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20 octobre 1833 - Numéro 42
 

 




 
 
     

M. Marius Chastaing.

Voici venir le prospectus d’un nouveau journal, l’echo des travailleurs1. – C’est M. Marius Chastaing, EX-RÉDACTEUR EN CHEF de notre journal, entonnant sur nous l’office des morts !!!

Oh ! sots que nous étions, d’ignorer que nous fussions malades ! – Sots, que nous sommes, de nous croire encore vivans !

Si cet écrivain se présentait aujourd’hui comme jadis se présentèrent les fondateurs de l’Echo, en hommes loyaux, dévoués et courageux, nous l’accueillerions en frère.

S’il ne s’était pas permis envers les actionnaires de notre journal une imputation à la fois mensongère et calomnieuse, nous lui laisserions retirer tout le fruit des choses ridicules et peu délicates qu’il débite avec tant de talent, et si complaisamment contre nous ; mais ce que nous ferions pour nous, devons-nous le faire pour les hommes qui nous ont investi de leur confiance, et dont nous sommes l’organe ? Non, certainement ; nous manquerions à notre devoir.

« Nous aurions voulu ne pas nous séparer de l’Echo de la Fabrique (dit M. Chastaing), mais un point important nous séparait de quelques-uns de nos collègues actionnaires. »

Et ce point, selon son dire, aurait été l’émission trop franche de principes républicains ! – Cette assertion est complètement fausse ; car le jour où les actionnaires de l’Echo de la Fabrique crurent devoir nous appeler à le remplacer, ce jour-là même (présent M. chastaing), [1.2]la rédaction du journal fut approuvée à l’unanimité moins UN ! – Ainsi qu’il cherche ailleurs le point important qui le séparait de quelques-uns de ses collègues actionnaires ; peut-être le trouvera-t-il. – Pour nous, qui n’avons mission ni de le chercher, ni de le dire, nous n’irons pas plus loin.

Nous repoussons encore comme une imposture, cette imputation dirigée contre les actionnaires de l’Echo de la Fabrique : – qu’ils auraient voulu ou voudraient que leur journal fût fermé soit aux griefs, soit à la représentation des intérêts de toute autre classe de travailleurs : cette supposition, toute gratuite de la part de M. chastaing, est une accusation d’égoïsme que repoussent victorieusement le patriotisme et le bon sens des citoyens que son prospectus présente au public comme des hommes rétrogrades. – Pitié et mépris pour une telle assertion.

Maintenant, qu’il plaise à ce Monsieur de considérer notre journal comme un cahier de doléances ; libre à lui. – Parodiant le titre de notre journal, qu’il se croie déjà les pieds sur ses débris, élevant une tribune plus CONFORME aux besoins des travailleurs, soit. – Et, si tant est que nous ayons imprimé une nouvelle direction au journal dont la rédaction nous a été confiée, le chiffre actuel de nos abonnés nous est un témoignage contre lequel M. chastaing n’aura (nous l’espérons bien) rien à argumenter.

B......

M. Jules Favre
ET LE COURRIER DE LYON.

Nous n’aimons point à remuer des cendres dès longtemps éteintes, et notre continuel but est d’assoupir des ressentimens funestes et de réveiller l’esprit de concorde et d’association universelle qui peut seul mettre fin à nos misères industrielles. Aussi ne nous voyons-nous forcés qu’avec le plus vif regret de ramener nos lecteurs vers les scènes de deuil qui ont signalé, et le bon droit et la triste victoire des ouvriers de Lyon, dans les journées de novembre : mais nous manquerions à notre devoir si nous laissions passer sans commentaire les assertions du Courrier de Lyon, à propos de la brochure de M. Jules Favre sur le procès des Mutuellistes.

[2.1]Le Courrier de Lyon prétend que le tarif ne fut surpris qu’à un très-petit nombre de négocians, et plus loin : que la majorité des négocians, par amour pour la paix publique, se conformait provisoirement au tarif en attendant la décision de l’autorité supérieure.

Vraiment nous avons peine à être calmes et modérés en entendant ces paroles, nous qui avons été témoins des vociférations presque universelles des négocians, non contre le tarif, mais contre les ouvriers à cette époque, Nous pourrions citer un bien grand nombre de faits que nous défierions de nier et qui prouveraient d’une manière authentique l’amour de la paix publique qui régnait alors ; mais les questions ainsi posées pourraient devenir des personnalités, et jamais les colonnes de notre journal ne leur seront ouvertes, Nous adresserons seulement quelques questions au Courrier de Lyon, et nous le ferons avec brièveté et sang-froid.

Nous lui demanderons comment il se fait, puisque si peu de négocians accédaient au tarif, que pas une protestation signée n’ait paru de la part des opposans ? Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’on avait peur ; il serait commode de se réfugier ainsi dans l’infamie. Non, les négocians ne devaient pas avoir de craintes, ou du moins, forts de leur bon droit, ils devaient avoir le courage de le soutenir, Que la masse opposante se fût réunie dès la première convocation de M. de Boisset ; qu’elle eût hautement protesté contre l’établissement du tarif, et que cette protestation, signée de tous, eut paru dans tous les journaux ; que les délégués eux-mêmes, au lieu de laisser faire en dehors d’eux une longue protestation dont l’auteur priait qu’on voulût bien taire le nom ; que les délégués eussent dès le lendemain déclaré que la réunion inoffensive, sans doute, mais certainement imposante des ouvriers, avait laissé entrer la méfiance et la crainte dans leur ame ; que tous enfin eussent hautement et publiquement protesté contre ces expressions de librement débattu et consenti, oh ! alors, nous le concevons, ils seraient bien venus à venir lancer anathème contre les ouvriers qui auraient réclamé l’exécution d’une promesse arrachée par la violence, d’un pacte particulier qui n’était de nature à engager que ses signataires ; mais comment veut-on que lorsque les ouvriers ont vu affiché sur tous les coins de murs : tarif librement débattu et consenti par les délégués des ouvriers et des négocians, comment veut-on qu’ils aient pu deviner que, in petto, ces mêmes négocians désapprouvaient, honnissaient le tarif qu’on affichait en leur nom ; comment veut-on, qu’éprouvant de toutes parts le refus d’observation du tarif par ceux qui les croyaient dégagés par leur silence, les ouvriers n’aient pas cru à une flagrante violation du droit des gens, à une mauvaise foi insigne et calculée ? Qu’on réponde à cette demande, qu’on nous prouve que l’absence de protestations publiques n’a pas dû prouver aux ouvriers l’authenticité de la convention, et alors nous nous reconnaîtrons dans notre tort ; mais jusque-là nous avons droit de demander compte de nos désastres à ceux qui, par faiblesse, nous voulons bien le croire, plutôt que par perfidie, furent cause de tant de malheurs.

De la Caisse de Prêts.

