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13 octobre 1833 - Numéro 41 |
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De la Caisse de Prêt. A la suite de la crise commerciale de 1830, lorsque l’ouvrier eut épuisé toutes ses ressources, et qu’un travail soutenu et long-temps prolongé ne pouvait plus suffire à son existence et à celle d’une famille que pressaient la misère et la faim, l’autorité, effrayée de cet état alarmant, sollicita et obtint du gouvernement des fonds qui furent destinés à l’établissement d’une caisse de prêt. Les chefs d’atelier purent dès-lors, sans humiliation, y recourir dans leur détresse, lorsque vint le mouvement des affaires et que des besoins de toute espèce les mettaient dans l’impossibilité de disposer de leurs instrumens de travail, sans avoir recours à la bourse des négocians, dont quelques-uns profitaient souvent pour arracher de ces malheureux tout l’intérêt possible des avances qu’ils pouvaient leur faire en rétribuant à leur gré le salaire. Chacun applaudit à cette amélioration physique du sort du travailleur, et plus d’un père de famille trouva dans cet établissement une branche de secours qui le sauva du naufrage. Heureux les administrateurs qui dotent les populations de quelques bienfaits, leurs noms, vénérés par le peuple qui ne fut jamais ingrat, passera de bouche en bouche jusqu’à la postérité la plus reculée ; et cette gloire en vaut bien une autre. D’où vient donc que cet établissement, fondé par la plus pure philantropie, n’a pas pris, depuis près [1.2]de deux ans qu’il existe, toute l’extension dont il est susceptible ? Pourquoi l’ouvrier, que des cessations de travail trop souvent répétées ont réduit à des privations sans nombre, ne recourt-il pas avec empressement à cette caisse, qui serait pour lui une source intarissable de soulagement ? Pourquoi ? C’est que l’ouvrier, dans son infortune, possède un cœur fier et généreux, et qu’il répugne à user d’un moyen qui lui coûterait des démarches trop longues pour celui dont le temps est précieux, et trop humiliantes pour celui qui comprend sa dignité d’homme. Si ce qu’on nous rapporte est vrai, les personnes chargées du placement de ces fonds exigeraient des renseignemens précis sur la conduite publique et privée des individus qui veulent user de cette caisse, comme si la charité publique en faisait les frais ; et cependant nul prêteur n’obtient des garanties aussi certaines que celles que donnent les chefs d’atelier, tout en payant un intérêt légal et sûr. Nous aimons à croire que les rapports qui nous ont été faits sont exagérés, et nous espérons qu’on voudra bien nous donner quelques éclaircissemens sur cette importante affaire. C’est pour nous une grande satisfaction que de rendre justice à qui la mérite ; mais nous croirions manquer à notre devoir si nous ne signalions de pareils faits, qui, s’ils sont vrais, ne pourraient que prolonger cet esprit de discordes que tous nos efforts tendent à détruire. B......
Au Rédacteur. La Croix-Rousse, 7 octobre 1833. Monsieur, Votre journal, créé dans l’intérêt de la classe ouvrière, doit être pour elle un cadre d’avis et de renseignemens utiles, c’est d’après ces considérations que je vous prie, Monsieur, de vouloir bien insérer la présente, qui a pour but de prévenir les chefs d’atelier d’une fraude contre laquelle ils doivent se tenir en garde. Voici le fait : Le 3 octobre courant, je reçus quatre bobines en fer-blanc, toutes quatre garnies et pleines de soie, pour fabriquer des mouchoirs zéphir ; dans cet article-là, comme dans celui crêpe de Chine, il n’est pas trop possible de travailler sans quelques préparations ; voici quelle est celle que j’emploie depuis environ huit années que je les fabrique : J’expose à la vapeur ou fumée d’eau chaude les bobines pleines avant de faire les cannettes ; eh bien ! Monsieur, croiriez-vous qu’en usant de ce procédé pour les quatre bobines que j’ai reçues le 3 courant, [2.1]plus de deux onces de cire sont sorties d’une d’elles ; je dis d’une seulement, parce qu’une seule avait perdu le poids de la cire. Je me suis transporté de suite chez le fabricant qui m’a remboursé la perte en traitant son moulinier comme il le méritait. Agréez, etc. perton, A la Croix-Rousse, rue du Chapeau-Rouge, n° 4. Note du rédacteur. – Le fait contenu dans cette lettre, et beaucoup de renseignemens que nous avons pris à ce sujet, prouvent incontestablement que les mouliniers abusent parfois du trop de confiance que les négocians ont en leur bonne foi. Nous aimons à croire que le conseil des prud’hommes se décidera enfin à prendre quelques mesures pour rétablir consciencieusement l’équilibre des déchets dans les crêpes de Chine et zéphirs. Il est juste que chacun supporte le méfait de son œuvre ; et nous pensons qu’une enquête faite dans ce but offrirait des résultats assez certains pour que dorénavant les prud’hommes puissent porter sans crainte un jugement qui consacrerait les intérêts des deux parties. Aux moyens que nous avons déjà proposés dans notre article sur le décreusage, on pourrait ajouter le suivant, qui nous paraît assez juste, et qui n’entraînerait pas à de grands embarras, ce serait d’engager le maître à fabriquer au commencement de chaque pièce, trois ou quatre mouchoirs sans aucun mouillagei, en ayant toujours soin de contremarquer sur les deux livres les noms des mouliniers et des ovalistes qui ont préparé la chaîne et la trame de cette pièce, et ensuite faire décreuser ces mouchoirs convenablement. Si ces mouchoirs perdent dans l’opération plus de 25 à 26 p. %, on saurait à coup-sûr d’où viendrait la fraude, surtout si l’on a pris le soin de faire échantiller la trame contenue dans ces mouchoirs. Voila, selon nous, le moyen le plus sûr d’aplanir les nombreuses difficultés qui se présenteront sans doute dans le courant de cette saison qui va commencer pour le crêpe de Chine, si toutefois les négocians n’aiment mieux supporter le décreusage, que dans aucun cas le chef d’atelier ne doit payer.
i. Dût on payer quelques sous de plus pour leur fabrication, qui offre sans doute plus de difficulté.
EXTRAIT DU COURRIER DU BAS-RHIN.
