce qu?il admet une action mécanique ; aussi les châles qui en résultent sont-ils à la portée des fortunes moyennes. On donne à ces châles le nom de cachemires français.

Les châles de laine, composés d?une chaîne en soie organsin et d?une trame en laine, sont aussi exécutés au lancé.

Considérée dans son ensemble, la fabrication des châles prend chaque jour un nouvel accroissement. On estime à trente millions la valeur des produits qu?elle livre annuellement au commerce, et dont une grande partie est expédiée à l?étranger.

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

(présidé par m. riboud.)

Audience du 26 septembre 1833.

Lorsqu?un apprenti ne remplit pas tous ses devoirs avec exactitude, et qu?il est prouvé que ce mauvais vouloir a pour but de forcer le maître à demander lui-même la résiliation des engagemens, le conseil casse les conditions de l?apprentissage avec indemnité au maître, et en outre oblige l?apprenti à finir le terme de son apprentissage ailleurs.

Ainsi jugé entre Martinon et Gonin.

Le conseil a bien fait, à notre avis, d?obliger l?apprenti à terminer chez un autre maître le temps réglé dans l?acte primitif de l?apprentissage ; ce sera peut-être un moyen d?engager ces jeunes gens à faire mieux leurs devoirs ; car le nombre des causes appelées à la barre du conseil, pour pareil cas, est trop fort pour qu?il n?y ait pas quelques raisons de croire que l?espérance de traiter avec un autre maître pour un temps d?apprentissage moins long, ne les engage à se négliger, afin de forcer le maître à rompre les conditions qui deviendraient pour ces derniers trop onéreuses, si les apprentis étaient indociles.

[4.1]Lorsqu?entre deux contractans illitérés, des conditions auront été écrites et signées par des tierces personnes, avouées par les parties, qui en auront reçu une copie en double, le conseil reconnaît de telles conditions bonnes et valables.

Ainsi jugé entre Pipier et Suvon.

Le négociant qui aura fait une avance d?argent à un maître, sans au préalable lui avoir demandé son livret, est-il en droit, après que ce maître a cessé de travailler pour lui, d?inscrire la créance sur chaque livret du maître déposé chez un autre négociant pour lequel ce maître travaille ? Oui, mais le créancier ne peut pas prendre en contravention ce négociant.

Ainsi jugé entre Lebègue et Perret, et veuve Cochet.

Celui qui prend chez lui un apprenti qui n?a pas rempli ses engagemens, quoi qu?il exercerait un état différent à celui du premier maître, est passible de la contravention.

Ainsi jugé entre Brunel et Lombard.

Parmi les nombreuses causes qui se présentent depuis quelques temps au conseil, il en est quelques-unes qui offriraient le plus haut intérêt pour établir le principe d?une jurisprudence ; mais nous voyons avec regret que toutes ou presque toutes sont malheureusement renvoyées en conciliation, et par conséquent passent inaperçues sans que nous puissions en rendre compte. Loin de nous toute mauvaise interprétation ; mais ne rétrogradons-nous pas sans nous en apercevoir au bon temps du huis-clos ? Il peut, il est vrai, se trouver des causes qui, par leur gravité, nécessitent des enquêtes et des renseignemens spéciaux ; mais ne devrait-on pas renvoyer le prononcé du jugement à la grande audience suivante.

Nous croyons devoir, dans l?intérêt de la fabrique, soumettre ces observations à MM. les prud?hommes, et nous sommes persuadés qu?il ne dépendra pas d?eux d?y avoir égard.

SOUSCRIPTION

En faveur des réfugiés piémontais et savoyards,

Recueillie par M. cattin (Jean-Marie).

2e Liste.

Collecte faite entre les ouvriers de la fabrique de M. Dognin et Cc, montant à : 26 fr. 25 c.
Un démocrate : 25 c.
Un anonyme : 2 fr.
Total : 28 fr. 50 c.

SOUSCRIPTION

En faveur de la famille bourrat.

2e Liste.

Une veuve, 1 fr. Mlle Catherine Guillet, 15 c. Mlle Jeannette Martin, 15 c. Une dame, 35 c. Germain, 50 c. Ravel, 25 c. Garcin, 25 c. Dupont, 1 fr. Blanc, 35 c. Hermitte, 25 c. Rang, 25 c. Bouchard, 25 c. Bonvallet, 25 c. Victor, 50c. Deunal, 30 c. Chassepet, 1 fr.

Total, 7 fr. 80 c.

TABLEAUX DES MAITRES VELOUTIERS.