Comme nous l’avions espéré, la commission exécutive de la caisse de prêts s’est empressée de nous donner tous les renseignemens les plus minutieux sur son administration, afin de nous éclairer et nous convaincre [2.2]que les rapports qui nous avaient été faits à son égard, et qui furent le sujet d’un article contenu dans notre dernier numéro, étaient inexacts. De même notre devoir nous obligeait à signaler les divers griefs qui pesaient sur son compte et qui ont été méchamment répandus dans le public, notre impartialité nous oblige aussi à rétablir les faits dans toute leur exactitude. Il n’est donc point vrai que la commission exige des renseignemens humilians sur la conduite privée et publique des personnes qui ont recours à la caisse de prêts ; les nombreux rapports qui nous ont été mis sous les yeux ne servent qu’à constater que l’emprunteur est bien chef d’atelier, et que la déclaration qu’il a faite est exacte, selon l’expression de l’art. 12 de l’ordonnance royale ainsi conçue ;

« Tout chef d’atelier qui désirera obtenir des avances de la caisse de prêts, déposera entre les mains de l’agent-comptable, ou tout autre à ce préposé, une demande par écrit, adressée à la commission exécutive, et énonçant ses noms et prénoms, le genre de fabrication qu’il exerce, sa demeure, le nombre de métiers qu’il possède ; s’il est marié ou veuf, ou célibataire ; s’il a des enfans, en quel nombre et de quel âge ; enfin, s’il est totalement ou en partie inoccupé. »

Et de l’art. 13 ;

« La commission exécutive chargera un de ses membres de prendre des informations sur l’exposé du pétitionnaire, et d’après le résultat desdites informations, elle décidera s’il y a lieu à accorder le prêt demandé, et elle en fixera la somme, laquelle ne pourra jamais excéder la valeur des métiers et ustensiles qui seraient alors en la possession de l’emprunteur. »

Ces termes de l’ordonnance n’ont, à notre avis, rien d’humiliant, et ne demandent rien autre que ce que tout prêteur est en droit d’exiger. Nous avons eu lieu de nous convaincre que la commission n’en a jamais exigé davantage ; et nous espérons que les bruits faussement répandus s’éteindront, et que les chefs d’atelier ne répugneront plus à s’adresser à elle dans leurs besoins. Nous saisissons cette occasion pour prévenir les personnes qui voudraient adresser leurs demandes à la commission, de le faire un peu d’avance pour ne pas éprouver un retard qui ne peut, dans tous les cas, excéder huit jours.

B......

La lettre suivante vient à l’appui de nos renseignemens :

Monsieur le rédacteur,

Nous nous empressons de répondre à votre article concernant la caisse de prêts, en annonçant aux chefs d’atelier (nos confrères) ayant leur domicile dans nos sections respectives, qu’ils n’aient rien à craindre à l’égard de toutes informations secrètes sur le compte de ceux qui seraient dans le cas d’avoir recours à cette caisse. Chargés des renseignemens, nous nous bornons à rendre compte de la réalité de leurs déclarations, seulement en ce qui concerne leur demeure, le nombre et le genre de leurs métiers.

Nous croyons ces renseignemens suffisans, attendu que les sommes prêtées sont hypothéquées sur le travail futur par l’inscription sur les livrets de l’emprunteur. Plus, ils peuvent compter sur notre discrétion.

Agréez nos salutations empressées.

Les prud’hommes chefs d’atelier, section de fabrique :

martinon, perret, dumas, charnier, milleron, verat.

[3.1]Au nombre des causes qui soulèvent parfois des discussions irritantes entre les chefs d’atelier et les négocians, nous signalons la négligence ou la mauvaise volonté de beaucoup de maisons à faire écrire sur les livres des maîtres, en toutes lettres comme en chiffres, la date et la quotité des matières qu’elles livrent à la fabrication. Cette précaution, qui ne nécessite ni de bien grands embarras, ni une perte de temps considérable, aurait l’avantage de fixer la confiance que l’on doit avoir entre gens que des considérations d’intérêt devraient constamment faire vivre en paix, et que l’étourderie ou l’incurie d’un commis peut aisément troubler. C’est en vain que nous avons, à plusieurs reprises, appelé l’attention des chefs de maison sur cet important objet de l’administration des magasins. On a jusqu’à présent été sourds à notre voix, et nous craignons qu’il en soit long-temps encore de même si le conseil des prud’hommes ne prend enfin des mesures sévères à cet égard. Nous l’avons dit souvent, et nous le répéterons sans cesse, une jurisprudence écrite peut seule donner aux décisions du conseil toute la force nécessaire à leur exécution, et prévenir le scandale qu’offrent à chaque instant des hommes guidés par le désir immodéré des richesses, qui ne rougissent pas de pressurer l’existence des malheureux qu’ils occupent, dans l’espoir que leurs exactions passeront inaperçues, ou que le pauvre ouvrier n’osera pas réclamer dans la crainte de manquer d’ouvrage. Et voila les hommes qui crient le plus haut contre l’immoralité du peuple, et qui le traitent de tracassier.

Quand arrivera donc le temps où ceux qui sont chargés de protéger les intérêts des travailleurs, voudront s’en occuper sérieusement et les appuyer par de bonnes lois qui préviennent le mal avant de le punir, et protégeront enfin le faible contre les turpitudes du méchant ? En attendant que nos vœux se réalisent, nous engageons les chefs d’atelier à se tenir en garde et à exiger l’inscription en toutes lettres, sur leurs livres, des matières qu’on leur confie : ils éviteront par là ces discussions qui sont toujours pénibles et qui ne tendent qu’à prolonger indéfiniment l’état de guerre ouverte sous lequel nous souffrons, par l’insouciance impardonnable de nos délégués.

B......

Au Gérant.

Monsieur,

Nous nous empressons de vous signaler un grave abus qui existe dans la maison St-Olive.

Les comptes y sont réglés à chaque pièce mais ce réglement n’a jamais lieu en présence des maîtres tisseurs. Voici comment l’on procède. Le tisseur, après avoir rendu pièce, peigne, etc., etc., est invité à laisser son livre jusqu’au lendemain pour régler la dernière pièce, et cela sans lui annoncer le poids des objets qu’il vient de rendre. Mais le lendemain le tisseur est retenu soit par l’économie de son temps, et aussi par la même timidité qui ne lui a pas permis de faire la veille une réponse négative à la demande de son livre. Il attend pour cela une autre occasion. S’il a plusieurs métiers pour la maison, il arrive souvent que cette occasion d’aller au magasin pour obtenir son livre, se trouve précisément une nouvelle rendue ; alors nouveau renvoi au lendemain ; et de lendemain à lendemain, d’occasion à occasion, son livre est plus souvent entre les mains du négociant qu’il n’est à sa disposition ; enfin, il arrive tout le contraire de ce qui doit être.

