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27 octobre 1833 - Numéro 43
 

 




 
 
     

 

BANQUET INDUSTRIEL

pour le second anniversaire de la fondation

De l’Echo de la Fabrique.

Dans leur séance du 21 octobre courant, les actionnaires de l’Echo de la Fabrique ont décidé qu’ils célébreraient par un banquet le second anniversaire de la fondation du journal des ouvriers. Ils engagent tous leurs confrères qui s’intéressent à cette philantrope entreprise, à se réunir à cette fête de famille.

Ce banquet aura lieu le dimanche 3 novembre. Le journal du jour indiquera le lieu et l’heure de la réunion.

Les souscripteurs pourront s’y rendre directement ou se réunir au bureau du journal.

Une commission, que nous indiquons ci-après, est chargée d’examiner les toasts et discours qui ne pourront être prononcés sans avoir été préalablement approuvés par elle.

tous devront être étrangers à la politique.

Les personnes qui désireraient se procurer des billets sont invitées à passer au bureau. On leur donnera l’adresse de MM. les commissaires.

Le prix du billet a été fixé à trois francs.

Ces billets seront délivrés par chaque commissaire sous sa responsabilité personnelle. Ils devront être revêtus des signatures du trésorier, du commissaire, et signés en présence de ce dernier par le souscripteur.

Tous ceux qui ne seront pas réguliers seront refusés.

[1.2]M. matrod a été nommé trésorier.

Une commission exécutive de sept membres a été nommée ; elle est composée de MM. bouvery, président ; gagnière, secrétaire ; matrod, trésorier ; souchet, berger, cristophe et bernard-st-clair, membres.

La commission de toasts se compose de MM. bouvery, labory, bernard, gagnière et matrod.

Ceux qui désireront porter des toasts ou prononcer des discours, devront les adresser à elle sous cachet, au bureau de l’Echo, jusqu’au jeudi soir, 31 octobre courant.

Dans notre numéro qui suivra nous rendrons compte de cette fête de famille.

condition expresse.

MM. les commissaires sont tenus de se rendre au bureau mardi 29, à 6 heures du soir, pour rendre compte des billets qu’ils auront placés.

bouvery, président.
gagnière, secrétaire.

 De l’apprentissage.

Pour se créer certaines chances de succès dans l’exercice d’une industrie quelconque, il est indispensable d’en étudier préalablement tous les ressorts sous la direction et d’après les avis d’un maître expérimenté, qui transmette à l’élève les principes qu’il a reçus lui-même, que le temps a développés et que l’expérience a mûris. C’est ainsi que de génération à génération les arts et les métiers nous ont été transmis par nos pères avec toutes les innovations successives que les lumières de l’instruction ont permis de porter au plus haut degré de perfection.

De toutes les industries manufacturières, la fabrique des étoffes de soie est, sans contredit, une de celles où le génie de l’homme rencontre le champ le plus vaste pour exercer son empire. Qui pourrait dire les progrès rapides que cet art a fait depuis 30 ans, et les modifications sans nombres que lui font subir tous les jours la main habile de l’ouvrier et le développement de son intelligence.

[2.1]Avant l’invention de l’ingénieuse mécanique de M. Jacquard, cet art, long-temps stationaire, fut presque la propriété exclusive de notre cité ; l’habileté de nos ouvriers, la bonne foi réputée des négocians qui se livraient à cette industrie assurèrent long-temps à nos marchandises la première place sur tous les marchés de l’univers. Aujourd’hui, grace au goût exquis de nos dessinateurs, à la rapidité de notre exécution, et enfin à la rare réunion de tant de talens divers, cette antique préférence nous est encore acquise ; mais pouvons-nous espérer qu’il en sera toujours ainsi quand nous voyons l’indifférence avec laquelle les jeunes gens se livrent à l’étude de cet art ingénieux d’où dépend la splendeur de la seconde ville de France.

Quel est le citoyen qui ne gémira pas en voyant la licence effrénée de nos ateliers et la mauvaise volonté qu’apportent à s’instruire les apprentis sur lesquels repose pourtant l’avenir de notre industrie. Si nous convenons avec raison des pas immenses qu’ont fait faire à l’industrie les différentes révolutions qui ont changé la face du globe, en répandant les bienfaits de l’instruction parmi toutes les classes, et en abolissant d’injustes privilèges, nous regrettons bien sincèrement qu’on n’ait pas conservé des usages dont l’expérience avait constaté la bonté, et d’où a dépendu peut-être la prodigieuse réputation de la main-d’œuvre lyonnaise. On comprend sans doute que nous voulons parler de la surveillance active qu’exerçaient autrefois les maîtres-gardes, aujourd’hui prud’hommes, sur la conduite des apprentis, des épreuves qu’ils leur faisaient subir, et des conditions qu’il fallait remplir pour être reçu ouvrier, et par la suite maître. Qu’on ne nous allègue pas ici cette raison banale : L’industrie est libre. Cette liberté ne peut aller jusqu’à la licence, et tout doit avoir des bornes circonscrites dans l’intérêt général.