Plus nous marchons vers notre régénération commerciale, et plus nous éprouvons le besoin de rapporter aux intérêts matériels du pays les événemens politiques qui éclatent sur la scène du monde, et dont quelques-uns, tout récemment, ont menacé l’Europe d’une perturbation générale. Certes, si la mémoire se rejette en arrière et récapitule tous les faits dont nous avons été les témoins depuis trois ans passés, il ne se trouvera pas un homme peut-être, pas un qui ne soit forcé de convenir que toutes ses prévisions ont été trompées. Vingt fois nous avons eu la guerre à nos portes, menaçante, prête à tout bouleverser ; et cependant, comme par enchantement, l’orage se dissipait, et la paix revenait porter le calme dans les esprits agités par des craintes passagères. Mais d’où vient donc ce besoin de paix que tous les peuples éprouvent ; d’où vient que ces collisions sanglantes qui naguère transformaient toute l’Europe en un vaste champ de bataille, ne sont presque plus possibles aujourd’hui, et, il faut l’espérer, le deviendront bien moins encore dans un avenir qu’il est permis de regarder [2.2]comme prochain ? Serait-ce que les préjugés, que les haines dites nationales, qui si long-temps ont divisé les peuples, se sont tout-à-coup évanouis sans qu’il en restât la plus faible trace ? Ou les rois auraient-ils subitement renoncé à toute idée d’ambition et de conquête, pour ne s’occuper que d’augmenter le bien-être et la prospérité des contrées soumises à leur sceptre ? Hélas ! les rois, à peu de choses près, sont toujours les mêmes ; mais les peuples ont changé. Depuis vingt ans ils ont marché à grands pas dans la carrière féconde de la civilisation, et si beaucoup de préjugés, quelques haines même, ont survécu à leurs anciennes inimitiés, beaucoup aussi ont disparu pour toujours. Aujourd’hui, le Français que ses affaires ou la curiosité conduisent dans les rues de Londres, n’est plus, comme jadis, assailli par des cris de réprobation ; l’Anglais, à son tour, vient visiter notre beau pays, le parcourt en tout sens, et la population ne voit rien là qui doivent l’émouvoir. Cet heureux changement ne s’est pas seulement opéré dans nos mœurs et dans celles de nos plus proches voisins, mais il s’est étendu jusqu’aux peuples que pendant une longue série de siècles on nous a présentés comme incapables de recevoir la plus légère impression de civilisation. Gardons-nous de le révoquer en doute ; l’esprit de commerce et de travail a produit ces résultats, dont les sincères amis de l’humanité doivent se féliciter à si juste titre, et tout fait présager que le jour n’est pas éloigné où ses pacifiques conquêtes auront tellement confondu les intérêts de toutes les nations, les auront unies entre elles par des liens tellement étroits, que les rois seront forcés de s’arrêter devant toute idée de rupture et de guerre, comme pouvant entraîner à des désastres irréparables. Déjà, et malgré eux, ils se sentent soumis à cette condition que leur ont faite vingt ans employés par les peuples aux travaux de l’industrie et aux spéculations du commerce. Et il faut le dire, lorsque les souverains de l’Europe, après nos longues guerres de l’empire, formèrent cette alliance fameuse que l’on nomma du nom de sainte, je ne sais trop pourquoi, ils ne croyaient agir que dans leur seul intérêt ; ils pensaient que cette chaîne si forte en apparence suffirait pour anéantir tout esprit de progrès, que cette barrière insurmontable à leurs yeux, arrêterait à tout jamais les pensées de liberté ; sans se douter le moins du monde que cet esprit, que ces pensées allaient bientôt trouver une vie nouvelle et plus forte dans le repos même auquel ils se condamnaient, et qu’ils imposaient à leurs sujets. Alors cette ardeur et cette énergie dévorante qui pendant vingt-cinq avaient guidé dans leur terrible lutte toutes les nations de la terre, se dirigèrent vers des conquêtes plus utiles et dont l’humanité n’avait point à gémir. Anglais, Allemands, Français, se retrouvèrent en présence, non plus dans les plaines sanglantes d’Austerlitz ou de Waterloo, mais dans les champs féconds de l’industrie et du travail. – Une communauté pacifique s’établit entr’eux, les réunit dans un même but ; leurs pavillons amis flottèrent ensemble sur toutes les mers : l’échange de leurs produits entraîna bientôt l’échange de leurs pensées, leurs relations fréquentes, leur contact continuel, dissipèrent les préjugés, affaiblirent les haines qui les avaient divisés, et peu à peu les idées de liberté, que par la paix la sainte-alliance avaient cru anéantir, sortirent jeunes et fortes de cette paix, favorisées par l’esprit de commerce, qui n’est autre chose que l’esprit de liberté même. [3.1]Aussi, voyez en 1830, lorsque la France, comme un seul homme, se dressa de toute sa grandeur contre une dynastie parjure, voyez si un seul cri réprobateur se fit entendre parmi les peuples de l’Europe. Les rois sans doute se réveillèrent menaçans à ce coup de foudre inattendu ; mais en regardant au-dessous d’eux, le silence succéda aux menaces… Ils avaient compris quelle espèce de communauté le travail et le commerce, après vingt ans d’une paix profonde, avait établie entre leurs sujets et la nation française. Ah ! qui nous eût dit, au commencement de ce siècle, que, à peine les premières vingt-cinq années en seraient écoulées, on verrait les Anglais et les Français se donner la main, et prendre sous leur commune protection la civilisation et la liberté ? Certes nous aurions répondu par les mots de rêveur et de songe-creux. Cependant le rêve s’est accompli, le songe est une réalité que personne ne peut plus nier. Cette union des deux peuples qui promet d’être un jour si féconde en résultats pour leur commune prospérité, a puisé une force nouvelle dans tous les événemens qui depuis trois ans se sont passés sous nos yeux. Détournons nos regards sur la Belgique, sur l’Orient, sur les événemens du Portugal ; partout nous voyons le pavillon de la France flotter à côté de celui de la vieille Angleterre ; et derrière les murs de Porto comme dans les montagnes des Algarves, leurs enfans confondus aux mêmes rangs, meurent ensemble pour la défense de la liberté. Le projet d’une alliance entre la France et l’Angleterre ne date pas d’aujourd’hui. Aux temps de notre grande révolution de 89, Mirabeau1 avait indiqué cette alliance comme la seule naturelle, la seule que nous dussions rechercher. Sans doute, des deux côtés de la Manche, vous trouverez encore des hommes pour qui les traditions du passé sont tout ; qui, vivant d’une vie à part, et jugeant les peuples par ce qu’ils étaient, et non par ce qu’ils sont, soutiendront que les intérêts de la France ne sauraient être les mêmes que ceux de l’Angleterre ; et cependant, si nous jetons les yeux sur les deux peuples, n’y trouvons-nous pas de nombreuses causes de sympathie, le même degré de civilisation, le même amour de la liberté et de l’indépendance, le même système gouvernemental ? Et ces causes de rapprochement mutuel ne devaient, à tout jamais, produire que des guerres sans fin et des dissensions continuelles ? Non : ceux-là sont les rêveurs qui prétendent qu’il devait en être ainsi. Nous croyons à la sincérité de l’alliance qui nous unit aujourd’hui à notre ancienne rivale ; nous y croyons, parce que chaque événement survenu depuis trois ans, nous en a porté quelque preuve nouvelle. Mais nous croyons également que, pour rendre cette alliance indissoluble, ce n’est pas seulement sur la communauté des intérêts politiques qu’il faut la baser, mais également sur des intérêts commerciaux. Maintenant à l’œuvre, vous tous qui voulez que cette alliance porte ses fruits, qui désirez que le travail et l’industrie consolident ce que la politique a si heureusement commencé ! Que les barrières qui s’opposent à ce que les produits de la France circulent en liberté sur les routes et les canaux de la Grande-Bretagne, qui repoussent de notre territoire les produits de notre alliée ; que ces barrières, source éternelle d’interminables différends, tombent une à une. Alors la paix du monde sera consolidée à tout jamais ; car, qui serait assez téméraire pour la troubler, lorsque la France et l’Angleterre [3.2]n’auront plus qu’un seul et même intérêt, lorsqu’on ne pourra troubler le repos de l’une sans porter atteinte à la prospérité de l’autre ? J. B.
