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13 octobre 1833 - Numéro 41
 
 

 



 
 
    
OUVRIERS FONDEURS.

[4.1]Treize ouvriers, prévenus de coalition, comparurent le mois dernier devant le tribunal de première instance.

Cinq d?entr?eux, les nommés Souquière, Dellemotte, Duchail, Durand et Compoint furent condamnés à trois jours de prison. Appel a été interjeté par eux de ce jugement ; cet appel est appuyé d?un mémoire justificatif rédigé par Alexandre Dumoulin, ouvrier fondeur, au nom de tous ses camarades. Cet écrit, qui fait le plus grand honneur à l?intelligence de la classe ouvrière, présente les faits sous un tout autre jour que celui sous lequel ils avaient paru en première instance.

Ainsi, il résulte des faits exposés par les appelans et dont ils fournissent toutes les preuves désirables, que c?est M. Simonet, maître fondeur, rue de la Perle, qui, le 13 mai, aurait convoqué chez Goupy, restaurateur du boulevard du Temple, une ligue offensive des maîtres contre les ouvriers. Cette réunion eut lieu à propos des trois momens de sortie par jour dont les ouvriers fondeurs ont joui de tout temps pour garantir leur santé des effets d?un travail insalubre, des gaz délétères qu?ils respirent continuellement dans leurs ateliers, et de la chaleur des étuves et fourneaux qu?on élève toujours à une température excessive. Cette faculté de sortir pour respirer avait d?abord été fort restreinte par le sieur Simonet, qui la supprima enfin complètement après la révolution de juillet. Après avoir excessivement souffert de cette rigueur, par suite de laquelle plusieurs d?entre eux étaient, à diverses reprises, tombés malades, les ouvriers chargèrent Arnaud Fontaine, leur contre-maître, d?en demander le rétablissement dans les termes les plus convenables ; mais au lieu d?écouter cette réclamation, M. Simonet ferma ses ateliers à une trentaine de pétitionnaires qu?il eut soin de signaler à ses confrères, dans la réunion qui eut lieu chez Goupy, comme les principaux moteurs de la soi-disant cabale, leur faisant en outre promettre de ne pas les employer dans leurs établissemens.

L?interruption de travail dont les ouvriers fondeurs de M. Simonet, se trouvèrent frappés pendant une huitaine de jours par suite des injustes rigueurs du maître, engagea leurs camarades à se réunir au nombre de 500 à la barrière des Amandiers pour leur allouer des secours.

Cependant les travaux avaient repris, mais chaque jour les ouvriers avaient de nouveaux sujets de plainte, et leur mécontentement ne connut plus de bornes à l?arrivée d?un contre-maître, le nommé Freckain, qui, précédemment employé chez M. Simonet, avait encouru l?animadversion de ses camarades, par son despotisme et sa dureté. Il est établi par témoignage que pendant l?hiver de 1830, lorsque tant d?ouvriers sans pain allaient demander aux inutiles travaux du Champ-de-Mars de quoi ne pas expirer de besoin, Freckain, alors contre-maître chez M. Simonet, enchérissait encore sur l?abaissement des salaires que ce dernier faisait subir à ses ouvriers. Il était dur et insolent : Qui est-ce qui a faim ? criait-il au milieu de l?atelier, en sous-offrant des travaux à vil prix. Freckain étant rentré chez M. Simonet vers l?époque des dissensions, quoique le premier il eût conseillé de n?y plus travailler, fut charivarisé par ses camarades qu?il avait maltraités et humiliés. Sur la plainte du sieur Simonet, six ouvriers pères de famille, furent jetés en prison parmi les voleurs, et après quarante [4.2]jours de dépôt dans ce cloaque comparurent avec sept autres sur les bancs du tribunal.

C?est tant à raison de la coalition alléguée par le ministère public, qu?à raison des faits du charivari, que furent condamnées les cinq personnes que nous avons nommées.

Me Bethmond, qui avait déjà défendu les ouvriers en première instance, leur a prêté encore devant la cour l?appui de son talent. La cour, considérant que la prévention n?était pas suffisamment établie, a infirmé le jugement et déchargé les ouvriers de la condamnation portée contre eux, sans frais ni dépens. Cet arrêt a été accueilli par des applaudissemens.

Cette affaire a présenté un singulier incident, que nous ne pouvons passer sous silence.

L?un des ouvriers arrêtés porte un nom très peu différent de celui d?un individu condamné en 1822 à une peine infamante, et, par hasard, tous deux ont les mêmes prénoms, et sont nés dans le même département, quoique dans deux villages à onze lieues de distance. Soit par une confusion assez naturelle, soit par une odieuse malveillance, la police d?abord, puis certains adversaires des ouvriers, ont répandu dans les ateliers que l?ouvrier dont il s?agit était l?individu condamné et flétri. Le caractère bien connu de cet ouvrier a suffi pour le défendre contre de trompeuses apparences et contre de calomnieuses imputations. Néanmoins, si ces imputations avaient été répandues dans un lieu public, l?honnête homme qui s?en trouvait l?objet en aurait demandé judiciairement réparation. Du reste, cette réparation ne lui a pas manqué, car, devant le tribunal le procureur du roi, et devant la cour l?avocat-général et le président, ont solennellement proclamé l?erreur, et rendu hommage à la vérité ; ? et c?est avec joie que les ouvriers fondeurs ont vu reconnaître qu?ils n?avaient à rougir d?aucun d?entr?eux.

(Le Populaire.)

 

 

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