[3.2]Les pesées étant seulement inscrites en chiffres, on sent quel degré de confiance exigent ces Messieurs. Que diraient-ils si un tisseur osait leur faire la demande de lui confier leur double-livre pour régler lui- même, dans son domicile, à leur insu et sans leur faire connaître le poids de sa dernière pièce et autres objets accessoires ? Tout le monde devine leur réponse à une pareille exigence ; c’est la même réponse que les tisseurs doivent faire dans ce cas.

Comme l’extirpation d’un abus ne peut s’opérer qu’avec la lenteur et tous les ménagemens désirables, les tisseurs doivent au moins exiger en échange d’un pareil degré de confiance et de soumission, qu’il leur soit délivré note du poids de la dernière rendue, et que celui des autres rendues soit non-seulement exprimé en chiffres, mais encore en toutes lettres, comme cela se pratique dans les maisons qui savent prévenir toute difficulté à cet égard. De cette manière, la confiance exigée par le négociant serait beaucoup réduite. Il est vrai qu’il y aurait bien d’autres fraudes praticables, mais n’ayant jamais supposé ce négociant capable d’aucune, nous désirons d’autres procédés, non pour anéantir cette confiance, sans laquelle il n’y aurait nulle transaction possible, mais seulement parce que toute confiance, lorsqu’elle n’est pas réciproque, est humiliante et oppressive pour l’un, et despotique en faveur de celui qui l’exige.

Nous avons l’honneur d’être, etc.

Plusieurs chefs d’atelier.

Au Même.

Monsieur .

Veuille insérer dans votre estimable journal toute la satisfaction qu’ont éprouvée les habitans de la Croix-Rousse, à la lecture de l’arrêté de M. le maire de cette commune, qui défend les jeux de hasard qui, l’année dernière, pullulaient sur la place publique et donnaient à nos enfans un scandaleux spectacle d’immoralité, et à nos ouvriers la pernicieuse occasion d’anéantir le produit d’un travail de plusieurs mois peut-être ! Honneur au magistrat qui comprend ses devoirs, et qui s’occupe avec une vigilance toute paternelle des intérêts de ses administrés. Si quelque chose cependant les a choqués, c’est ce contraste frappant que leur offrait encore l’existence du bureau de loterie que le gouvernement né des barricades devrait bien anéantir à tout jamais.

Après avoir fait l’éloge mérité de nos administrateurs, qu’il nous soit permis aussi de déverser le blâme sur ceux qui le méritent ; et que M. Prunelle, maire de Lyon, et M. Prat, commissaire central, veuillent bien nous dire pourquoi on souffre, dans un des cafés des Célestins, un jeu de loto où l’on perçoit sur les enjeux 25 p. % par cinq minutes, ce qui fait à peu près 300 p. % par heure. Quel contraste et quelle immoralité !

Agréez, etc.

ferrière, Chef d’atelier à la Croix-Rousse.

Nécessité

d’une organisation industrielle.

Il s’élève au milieu de nos sociétés civilisées, et il s’y rencontre en présence l’une de l’autre, deux difficultés qui sembleraient au premier abord devoir s’exclure mutuellement : [4.1]d’une part, difficulté de plus en plus grande, impossibilité même de trouver l’emploi régulier de toutes les forces qui se développent dans le sein de ces sociétés ; de l’autre, difficulté non moins embarrassante de faire exécuter assez de travail pour subvenir aux besoins de tous leurs membres. Ici, des populations auxquelles sont fermés les ateliers de la ville et des champs ; et aux mêmes lieux, des défrichemens, des canalisations, des exploitations utiles de tout genre négligées et omises. Tantôt des ouvriers sans travail ; d’autres fois, quoique plus rarement, des travaux sans ouvriers. Pourquoi un pareil état de choses, pour ainsi dire permanent, quand il résulte de ces lacunes de travail une lésion évidente pour la société tout entière, et notamment pour ceux-là, maîtres et ouvriers, propriétaires et prolétaires, dont les fâcheuses dissidences y donnent lieu ? C’est que les conditions du travail sont tout-à-fait mal réglées ; c’est que presque partout où le travail s’accomplit, il y a en présence deux intérêts qui composent momentanément ensemble par nécessité, mais qui, toujours hostiles au fond, saisissent chaque occasion favorable d’empiéter l’un sur l’autre. Ceci constitue ce qu’on pourrait nommer la guerre civile industrielle, flagrante aujourd’hui, et dont la prolongation compromet le sort de la société. Sans chercher à effrayer les esprits de ces conséquences extrêmes, dont il serait d’ailleurs facile de démontrer la portée ; sans s’appuyer sur ces résultats présens les plus désastreux, qui peuvent être la mort d’un plus ou moins grand nombre d’hommes pour qui, si le travail manque et s’arrête, c’est la vie même qui s’arrête et manque ; sans faire valoir ces hautes considérations d’avenir et ces puissantes raisons d’humanité, et en se bornant simplement à l’appréciation du dommage matériel que supporte la société, il serait facile de faire sentir combien chacun est intéressé à ce que l’anarchie et l’hostilité dans les relations industrielles cessent promptement.

A chaque changement dans le taux des salaires, qu’il soit réclamé par les ouvriers ou imposé par les maîtres, selon les circonstances, il y a des chômages qui n’ont de terme que lorsque la faim pousse, bon gré malgré, les uns à leurs chantiers, ou bien alors que d’impérieux besoins forcent les autres à capituler et élever les prix. Cette année, la population ouvrière de plusieurs grands établissemens a interrompu ses travaux pendant des semaines entières ; certaines corporations professionnelles, comme celle des charpentiers de Paris, ont sacrifié toute une saison, et même la saison la plus avantageuse pour leur industrie. Que de souffrances s’imposent ou se préparent pour soutenir ce qu’ils regardent comme leur droit, ces hommes qui n’ont communément devant eux que des ressources de quelques jours ; et combien d’entre eux, par suite, retombent à la charge de la société ! Le dommage causé à celle-ci est loin d’être estimé par le prix total des journées perdues. Il y faut, en tout cas, ajouter le bénéfice qu’eussent retiré de leurs entreprises les capitalistes, si les travaux qu’ils voulaient faire exécuter l’avaient été réellement.