Ces anciens usages, qui n’avaient rien d’arbitraire, assuraient à notre fabrique des ouvriers habiles, des maîtres parfaits et des manufacturiers expérimentés. Aujourd’hui, malgré tout le zèle que déploie en cette circonstance le conseil des prud’hommes, pour la répression de la licence qui se glisse dans nos ateliers, l’insubordination des élèves est à son comble, les principes se corrompent peu à peu, et bientôt, à notre regret, cette précieuse fabrique, qui fit notre gloire à raison de notre supériorité, deviendra la propriété des étrangers qui, à notre honte, usent de tous leurs moyens pour la fixer chez eux, quand nous ne faisons rien pour la conserver.

Que les prud’hommes redoublent d’efforts ; c’est sur eux que repose cette imposante responsabilité ; et peut-être un jour leur demandera-t-on compte du mandat qu’on leur avait confié. Ils ne doivent pas borner leurs devoirs à juger seulement les différends qui s’élèvent entre leurs justiciables : ils ont une mission de vie à remplir. Gardiens de notre mine féconde, ils doivent en surveiller l’exploitation dans tous ses détails, et c’est sur les apprentissages qu’ils doivent porter la plus grande part de leur sollicitude.

Ce n’est point sans raison que nous montrons ici toute notre indignation contre un tel ordre de choses. Quel est l’homme qui n’éprouverait pareil sentiment à l’aspect du nombre effrayant d’appels devant le conseil, pour cause d’insubordination de la part des apprentis ? Quel est le maître, si l’on n’y remédie, qui voudra se charger de former des ouvriers, si rien ne lui garantit que ses soins et ses leçons ne seront pas perdus ? Il en est temps encore, le mal n’est pas sans remède ; que [2.2]des mesures sévères autant que justes soient prises pour arrêter cette déception qui causerait notre ruine ; que les chefs d’atelier s’adjoignent à nous pour demander la prompte répression de cet abus pernicieux ; qu’ils ne négligent aucun moyen pour retenir dans le devoir ces jeunes gens sans expérience qui s’aveuglent sur leur avenir, et qu’ils leur répètent sans cesse que c’est d’un bon apprentissage que dépend souvent la réussite.

Nos principes sont assez connus pour que nous ne redoutions pas une fausse interprétation de nos paroles ; nous ne prétendons point ici faire l’éloge du régime du bon plaisir, ni faire croire que les maîtres d’autrefois n’éprouvaient pas des désagrémens pires à ceux que nos contemporains éprouvent ; nous ne voulons pas davantage qu’on exige de ces jeunes gens un travail trop prolongé et souvent au-dessus de leurs forces ; mais nous désirerions que des visites souvent répétées par les prud’hommes tinssent les élèves dans le devoir de l’obéissance qu’un subordonné doit à son supérieur, et qu’on nous délivrât enfin par quelque moyen du scandaleux spectacle que nous offrent chaque semaine les contestations qui s’élèvent entre maîtres et apprentis. C’est encore ici le cas de déplorer le fatal aveuglement qui a dicté la mesure par laquelle on a diminué le nombre des membres composant ce tribunal, tandis que des raisons importantes rendaient nécessaire leur augmentation, pour que la surveillance fût plus active et le fardeau moins onéreux.

Nous avons parfois été témoins de la confiance aveugle avec laquelle bien des chefs d’atelier acceptent des apprentis sans avoir pris toutes les mesures que la prudence dicte, pour les garantir de leur inconduite ; il en est même qui portent la négligence jusqu’à ne passer aucun engagement avec les personnes qui les placent chez eux. Ce manque de précaution est impardonnable, et les maîtres qui se trouveront dans ce cas courent les chances de perdre leur recours en indemnité. Nous espérons que cet avertissement ne sera pas perdu pour eux, et qu’ils ne négligeront plus les mesures qui peuvent contribuer puissamment à les tranquilliser.

B......