Les maîtres veloutiers dits à cantre, ont eu, il y a quelque temps, l?heureuse et philantropique idée de faire lithographier des tableaux contenant les noms et les adresses de chacun d?eux, afin d?en remettre aux négocians du genre qui éprouvent souvent de grandes difficultés à se procurer des métiers. Le produit de ces tableaux devait être versé dans la caisse des blessés de [4.2]novembre, ce qui vient d?avoir lieu par les mains de M. Drivon cadet. Nous avons appris, avec la plus grande surprise, que quelques-uns de ces maîtres veloutiers avaient vendu celui pour lequel ils avaient souscrit pour eux-mêmes, oubliant sans doute qu?en agissant ainsi ils faisaient un tort sensible aux malheureux blessés, au profit desquels le produit du surplus de la souscription était destiné.

Nous espérons que ceux qui, par inadvertance, se sont défait des leurs, voudront bien, dans l?intérêt des malheureux, s?en procurer un nouveau, ils en trouveront chez M. Drivon cadet, côte des Carmélites, n° 33. Compte-rendu par M. Drivon cadet.

Etablissement des deux pierres lithographiques : 40 fr.
Tirage de 150 tableaux : 17 fr. 30 c.
Total : 57 fr. 30 c.
Distribué aux maîtres veloutiers 117 tableaux : 87 fr. 75 c.
Sept à divers négocians : 8 fr. 95 c.
Total: 96 fr. 70 c.
Frais: 57 fr. 30 c.
Versé dans la caisse des blessés : 39 fr. 40 c.

Nous renvoyons au prochain N°, faute de temps et d?espace, un article concernant le duel qui a eu lieu ces jours derniers entre des patriotes stéphanois et M. Jouve, gérant du Courrier de Lyon.

Nous recommandons particulièrement à nos lecteurs le Catéchisme Républicain, qu?un prolétaire connu vient de publier. Ils y trouveront les notions d?éducation politique, les plus instructives en même temps que les plus intelligibles. Après avoir parlé de ce double genre de mérite, nous ne craindrons pas de citer encore le prix peu élevé auquel le patriotisme désintéressé de l?auteur a fixé cet ouvrage.

AVIS IMPORTANT

perfectionnement dans l?éclairage.1

Une importante amélioration vient d?être faite dans l?éclairage dont on se sert dans tous les ateliers de fabrique. M. fassler, chef d?atelier, après de nombreuses recherches, est enfin parvenu à donner aux mèches pour les lampes un apprêt dont les avantages suivans sont le résultat : 1° La clarté que l?on obtient par l?emploi de ces mêches est le double plus grande que celle rendue par le procédé actuel ; 2° elles suppriment la fumée, ce qui est d?une grande importance pour la fabrication des étoffes claires ; 3° elles ont l?avantage de n?avoir jamais besoin d?être mouchées ; au point qu?une lampe garnie d?une de ces mêches, et qui contiendrait une livre d?huile, peut brûler sans que la clarté soit altérée et sans faire le moindre mouchon. Enfin, elles offrent une économie d?un 8e dans la consommation de l?huile.

Tous ces avantages réunis doivent assurer à M. Fassler un prompt débit de sa découverte, et nous engageons les chefs d?atelier à encourager l?industrie d?un de leurs confrères par l?adoption d?un procédé aussi économique.

Les dépôts de ces mêches, à 25 c. l?aune, sont aux Brotteaux, chez l?inventeur, rue de Condé, n° 5, et à Lyon, chez M. Michel, marchand de vin, rue Désirée.

[5.1]Notre impartialité nous fait un devoir d?insérer la lettre suivante, bien que nous ne partagions pas toutes les susceptibilités de son auteur, qui, dans sa critique que nous aimons à croire franche et sincère, ne fait guère qu?effleurer des questions qu?il nous semble avoir peu comprises au fond.

Monsieur le Gérant,

En parcourant le journal dont la direction vous est acquise à tant de titres, et que vous remplissez en citoyen zélé, l?article intitulé : Un disciple de Charles Fourrier est venu tomber sous nos yeux. L?auteur est bien louable sans doute de s?occuper des intérêts du peuple ; mais son ardeur et son admiration excessive pour M. Fourrier ont pu le faire dévier malgré lui. Les principes hasardés qu?il émet entraînent des conséquences fâcheuses pour la société ; et il est difficile, je dirais presque impossible de réaliser son plan de travail.

Nous aussi, M. le gérant, nous voulons le bien de la société, du peuple surtout ; et c?est vers ce but que tendent nos faibles efforts. Mais comme ce bien est chimérique s?il est appuyé sur des doctrines pernicieuses ; car, dit J.-J. Rousseau1, l?erreur est toujours nuisible, nous essaierons de répandre la lumière sur ce qui nous paraît obscur, et de réformer ce qui nous paraît faux. Si nous avons erré en quelque manière, que votre jugement ne soit pas trop sévère, l?intention nous justifiera.

« Chacun voudrait bien certainement, dit l?anonyme, en donnant un libre essor à ses passions, ne pas nuire à sa santé et arriver à la fortune. » Mais d?où vient que nous n?avons jamais pu parvenir à remplir ce souhait que nous faisons tous implicitement ? D?où vient cela ? C?est que la santé et le libre essor des passions sont contradictoires ; car, dit Raynal2, la modération seule donne la santé, la beauté, la liberté.