LES UNIONS DE COMMERCE. Ces unions s’étendent à toutes les parties du royaume où se trouvent des manufactures. On les appelle Réunion des loges : leurs démarches ont lieu avec tout le mystère de la franc-maçonnerie, et dans le même système que les illuminés d’Allemagne, sur lesquels elles paraissent avoir formulé leur réglement. Leurs portes sont gardées par les Tylers ; les non-initiés sont exclus par signes et par paroles, et la fidélité des membres est assurée par des sermens terribles. Comme les illuminés, les unionismes ont un catéchisme dans lequel on a fait ressortir avec talent et force les droits de la classe ouvrière et l’oppression des riches ; les unions se divisent ensuite en loge de districts : une grande loge se forme de délégués des loges de districts. Les officiers des grandes loges sont autorisés à envoyer dans toutes les parties du royaume des délégués pour ouvrir de nouvelles loges. Ces envoyés reçoivent des allocations pour leurs frais de voyage ; de cette manière s’est formée une immense combinaison qui a les ramifications les plus étendues. Cette organisation est de nature à atteindre les buts qu’elle se propose. Les objets qu’on se propose sont énoncés dans les réglemens des diverses unions qui, bien qu’elles diffèrent dans quelques détails, se rapprochent cependant toutes sous le rapport du langage et même de la substance. Ces réglemens s’accordent à déclarer que l’objet des unions est d’avancer et d’égaliser le prix du travail dans toutes les branches du commerce auquel appartient l’union. Chaque membre classé dans une des catégories d’une des unions, a droit à une prestation hebdomadaire pendant qu’il est sans travail, et celui qui a des enfans reçoit même une somme fixée par tête d’enfans non employés. Une coopération mutuelle est établie entre les diverses unions ; un des principes généraux est que tout commerce sera tenu de fournir telle avance que de raison à tout autre commerce appartenant à la même catégorie qui peut entrer en collision avec ses entrepreneurs : ce service est réciproque. Est excommunié quiconque accepte du travail d’un maître qui ne s’est pas affilié à quelqu’une des unions : les ouvriers qui s’associent aux travaux de ces maîtres sont désignés sous le nom burlesque de béliers noirs. Les fonds des unions sont faits au moyen des versemens pour droit d’entrée et des contributions hebdomadaires ; on emploie ces fonds à soutenir les ouvriers sans ouvrage et à entretenir le mécanisme compliqué de ce vaste établissement. Les sommes ainsi recueillies et ainsi employées sont énormes. On pourra s’en former une idée quand nous dirons qu’en cinq mois, l’automne et l’hiver derniers, il a été reçu et dépensé plus de 2.900 livres sterling par une union du district de l’ouest d’Yorck. L’état alarmant actuel des affaires prouve toute la fausseté de la proposition de Smith,1 que, tandis que les maîtres peuvent s’entendre pour baisser le salaire des ouvriers, ceux-ci ne peuvent se coaliser pour faire augmenter ce même salaire. Les ouvriers ont formé une immense coalition, car les commerces sont réunis en un seul corps, tandis que les maîtres ne paraissent pas pouvoir former de coalition entr’eux. (Halifax Guardian2.)
OUVRIERS FONDEURS.
[4.1]Treize ouvriers, prévenus de coalition, comparurent le mois dernier devant le tribunal de première instance. Cinq d’entr’eux, les nommés Souquière, Dellemotte, Duchail, Durand et Compoint furent condamnés à trois jours de prison. Appel a été interjeté par eux de ce jugement ; cet appel est appuyé d’un mémoire justificatif rédigé par Alexandre Dumoulin, ouvrier fondeur, au nom de tous ses camarades. Cet écrit, qui fait le plus grand honneur à l’intelligence de la classe ouvrière, présente les faits sous un tout autre jour que celui sous lequel ils avaient paru en première instance. Ainsi, il résulte des faits exposés par les appelans et dont ils fournissent toutes les preuves désirables, que c’est M. Simonet, maître fondeur, rue de la Perle, qui, le 13 mai, aurait convoqué chez Goupy, restaurateur du boulevard du Temple, une ligue offensive des maîtres contre les ouvriers. Cette réunion eut lieu à propos des trois momens de sortie par jour dont les ouvriers fondeurs ont joui de tout temps pour garantir leur santé des effets d’un travail insalubre, des gaz délétères qu’ils respirent continuellement dans leurs ateliers, et de la chaleur des étuves et fourneaux qu’on élève toujours à une température excessive. Cette faculté de sortir pour respirer avait d’abord été fort restreinte par le sieur Simonet, qui la supprima enfin complètement après la révolution de juillet. Après avoir excessivement souffert de cette rigueur, par suite de laquelle plusieurs d’entre eux étaient, à diverses reprises, tombés malades, les ouvriers chargèrent Arnaud Fontaine, leur contre-maître, d’en demander le rétablissement dans les termes les plus convenables ; mais au lieu d’écouter cette réclamation, M. Simonet ferma ses ateliers à une trentaine de pétitionnaires qu’il eut soin de signaler à ses confrères, dans la réunion qui eut lieu chez Goupy, comme les principaux moteurs de la soi-disant cabale, leur faisant en outre promettre de ne pas les employer dans leurs établissemens. L’interruption de travail dont les ouvriers fondeurs de M. Simonet, se trouvèrent frappés pendant une huitaine de jours par suite des injustes rigueurs du maître, engagea leurs camarades à se réunir au nombre de 500 à la barrière des Amandiers pour leur allouer des secours. Cependant les travaux avaient repris, mais chaque jour les ouvriers avaient de nouveaux sujets de plainte, et leur mécontentement ne connut plus de bornes à l’arrivée d’un