 

Nous avons reçu de M. Marius Chastaing, une lettre à l’insertion de laquelle nous croyons devoir nous refuser, bien qu’il nous ait enjoint de le faire aux termes de la loi.

Nous n’avons point de place dans nos colonnes pour des insolences !

Si M. Marius Chastaing, qui se croit insulté par nous, veut bien rédiger sa plainte en termes tels que nous puissions l’admettre et lui donner toute publicité, nous le ferons de grand cœur. Nous serons toujours prêts à faire droit à toutes espèces de réclamations (mêmes dirigées contre nous), quand ces réclamations nous seront présentées d’une manière moins grossière que celle de M. Marius Chastaing.

B......

 

Des Ouvriers Tailleurs.

Aujourd’hui que cette industrie a, comme toutes les autres, acquis un haut degré de perfection, et pour l’élégance, et pour la régularité de la couture ; n’est-il pas déplorable d’avoir à signaler que, pour cette classe de travailleurs comme pour toutes en général, une monstrueuse [3.1]réduction dans les salaires soit tout le prix du perfectionnement apporté dans tous les modes de confection : voila pourtant l’un des brillans résultats de notre liberté illimitée du commerce, tant vantée par les hommes du jour.

A quelques exceptions près, un ouvrier tailleur rend une pièce par semaine, c’est-à-dire un habit ; cette pièce, dans les ateliers de 1er, 2e et 3e ordres, est payée 18, 16, et 14 fr. – Maintenant, qu’on veuille bien se rappeler, qu’il y a peu d’années encore, les façons, beaucoup moins compliquées qu’aujourd’hui, lui permettaient de rendre ses deux pièces dans le même laps de temps, au prix de 12 fr. l’une ; et certes on ne sera point étonné que les ouvriers tailleurs se soient crus en droit de réclamer une augmentation ; ce qu’ils viennent de faire.

Peut-être, vont nous dire certains intéressés, 18 fr. (nous prenons le maximum) sont suffisans, et un ouvrier peut bien vivre avec cette somme par semaine. – Nous admettons cette assertion (bien que nous pensions, nous, qu’il serait de toute justice que les ouvriers pussent participer aux jouissances que procurent à d’autres le progrès et le perfectionnement de l’industrie) ; mais afin d’éclairer la conscience publique, nous devons dire que ce n’est guère que pendant six mois de l’année environ que les ouvriers tailleurs ont du travail assuré ; savoir : d’avril à juillet et d’octobre à janvier ; et c’est à grand’peine si, pour les six autres mois, ils peuvent compter sur une demi-pièce par semaine, ce qui ferait 9 fr.

Alors aussi, c’est à ce temps-là que l’égoïsme pèse sur eux de tout son poids ; et qu’ils n’échappent à la faim qu’en se soumettant au bon plaisir des maîtres qui profitent de la morte-saison pour les exploiter à leur guise. – C’est ainsi, par exemple, que l’été dernier, plusieurs maisons ayant des commissions à rem­plir, demandèrent de bons ouvriers : ceux qui se présentèrent devaient croire que les façons seraient au moins dans ce cas raisonnablement payées ; eh bien ! pour confectionner des redingotes croisées avec anglaises et poches de côté, il leur fut offert la somme de 6 FRANCS ! Ceci pourrait paraître étrange : – et pourtant nous sommes bien certains de ne pas être démentis.

Désirant, comme de raison, se soustraire aux tristes résultats d’une aussi déplorable situation, les ouvriers tailleurs de Lyon, à l’exemple de ceux de Paris, formèrent une association ayant tout simplement pour but de s’entr’aider et se secourir mutuellement. – Aucune pensée hostile n’avait présidé à la fondation de cette société, existante depuis quelques mois ; et néanmoins, si nous sommes bien informés, elle viendrait d’être dénoncée à M. le procureur du roi comme coalition, par ceux de MM. les marchands tailleurs qui ont cru devoir refuser l’augmentation de salaire réclamée. – D’autres, au contraire, reconnaissant sans doute la justice de cette demande, se sont empressés d’y souscrire. On cite MM. Reynaud jeune, Fleury, Bretonville et Duverger, Girardon et Flasseur.

La presse étant l’arme la plus sûre pour la ruine des abus, en même temps qu’elle est le meilleur garant de la paix publique (quoi qu’en disent certains messieurs), nous prévenons MM. les ouvriers tailleurs que nous sommes prêts à leur ouvrir nos colonnes dans le cas où ils auraient à recourir à la publicité.

 

DERNIERS ÉVÉNEMENS D’AFRIQUE.