« Chacun voudrait aussi se livrer en toute sécurité aux liens affectueux. » Et personne ne le peut, parce qu?il est des liens affectueux qui excitent le remords, qu?on ne forme qu?en secret et que l?on craint de divulguer. Preuve que l?homme ne peut faire le mal avec sécurité.

« Chacun voudrait voir les passions et caractères s?harmoniser. » Cela est encore vrai, mais impossible ; parce qu?il existe des passions et des caractères diamétralement opposés, et qu?entre deux contraires il n?y a point d?union possible. Sans doute les passions ont leur lien de sociabilité, leur emploi a été réglé d?avance ; mais c?est un emploi juste et en harmonie avec la saine raison. Les philosophes et les moralistes ne sont les MONOPOLEURS du progrès de la raison humaine que pour ceux qui dédaignent de puiser auprès d?eux la vérité ; ils ont dit que les passions étaient mauvaises, non pas en elles-mêmes, mais par l?abus qu?on en fait ; et si leurs systèmes ont été déplorables, ils ne l?ont été que pour les libertins.

Oui, toutes nos passions sont bonnes, mais seulement lorsqu?on n?en dépasse pas les bornes ; mais seulement lorsque leur but est louable et utile au corps social. Et l?anonyme, qui demande leur libre développement, n?a pas aperçu les tristes conséquences qui découlent de ce principe si fécond. Alors on développera la haine, la discorde, l?amour, qui dégénère toujours en feu violent capable de tout embraser ; l?ambition, qui produit l?égoïsme et la dureté de caractère ; l?envie, qui avilit le c?ur humain et ne s?apaise que par la ruine de celui qui a eu le malheur de l?exciter. Mais, dira-t-on, on [5.2]veut harmoniser les passions et caractères. Harmoniser les passions !? A-t-on bien compris la force expressive de ce mot ?? Quand on aura mis l?harmonie entre des sons contraires et discordans, on pourra la mettre alors entre les passions qui toutes sont destructives les unes des autres ; la possibilité est la même pour tous les deux.

« Il faut asseoir l?exercice de ces passions sur un travail attrayant, exercé en séances courtes et variées. » Mais comment des séances courtes et variées pourront-elles développer le germe des vocations industrielles. Le travail doit être ATTRAYANT, si donc on s?exerce tout à la fois à divers genres de travaux, nous ne voyons pas la raison qu?il y aurait de choisir l?un plutôt que l?autre, puisqu?ils porteraient également leur attrait. Au reste, il est des vocations sur lesquelles les préjugés exercent leur influence et qui sans doute ne seront acceptées par personne ; faudra-t-il en priver la société ? Il est faux, de plus, que cette organisation par séances courtes et variées réponde aux besoins de nos passions ; ce n?est pas en les amusant d?un objet à l?autre qu?on satisfait à leurs besoins. La passion, une fois déclarée, ne connaît point de bornes ; elle poursuit sans cesse son objet jusqu?à entière possession.

Passons à ce qui doit résulter de cette organisation. Le bonheur, la santé, les richesses. Le bonheur que l?on demande ici est chimérique, car on demande que toute lutte cesse entre les passions et les intérêts. Disciple de Charles fourrier, votre but est vaste et digne d?éloge ; mais il ne vous est pas donné de faire ce qui n?est possible qu?au bras du Créateur. La société tout entière n?est pas une machine mue par la volonté d?un seul homme ; et la réforme est trop au-dessus de vos forces pour avoir réussite ! Voila comme on se repaît de vaines spéculations, lorsqu?on s?écarte des traditions religieuses des peuples, et qu?on veut donner aux actions de l?homme une origine qu?elles n?ont pas ; mais poursuivons.

« La santé devant résulter de l?emploi des passions mises en jeu et agissant librement, provoquera le développement des facultés physiques et morales de l?homme, au lieu d?accroître et de perpétuer cet état de décrépitude incessante, triste effet des systèmes de compression, que la civilisation philosophico-morale a toujours opposé aux passions humaines. » Jusqu?ici on avait cru que la santé était un effet de la modération et de la réserve dans l?emploi de l?attraction passionnelle. On avait cru que des passions trop relâchées énervaient les esprits vitaux et corrompaient la masse du sang. La croyance était fausse ; on se trompait : pour guérir le mal il faut le redoubler ; et bientôt en morale comme en médecine, on homéopathisera. Heureux progrès de la raison humaine ! ! !

« Combien, s?écrie l?anonyme, les systèmes au milieu desquels l?homme se débat contre la nature sont dangereux ! » Il ignore, ce me semble, que l?homme renferme en lui-même deux natures différentes : la nature droite ou inclination au bien, et la nature corrompue ; cela posé, nous soutenons qu?il est dangereux de ne pas résister à la nature corrompue ; car il est évident que l?une ou l?autre doit l?emporter, et pour le malheur de la société la dernière a trop souvent le dessus. Cette résistance, au lieu de faire des passions un fléau dévorant, les transforme en vertu, et tout se fait alors selon les vues de DIEU.