On conçoit, d’après ces réflexions, de quelle importance il serait d’aviser à une organisation qui sût obvier à ces querelles, à ces ruptures fréquentes entre les deux agens, les deux puissances nécessaires de toute industrie, le capital et le travail. Jusqu’à ce qu’une organisation favorable à la fois à l’intérêt du maître et à celui de l’ouvrier, combinant ces deux intérêts et les fondant ensemble, ait été établie du plein gré de l’un et de l’autre, il faut s’attendre à voir se renouveler de jour en [4.2]jour les ruineuses dissentions que nous déplorons en moment. Quand les écrivains des feuilles périodiques traitent ces questions ou rapportent les événemens auxquels elles donnent lieu, les uns s’élèvent contre la tyrannie des riches, les autres contre les prétentions insatiables des ouvriers, et la plupart accusent la cupidité et l’égoïsme des hommes. Mais ces deux sentimens ne peuvent être étouffés, quoi qu’on dise ou qu’on fasse ; il reste donc aux publicistes une tâche à remplir, celle de chercher les moyens de concilier la cupidité et l’égoïsme des deux classes que ces passions rendent aujourd’hui hostiles l’une à l’autre. Vainement jusque-là prêche-t-on aux riches de ne pas exploiter les pauvres, à ceux-ci d’aimer et d’accepter le travail quand même, et de ne plus se coaliser et se liguer pour obtenir de meilleures conditions, quand ils espèrent y réussir. On a trouvé, naguère, la conduite des charpentiers de Paris d’autant plus blâmable, que leur mutinerie éclatait au moment où les travaux abondent. Mais, sans vouloir justifier les ouvriers, on peut s’étonner qu’on ait fait de cette circonstance un grief contre eux ; n’est-il pas évident, en effet, qu’ils ne peuvent faire accepter leurs conditions et dicter à leur tour la loi, que dans le moment où les travaux sont nombreux et pressés ?

De tous les faits de cette nature qui se succèdent pour ainsi dire sans interruption, résulte incontestablement la nécessité d’une réforme profonde de l’industrie, d’une organisation nouvelle du travail. L’état actuel de l’industrie paralyse la meilleure partie de ses forces, et malgré les ressources que la science lui révèle chaque jour, la réduit à une production toujours insuffisante. Cette insuffisance est d’ailleurs singulièrement accrue par un mode de distribution et de consommation des produits, le plus anti-économique possible. Dans ces derniers temps, plusieurs feuilles de province, et même quelques grands journaux de la capitale, ont adopté des vues fort sages sur les modifications à apporter dans l’ordre industriel. Mais des principes généraux ont été posés sans qu’on donnât, le plus souvent, les moyens de les faire passer dans la pratique et d’y conformer celle-ci. On a bien parlé d’un minimum à assurer à toute la population ouvrière, de la participation qu’elle devrait obtenir dans les bénéfices ; mais pour réaliser ces points, presque unanimement admis, il faut encore certaines conditions essentielles, qui n’ont été indiquées nulle part, à notre connaissance, si ce n’est dans la Réforme industrielle, publication encore assez peu répandue.

(Impartial1.)

Ouvriers menuisiers du faubourg St-Antoine.

Dans ses Nos 3 et 4, le Populaire a rendu compte de leurs discussions avec les maîtres, et notamment de leurs assemblées des 9 et 14 septembre.

Le 30, ils se sont réunis de nouveau au nombre de cent environ, sous la présidence de M. Hoctor, pour entendre le rapport de leur commission. Voici ce qui résulte de ce rapport :

Trente maîtres ont déjà signé le tarif des ouvriers ; beaucoup d’autres refusent de donner leur signature, uniquement par le motif qu’ils n’ont pas assisté aux réunions des maîtres des 5 et 12 ; mais ils reconnaissent la justice de ce tarif et déclarent l’adopter.

Quelques autres refusent aussi, non par un motif d’intérêt, mais par un sentiment de fierté exagérée. Tout fait espérer que la modération des ouvriers finira [5.1]par leur persuader que la distance n’est pas si grande entre eux et ceux-ci.

Plusieurs ouvriers proposent d’organiser une association ayant pour but de placer ceux de ses membres qui se trouvent sans travail, et de donner des secours à ceux qu’elle ne pourrait pas placer. Cette proposition est adoptée : on décide qu’en se faisant inscrire, chaque membre déposera 1 fr. 50 c.

Un grand nombre se font inscrire à l’instant même, la commission est chargée de rédiger un réglement.

On dit que plusieurs maîtres, aveuglés par la passion ou mal instruits de leurs droits, se sont rendus, le 21 septembre, chez le commissaire de police, pour dénoncer la prétendue coalition des ouvriers. On assure aussi que beaucoup de maîtres, quoique vivement sollicités, ont refusé de concourir à cette étrange démarche. On raconte enfin que le commissaire de police aurait répondu à ceux qui lui rendaient visite : « C’est vous qui vous êtes d’abord coalisé contre les ouvriers ; ceux-ci n’ont fait qu’user du droit de légitime défense : le calme et l’ordre qui ont régné dans leurs réunions ne nous ont pas donné l’occasion de les dissoudre. »

Si nous pouvions garantir l’exactitude de ces paroles, nous reconnaîtrions avec plaisir qu’il est encore quelque agent de police qui sait prévenir les désordres par sa modération ou sa justice, au lieu de les exciter par ses violences ou son mépris des lois.

Du reste, cette affaire peut fournir plus d’une leçon : elle prouve aux maîtres ou aux chefs, qu’il est dangereux de trop exiger ou de trop refuser ; elle prouve aux ouvriers que quand on sait défendre ses intérêts et ses droits avec autant de sagesse que d’énergie, on finit quelquefois par faire triompher la justice.

Puissent ces discussions ne laisser, comme nous l’espérons, entre les ouvriers et les maîtres, que des sentimens d’union et de fraternité !

(Populaire.)

Les membres de la commission pour les secours à distribuer aux blessés de novembre, sont invités à se réunir mardi, à six heures du soir, au bureau du journal.

SOUSCRIPTION

En faveur des victimes de Novembre.

Collecte faite aux funérailles de M. Rolland, chef d’atelier : 28 f. 40 c.
Aux funérailles de Mme Guillon : 2 f.
M. Bel, marchand de métiers à la Grande-Côte, après l’heureuse issue d’une affaire où ses intérêts pouvaient être compromis : 20 f.

Total: 50 f. 40 c.

SOUSCRIPTION

En faveur des réfugiés piémontais et savoyards.

Michel Louis, républicain, 75 c. Bezzefier, 70 c. Chardonnet, 1 fr. Moine, républicain, 1 fr. Velat, 50 c. Bourellon, 50 c. Bayet, 50 c. Larzallier, 30 c. Butier, 25 c. – Total : 3 fr. 55 c.

SOUSCRIPTION

en faveur d’un père de famille, ex-officier piémontais réfugié.

Un ouvrier qui connaît ses droits, 60 c. Un philippiste d’autrefois [5.2]qui a viré de bord, 50 c. Un travailleur, 50 c. Un soutien de son pays, 50 c. Trois républicains, 30 c. Un répub. qui n’est pas las de bien faire, 25 c. Un rendurci, 20 c. Krechl, ennemi des rois, 25 c. Un ami de la patrie, 10 c. Un juste-milieu converti, 30 c. Lauliat, 25 c. Joseph Duchou, 75 c. Bernard, 50 c. – Total, 5 fr. 20 c.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES,

(présidé par m. riboud.)