contre-maître, le nommé Freckain, qui, précédemment employé chez M. Simonet, avait encouru l’animadversion de ses camarades, par son despotisme et sa dureté. Il est établi par témoignage que pendant l’hiver de 1830, lorsque tant d’ouvriers sans pain allaient demander aux inutiles travaux du Champ-de-Mars de quoi ne pas expirer de besoin, Freckain, alors contre-maître chez M. Simonet, enchérissait encore sur l’abaissement des salaires que ce dernier faisait subir à ses ouvriers. Il était dur et insolent : Qui est-ce qui a faim ? criait-il au milieu de l’atelier, en sous-offrant des travaux à vil prix. Freckain étant rentré chez M. Simonet vers l’époque des dissensions, quoique le premier il eût conseillé de n’y plus travailler, fut charivarisé par ses camarades qu’il avait maltraités et humiliés. Sur la plainte du sieur Simonet, six ouvriers pères de famille, furent jetés en prison parmi les voleurs, et après quarante [4.2]jours de dépôt dans ce cloaque comparurent avec sept autres sur les bancs du tribunal. C’est tant à raison de la coalition alléguée par le ministère public, qu’à raison des faits du charivari, que furent condamnées les cinq personnes que nous avons nommées. Me Bethmond, qui avait déjà défendu les ouvriers en première instance, leur a prêté encore devant la cour l’appui de son talent. La cour, considérant que la prévention n’était pas suffisamment établie, a infirmé le jugement et déchargé les ouvriers de la condamnation portée contre eux, sans frais ni dépens. Cet arrêt a été accueilli par des applaudissemens. Cette affaire a présenté un singulier incident, que nous ne pouvons passer sous silence. L’un des ouvriers arrêtés porte un nom très peu différent de celui d’un individu condamné en 1822 à une peine infamante, et, par hasard, tous deux ont les mêmes prénoms, et sont nés dans le même département, quoique dans deux villages à onze lieues de distance. Soit par une confusion assez naturelle, soit par une odieuse malveillance, la police d’abord, puis certains adversaires des ouvriers, ont répandu dans les ateliers que l’ouvrier dont il s’agit était l’individu condamné et flétri. Le caractère bien connu de cet ouvrier a suffi pour le défendre contre de trompeuses apparences et contre de calomnieuses imputations. Néanmoins, si ces imputations avaient été répandues dans un lieu public, l’honnête homme qui s’en trouvait l’objet en aurait demandé judiciairement réparation. Du reste, cette réparation ne lui a pas manqué, car, devant le tribunal le procureur du roi, et devant la cour l’avocat-général et le président, ont solennellement proclamé l’erreur, et rendu hommage à la vérité ; – et c’est avec joie que les ouvriers fondeurs ont vu reconnaître qu’ils n’avaient à rougir d’aucun d’entr’eux. (Le Populaire.)
INDUSTRIE. – cannetières. Les nouveaux procédés mis en usage jusqu’à ce jour, et par lesquels la cannette s’arrête aussitôt qu’un des brins casse, laissaient quelque chose à désirer ; il n’y avait pas égalité parfaite de tension, la soie était énervée ; ces défauts étaient surtout sensibles dans les étoffes gros-grains, dont la trame est formée de six ou huit brins. Ces difficultés viennent d’être vaincues par de nouveaux moyens ; on est parvenu à donner une égalité telle aux divers brins dont se compose les cannettes, qu’ils semblent n’en former qu’un seul ; mais ce qui donne le plus de mérite à ce nouveau perfectionnement, c’est de conserver à la trame sa force et son élasticité. Cette perfection tant désirée, et que jusqu’ici aucun moyen mécanique n’avait entièrement atteinte, est maintenant hors de doute. Toutes les étoffes indistinctement pourront être fabriquées avec les cannettes faites par ce mécanisme. On peut les voir en activité chez le sieur Gret, fabricant d’étoffes, rue Tholozan, n° 20, au 2e. Il donnera également tous les renseignemens désirables aux acheteurs. Ce procédé s’adapte aussi à toutes les mécaniques à dévider, cannetières, soit de forme longue, ronde ou à fer-à-cheval.
M. Régnier, chef d’atelier, maison Pilata, n° 4, est prié de passer lundi, 14 octobre, à sept heures du soir, au bureau du journal, pour affaire qui le concerne.
AU RÉDACTEUR. [5.1]Lyon, le 9 octobre 1833. Monsieur, Les colonnes de votre journal étant ouvertes à tout ce qui intéresse la classe industrielle de cette ville, et principalement la classe la plus pauvre, dans l’intérêt de laquelle nous avions lieu de croire que les établissemens philantropiques devaient être fondés, et notamment l’Ecole de la Martinière. Permettez-nous de vous adresser les questions suivantes, auxquelles nous espérons que vous voudrez bien répondre, pour notre instruction et pour celle de nos nombreux confrères. savoir : Qu’est-ce que M. Martin, fondateur de la Martinière ? Qu’est-ce que la Martinière, et qu’a-t-elle été jusqu’à ce jour ? Au profit de qui est-elle instituée ? Quel bien a-t-elle produit ? Qu’est l’Académie pour la Martinière ? Comment l’autorité municipale surveille-t-elle l’exécution du testament ? Où sont les comptes-rendus qui devraient être publiés ? Qu’est-ce qu’un testament ? Nous désirerions aussi connaître les noms de ceux qui, dans cette affaire, ont défendu les intérêts des pauvres ouvriers, selon l’intention expresse du général Martin, pour les honorer et nous souvenir d’eux. Veuillez, Monsieur, nous répondre de la manière la plus explicite, afin de nous tirer de l’inquiétude où nous sommes à cet égard. Agréez, etc. Plusieurs industriels pères de famille. Note du Rédacteur. – Cette lettre, qui soulève une question d’un haut intérêt, nous est arrivée trop tard pour que nous puissions y répondre aujourd’hui. Nous renvoyons cette réponse au prochain N°.