En troisième lieu, la fortune acquise par cette organisation est pour la réunion générale et non pour l?individu ; en cela il n?est pas récompensé de son travail, puisqu?il [6.1]ne possède que ce qu?on juge à propos de lui donner ; et qui sait si le directeur du régime sociétaire ne cherchera pas son bonheur lui aussi dans une collecte prélevée sur les fonds, comme cela arrive quelquefois. Ce calcul n?est donc pas à la portée de toutes les intelligences. De plus, il est faux que la liberté du commerce et de l?industrie soit leur arrêt de mort. L?homme ne souffre que parce qu?il ignore les moyens de faire cesser ses peines, et il l?ignore toutes les fois qu?on l?empêche de les rechercher. L?industrie, une fois captive et circonscrite, ne s?éveillera jamais d?elle-même ; car l?invention, qui est le propre du génie, ne surgit que par la liberté. Ce n?est pas cette liberté qui engloutit le salaire des travailleurs, mais le mauvais usage qu?on en fait ; et puisque les productions ne sont plus en rapport avec la consommation, c?est donc la liberté qu?il nous faut. Oui ! nous aussi, nous crierons place au travail, mais au travail uni à la vertu, au travail sans débordement.

Agréez, etc.

J. Roux.

DERNIER PROCÈS DE LA TRIBUNE.

M. lionne, gérant de la TRIBUNE, que la chambre des députés, naguère juge et partie, condamna à trois années de détention et à dix mille francs d?amende, vient de s?entendre condamner de nouveau à CINQ ANNÉES de la même peine et à VINGT-DEUX MILLE FRANCS D?AMENDE.

Il ne nous appartient pas de discuter sur la valeur des articles incriminés ; mais nous devons, et nous nous hâtons de témoigner notre vive sympathie au courageux écrivain que vient d?atteindre une si monstrueuse condamnation, et nos modestes bourses vont s?ouvrir.

Oh ! nous plaignons le pouvoir ; car il nous semble marcher à grand pas vers un effroyable abîme?

Pourquoi donc ce dernier excès de rigueur ? ? N?est-il pas une négation frappante de ces royales promenades, qui partout rencontrent des populations ivres de joie ! d?éclatantes et unanimes acclamations ? MM. les écrivains de la presse bien pensante, ne faites-vous pas comme nous cette réflexion ? ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser à ces populations si joyeuses, accueillant si vivement de très puissans et très illustres promeneurs, le soin de faire justice des écarts de cette mauvaise presse ? ? A quoi bon redouter ses coups, si elle frappe en aveugle et si elle est sans échos ? ? Oh ! dites, c?est qu?il y a au fond de tout ceci quelque chose qui vous glace d?épouvante : ? Ce quelque chose, c?est un passé dont le pays a fait justice et que vous avez replâtré pour en faire votre présent ; et que votre présent va bientôt crouler pour faire place à un avenir que vous ne comprenez pas et qui ne saurait être votre ?uvre.

Et vous, HOMMES DE TOUS LES RÉGIMES, qui avez toujours rendu vos jugemens sans haine et sans passion ! ? Vos nuits sont douces et fraîches, n?est-ce pas ? ? Jamais elles ne sont troublées par d?importunes rêveries ? ? Et les cadavres de ces écrivains que vous envoyez pourrir dans de noirs et humides cachots, jamais ne se dressent devant vos yeux ? Oh ! non.

Et vous, MM. du jury ! vous que nous considérions comme notre sauve-garde, comme un rempart contre lequel devait venir se briser toute attaque dirigée contre nos libertés ! Cette condamnation est-elle la juste expression de votre verdict ? Enfin, ne vous surprenez-vous pas à penser quelquefois comme nous, que
La fortune et les flots sont changeans.
Pauvre France ! pauvre humanité ! combien de maux et de tempêtes fermentent encore dans ton sein !

DU SYSTÈME
De Colonisation agricole et industrielle,

par m. berbrugger1.

[6.2]C?est lundi, 23 septembre courant, que M. berbrugger a terminé, au milieu des acclamations d?un nombreux et brillant auditoire, la rapide exposition du nouveau mécanisme sociétaire inventé par M. CHARLES FOURRIER.

Cet orateur, doué d?un talent remarquable, riche de simplicité et de modestie, comme l?est toujours l?homme qu?entraîne une profonde conviction, après s?être livré à une critique plus juste encore que sévère, de notre ordre social actuel, s?est hâté de dérouler le plan d?un monde nouveau, tel que tous les hommes, quel que soit du reste leur bannière, ne peuvent que désirer d?abord, puis hâter de tous leurs moyens, l?essai d?une théorie qui seule entre toutes promet de transformer la société sans luttes intestines, et sans lésion d?aucune espèce d?intérêts.