[3.2]Nous avons lu dans le Précurseur du 19 octobre, l’historique de la dernière expédition de notre armée d’Afrique, que les journaux en général ont répété dans les mêmes termes ou à peu près. – Nous le disons avec une entière franchise, les détails affreux de cette expédition, et le ton joyeusement barbare avec lequel la plume d’un militaire français les a retracés, nous ont pénétré d’une profonde tristesse.

« L’ordre du jour du lieutenant-général voirol1(dit le correspondant d’Afrique) vient de recevoir son exécution. Le souvenir du châtiment infligé aux barbares ne s’effacera pas de long-temps de leur mémoire. Il est écrit en lettres de feu et de sang dans toute l’étendue de la plaine de Métidja, où le drapeau du brave 67e de ligne et celui de la légion étrangère ont été déployés, précédés et suivis de la désolation, de l’incendie et de la mort.

Eh ! Nous aussi nous avons eu nos trois journées. Les 27, 28 et 29 septembre compteront dans nos fastes militaires et prouveront aux ennemis de la France qu’on ne l’insulte jamais impunément. »

Oh ! Nous sommes loin de partager l’opinion et la satisfaction du correspondant ; et s’il est dans nos fastes militaires une page que nous voudrions pouvoir arracher ! C’est sans contredit la dernière.

En vérité, nous sommes honteux que ces tristes exploits, que ce trophée, bien plus digne d’un peuple qui ne se lève que la croix d’une main et le poignard de l’autre, appartienne au PEUPLE FRANÇAIS, ce peuple, le plus civilisé du monde !!! – Continuons.

« Les tirailleurs du 67e et de la légion étrangère rivalisaient de zèle avec les chasseurs d’Afrique qui sont depuis long-temps habitués à faire trembler et fuir les bédouins.

Pendant que ceux-ci harcelaient nos derrières et nos flancs, la tête de la colonne qui opérait ses évolutions aussi lentement, aussi paisiblement que sur un champ de manœuvre ou qu’à une parade, la tête de la colonne, dis-je, brûlait tout ce qu’elle trouvait sur son passage.

Nos soldats, après avoir allumé l’incendie qui dévorait les habitations de nos ennemis, rentraient dans les rangs, chargés de poules, d’oies, de meubles et de butin. »

Maintenant, nous le demandons, où s’arrêteront les représailles de ces peuplades barbares que nous devions nous croire appelés à civiliser ; mais non à étouffer dans leurs habitations dévorées par le feu et la dévastation ? Et s’il se trouvait parmi eux un autre PAUL-LOUIS COURRIER ! que deviendrait notre petite armée tant affaiblie par cent combats partiels, et le soleil brûlant d’Afrique ?… Poursuivons encore.

« Le bataillon des Zouaves, qui est conduit par un chef aussi intrépide qu’expérimenté, est celui qui se faisait le plus remarquer par son courage dans le combat et par sa dextérité dans le pillage. Il serait difficile de comprimer leur élan dans ces circonstances, parce qu’ils sont peu accoutumés encore aux exigences de la discipline.

Au 67e, au contraire, le chef de bataillon désignait presque à tour de rôle un certain nombre d’hommes par compagnie, qui se détachait sans que la marche fût interrompue, et revenaient dans leurs rangs après avoir rempli leur mission vengeresse ; de sorte que chacun y allait à son tour, que le service n’en souffrait pas, et que le désordre se faisait avec ordre et sans confusion. »

Eh bien ! nous le demandons aussi : – Quels sont les plus barbares ! de ces hommes demi-sauvages, vivant dans une ignorance absolue et dans l’abrutissement le plus complet, qui, ignorant la science de la destruction, ne livrent jamais de combats réglés, mais attaquent leurs ennemis en détail, les frappent à l’improviste, les assassinent enfin ! ou de ceux qui, armés du flambeau de la civilisation, saccagent les villes, détruisent les récoltes, écrasent ou fusillent des femmes et des hommes dans leurs habitations, et à travers les champs, ainsi que l’on chasse les bêtes fauves ? – En [4.1]vérité nous n’osons résoudre cette question ; et pourtant les uns sont des Bédouins, les autres des Français.