Audience du 17 octobre 1833.

M. le président ouvre la séance par l’installation des trois suppléans dont les noms suivent : MM. Joli, Bender et Troubat, qui ont prêté serment. C’est pour la troisième fois que ces deux derniers citoyens sont appelés à juger nos différends ; et pour le coup ils ont accepté l’honneur qu’ils avaient deux fois obstinément refusé. Nous verrons bien.

Lorsqu’il est prouvé par les enquêtes que la nourriture que donne un maître à son apprenti, est mauvaise et insuffisante, le conseil résilie les engagemens sans indemnité, et l’élève ne peut travailler que comme apprenti.

Ainsi jugé entre Thivollier et Mlle Bonin.

Lorsqu’un négociant a fait une avance à un maître, il ne peut retenir que le huitième de cette avance lorsque le maître règle ses comptes et cesse de travailler pour lui ; mais si le maître se trouve redevable par compte courant, le négociant est autorisé à retenir la somme entière.

Ainsi jugé entre Lebègue et Gavy.

Si un chef d’atelier fait traîner la fabrication d’une étoffe pendant un temps immodéré, lorsque l’infériorité des matières ne s’oppose pas à la facile exécution, le conseil fixe une journée moyenne, et au refus du maître, autorise le négociant à lever sa pièce.

Ainsi jugé entre Guicher et Deloche.

Delrieux, maître poêlier, fait appeler Ladone, son ouvrier, pour exiger de lui l’exécution d’une convention sous seing-privé, par laquelle Ladone s’engage à travailler l’espace de six années chez Delrieux, à titre d’ouvrier. Le conseil déboute Delrieux de sa demande, vu l’art. 15, titre 3 de la loi du 22 germinal an 11, et 12 avril 1803, ainsi conçu :

« L’engagement d’un ouvrier ne peut excéder une année, ou bien qu’il ait un traitement et des conditions stipulés par acte exprès. »

Considérant que l’acte précédemment indiqué doit être fait et signé double par les deux parties, pour qu’il reçoive son entière exécution ;

Considérant que celui passé entre les sieurs Delrieux et Ladone ne se trouve pas conforme à l’esprit de la loi, attendu que l’une des parties ne sait pas signer, et que pour lui donner une authenticité il aurait dû être fait et passé devant un officier public ; le conseil déclare ledit acte ou convention nul et non avenu.

L’audience de lundi a offert plusieurs causes d’intérêt. Des chefs d’atelier ont réclamé contre leurs dévideuses à l’égard des soldes de matières, prétendant avoir le droit d’exercer sur le dévidage une retenue proportionnée à la valeur du solde. Le conseil a débouté les chefs d’atelier de leur demande, attendu le défaut de preuves.

Le conseil, dans cette circonstance, ne pouvait décider [6.1]autrement. Cette décision nous autorise à demander pourquoi les prud’hommes, dans leur décision arbitrale concernant le décrouage (affaire Douillet et Auguste Dépouilly), ont statué sur cette importante question malgré toute absence de preuves ? Les négocians auraient la prérogative d’être crus sur leur simple attestation de la probité de leurs mouliniers ? L’on conçoit qu’il n’est pas possible de se rendre compte d’un pareil arbitrage ; aussi le considérons-nous comme un pas rétrograde au préjudice de l’honneur et des intérêts du chef d’atelier, attendu que jusqu’à présent le conseil avait débouté de sa demande tout négociant qui réclamait pour obtenir la perte éprouvée au décrouage, considérant que le défaut de preuves ne leur permettait pas de statuer autrement.

Billon et Candi demandent une indemnité à cause du retard éprouvé à la fabrication d’une pièce. Le chef d’atelier Chassin répond que, ne recevant que 1 fr. 10 c. de façon par mouchoir, il s’est décidé à accorder 1 fr. au compagnon. Ce sacrifice seul lui a permis de trouver un ouvrier qui voulût se charger de fabriquer ces mouchoirs, et a déclaré n’en pouvoir rendre que 11 par semaine. Nous engageons le chef d’atelier à faire une enquête aux fins de s’assurer que 11 mouchoirs fabriqués dans une semaine, exigent un travail assidu, et se constituer lui-même réclamant à titre de lésion ; et s’il n’obtient pas un supplément de façon, il doit rester autorisé à faire lever la pièce en cédant son rouleau de derrière, vu que la chaîne est un organsin crêpe.

Nul n’étant tenu de faire l’impossible, la loi résiliant tout contrat de ce genre, le chef d’atelier doit être à l’abri de toute action en dommage intentée contre lui par le négociant.

Littérature.
LE CANUT.

air du Contrebandier.

Je suis canut, et gaîment je m’applique
Aux nouveautés, aux articles de goût ;
Je suis joyeux, quand j’ai dans ma boutique,
Crêpes, zéphirs, et gaze marabout,
Ou quadrillés écossais pour doublure
Pour les manteaux de plus d’un élégant ;
Pourtant le froid tous les hivers j’endure,
Ah ! mes amis, ah ! combien c’est vexant.
On rit des arts, on rit de l’industrie,
Au ridicule on livre le talent ;
Voila pourquoi le fleuve de la vie
Pour l’ouvrier coule si lentement.

Je fais aussi des velours qu’on admire,
Coupés, frisés, unis ou façonnés,
Des schals brochés, des robes cachemire,
Et des courans sur des fonds satinés.
Que diriez-vous pourtant que me prépare
Le vieux Destin pour prix de mon talent ?
Rien, rien, non, rien ; l’égoïste est avare,
Ah ! mes amis, ah ! combien c’est vexant.
On rit, etc.

Pour conserver le teint frais de nos belles,
Sur mon métier je monte tour à tour
Fin parapluie, élégantes ombrelles,
Colliers mignons pour nos dames de cour ;
Puis du banquier je décore la panse.
D’un beau gilet, d’un épais gourgourand ;
Et cependant je touche à l’indigence,
Ah ! mes amis ! ah ! combien c’est vexant
On rit, etc.

[6.2]Je fais pour ceux qui portent la tonsure
La serge noire à quatre fils en dent ;
Pour le proscrit, j’ai l’écharpe à bordure
A bouquet vert semé sur un fond blanc ;
Je fais aussi gros satin pour culotte,
Pour le clergé, les prélats de haut rang,
Et cependant je suis un patriote,
Ah ! mes amis ! ah ! combien c’est vexant
On rit, etc.