Une réorganisation du travail serait la base de cette société nouvelle. ? Exercices en séances courtes et variées ; classification d?une industrie en subdivisions autant minimes que possible, afin que chacun, homme, femme ou enfant, puisse choisir dans chaque industrie, la parcelle de son choix. ? Emploi des passions et leur équilibre par le développement harmonique de toutes. ? Fusion de toutes les classes par l?intervention de chacun dans l??uvre de tous ; c?est-à-dire participation à une foule de travaux soit agricoles ou industriels, et partant, ralliement des intérêts individuels à l?intérêt collectif ; ? puis, comme conséquence infaillible de ce nouveau mode de travail, une répartition équitable en capital, travail et talent des bénéfices de la production.

Enfin, éducation unitaire à la charge de la phalange, puis développement et emploi de toutes les vocations et facultés industrielles de l?homme dès sa plus tendre enfance. ? Ici nous ne taririons pas si nous voulions parler de tout ce que nous avons trouvé de grand et de beau dans l?éducation selon M. FOURRIER. ? Ainsi que toutes les branches de son immense théorie, elle détruit, renverse toutes les idées reçues ; et de ce gigantesque effort de génie doivent sortir, ce nous semble, d?utiles et heureuses améliorations ; et lors même que dans son oeuvre tout ne serait pas réalisable, elle mérite bien, par le temps qui court, qu?on en favorise l?essai. Il y a tant de misères au sein de notre belle France ! tant de plaies honteuses à fermer ! tant de tiraillemens qui menacent le repos et l?existence de la société tout entière ! que ne pas mettre au plus tôt la main à l??uvre, serait non-seulement une faute, mais un crime de lèse-humanité, qu?un châtiment terrible pourrait bientôt atteindre? Voilà ce que nous avons gardé des intéressantes conférences de M. berbrugger.

Certainement nous pourrions dire encore, mais depuis long-temps les colonnes de notre journal sont une tribune des disciples de l?inventeur du nouveau monde sociétaire, M. CHARLES FOURRIER ; ainsi nous n?avons pas besoin de dire que notre sympathie leur est aussi acquise, et que nous applaudissons à leurs généreux efforts ; car elle nous porte toujours vers les hommes qui travaillent sincèrement au bien-être du peuple.

TRIBUNAUX ÉTRANGERS.

[7.1]Nous livrons l?article suivant aux réflexions de nos lecteurs, ils y verront à quels excès le sentiment de la conservation de l?existence, toute pénible qu?elle puisse être, peut conduire l?homme quand une fois il a abandonné le chemin de la vertu.

haïti (port-au-prince.)

Assassinat. ? Tentative d?évasion. ? Lutte horrible entre deux condamnés à mort.

Il y a quelques mois un mulâtre nommé Eriaz fut condamné à mort pour crime d?assassinat sur la personne d?un négociant de l?île. Cet assassinat, commis avec des circonstances horribles, avait été précédé d?un vol considérable. Peu de jours après un jeune portugais fut condamné à la même peine pour avoir poignardé sa maîtresse dans un accès de jalousie.

Les deux condamnés étaient enfermés dans la même prison, mais ils occupaient chacun un cabanon séparé. Eriaz, dont on redoutait la vigueur et la férocité, occupait un cachot obscur, dans lequel l?air ne pénétrait qu?à travers une ouverture étroite et grillée qui donnait sur un des corridors de la prison. Aucun rayon de lumière n?arrivait jusqu?à ce cachot, et l?obscurité la plus profonde y régnait, même au milieu du jour. Dardeza, dont le crime était moins horrible, et qui avait inspiré plus de compassion aux guichetiers, avait été placé dans une chambre plus vaste, plus aérée, et dans laquelle se trouvait une fenêtre grillée qui donnait sur la campagne.

Les deux condamnés avaient les fers aux pieds et aux mains.

On leur annonça à tous deux que leur exécution aurait lieu dans trois jours, et on leur distribua une provision de pain et d?eau suffisante pour les nourrir jusqu?au moment fatal.

Depuis long-temps, chacun des deux prisonniers méditait des projets d?évasion. Dardeza, à qui on avait permis de recevoir les visites de ses amis, avait obtenu des outils propres à faciliter ses projets ; mais le malheureux jeune homme, sans vigueur et sans adresse, avait été bientôt découragé par d?infructueux essais, et il était retombé dans un morne abattement, attendant avec effroi la visite du bourreau.

Eriaz, plus vigoureux, plus hardi, ne désespérait pas, et il résolut de tout tenter pour se soustraire au supplice.

D?après la position de son cachot et le trajet qu?il avait à faire pour y être conduit, il avait calculé qu?un des murs de ce cachot devait être le mur de clôture, et que, s?il parvenait à y pratiquer une ouverture, il pourrait trouver une issue dans la campagne.

