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20 octobre 1833 - Numéro 42
 
 

 



 
 
    
Nécrologie.

le garde de génie saint-jacques.

Pasquals (Jacques-Antoine), dit Saint-Jacques, garde du génie de 1re classe, naquit à Saliani (Sardaigne), le 25 juillet 1778. Entré le 27 août 1799 dans la 9e compagnie de mineurs, il fit partie de la garnison de la citadelle de Turin, assiégée en l’an 8, et y reçut plusieurs blessures. Il se trouva successivement au camp de Boulogne, en Hollande, à Vesel, et assista en 1809 au mémorable siège de Saragosse. Nommé garde provisoire du génie le 1er février 1810, c’est en cette qualité qu’il fut chargé, en 1813, de la direction des travaux de défense du château de Monzon, en Arragon. Ce petit fort était occupé par 90 gendarmes à pied, 4 canonniers et 1 caporal, 3 officiers, 1 chirurgien, et le garde du génie Saint-Jacques. Ces cent braves résistèrent avec un courage inébranlable à trois mille hommes de la troupe de Mina, depuis le 27 septembre 1813, jusqu’au 14 février 1814. Outre la direction des travaux de la place, Saint-Jacques fut encore chargé de la distribution des vivres et de la surveillance des subsistances.

Aussitôt qu’il aperçut l’ennemi, il tira de la ville tout ce qu’il put se procurer pour l’approvisionnement du fort ; mais les Espagnols ayant montré l’intention d’attaquer par les mines, il sentit l’insuffisance de ses ressources. Dénué de chandelles et des outils nécessaires pour établir des contre-mines, il eut recours à son industrie et à celle de son monde pour subvenir à tout : il fit tuer les bœufs de l’approvisionnement pour avoir la graisse nécessaire à la confection de la chandelle, et désigna un canonnier, qui était forgeron, pour la fabrication et la réparation des outils ; une bombe servit d’enclume et une peau de bouc servit de soufflet. Onze gendarmes de bonne volonté et le caporal de canonniers furent destinés à faire le service de mineurs sous sa direction. Il arrivait souvent que Saint-Jacques se servait de toute la garnison, nuit et jour, pour protéger les mineurs et les autres attaques ; alors il faisait travailler les femmes de la garnison à déblayer les terres des contre-mineurs ; le reste du temps elles étaient employées à la manutention. Il leur faisait aussi démolir les cartouches d’infanterie, afin d’avoir la poudre nécessaire pour les contre-mineurs.

Le 27 septembre 1813, l’ennemi vint camper sur un plateau à 900 toises du château, et, la nuit suivante, [7.1]il prit position dans la ville. Le lendemain, il attaqua les avant-postes et força les assiégés à se renfermer dans le fort, dont il commença le siège le 11 octobre, par un feu très vif. Les Français répondirent avec avantage à l’artillerie ennemie jusqu’au 20, et lui démontèrent plusieurs pièces. Pendant tout ce temps, Saint-Jacques avait travaillé activement avec les mineurs. Le 29, il propose au commandant du fort de faire une fausse attaque, et de battre ensuite en retraite pour attirer l’ennemi sur une contre-mine qu’il a conduite de manière à se trouver entre deux mines que les assiégeans ont dirigées contre le fort. Le commandant fait exécuter ce qui lui est conseillé, et à l’instant où l’ennemi est en foule sur la contre-mine, Saint-Jacques y met le feu, détruit les deux mines qui menacent le fort, et y fait périr un grand nombre de mineurs et de paysans.

Le 23 novembre, une nouvelle contre-mine détruit encore une mine de l’ennemi et lui cause une perte d’hommes considérable. Le 3 décembre, Saint-Jacques entre dans une mine par la contre-mine qu’il a dirigée, en chasse les Espagnols, leur tue un grand nombre de soldats et de travailleurs, et s’empare des outils. Treize jours après, il descend du fort avec ses mineurs, la garnison sous les armes et sur les remparts pour les protéger ; il entre dans une mine qui communique à deux autres, rencontre les Espagnols retranchés à l’embranchement, les repousse, et se rend maître des trois mines à force d’obus et de grenades à main. Le combat dura pendant quatre heures dans les souterrains. Malgré le feu de l’artillerie et de la mousqueterie de l’ennemi, qui revenait plusieurs fois à la charge, il lui empêche l’entrée des mines, en coupant à la sape le dessus des rameaux, et en y faisant tomber les terres. Ces rameaux se trouvaient de 9 à 45 pieds de distance du mur du fort. La retraite étant, par ce moyen, coupée aux mineurs espagnols, ils périssent enterrés sous les ruines de leur ouvrage, ainsi que les soldats qui le défendaient et les paysans qui y travaillaient. Cette victoire produisit un grand nombre d’outils, de sacs et de paniers à transports, dont la garnison manquait entièrement. Dans l’action, Saint-Jacques fut blessé à la tête par un éclat d’obus.