Je fais encor pour la beauté légère
Des fonds sablés sur des dessins nouveaux,
Le taffetas pour l’aimable bergère,
Pour le dandy peluche pour chapeaux ;
Pour le guerrier qui défend sa patrie
Je fais aussi le glorieux ruban.
J’embellis tout, et pourtant on m’oublie,
Ah ! mes amis ! ah ! combien c’est vexant
On rit, etc.

ratelade, chef d’atelier1.

Nécrologie.

le garde de génie saint-jacques.

Pasquals (Jacques-Antoine), dit Saint-Jacques, garde du génie de 1re classe, naquit à Saliani (Sardaigne), le 25 juillet 1778. Entré le 27 août 1799 dans la 9e compagnie de mineurs, il fit partie de la garnison de la citadelle de Turin, assiégée en l’an 8, et y reçut plusieurs blessures. Il se trouva successivement au camp de Boulogne, en Hollande, à Vesel, et assista en 1809 au mémorable siège de Saragosse. Nommé garde provisoire du génie le 1er février 1810, c’est en cette qualité qu’il fut chargé, en 1813, de la direction des travaux de défense du château de Monzon, en Arragon. Ce petit fort était occupé par 90 gendarmes à pied, 4 canonniers et 1 caporal, 3 officiers, 1 chirurgien, et le garde du génie Saint-Jacques. Ces cent braves résistèrent avec un courage inébranlable à trois mille hommes de la troupe de Mina, depuis le 27 septembre 1813, jusqu’au 14 février 1814. Outre la direction des travaux de la place, Saint-Jacques fut encore chargé de la distribution des vivres et de la surveillance des subsistances.

Aussitôt qu’il aperçut l’ennemi, il tira de la ville tout ce qu’il put se procurer pour l’approvisionnement du fort ; mais les Espagnols ayant montré l’intention d’attaquer par les mines, il sentit l’insuffisance de ses ressources. Dénué de chandelles et des outils nécessaires pour établir des contre-mines, il eut recours à son industrie et à celle de son monde pour subvenir à tout : il fit tuer les bœufs de l’approvisionnement pour avoir la graisse nécessaire à la confection de la chandelle, et désigna un canonnier, qui était forgeron, pour la fabrication et la réparation des outils ; une bombe servit d’enclume et une peau de bouc servit de soufflet. Onze gendarmes de bonne volonté et le caporal de canonniers furent destinés à faire le service de mineurs sous sa direction. Il arrivait souvent que Saint-Jacques se servait de toute la garnison, nuit et jour, pour protéger les mineurs et les autres attaques ; alors il faisait travailler les femmes de la garnison à déblayer les terres des contre-mineurs ; le reste du temps elles étaient employées à la manutention. Il leur faisait aussi démolir les cartouches d’infanterie, afin d’avoir la poudre nécessaire pour les contre-mineurs.

Le 27 septembre 1813, l’ennemi vint camper sur un plateau à 900 toises du château, et, la nuit suivante, [7.1]il prit position dans la ville. Le lendemain, il attaqua les avant-postes et força les assiégés à se renfermer dans le fort, dont il commença le siège le 11 octobre, par un feu très vif. Les Français répondirent avec avantage à l’artillerie ennemie jusqu’au 20, et lui démontèrent plusieurs pièces. Pendant tout ce temps, Saint-Jacques avait travaillé activement avec les mineurs. Le 29, il propose au commandant du fort de faire une fausse attaque, et de battre ensuite en retraite pour attirer l’ennemi sur une contre-mine qu’il a conduite de manière à se trouver entre deux mines que les assiégeans ont dirigées contre le fort. Le commandant fait exécuter ce qui lui est conseillé, et à l’instant où l’ennemi est en foule sur la contre-mine, Saint-Jacques y met le feu, détruit les deux mines qui menacent le fort, et y fait périr un grand nombre de mineurs et de paysans.

Le 23 novembre, une nouvelle contre-mine détruit encore une mine de l’ennemi et lui cause une perte d’hommes considérable. Le 3 décembre, Saint-Jacques entre dans une mine par la contre-mine qu’il a dirigée, en chasse les Espagnols, leur tue un grand nombre de soldats et de travailleurs, et s’empare des outils. Treize jours après, il descend du fort avec ses mineurs, la garnison sous les armes et sur les remparts pour les protéger ; il entre dans une mine qui communique à deux autres, rencontre les Espagnols retranchés à l’embranchement, les repousse, et se rend maître des trois mines à force d’obus et de grenades à main. Le combat dura pendant quatre heures dans les souterrains. Malgré le feu de l’artillerie et de la mousqueterie de l’ennemi, qui revenait plusieurs fois à la charge, il lui empêche l’entrée des mines, en coupant à la sape le dessus des rameaux, et en y faisant tomber les terres. Ces rameaux se trouvaient de 9 à 45 pieds de distance du mur du fort. La retraite étant, par ce moyen, coupée aux mineurs espagnols, ils périssent enterrés sous les ruines de leur ouvrage, ainsi que les soldats qui le défendaient et les paysans qui y travaillaient. Cette victoire produisit un grand nombre d’outils, de sacs et de paniers à transports, dont la garnison manquait entièrement. Dans l’action, Saint-Jacques fut blessé à la tête par un éclat d’obus.

Cette guerre souterraine se continue ainsi à l’avantage des assiégés, qui, presque chaque jour, font éprouver de nouvelles pertes à l’ennemi, soit en s’emparant de vive force des mines qu’il dirige vers le fort, soit en y détruisant des mineurs et des travailleurs. Enfin, le 18 février, l’ennemi veut parlementer et déclare que, les places de Lérida et de Mequinenza n’étant plus au pouvoir des Français, ce qui était vrai, la garnison du fort doit se rendre prisonnière de guerre. Celle-ci refusa d’obtempérer à cette sommation, et ne consentit à sortir qu’avec armes et bagages, 40 cartouches dans chaque giberne, emmenant avec elle une pièce de canon chargée et mèche allumée tout le long de la route, jusqu’à sa jonction avec l’armée française de Catalogne ; elle exigeait de plus un approvisionnement de 60 coups, dont 39 à mitraille et 30 à boulet. L’ennemi consentit à ces demandes ; mais il viola ensuite la capitulation, dont les conditions ne furent respectées que jusqu’à Lérida. Là, fort de 5,000 hommes et de plusieurs pièces de canon, il obligea cette poignée de braves à mettre bas les armes, et après les avoir dévalisés, il les conduisit à Taragone.