Il se met donc à l??uvre. Pour empêcher le bruit de se faire entendre, et pour amollir la pierre, il humecte d?abord les parois du mur, et avec les chaînes qui entourent ses mains, il gratte la muraille ; mais quand il a enlevé quelques fragmens, il recommence à mouiller la pierre et gratte encore? Il se prive de sommeil, et avec une infatigable activité il ne quitte pas un instant son travail. De temps en temps un geôlier se présente à la lucarne, et avec une lanterne qui projette sa lumière dans le cachot, il vient surveiller le prisonnier ; mais tout en travaillant, Eriaz a l?oreille tendue ; au moindre bruit il s?arrête, et quand le geôlier se présente, il voit Eriaz accroupi près du trou qu?il a pratiqué, feignant de dormir.

Déjà le mur avait été entamé assez profondément ; mais quelle était l?épaisseur de ce mur ? Eriaz l?ignorait, et il ne savait pas ce qu?il avait encore à faire? Il ne savait [7.2]pas non plus, le malheureux, combien de temps il avait encore devant lui, jusqu?au jour de l?exécution.

Placé dans ce cachot obscur, où régnait une nuit éternelle, privé de tout moyen de calculer le temps depuis l?instant où on lui avait annoncé qu?il n?avait plus que trois jours à vivre, il ne savait quand devait expirer le délai fatal.

Horrible situation ! au moindre bruit qui se fait entendre il croit que tout est fini, qu?on vient le chercher pour le supplice, et dans cette horrible incertitude de tout ce qu?il avait encore à faire et du temps qui lui restait, le malheureux s?arrêtait découragé.

Cependant il tente un dernier essai, et grinçant des dents, il s?attaque à la muraille? Il est sauvé ! la pierre cède, le mur est percé? mais, hélas ! le malheureux s?est trompé dans ses calculs sur la situation des lieux? Ce n?est pas l?air pur et frais de la campagne qui vient frapper son visage, et à travers l?ouverture qu?il a si péniblement pratiquée, il n?aperçoit encore qu?un cachot faiblement éclairé par la pâle lueur d?une lampe? Il entend de sourds gémissemens, il appelle à voix basse? c?était le cachot de Dardeza.

A cette vue, Eriaz tombe anéanti. C?en est donc fait, il faudra mourir !

Dardeza est étendu à terre, brisé par la lutte qu?il vient de soutenir, et bientôt ces deux malheureux se sont rapprochés. Eriaz communique son projet à Dardeza, et en apprenant que le cachot de ce dernier a une fenêtre sur la campagne, il croit voir leur fuite assurée? Mais combien de jours se sont écoulés depuis qu?Eriaz a appris la fatale nouvelle, combien lui reste-t-il encore de temps à vivre ?? Il interroge Dardeza qui a pu, lui, calculer les heures et les jours, et il apprend que la nuit qui commence est la dernière pour eux, et que le soleil levant doit éclairer l?échafaud.

Loin d?abattre Eriaz, cette affreuse révélation redouble son courage. Dardeza le seconde, et tous deux réunissent leurs efforts pour agrandir l?ouverture pratiquée par Eriaz, qui bientôt s?est introduit dans le cachot de Dardeza.

Celui-ci avait reçu d?un ami un ressort de montre pour limer les barreaux de sa fenêtre et faciliter un moyen d?évasion ; mais, ainsi que nous l?avons dit, ce malheureux n?avait pas même essayé d?accomplir un projet qui lui semblait impossible. La présence d?Eriaz ranima son courage ; il saisit l?instrument précieux qu?il a conservé, et tous deux se mettant à l?ouvrage, ils ont bientôt scié quelques barreaux de la fenêtre. L?ouverture est assez large pour qu?ils puissent passer, et s?ils pouvaient oser une chute de soixante pieds, leur fuite était assurée.

Il ne reste plus qu?à limer les fers qui attachent leurs pieds et leurs mains. Mais ce travail sera long encore ; la nuit avance, le jour va paraître, jour fatal qui ne doit que commencer pour eux ! Ce ressort précieux ne peut leur servir à tous deux à la fois ; à peine si un seul aura le temps de briser ses chaînes ; et avec ce poids énorme la fuite est impossible.

Alors une horrible discussion s?élève entre ces deux malheureux. L?instrument sauveur est entre les mains de Dardeza ; il veut s?en servir, Eriaz se précipite sur lui pour le lui enlever. Dans cet étroit cachot, entre ces deux hommes enchaînés et voués tous deux à la mort dans quelques heures, une lutte affreuse, un combat à mort s?engage. Eriaz, plus vigoureux, renverse son ennemi ; Dardera se voit vaincu ; il s?approche de la fenêtre, et pour que du moins il n?y ait salut pour aucun, et que tous deux meurent, il veut jeter aux vents le précieux outil. Eriaz l?arrête : Non tu ne l?auras pas ! s?écrie [8.1]Dardeza désespéré ; et faisant un dernier effort pour se dégager des mains de son robuste adversaire, il place la lime dans sa bouche et l?avale, faisant entendre comme un râlement de mort. Le ressort qu?il a avalé reste engagé dans sa gorge, il suffoque? Soudain, une horrible pensée vient à l?esprit d?Eriaz, il se précipite sur Dardeza, le saisit violemment, l?étrangle, lui brise la tête contre la muraille, lui plonge le poing dans le gosier, lui déchire la gorge avec ses mains, et jusque dans la poitrine palpitante du malheureux il cherche, à la lueur de la lampe, l?instrument précieux et sauveur.