Au Même. Monsieur, Je vous prie de vouloir bien donner publicité au fait suivant, afin que nos concitoyens se tiennent en garde contre pareils abus de confiance que se sont permis les employés du service du bateau à vapeur l’Abeille, envers plusieurs citoyens dont je faisais partie, et notamment plus de 200 militaires, voyageurs comme nous. Samedi dernier, 5 du courant, j’étais à Mâcon, attendant le passage du bateau à vapeur l’Abeille, pour descendre à Lyon ; à l’arrivée de ce bateau, le capitaine, vu le manque d’eau dans cet endroit, fit débarquer tout le monde et nous pria de vouloir bien aller l’attendre à dix minutes de Mâcon, près d’une petite île, où l’on prendrait un bateau d’allège pour le transport des nouveaux voyageurs. Lorsqu’enfin nous fûmes embarqués dans ce bateau qu’on n'avait pas même eu la précaution d’égoutter, car il y avait au moins 2 pouces d’eau, le capitaine s’empressa, comme de coutume, à percevoir auprès de chaque passager, le prix du transport selon la destination de chacun, dont la majeure partie était pour Lyon. Arrivés à demi-heure à peu près au-dessus de Trévoux, dans un endroit appelé au Quart, notre surprise fut grande quand nous vîmes amarrer les bateaux et le capitaine nous inviter à débarquer, car, disait-il, il ne pouvait aller plus loin ; nous insistâmes d’abord pour continuer notre route, puisqu’on nous avait fait payer jusqu’à Lyon, lui ne devant pas ignorer la hauteur des eaux, et d’après ce, ne pas surcharger son bateau afin de pouvoir se rendre sans obstacles à sa destination ; ou tout au moins devait-il nous avoir prévenus, ou bien nous rembourser une partie du prix que nous avions payé. Aucunes de nos réclamations ne furent écoutées, et force fut à nous de nous acheminer pédestrement et à nuit-close jusqu’à Trévoux, d’où nous vîmes, quelque temps après, passer notre bateau qui continuait sa route. [5.2]Serait-il donc impunément permis de se jouer ainsi de la confiance du public ? Et notre police, qui a tant de monde à sa disposition pour inquiéter les citoyens, n’en a-t-elle donc pas pour veiller à leurs intérêts ? La publicité étant le seul moyen qui soit en mon pouvoir, pour avoir raison d’une pareille conduite, j’espère, Monsieur, que vous ne me la refuserez pas. Agréez, etc. lanlliat, Chef d’atelier, rue Grôlée, n° 3
Appel aux Citoyens en faveur d’un père de famille piémontais réfugié Un ancien officier de l’empire, ex-capitaine dans l’armée sarde, proscrit à l’époque de 1821, ayant depuis établi son domicile à Lyon, où il était agent d’affaires jusqu’en 1831, où il prit part à l’expédition de Savoie, et pour cette cause obligé de quitter son établissement pour se rendre dans différens dépôts de l’intérieur du royaume, fait un appel à la philanthropie des Lyonnais, pour lui procurer les moyens de retirer du Mont-de-Piété tous ses effets et ses meubles qu’il fut obligé d’y déposer pour faire honneur à quelques dettes et se procurer quelques ressources pour se rendre à la destination que lui avait assignée le gouvernement. Nous prévenons nos concitoyens, que nous nous ferons un plaisir et un devoir de recevoir dans notre bureau tous les secours qu’il leur plaira de nous adresser, tant en hardes qu’en argent. Cette famille est dans le plus complet dénûment. B......
Dans la séance du 7 octobre courant, à la réunion des actionnaires au journal de l’Echo, la commission de surveillance a été renouvelée au scrutin, et se trouve actuellement composée de MM. Matrod, président ; Gagnière, secrétaire ; Bouvery, Suchet, Strube, Michel et Bernard, membres de ladite commission.
SOUSCRIPTION En faveur des victimes de Novembre. M. Taberd, chef d’atelier à St-Etienne : 3 fr. 50 c.
C’est par omission que notre journal n’avait pas plus tôt annoncé qu’une souscription est ouverte dans nos bureaux en faveur de la Tribune.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES,
(présidé par m. riboud.) Audience du 10 octobre 1833. MM. Dépouilly et Godemard appellent à la barre la maison veuve Ampaire de cette ville, pour faire constater l’identité d’un dessin dont ils avaient fait dépôt, et qu’ils ont surpris sur des étoffes en vente chez Mme veuve Ampaire. Le conseil, ayant reconnu la parfaite ressemblance du patron 523, a renvoyé les parties par-devant le tribunal de commerce. Les engagemens pour apprentissage, écrits par des tiers et par-devant des témoins, sont reconnus par le [6.1]conseil bons et valables ; et le maître qui occuperait un apprenti qui n’aurait pas rempli de pareils engagements, serait passible de la contravention. Ainsi jugé entre Dlle Grimaud, Bessat et Chichoud. Lorsque l’enquête prouve que des conventions n’ont été passées que par un motif de spéculation et contre l’intérêt de l’instruction de l’apprenti, le conseil résilie ces conventions et condamne le maître à payer une indemnité aux parens de l’élève, qui ne pourra se replacer que comme apprenti. Ainsi jugé entre Genin et Levrier. Vidalin, teinturier, avait pris en apprentissage pour 5 ans, Durant, fils d’un vieux militaire espagnol, et, par égard pour la position peu aisée du père, rétribuait plus largement que d’usage les peines de son apprenti ; les conditions n’étant que verbales, l’apprenti prétendit qu’elles n’étaient que de 4 ans, et quitta son maître sans son consentement pour aller travailler chez Charpy, teinturier aux Brotteaux. Le père ayant avoué franchement devant le conseil que la durée de l’apprentissage de son fils était de 5 ans, l’apprenti a été condamné à payer 200 fr. d’indemnité à Vidalin, et Charpy passible de la contravention, et par conséquent responsable, sauf son recours contre Durant fils, aujourd’hui majeur.
Littérature. A Béranger.
air : T’en souviens-tu, disait un capitaine… Relève-toi, vieux géant des batailles : Pourquoi languir dans un fatal repos ?… N’entends-tu point le chant des funérailles ? Ne vois-tu pas un crêpe à nos drapeaux ? Lorsque partout la liberté succombe, Que des tyrans elle subit la loi, Tu ne dis rien à l’aspect de sa tombe, Et ton pays en appelle à ta foi ! Brise le joug : renonce à la paresse ; Reprends ta gloire, ajoute à tes succès… Ne jette point la foudre vengeresse, Et, toujours toi, sois l’orgueil des Français. Lorsque, etc. Vingt fois déjà dans l’Europe flétrie, Le sang du peuple a coulé par torrens, Et des héros, sans foyers, sans patrie, Avec leurs dieux, parmi nous sont errans… Lorsque, etc. Les trois couleurs, auréole des braves, Jadis du monde où l’espoir où l’appui, ne servent plus à rompre les entraves, Et la bassesse en dispose aujourd’hui. Lorsque, etc. Epouvantes du civique courage Qui sait braver et le glaive et les fers, Dans leur effroi, les Tristans de notre âge Ont transformé les prisons en enfers, Lorsque, etc. [6.2]Prête l’oreille aux soupirs de la France ; De ton passé grandit le souvenir, Et songe bien, malgré notre souffrance, Que dans nos rangs est tout ton avenir. Lorsque, etc. Après des jours et de deuil et de larmes, Aux cris de mort, à l’heure du combat, Il n’est plus temps de déposer les armes, Et, jeune ou vieux, on marche et l’on se bat. Lorsque partout la liberté succombe, Que des tyrans elle subit la loi, Tu ne dis rien à l’aspect de sa tombe, Et ton pays en appelle à ta foi ! Un Citoyen.