On vient de voir qu’après avoir établi des batteries, les assiégeans pratiquèrent successivement des mines, au nombre de 13, pour s’approcher du fort. La défense [7.2]consista donc principalement dans les travaux qu’il fallut opposer aux mines ; par-là, Saint-Jacques en devint le directeur et en fut véritablement l’âme. On ne sait, dit le maréchal Suchet dans ses Mémoires1, ce qu’on doit le plus admirer, ou de la manière dont un employé d’un grade aussi subalterne sut gagner la confiance la plus entière de la garnison, ou de la judicieuse déférence que le commandant du fort eut pour ses avis et ses lumières, ou du dévoûment sans bornes avec lequel les gendarmes se portèrent à faire tous les métiers que réclamait la défense dont ils étaient chargés. Dans son inexpérience de ce genre de guerre, la garnison n’eut pour conseil et pour guide qu’un simple garde du génie ; mais, animée et électrisée par les traits d’imagination et le courage de cet homme intrépide, elle aborda sans hésiter tous les travaux ; elle affronta tous les dangers, et exécuta avec succès toutes les chicanes d’un siège. L’expérience que Saint-Jacques avait acquise dans le service des mines lui fut sans doute d’un grand secours, mais c’est à la sagacité avec laquelle il sut en tirer parti, et au talent qu’il déploya dans la conception et l’exécution de ses plans que la défense de Monzon dut sa constante supériorité sur l’attaque. C’est ainsi que les événemens de la guerre peuvent amener des militaires de grades inférieurs à remplir des rôles très importans.

Pendant les quatre mois et demi que dura ce siège, la perte de l’ennemi fut de 460 hommes hors de combat ; la garnison du fort n’eut que dix hommes tant tués que blessés. 90,000 fr. furent employés aux travaux de l’attaque. Les habitans de Monzon ont conservé et conserveront encore long-temps le souvenir de ce siège, dont ils ne parlent qu’avec admiration.

Rentré en France après la paix de Paris, Saint-Jacques resta en subsistance dans le second bataillon de mineurs, à Grenoble. Nommé garde du génie de troisième classe le 9 mai 1815, il fut employé, depuis cette époque jusqu’au 5 juillet même année, aux travaux de Paris. Naturalisé Français par ordonnance royale du 3 avril 1816, et promu garde de 2e classe le 27 décembre 1816, il fut employé successivement à Grenoble et à Clermont-Ferrand. Malgré ses longs services, ses campagnes et sa belle défense à Monzon, il ne fut nommé chevalier de la Légion-d’Honneur que le 13 avril 1823. Quant il reçut son brevet de garde du génie de 1re classe, le 1er avril 1829, il était employé de nouveau à Grenoble. C’est là que, préposé à la surveillance des travaux d’un fort, il tomba, le 5 juillet 1833, dans un des fossés creusés dans un rocher, à une profondeur de 20 pieds ; il mourut le lendemain. Il y avait une sorte de fatalité dans cette fin ; dans sa jeunesse, il était tombé d’un point élevé du port de Vimereux.

La vie de Saint-Jacques a été manquée. Il avait été organisé de manière à suffire à de hautes destinées. S’il lui a été donné de montrer capacité et héroïsme, c’est qu’il put échapper un instant à ses langes, c’est que, lorsqu’il n’eut plus devant lui la supériorité légale, il put retrouver sa force naturelle. Comme garde du génie, les règles le condamnaient, sa vie durant, à servir sous une tutelle : le hasard lui fit justice. (Temps.)

MONT-DE-PIÉTÉ.

Il sera procédé, le vendredi 25 octobre courant, et jours suivans, depuis quatre heures après midi jusqu’à huit, dans la salle des ventes du Mont-de-Piété, rue de l’Archevêché, à l’adjudication, au plus offrant et dernier [8.1]enchérisseur, de divers objets engagés pendant le mois de septembre de l’année 1832, depuis le N° 55785 jusque et compris le N° 62537.

Ces objets consistent en linge et hardes, dentelles, toiles, glaces, bijoux, etc.

Les lundis et les jeudis, on vendra les bijoux et l’argenterie, les montres et les dentelles, etc. ;

Les mardis, les draps, percales, indiennes, toiles en pièces et hardes ;

Les mercredis, les matelas, les lits de plume, les glaces, les livres reliés et en feuilles, les vieux papiers, autres objets et hardes ;

Et les autres jours, le linge, les hardes, etc.

louis babeuf, rue st-dominique.

en vente :

DE LA COALITION

des chefs d’ateliers de lyon,

Par Jules Favre, avocat.

prix : 75 centimes.

Au bureau de l’Echo de la Fabrique, et chez tous les libraires.

AVIS DIVERS.

(287) Le sieur ROSTAING, mécanicien de Paris, inventeur des métiers au quart, demeurant rue du Mail, n° 4, à la Croix-Rousse, a l’honneur de faire connaître à MM. les chefs d’atelier qu’il vient de perfectionner de nouveau ses rétrogradans, employés avec avantage jusqu’à ce jour à Paris et à la fabrique de la Sauvagère, où il a été employé pour ce genre d’industrie.
Ce nouveau système consiste a régler la rotation par le moyen d’une simple vis, et faciliter le travail de l’ouvrier par son extrême justesse et par la douceur de la bascule qui enlève les valets. Il confectionne également les crochets pour les changement de griffes ; se charge de les placer et en garantit l’exécution ; le tout à juste prix.

(288) A VENDRE, un beau et bon battant tout neuf, en 8/4 et à double boîte des deux côtés. S’adresser à M. Bret, montée des Epies, n° 4, au 3e.

(289) SURDITÉ.
Des lettres ont été adressées au docteur Mène-Maurice, de Paris, par un grand nombre de personnes honorables de la capitale, des départemens et de l’étranger, qu’il a guéries, par son Huile acoustique, de la surdité la plus invétérée. Ces lettres forment une petite brochure in-8°, contenant des documens fort utiles pour les personnes atteintes de cette infirmité, et qui se délivre gratis chez M. aguettant, pharmacien, place de la Préfecture, n° 13, à Lyon.
Huile acoustique, 6 fr. le flacon.

Mme Vaël de Lyon,
actuellement a la croix-rousse, grande-rue, n° 13.
Tient magasin de lingerie, mercerie en tout genre, bas, bonnets, indiennes pour robe et pour ameublemens, mousseline, calicot, coutil pour tentes ; assortiment de gilets, jupes de laine et mérinos de toutes couleurs ; couvertures en laine et coton ; chemises d’hommes, cols, cravates, foulards, etc. : le tout à des pris extrêmement avantageux. (273)

(284) AVIS AUX FABRICANS DE CHALES.
mercier, serrurier, fabrique des tampias en fer à 7 fr. pièce et à 72 fr. la douzaine.
Il demeure rue Condé, à Perrache, à côté des Bains.