Il le retire ensanglanté, bientôt il est à l??uvre, ses chaînes tombent? puis avec les vêtemens de Dardeza qu?il dépouille, il se fait une espèce de lien qu?il attache à un barreau de la fenêtre? Il se laisse glisser, mais arrivé à l?extrémité de la corde, il plonge avec effroi les yeux au-dessous de lui? Un abîme de plus de 30 pieds reste à franchir? Cependant il n?hésite pas ; sa chute est amortie par une plate-forme sur laquelle il roule, et il tombe meurtri sur le pavé?

Mais tout n?était pas fini?, il se trouve dans un chemin de ronde, entouré par un mur élevé qu?il faut franchir encore.

Au moment où il cherche de quel côté l?escalade sera plus facile, un des chiens de garde se précipite sur lui. Eriaz se jette lui-même à sa rencontre, et pour faire taire ses aboiemens, il lui plonge le bras dans la gueule et l?étouffe ; mais au milieu de ses mouvemens convulsifs, le chien lui dévore le poignet?

Il n?y avait pas de temps à perdre, car le jour commençait à poindre : Eriaz choisit un endroit du mur où de nombreuses crevasses présentent un point d?appui, et le malheureux, harassé, meurtri, le poignet en lambeaux, parvient enfin à escalader le mur. Il est libre !

Au point du jour, les guichetiers viennent chercher les condamnés pour les conduire à l?échafaud? Ils ne trouvent plus qu?un cadavre horriblement mutilé.

Bientôt l?alarme est donnée dans tout le pays, et des proclamations sont publiées dans lesquelles on donne le signalement du coupable ; d?après les traces de sang et les débris qui se trouvent près du chien qui a été étouffé par Eriaz, on reconnaît qu?il a dû avoir le poignet droit arraché, et l?on publie tous ces détails.

Eriaz avait couru pendant près d?une heure, mourant de fatigue et de faim, il s?arrête près d?une petite cabane où il se hasarde à demander l?hospitalité, pensant que le bruit de sa fuite ne viendra pas jusque-là.

Une vieille négresse, qui habitait cette cabane, lui offre quelques provisions. Eriaz allait partir ; mais entre tout-à-coup le mulâtre Caro, fils de la négresse qui avait si généreusement reçu le fugitif.

Il arrivait de la ville, et son premier soin fut de raconter ce qu?il y avait appris. A ce récit, Eriaz pâlit et cache précipitamment son bras sous ses vêtemens. Ce mouvement, quoique rapide, est aperçu par Caro : l?intrépide jeune homme se précipite sur Eriaz, lui arrache son manteau, et découvre sa plaie sanglante ; mais Eriaz, avec un bond rapide, recule, saisit une hache qui se trouvait dans un coin, et s?élance sur Caro, qui s?est également armé d?un énorme bâton. Caro pare adroitement le coup qui lui est porté, la hache d?Eriaz glisse sur le bâton de son adversaire et ouvre le crâne de la pauvre négresse qui était accourue près de son fils pour le protéger.

A cette vue, Caro jette sur Eriaz un coup qu?il lui assène [8.2]sur la tête, il le renverse sans connaissance et hors de combat ; puis il se précipite sur le corps de sa mère qu?il cherche en vain à rappeler à la vie.

Au même instant, trois des nombreux cavaliers de la police qui avaient été envoyés dans toutes les directions à la poursuite du fugitif, arrivent sur ce nouveau théâtre de crimes : Eriaz est garotté, attaché à la queue d?un cheval, et ramené à toute bride dans la prison.

A peine arrivé, Eriaz a demandé une bouteille de rhum et un prêtre, auquel il a raconté avec un horrible sang-froid tous les détails de son évasion ; puis il avala d?un trait le rhum qu?on lui avait donné. A peine le prêtre se fut-il retiré, qu?Eriaz est tombé sans connaissance, et lorsqu?on est venu le chercher pour le conduire au gibet il n?existait plus.

(Gazette des Tribunaux.)

AVIS DIVERS.

(372) Marie Bertholon, fille de Jean-Pierre Bertholon, officier retraité, demeurant rue de la Boucherie-St-Paul, est priée de passer au bureau de l?Echo de la Fabrique, pour affaires qui la concernent.