Oh ! si telle est la situation de notre armée d’Afrique ; que le soin, la loi de sa conservation exige d’aussi cruelles vengeances ! il faut bien s’y résoudre ; mais nous avons peine à croire que les Arabes veuillent maintenant se soumettre à la domination française ; alors il faudra donc les exterminer jusqu’au dernier…

« Cette expédition, dit encore le correspondant, retrempera le moral de l’armée qu’une longue inaction fatiguait, et à qui cette affaire semble en promettre de nouvelles. »

Pour nous, nous avons peine à croire que le moral de notre armée ait besoin de tels stimulans : – nous croyons, au contraire, que d’aussi tristes lauriers pèsent à nos braves ; et qu’ils sont loin d’attendre, la joie dans le cœur, les nouvelles affaires qu’effectivement la dernière semble présager.

Maintenant, si on réfléchit que ces déplorables résultats sont le prix d’un coup de chasse-mouche ; – si l’on pèse le sang que la vengeance de cet affront a coûté à la nation française insultée ; – ce que cette vengeance amasse de haines contre nous, chez les peuplades algériennes ! on se demande ce que c’est que la civilisation, et si de tels fruits ne sont pas bien amers !!!!!

 ÉTAT DES OUVRIERS EN FRANCE.

ROUEN.

Les vices et l’ignorance de certaines portions des classes laborieuses en France doivent être imputés non-seulement au peu de sollicitude qu’on a généralement pour elles, mais encore et surtout à l’égoïste calcul de ceux qui regardent cette ignorance et les vices comme des auxiliaires qui leur rendent d’autant plus facile l’exploitation des prolétaires. Les hommes que les prolétaires enrichissent de leur travail s’inquiètent, par-dessus tout, de payer les bras le moins cher possible, et l’abrutissement moral des ouvriers étant une excellente condition pour obtenir la main-d’œuvre à bas prix, ils redoutent plutôt qu’ils ne souhaitent l’amélioration intellectuelle des hommes qui ne vivent que du travail de leurs mains.

Nous recevons de bonne source quelques détails sur les mœurs d’une portion intéressante de prolétaires, les filateurs et les lainiers de Rouen. Quelque affligeans que soient ces détails, nous les publions pour l’édification de nos lecteurs. Cette publicité, qui expose cruement le mal, est excellente parce qu’elle tourne à la confusion de ceux qui l’entretiennent, et provoque en même temps à en chercher sérieusement le remède.

Ce qu’on va lire nous est transmis par un chef d’atelier plein de zèle et de patriotisme, ayant toujours vécu parmi les ouvriers et comme eux, à l’ignorance près, à laquelle ils sont en quelque sorte condamnés par le peu de bonne volonté des maîtres. Nous conservons à ces détails toute leur simplicité caractéristique, et même un léger ton d’amertume, fort naturel de la part des hommes qui sentent vivement le mal, contre ceux qui en sont la cause première.

L’ignorance, on pourrait dire cet état d’abrutissement moral dans lequel vivent nos malheureux ouvriers, est un fléau qu’il sera bien difficile d’anéantir, et pourtant qu’il serait d’un intérêt général de détruire ; car avec lui disparaîtraient ces habitudes vicieuses et dégradantes qui affectent autant le moral que le physique des [4.2]individus. Je veux parler entr’autres de l’usage de l’ouvrier de se livrer au moins un jour par semaine à l’ivresse la plus complète ; et notez que cet excès est presque aussi commun chez les femmes que chez les hommes. Malheureusement, il y a peu ou point d’espoir d’obtenir aucune aide des commerçans pour retirer les ouvriers d’un état aussi dégradant pour l’humanité. Que veulent ces messieurs, nobles de nouvelle espèce, des malheureux qu’ils emploient ? Du travail, beaucoup de travail ; mais leur instruction morale, leur conduite, leur santé, enfin leur bien-être en général, rien de tout cela ne les intéresse ; du moins telle est la grande majorité de nos commerçans.

Depuis plusieurs mois le commerce de Rouen a pris une grande activité ; tous les ouvriers sont occupés et se regardent comme heureux. Long-temps ils avaient souffert faute de travail et le pain étant fort cher : aujourd’hui, au contraire, à peine suffisent-ils à la fabrication qui se fait, et le pain est à très bas prix. Leur condition est donc en réalité meilleure sous ce rapport.

« L’ouvrier employé dans une filature gagne par jour savoir : L’homme de 17 à 50 ans, de 2 fr. 50 c. à 2 fr. 75 c., répartition faite du plus ou du moins d’avantages sur les matières filamenteuses ; la femme du même âge, de 1 fr. à 1 fr. 25 c. ; l’enfant mâle ou femelle, de 50 à 75 c. La journée de travail dans les filatures étant très longue et se prolongeant en hiver jusqu’à dix et même onze heures du soir, toute la famille se trouvant employée, il en résulte :

1° Un abandon presque général des soins du ménage ;

2° Une ignorance complète causée en partie par la rapacité des parens qui, ignorans eux-mêmes, emploient leurs enfans à un travail manuel et ne leur donnent aucune éducation ;

3° Une nourriture très malsaine, qui ne se compose pour ainsi dire que de fruits en été, et en hiver de toutes choses peu substantielles, telles que fromage, poisson salé, rarement de viande autre que celle de charcuterie.