Variétés.
LES CINQ DRAGONS. – NANCY. – 1814. Le 13 janvier 1814, par une triste matinée d’hiver, huit mille Français, accablés de privations et de fatigue, traversaient Nancy sous les ordres du maréchal Victor1, et se dirigeaient vers St-Dizier. La bataille de Leipsick alors était perdue ; de longues files de voitures remplies de blessés, et accompagnées du typhus, encombraient les routes impériales ; l’invasion qu’avaient appelée tant de gentilshommes, devenus presque aujourd’hui nos adversaires politiques, l’affreuse invasion nous touchait ; et l’aigle, qui s’en était allé jusqu’à Maloïaroslavetz, reparaissait parmi nous, précédant de quelques heures l’arrivée des cosaques attachés à sa poursuite. Après une halte de courte durée, les troupes du maréchal Victor continuèrent leur retraite, et à trois heures, il ne restait plus à Nancy, de ce corps entier, que cinq dragons paisiblement installés dans une petite auberge du faubourg de Toul, non loin de la porte Stanislas. Un groupe nombreux s’était formé devant cette auberge ; chacun demandait comment, à l’approche de l’ennemi, des cavaliers français n’avaient pas rejoint leur régiment, quant un beau parleur, probablement l’orateur du quartier, apprit aux curieux qui l’entouraient, que ces cavaliers n’étaient que de misérables traînards, et qu’il allait d’un mot les faire promptement déguerpir. Il entra donc aussitôt pour exécuter sa promesse. En qualité de gamins, moi et quelques enfans de mon âge, nous nous glissâmes derrière l’orateur et le suivîmes jusque dans une chambre du premier étage, où bivouaquaient à leur aise nos prétendus traînards. Je les vois encore, quatre soldats et un maréchal-des-logis appartenant à la compagnie d’élite, de ces vieux dragons d’Espagne, à l’habit usé, aux triples chevrons, au teint basané, à la botte forte, au long bonnet à poil muni de la tresse à fourrage du chasseur. Le sous-officier seul paraissait jeune encore ; à peine était-il âgé de 24 ans. Cinq pieds six pouces, la moustache noire, la figure horizontalement traversée d’un coup de sabre, une large croix d’honneur sur la poitrine indiquaient ce que l’on nomme dans le langage vulgaire un crâne d’avant-postes. Pierre Marchal était son nom, si je ne me trompe ; son père habite encore un petit village du département des Vosges. Debout autour d’une table sur laquelle l’œil comptait déjà plusieurs bouteilles vides, les cinq cavaliers s’occupaient, [7.1]lorsque nous les abordâmes, à charger en chantant leurs fidèles mousquetons. « Eh ! MM. les traînards, dit notre interlocuteur d’un ton doctoral, vous ne songez pas à rejoindre vos escadrons ; avant dix minutes les cosaques seront ici, et ils vont vous prendre comme des poissons dans un filet. » – Les cosaques !… répond le maréchal-des-logis en faisant sauter d’un coup de poing table, verres et bouteilles ; quand il y en aura 400 en bataille devant l’auberge du Lion-d’or, nous commencerons à seller nos chevaux. Depuis jeudi nous n’avons pas aperçu le talon d’un de ces lanciers de miséricorde ; aujourd’hui, ceux qui déboucheront de la porte que voila (il montrait la porte Stanislas) auront des nouvelles du 5e dragons. Pour vous, braves bourgeois, pérorez, prêchez, pacifiez votre respectable famille ; mais assez causé sur le sujet en question, et faites-nous à l’amiable un quart de conversion à droite. » Le brave bourgeois n’attendit pas la fin du discours de l’honorable préopinant, et rejoignit, sans observation nouvelle, le groupe au nom duquel il venait de porter si maladroitement la parole. Le groupe avait disparu ; tous les curieux du faubourg de Toul s’étaient dirigés vers la porte St-Georges, où les autorités municipales s’apprêtaient à recevoir l’avant-garde russe, dont les vedettes occupaient l’entrée du chemin qui conduit à la prairie de Tomblaine. Entraînés par le désir de voir enfin ces soldats étrangers, objets de notre première haine, gamins et orateur, nous courûmes tous à leur rencontre. Il était 4 heures : la neige, comme en signe de deuil, tombait à larges flocons, et les cavaliers ennemis défilaient au pas sous l’humide et sombre voûte de la porte St-Georges, lorsque nous les aperçûmes. Des hommes hideux, à l’œil pour ainsi dire invisible, à la barbe longue et rousse, montés sur des chevaux que l’on aurait cru destinés à l’abattoir, des perches de 10 pieds à la main, armées d’une baïonnette française ou d’un clou de charrue ; des housses volées à notre cavalerie légère, formant, à l’aide de vieux débris de cordes, une espèce de selle sous laquelle étaient entassés le bagage et la fortune du cosaque ; chaque cavalier, marchant à l’aventure, sans ordre, et poussant de temps à autre quelques cris empruntés au sauvage qui chante sa victoire, voilà les fiers conquérans auxquels une cité de 28,000 âmes remettait humblement ses clés ! Et personne ne songeait à se jeter dans la rue, le fusil sur l’épaule, pour défendre à ces brigands en guenilles de faire un pas en avant ! Ah ! disions-nous, s’ils pouvaient passer au faubourg de Toul, ils trouveraient là du moins à qui parler. A peine ces réflexions avaient-elles cessé d’agiter nos jeunes têtes, que 25 cosaques, en abordant la place du Peuple, se détachent et s’avancent vers le faubourg de Toul. « Il faut prévenir les dragons du 5e », s’écrient aussitôt 15 ou 20 gamins au milieu desquels je me trouvais. Nous parlons comme un trait ; mais la fatalité veut que le détachement russe atteigne avant nous l’extrémité de la longue rue de l’Esplanade. Déjà quatre calmoucks ont dépassé la porte Stanislas, près de laquelle nous nous sommes arrêtés ; pas un cri, pas un coup de pistolet n’atteste la présence des cinq Français. Le calme le plus complet, au contraire, semble indiquer qu’ils ont profité des conseils de l’orateur bourgeois, et que décidément ils sont partis. Tout à coup une voix de Stentor, une véritable voix de