[8.2](275) VENTE VOLONTAIRE AUX ENCHÈRES,
D’une propriété située à Lyon, près de l’escalier du Change.
Le mercredi 30 octobre prochain, à dix heures du matin, il sera procédé, en l’étude et par le ministère de Me DUGUEYT, notaire à Lyon, à la vente aux enchères, en deux lots, d’une propriété située à Lyon, près de l’escalier du Change, consistant en trois corps de bâtimens sur le derrière, avec cour et jardin, d’un revenu annuel de :
Premier lot : maison de trois étages, cour et jardin du revenu de : 500 fr.
Deuxième lot : maison de 4 étages et bas voûté, petite maison attenante de deux étages et rez-de-chaussée, du revenu de : 800 fr.
S’adresser, pour les renseignemens, en l’étude de Me DUGUEYT, notaire, place du Gouvernement, n. 5, chargé de traiter de gré à gré avant le jour indiqué pour la vente.
Toutes facilités seront accordées pour les paiemens.

(266) ADDITION DE BREVET D’INVENTION.
tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n. 8, vient d’ajouter un nouveau procédé à ses cannetières, plus simple et plus sûr que tout ce qui a paru jusqu’à ce jour. Il consiste non-seulement à arrêter la cannette lorsqu’un des brins casse, mais encore à les rendre tellement égaux, qu’on les dirait collés ensemble. Il supprime les demoiselles et les plombs pour charger les roquets. On peut les voir en activité, chez le sieur gret, rue Tholozan, n. 20.

(276) A VENDRE, grand atelier de lisage, composé de cinq lisages, deux repiquages, dont il y en a un de 1,056, 744, deux 600 et un 400 ; avec une bonne clientèle. S’adresser au bureau du journal.

(277) PAR BREVET D’INVENTION.
Les sieurs machizot, à la Croix-Rousse, et malozay, rue Vieille-Monnaie, n° 8 (mécaniciens), font des mécaniques à cannettes, selon le nombre de bouts que l’on désire, sans balles aux broches ni demoiselles, et dont la cannette s’arrête aussi promptement que l’éclair dès qu’un bout vient à casser ; en outre, l’attention des bouts est beaucoup plus fidèle qu’à celles qui ont été faites jusqu’à ce jour.
Ils font également des mécaniques rondes dans un genre nouveau, qui surpasse celles qui ont paru jusqu’à présent ; elles ont pour avantage une très grande douceur, par la suppression de tous les engrenages, bâton rompu et volans à lentilles.
Les inventeurs osent se flatter du succès de leur entreprise, vu les grandes améliorations qu’ils ont apportées à ces genres de mécaniques.

(280) A VENDRE à l’amiable, une belle propriété entre Autun, Châlon-sur-Saône et Beaune, près le canal du Centre et la route de Paris à Lyon, dans une position agréable, consistant en une belle maison de maître, réparée et décorée tout à neuf ; logemens de fermiers et de vignerons, cours, jardins, pressoirs, foudres et cuves ; caves pouvant contenir ensemble près de mille pièces de vin, vinées, écuries et granges, d’une superficie d’un hectare cinquante ares ; cinquante hectares ou cent quarante-six journaux de terres ; vingt hectares ou quatre cent soixante ouvrées de vignes ; vingt-un hectares ou soixante-une soitures de prés ; et vingt-six hectares ou cinquante arpens de bois taillis. Il dépend de cette propriété un moulin à eau, placé avantageusement et bien achalandé.
La maison de maître pourra être vendue meublée ou non-meublée, au choix de l’acquéreur.
S’adresser, à Paris, à M. Maurice Richard ;
A Autun, à M. Chauveau-Picard ;
Et à Couches, à Me Moulinet, notaire, dépositaire des plans de la propriété.

(281) A VENDRE, deux métiers dont un en 6/4, mécanique en 740, et l’autre en 5/4, mécanique en 400, tout montés. S’adresser à M. Dumas, rue Tronchet, n° 1, au 2e.

(282) A VENDRE à sacrifice, pour cause de départ, en totalité ou en partie, une jolie boutique de trois métiers crêpes de Chine damassé, 5/4 et 6/4, ustensiles de fabrique et de ménage, lits d’ouvriers, lit bourgeois, poêle, balances, outils, etc. S’adresser chez M. Raumieux, rue des Fossés, n° 8, au 4e, à la Croix-Rousse.

(283) A VENDRE, plusieurs battans de rubans à double boîtes, faits par Guépot ; navettes de rubans. S’adresser chez Lablanche, rue Dumenge, n° 8, au premier.

Notes (M.  Marius Chastaing . Voici venir le...)
1L’Écho des Travailleurs était un bi-hebdomadaire qui allait paraître le mercredi et le samedi. Il connaîtra trente cinq numéros, disparaissant à la fin du mois de mars 1834, quelques jours avant la seconde insurrection. Incessamment, Chastaing tentera de prouver que le mutuellisme a travesti le projet originel de L’Écho de la Fabrique, renouant avec les anciennes habitudes corporatistes, tournant le dos à l’évolution démocratique en cours. L’idée est exprimée dès le Prospectus du nouveau journal : évoquant l’aventure de L’Écho de la Fabrique et l’orientation qu’il lui avait donné en tant que rédacteur en chef entre juillet 1832 et août 1833, Chastaing écrit : « Nous concevions ce journal sur une large base, nous voulions en faire une œuvre de propagande au lieu de le restreindre dans les bornes étroites et mesquines d’un cahier de doléances… Nous voulions en faire une tribune ouverte à tous les prolétaires, et non à telle ou telle classe, quelque nombreuse qu’elle fût, parce qu’à nos yeux tous les prolétaires sont solidaires. La question d’émancipation qui s’agite est la même pour tous… Pour parvenir à cette émancipation, nous voulions l’abolition non pas de tel ou tel privilège, de tel ou tel monopole, d’un abus quelconque choisi entre mille, mais l’abolition complète de tous les privilèges, de tous les abus, de tous les monopoles, parce que tous s’enchaînent, se coordonnent, et tous sont hostiles au peuple, aux hommes de travail, tous grèvent la société au profit de quelques-uns. Nous avons été inopinément arrêtés au milieu de cette lutte. L’Écho de la Fabrique a changé la direction que nous lui avions imprimée, il est rentré dans la spécialité dont nous avions cru devoir nous écarter. » (L’Écho des Travailleurs, Prospectus.)

Notes ( Nécessité)
1L’Impartial. Feuille politique, littéraire et commerciale de la Franche-Comté avait été créé en 1829 par Just Muiron, premier disciple de Charles Fourier. L’article mentionne donc les publications de La Réforme industrielle ou le Phalanstère, organe majeur des fouriéristes depuis 1832.

Notes ( Littérature.
LE CANUT.)

1. À la différence des poètes et littérateurs invités à publier dans L’Écho de la Fabrique lors de la direction de Chastaing, Ratelade est ici un chef d’atelier. On a là un nouvel indice de la nouvelle orientation prévue pour le journal par les Mutuellistes.

Notes ( Nécrologie.)
1. Louis-Gabriel Suchet (1770-1826), Mémoires du maréchal Suchet, ouvrage publié à Paris en 1828.

 

 

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