Malheureusement l’ouvrier, marié ou non, préfère à tout, faire ce qu’il appelle la noce, c’est-à-dire dépenser le dimanche et le lundi tout le bénéfice de la semaine précédente, et jeûner presque le reste de la semaine ; ceci va si loin, que le jour de leur paie ils achètent le pain nécessaire jusqu’à la paie suivante ; autrement ils en manqueraient, faute d’économie possible de leur part, dès que l’instant d’aller à la guinguette est arrivé.

Leur santé et leur constitution se ressentent d’un tel genre de vie, d’autant plus que leur boisson d’extra ne se compose absolument que d’eau-de-vie prise en quantité vraiment effrayante, bien qu’elle soit d’une très mauvaise qualité ; le prix du vin est beaucoup trop cher pour eux.

Beaucoup d’ouvriers sont chargés d’une nombreuse famille, et malheureusement tous nos fabricans, à quelques rares exceptions près, méritent le reproche de ne pas veiller sur l’état de leurs ateliers ainsi que sur leurs ouvriers, et de ne pas empêcher des mères de famille d’apporter avec elles leurs enfans presque à la mamelle, et de les exposer ainsi au contact d’odeurs fétides et à une chose beaucoup plus dangereuse encore, à laquelle personne ne paraît songer, au plock, espèce de duvet qui se détache du coton et voltige dans les ateliers que ces enfans avalent, ce qui nuit essentiellement à leur santé, et attaque infailliblement leur poitrine.

Actuellement peu de fabricans font mouvoir leurs mécaniques par la force des bras ; ce changement a été [5.1]très avantageux pour les ouvriers sous les rapports hygiéniques ; car les ouvriers employés à ce genre de travail vieillissaient long-temps avant l’âge, et mouraient presque tous d’anévrisme au cœur ou de phthysie pulmonaire.

Il est à observer que, quant au produit de la journée de travail, les renseignemens ci-dessus ne peuvent servir de donnée exacte que pour le moment. L’aristocratie fabricante est puissante et tyrannique ; elle pourrait cependant, sans nuire à ses intérêts, et même vraisemblablement avec avantage pour elle, apporter de notables améliorations dans le sort des ouvriers. Que faut-il pour cela ? Traiter les ouvriers avec douceur, se rappeler que la nature les avaient faits les égaux de ceux dont la fortune les fait aujourd’hui dépendre, enfin renoncer à des brutalités malheureusement trop communes, à une arrogance que rien ne justifie, et au lieu de chercher à avilir l’ouvrier, le relever à ses propres yeux. Il en deviendra assurément plus fidèle et plus intelligent ; car il se livrera à son travail avec plus de courage et sera reconnaissant des égards qu’on aura eus pour lui.

La propreté des ateliers est encore un objet digne de toute la sollicitude des manufacturiers, et il en est trop qui le négligent.

Les ouvriers sont, pour la majeure partie, logés ou plutôt entassés pêle-mêle dans de misérables réduits et dans des quartiers malsains.

Vous trouverez peut-être, monsieur, ces détails un peu longs ; mais j’ai cru devoir vous les transmettre tels quels, et je vous en garantis l’entière exactitude. »

A......., chef d’atelier.

(Le Populaire.)

 CONSEIL DES PRUD’HOMMES,

(présidé par m. riboud.)

Audience du 24 octobre 1833.

Lorsqu’un négociant garantit un certain aunage à un chef d’atelier, pour l’engager à disposer son métier, il est obligé d’accomplir sa promesse ; dans le cas contraire, il est passible d’une indemnité envers le chef d’atelier.

Si le chef d’atelier ne prévient pas en temps opportun le négociant que sa pièce est sur le point d’être achevée, pour en avoir une autre, il perd ses droits à réclamer un défraiement pour journées perdues.

Ainsi jugé entre Vicher et Boucharlat.

Un chef d’atelier qui occupe un ouvrier dont le livret est chargé, doit avoir le soin de retenir à chaque pièce le huitième sur la façon revenant à l’ouvrier, pour le remettre au créancier à sa première réquisition.