dragon, venant de la petite auberge, nous envoie distinctement [7.2]les paroles suivantes, qui ne pouvaient s’adresser qu’aux soldats étrangers : « a notre santé, quaizerliquesi ! » Cette vive apostrophe, accompagnée de bruyans éclats de rire, surprend et arrête les cosaques. Se précipiter vers l’auberge aux fenêtres de laquelle ils avaient entrevu plusieurs uniformes français, mettre pied à terre et chercher à se frayer un passage à coups de lance (car on avait heureusement fermé toutes les issues), fut pour ces cavaliers l’affaire de quelques secondes. Mais au moment où ils allaient pénétrer de vive force, une porte cochère s’ouvre à leurs côtés ; nos cinq dragons en sortent tous à cheval, le bonnet à poil enfoncé jusqu’aux oreilles, le sabre suspendu au bras, le mousqueton à la main, et chargent, tête baissée, la formidable avant-garde qui devait les prendre comme des poissons dans un filet. Au premier choc, trois Russes sont étendus sur le pavé. Le reste de la troupe, effrayé d’une attaque aussi brusque, et croyant éviter une embuscade, rentre précipitamment dans la ville ; les dragons les y suivent et parviennent jusqu’à la place du Collège, où les fuyards perdent encore un des leurs. Peut-être ces 25 cosaques eussent tous payé de la vie l’imprudente reconnaissance qu’ils avaient tentée sur la route de Paris, si leurs compagnons n’étaient accourus au bruit des détonations d’armes à feu, et n’avaient prévenu les assaillans par un épouvantable houra, qu’il était temps de battre en retraite. Les dragons, quoique engagés assez avant, firent promptement volte-face ; le chemin de Turique, qu’ils trouvèrent au faubourg Stanislas, les eut bientôt dérobés à la poursuite de l’ennemi. Un mois après environ, le 18 février, à l’approche de la nuit, ces cinq braves mouraient au pont de Montereau, pour préserver la France du joug odieux de l’étranger, qui pèse encore aujourd’hui sur elle ! (Patriote Franc-Comtois.)
i. A cette époque, les soldats français donnaient indistinctement la dénomination de quaizerliques à tout ce qui appartenait aux armées étrangères.
INSTRUCTION POPULAIRE. EN VENTE Dans les bureaux du Précurseur, de la Glaneuse, de l’Écho de la Fabrique, chez baron et babeuf, libraires. NOUVEAU CATÉCHISME RÉPUBLICAIN, Indiquant à tout citoyen ses droits, ses devoirs et la forme de gouvernement qui convient le mieux à la gloire et au bonheur d’un Peuple. et la manière de l’établir. Par un Prolétaire. Brochure in-8° de 90 pages. Prix : 60 c.
louis babeuf, rue st-dominique. en vente : DE LA COALITION des chefs d’ateliers de lyon, Par Jules Favre, avocat. prix : 75 centimes. Au bureau de l’Echo de la Fabrique, et chez tous les libraires.
AVIS DIVERS.
[8.1](276) A VENDRE, grand atelier de lisage, composé de cinq lisages, deux repiquages, dont il y en a un de 1,056, 744, deux 600 et un 400 ; avec une bonne clientèle. S’adresser au bureau du journal. (278) A VENDRE, un métier 5/4 monté d’une mécanique en 900, et une de 80 crochets, propre à la fabrication des crêpes de Chine façonnés. S’adresser à MM. Charel frères, maison Ricard, place Croix-Paquet, n° 11. -
A VENDRE, deux métiers dont un en 6/4, mécanique en 740, et l’autre en 5/4, mécanique en 400, tout montés. S’adresser à M. Dumas, rue Tronchet, n° 1, au 2e. -
A VENDRE à sacrifice, pour cause de départ, en totalité ou en partie, une jolie boutique de trois métiers crêpes de Chine damassé, 5/4 et 6/4, ustensiles de fabrique et de ménage, lits d’ouvriers, lit bourgeois, poêle, balances, outils, etc. S’adresser chez M. Raumieux, rue des Fossés, n° 8, au 4e, à la Croix-Rousse. -
A VENDRE, plusieurs battans de rubans à double boîtes, faits par Guépot ; navettes de rubans. S’adresser chez Lablanche, rue Dumenge, n° 8, au premier.
(284) AVIS AUX FABRICANS DE CHALES. mercier, serrurier, fabrique des tampias en fer à 7 fr. pièce et à 72 fr. la douzaine. Il demeure rue Condé, à Perrache, à côté des Bains. (277) PAR BREVET D’INVENTION. Les sieurs machizot Machizot, à la Croix-Rousse, et malozay, rue Vieille-Monnaie, n° 8 (mécaniciens), font des mécaniques à cannettes, selon le nombre de bouts que l’on désire, sans balles aux broches ni demoiselles, et dont la cannette s’arrête aussi promptement que l’éclair dès qu’un bout vient à casser ; en outre, l’attention des bouts est beaucoup plus fidèle qu’à celles qui ont été faites jusqu’à ce jour. Ils font également des mécaniques rondes dans un genre nouveau, qui surpasse celles qui ont paru jusqu’à présent ; elles ont pour avantage une très grande douceur, par la suppression de tous les engrenages, bâton rompu et volans à lentilles. Les inventeurs osent se flatter du succès de leur entreprise, vu les grandes améliorations qu’ils ont apportées à ces genres de mécaniques. (280) A VENDRE à l’amiable, une belle propriété entre Autun, Châlon-sur-Saône et Beaune, près le canal du Centre et la route de Paris à Lyon, dans une position agréable, consistant en une belle maison de maître, réparée et décorée tout à neuf ; logemens de fermiers et de vignerons, cours, jardins, pressoirs, foudres et cuves ; caves pouvant contenir ensemble près de mille pièces de vin, vinées, écuries et granges, d’une superficie d’un hectare cinquante ares ; cinquante hectares ou cent quarante-six journaux de terres ; vingt hectares ou quatre cent soixante ouvrées de vignes ; vingt-un hectares ou soixante-une soitures de prés ; et vingt-six hectares ou cinquante arpens de bois taillis. Il dépend de cette propriété un moulin à eau, placé avantageusement et bien achalandé. La maison de maître pourra être vendue meublée ou non-meublée, au choix de l’acquéreur. S’adresser, à Paris, à M. Maurice Richard ; A Autun, à M. Chauveau-Picard ; Et à Couches, à Me Moulinet, notaire, dépositaire des plans de la propriété. (275) VENTE VOLONTAIRE AUX ENCHÈRES, D’une propriété située à Lyon, près de l’escalier du Change. Le