Mme Vaël de Lyon,
actuellement a la croix-rousse, grande-rue, n° 13.
Tient magasin de lingerie, mercerie en tout genre, bas, bonnets, indiennes pour robe et pour ameublemens, mousseline, calicot, coutil pour tentes ; assortiment de gilets, jupes de laine et mérinos de toutes couleurs ; couvertures en laine et coton ; chemises d?hommes, cols, cravates, foulards, etc. : le tout à des prix extrêmement avantageux. (273)

(271) Jolie mécanique ronde à dévider, presque neuve, à la David, à 8 guindres, à vendre au prix de 80 fr. ; s?adresser chez M. Theullier, rue de Thou, n. 4, au 3e.

(270) A vendre un fonds de café-cabaret, situé rue Tholozan, n. 7. S?y adresser.

(269) A vendre 2 métiers à la jacquard en 400, tout prêts à travailler. S?adresser chez M. Gotaille, rue du B?uf, n. 10, au 3e, sur le derrière.

(268) On demande, dans un pensionnat situé à 12 lieues de Lyon, un maître d?écriture. Il aura au moins 400 fr. par an, la nourriture et le logement.
S?adresser au bureau du Journal.

Le bon Génie.
Almanach des progrès
.1
Quiconque a reçu de la nature un sens droit, est dans l?obligation de chercher par tous les moyens à détruire l?ignorance, afin que tous deviennent sages, sobres, tempérans, prudens et vertueux.

Tels sont les principes que nous avons élaborés, et en y consacrant nos veilles, nous avons participé à la réalisation d?une ?uvre utile. Nos efforts seront justement appréciés.

L?Almanach des Progrès se divise en quatre parties, savoir : 1° Économie sociale ; 2° Économie rurale et forestière ; 3° Économie industrielle, sciences et arts, 4° Tableaux statistiques, et renseignemens utiles au commerce et à tous les états. Cet ouvrage se recommande à toutes les classes, à toutes les intelligences ; son but tend spécialement à détruire l?ignorance et la superstition trop longtemps propagées par certains almanachs.
On le trouve au bureau de la direction, rue Bleue, n. 17, à Paris et chez tous les libraires. Toute demande de dépôt sera acceptée avec avantage pour le proposant.
prix : 50 c., un vol. avec 60 figures.
On ne recevra que les lettres affranchies (274)

(262) A VENDRE, un métier 6/4 crêpe de Chine avec tous ses harnais, mécanique en 900. S?adresser à M. Jourssin, clos Dumond, 4e allée, au 2e ; on donnera toutes les facilités possibles pour le paiement.

Notes (Châles. Depuis que des expositions plus...)
1. Le secteur des châles avait été créé à Lyon en 1816. Ce secteur avait fait sensation en utilisant une matière première autre que la soie (déchets de soie et laine cachemire). Son essor avait pu bénéficier des techniques ayant fait leurs preuves dans la production des façonnés, notamment l?utilisation du métier Jacquard. En 1836, un article de la Revue du Lyonnais expliquera : « Le genre cachemire de l?Inde a tellement envahi depuis quelque temps la Fabrique de Lyon, que presque tous les châles depuis les plus simples aux plus compliqués ont imité les dessins de l?Inde » (cité dans Pierre Cayez, Métiers Jacquard et hauts fourneaux. Aux origines de l?industrie lyonnaise, Lyon, PUL, 1978, p. 175).

Notes ( AVIS IMPORTANT)
1. Depuis le xviiie siècle, les principaux acteurs de la Fabrique, appuyés par les institutions locales, avaient élaboré une véritable politique d?innovations ; elle permettait à l?inventeur, grâce à un système de brevets, de bénéficier des fruits de sa découverte, mais favorisait également la diffusion de cette innovation aux autres producteurs. Ce système fonctionnait aussi bien pour les innovations majeures que les autres ? ici, un nouveau système de lampes et éclairages dans les ateliers. Sur ce système : au xviiie siècle, Liliane Hilaire-Pérez, L?Invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000, p. 74-78 ; au xixe siècle, Alain Cottereau, « The fate of collective manufacture in the industrial world: the silk industries of Lyon and London », art. cité.

Notes ([5.1] Notre impartialité nous fait un...)
1. Référence ici au passage « L?ignorance n?a jamais fait de mal, [?] l?erreur seule est funeste », de Émile ou de l?éducation (1762).
2. L?article mentionne ici l?abbé Guillaume Thomas Raynal (1713-1793), auteur notamment d?une Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes (1770).

Notes ( DU SYSTÈME
De Colonisation agricole et industrielle,)

1. Les interventions de Berbrugger furent publiées peu après à Lyon chez L. Babeuf sous le titre : Conférences sur la théorie sociétaire de Charles Fourier.

Notes (AVIS DIVERS. (372)  Marie Bertholon , fille...)
1Le Bon Génie. Almanach publié à Paris en 1834.

 

 

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