Ainsi jugé entre Michallet, Dumazet et Gley.

L’ouvrier ne peut quitter le maître chez lequel il travaille sans lui accorder la huitaine, ou bien lui payer une indemnité proportionnée à ce genre de travail, qui sera inscrite sur le livret, pour être payée par cinquième si l’ouvrier doit travailler compagnon, ou comptant s’il forme un établissement.

Ainsi jugé entre Duclos et Brunet.

Lorsqu’un médecin nommé par le conseil, déclare et certifie que la maladie est trop grave pour que l’apprenti puisse de long-temps se livrer au genre de travail qui a provoqué la maladie, les conventions sont résiliées [5.2]avec une indemnité accordée au maître. L’élève ne pourra se replacer que comme apprenti.

Ainsi jugé entre Charvieux et Guignardat.

Lorsque l’enquête prouve qu’il y a eu lésion dans les conditions de l’engagement d’un apprenti, le conseil résilie cet engagement.

Ainsi jugé entre Bessac et les mariés Sichon.

nota. Cette affaire avait été jugée, il y a déjà quelque temps ; mais la dame Sichon, sous puissance de mari, s’étant présentée seule, sans autorisation légale, le conseil a cassé ce premier jugement, et a prononcé comme ci-dessus.

Nous engageons donc les chefs d’atelier à ne pas envoyer leurs femmes au conseil pour débattre leurs causes, s’ils veulent éviter des démarches et des frais inutiles, et toujours trop coûteux.

Quelques chefs d’atelier nous ayant montré le désir de nous voir assister aux petites audiences, pour en rendre compte, nous nous empresserons d’obtempérer à leur demande.

 

Le Conseiller des Femmes.

Tel est le titre d’un petit journal devant être rédigé par des dames et dirigé par Mme niboyet, née mouchon1, ainsi que l’indique le prospectus que nous venons de recevoir.

Au temps où nous sommes ; – et quand c’est presque avec le sourire de l’ironie, qu’on accueille ceux qui travaillent à l’émancipation de la femme, en même temps qu’à une régénération sociale, dont tout autour de nous vient attester l’urgente nécessité ! – Il est bien, qu’élevant une tribune d’où elle puisse faire entendre sa voix, LA FEMME prenne aussi sa place dans le champ où s’agitent une foule de graves questions auxquelles elle ne saurait plus désormais rester étrangère : – c’est pourquoi nous applaudissons de grand cœur à la venue de ce journal.

« Aujourd’hui (dit Mme niboyet) notre époque, toute de critique, semble préparer à la civilisation une voie nouvelle ; il est donc temps que la femme jette un regard attentif sur la génération qui s’avance, et que, de sa voix tendre, elle fasse pénétrer bien avant, dans le cœur de ses enfans, des principes de paix et d’harmonie. Impuissante dans l’état actuel de notre législation, elle peut beaucoup dans la famille. Appelée à être le guide constant et naturel de l’enfance, l’avenir de la prochaine génération lui appartient tout entier. Elle peut à son gré, par la douceur de ses manières, modifier le caractère aigri d’un époux, d’un frère, d’un ami, que le vent des passions emporte. A tous les âges, dans tous les états, ou peut sentir son influence, car son pouvoir, pour être caché, n’en est pas moins réel. Qu’elle n’oublie donc pas que si les hommes font les lois, les femmes font les mœurs. Que, pour entrer dans l’arène, elle rappelle à son souvenir les noms si justement célèbres de Mme Roland, à l’âme si élevée ; de Mme de Staël2, au génie si fécond, au style si pur !… Astres brillans qui ont laissé sur leur passage un rayon d’immortalité ! »

Nous voudrions bien encore citer quelques passages de ce prospectus qui ont appelé notre attention ; – mais, resserrés que nous sommes dans les étroites limites de notre journal, nous laissons au CONSEILLER DES FEMMES le soin d’inspirer à tous l’intérêt que nous lui portons en particulier.

Ce journal paraîtra, à dater du 1er novembre, tous les samedi de chaque semaine. – Le prix de l’abonnement, qui ne pourra être de moins d’une année, est de 10 fr. – Le bureau du journal est rue Royale, n° 14. – On s’abonne aussi chez M. Léon Boitel, imprimeur, quai St-Antoine, n° 36.

 CATÉCHISME RÉPUBLICAIN.

PAR UN PROLÉTAIRE.

prix : 60 centimes.