mercredi 30 octobre prochain, à dix heures du matin, il sera procédé, en l’étude et par le ministère de Me DUGUEYT, notaire à Lyon, à la vente aux enchères, en deux lots, d’une propriété située à Lyon, près de l’escalier du Change, consistant en trois corps de bâtimens sur le derrière, avec cour et jardin, d’un revenu annuel de : Premier lot : maison de trois étages, cour et jardin du revenu de : 500 fr. Deuxième lot : maison de 4 étages et bas voûté, petite maison attenante de deux étages et rez-de-chaussée, du revenu de : 800 fr. S’adresser, pour les renseignemens, en l’étude de Me DUGUEYT, notaire, place du Gouvernement, n. 5, chargé de traiter de gré à gré avant le jour indiqué pour la vente. Toutes facilités seront accordées pour les paiemens. [8.2]Mme Vaël de Lyon, actuellement a la croix-rousse, grande-rue, n° 13. Tient magasin de lingerie, mercerie en tout genre, bas, bonnets, indiennes pour robe et pour ameublemens, mousseline, calicot, coutil pour tentes ; assortiment de gilets, jupes de laine et mérinos de toutes couleurs ; couvertures en laine et coton ; chemises d’hommes, cols, cravates, foulards, etc. : le tout à des pris extrêmement avantageux. (273) (265) A VENDRE, un pliage pour plier les poils de peluche par fil. S’adresser à M. Bourget, montée du Garillant, n. 7, au 1er. (271) Jolie mécanique ronde à dévider, presque neuve, à la David, à 8 guindres, à vendre au prix de 80 fr. ; s’adresser chez M. Theullier, rue de Thou, n. 4, au 3e. (270) A vendre un fonds de café-cabaret, situé rue Tholozan, n. 7. S’y adresser. (269) A vendre 2 métiers à la jacquard en 400, tout prêts à travailler. S’adresser chez M. Gotaille, rue du Bœuf, n. 10, au 3e, sur le derrière. (268) On demande, dans un pensionnat situé à 12 lieues de Lyon, un maître d’écriture. Il aura au moins 400 fr. par an, la nourriture et le logement. S’adresser au bureau du Journal. (256) A vendre, 8 rateaux pour la fabrique, et une mécanique en 900. S’adresser à M. Thivolet, rue des Tapis, en face de la porte des Chartreux. (264) A vendre à juste prix, un régulateur à roue, sans fin, avec son rouleau, planche d’arcade, plombs, maillons et arcades. S’adresser à madame veuve Sorlié, rue des prêtres, n. 24, au 3e, 2e escal. (266) ADDITION DE BREVET D’INVENTION. tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n. 8, vient d’ajouter un nouveau procédé à ses cannetières, plus simple et plus sûr que tout ce qui a paru jusqu’à ce jour. Il consiste non-seulement à arrêter la cannette lorsqu’un des brins casse, mais encore à les rendre tellement égaux, qu’on les dirait collés ensemble. Il supprime les demoiselles et les plombs pour charger les roquets. On peut les voir en activité, chez le sieur gret, rue Tholozan, n. 20. Bibliothèque Populaire.1 La 11e livraison de cet intéressant ouvrage vient de paraître ; elle se compose : 1° du dernier volume du Dictionnaire français, ouvrage en caractère très fin et fondu exprès, contenant trois mille mots de plus que le Dictionnaire de l’Académie. 2° Six vol. de l’ Histoire de France, par Auguste Savagner ; ouvrage remarquable par le style concis et précis de son auteur. 3° 1er vol. de l’Histoire de Paris, par Eugène de Monglave ; ouvrage faisant suite à l’Histoire de France. 4° Révolution de Perse, par Bonvallot, professeur au Collège-Charlemagne, formant un complément à la collection de l’Histoire Ancienne. 5° Petit Vocabulaire de simple vérité, par M. de Sénancourt ; ouvrage adopté par la Société pour l’instruction élémentaire. 6° Droits et devoirs municipaux (lre partie), par Savagner père, ancien magistrat. Cet ouvrage est également adopté par la Société pour l’instruction élémentaire. Ces deux derniers ouvrages ont obtenu de l’Institut une médaille d’or, prix Monthyon, destiné aux ouvrages les plus utiles aux mœurs. Prix de la collection entière, 120 vol. : 40 fr. Papier vélin, 45 f. Chaque volume séparé, 40 c. – 66 vol. ont paru. HISTOIRE DE NAPOLÉON, par auguste SAVAGNER, Faisant partie des 53 et 54 volumes de la bibliothèque populaire. 2 vol. in-18 pour 75 c. Pour éviter tout retard et frais de demande, s’adresser au bureau de cette feuille, et à M. falconnet, correspondant, rue Tholozan, n° 6.
Notes ( EXTRAIT DU COURRIER DU BAS-RHIN.)
. C’est en 1786 qu’avait été conclu le traité d’Eden entre la France et l’Angleterre. Prévoyant une réduction des droits de douane, il dessinait une nouvelle alliance commerciale entre les deux pays qui sera saluée par de nombreux observateurs, dont le comte Honoré de Mirabeau (1749-1791).
Notes (LES UNIONS DE COMMERCE. Ces unions...)
. Dans son ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations (1776), Adam Smith expliquait qu’il était plus facile pour les patrons que pour les ouvriers de créer des coalitions. Il avançait deux arguments principaux : le faible nombre des patrons, leurs intérêts convergents. En outre, Smith estimait que dans un « état progressif » où leurs bras allaient le plus souvent être nécessaires à l’accroissement de la richesse générale, les ouvriers avaient une moindre nécessité à se coaliser. Quelques années plus tard, les autorités anglaises, effrayées par les débordements de la Révolution française, allaient plus prudemment décider, par les Combination Acts de 1799 et 1800, d’interdire les coalitions ouvrières. . Le Halifax Guardian était le journal libéral de la ville, créé en 1832.
Notes ( Variétés.)
. Il s’agit ici du maréchal Claude-Victor Perrin, dit Victor (1764-1841).
Notes (AVIS DIVERS.)
. Volumes mentionnés dans ces « Avis divers » et publiés dans la Bibliothèque populaire en 1833 : Eugène Garay de Monglave, Histoire de Paris ; Savagner (père), Droits et devoirs municipaux des Français ; Antoine-François Bonvalot, Révolutions de la Perse ancienne et moderne ; Étienne de Sénancourt, Petit vocabulaire de simple vérité.
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