Cette guerre souterraine se continue ainsi à l’avantage des assiégés, qui, presque chaque jour, font éprouver de nouvelles pertes à l’ennemi, soit en s’emparant de vive force des mines qu’il dirige vers le fort, soit en y détruisant des mineurs et des travailleurs. Enfin, le 18 février, l’ennemi veut parlementer et déclare que, les places de Lérida et de Mequinenza n’étant plus au pouvoir des Français, ce qui était vrai, la garnison du fort doit se rendre prisonnière de guerre. Celle-ci refusa d’obtempérer à cette sommation, et ne consentit à sortir qu’avec armes et bagages, 40 cartouches dans chaque giberne, emmenant avec elle une pièce de canon chargée et mèche allumée tout le long de la route, jusqu’à sa jonction avec l’armée française de Catalogne ; elle exigeait de plus un approvisionnement de 60 coups, dont 39 à mitraille et 30 à boulet. L’ennemi consentit à ces demandes ; mais il viola ensuite la capitulation, dont les conditions ne furent respectées que jusqu’à Lérida. Là, fort de 5,000 hommes et de plusieurs pièces de canon, il obligea cette poignée de braves à mettre bas les armes, et après les avoir dévalisés, il les conduisit à Taragone.

On vient de voir qu’après avoir établi des batteries, les assiégeans pratiquèrent successivement des mines, au nombre de 13, pour s’approcher du fort. La défense [7.2]consista donc principalement dans les travaux qu’il fallut opposer aux mines ; par-là, Saint-Jacques en devint le directeur et en fut véritablement l’âme. On ne sait, dit le maréchal Suchet dans ses Mémoires1, ce qu’on doit le plus admirer, ou de la manière dont un employé d’un grade aussi subalterne sut gagner la confiance la plus entière de la garnison, ou de la judicieuse déférence que le commandant du fort eut pour ses avis et ses lumières, ou du dévoûment sans bornes avec lequel les gendarmes se portèrent à faire tous les métiers que réclamait la défense dont ils étaient chargés. Dans son inexpérience de ce genre de guerre, la garnison n’eut pour conseil et pour guide qu’un simple garde du génie ; mais, animée et électrisée par les traits d’imagination et le courage de cet homme intrépide, elle aborda sans hésiter tous les travaux ; elle affronta tous les dangers, et exécuta avec succès toutes les chicanes d’un siège. L’expérience que Saint-Jacques avait acquise dans le service des mines lui fut sans doute d’un grand secours, mais c’est à la sagacité avec laquelle il sut en tirer parti, et au talent qu’il déploya dans la conception et l’exécution de ses plans que la défense de Monzon dut sa constante supériorité sur l’attaque. C’est ainsi que les événemens de la guerre peuvent amener des militaires de grades inférieurs à remplir des rôles très importans.

Pendant les quatre mois et demi que dura ce siège, la perte de l’ennemi fut de 460 hommes hors de combat ; la garnison du fort n’eut que dix hommes tant tués que blessés. 90,000 fr. furent employés aux travaux de l’attaque. Les habitans de Monzon ont conservé et conserveront encore long-temps le souvenir de ce siège, dont ils ne parlent qu’avec admiration.

Rentré en France après la paix de Paris, Saint-Jacques resta en subsistance dans le second bataillon de mineurs, à Grenoble. Nommé garde du génie de troisième classe le 9 mai 1815, il fut employé, depuis cette époque jusqu’au 5 juillet même année, aux travaux de Paris. Naturalisé Français par ordonnance royale du 3 avril 1816, et promu garde de 2e classe le 27 décembre 1816, il fut employé successivement à Grenoble et à Clermont-Ferrand. Malgré ses longs services, ses campagnes et sa belle défense à Monzon, il ne fut nommé chevalier de la Légion-d’Honneur que le 13 avril 1823. Quant il reçut son brevet de garde du génie de 1re classe, le 1er avril 1829, il était employé de nouveau à Grenoble. C’est là que, préposé à la surveillance des travaux d’un fort, il tomba, le 5 juillet 1833, dans un des fossés creusés dans un rocher, à une profondeur de 20 pieds ; il mourut le lendemain. Il y avait une sorte de fatalité dans cette fin ; dans sa jeunesse, il était tombé d’un point élevé du port de Vimereux.

La vie de Saint-Jacques a été manquée. Il avait été organisé de manière à suffire à de hautes destinées. S’il lui a été donné de montrer capacité et héroïsme, c’est qu’il put échapper un instant à ses langes, c’est que, lorsqu’il n’eut plus devant lui la supériorité légale, il put retrouver sa force naturelle. Comme garde du génie, les règles le condamnaient, sa vie durant, à servir sous une tutelle : le hasard lui fit justice. (Temps.)

Notes ( Nécrologie.)
1. Louis-Gabriel Suchet (1770-1826), Mémoires du maréchal Suchet, ouvrage publié à Paris en 1828.

 

 

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