[6.1]Si les ouvriers en général, ont long-temps paru indifférens aux discussions politiques, c’est que leur intelligence, absorbée par la nécessité de s’occuper d’abord à pourvoir aux premiers besoins de la vie pour eux et leur famille, ne comprenait qu’avec peine le rapport qui pouvait exister entre leur manière d’être et la forme d’un gouvernement ; c’est qu’aujourd’hui encore, ils se rattachent à un parti plutôt par un instinct invincible que par une conviction étudiée. Certes, personne ne sait mieux que nous par quels sentimens généreux est formée leur opinion à défaut d’une instruction que la société leur refuse le plus souvent, ou ne leur accorde que comme une aumône ; mais c’est justement contre ces bons sentimens qu’il faut prémunir les ouvriers. Nous avons déjà trop vu combien on a su abuser d’une générosité exagérée, pour leur escamoter leurs droits au profit des privilégiés. Il est donc bien important que le peuple connaisse ses droits et ses devoirs afin qu’on ne puisse jamais lui diminuer les uns ni lui exagérer les autres. Celui qui cherche en leur montrant le but, à éclairer la route qui y conduit, a bien mérité de l’humanité. Ainsi, le Catéchisme républicain, écrit dans cette intention par un de nos compatriotes qui se cache sous le nom modeste d’un prolétaire, est, sous ce double rapport, un ouvrage très utile. Les principes et les formes d’un gouvernement républicain y sont exposés avec simplicité, clarté et précision ; ce qui met cet ouvrage à la portée de l’homme le moins érudit. Il ne faut avoir que du bon sens pour comprendre. L’auteur n’y invoque que la loi naturelle et la logique la plus sévère. On sent parfaitement que dans une discussion rapide, il n’a pas pu approfondir des questions qui auraient demandé de longs développemens ; il se contente alors d’affirmer. C’est le défaut de tous les livres élémentaires. Cependant le Catéchisme républicain, produit d’une plume laborieuse et pure, offre assez d’éclaircissemens pour guider un esprit ordinaire dans ses réflexions politiques, de manière à ce qu’il puisse bientôt avoir une conviction fondée sur la connaissance de la justice et de sa dignité. En tombant dans une discussion plus abstraite, l’écrivain n’aurait fait qu’embrouiller les idées de son lecteur, et par conséquent manqué son but.

Nous engageons tous les prolétaires patriotes à se procurer cet ouvrage et à le porter dans leurs ateliers, afin qu’il y soit lu et médité en commun. Que chacun se fasse apôtre de la religion de l’avenir, et puisse pour sa récompense se dire un jour : Moi aussi j’ai contribué au bonheur de mon pays.

 LE PROLÉTAIRE.

air : Verse, verse le vin de France, etc.

Prolétaire ! voici le jour !
C’est assez dormir : le temps presse.
Le travail doit avoir son tour.
Pour toi le repos c’est paresse,
C’est paresse !
Quand le riche sommeillera
Pendant la matinée entière,
Ton bras endurci gagnera
Tout juste le pain nécessaire
Pour alimenter ta misère !…
Allons, sème, bon prolétaire ;
C’est l’oisif qui récoltera.

Au milieu de rudes travaux,
Le vin serait d’utile usage :
Il procure l’oubli des maux ;
Il rend la force et le courage,
Force et courage.
Quand le riche à sa table aura
Le Bordeaux, l’Aï, le Madère,
Ta lèvre ne s’humectera
Que d’aigre piquette ou de bière
Qui paie autant à la barrière !…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

[6.2]Lorsque la loi te fait majeur,
Surgit une dette nouvelle ;
Le capitaine recruteur
Sous les drapeaux déjà t’appelle,
Il t’appelle.

Quand le riche s’affranchira,
A prix d’or, de ce joug sévère,
C’est ton corps qui le subira,
Et tu quitteras ton vieux père
Pour marcher le pas militaire !…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

Époux et père, un jour tu veux,
Dans ta sage sollicitude,
Voir tes enfans laborieux
Vouer leur jeunesse à l’étude,
A l’étude.
Du riche quand le fils sera
D’un collège pensionnaire,
Bien heureux le tien se croira,
Si, dans une école primaire,
Il trouve alphabet et grammaire !…
Allons, sème, bon prolétaire ;
C’est l’oisif qui récoltera.

Quand le premier du mois paraît,
Survient un percepteur avide ;
Et le recors est là tout prêt,
Si par malheur ta bourse est vide,
Ta bourse est vide.
Cet impôt, que ta main paîra
Aux dépens de ton nécessaire,
Le riche seul le votera ;
Car tu n’as qualité pour faire
Ni ton député, ni ton maire...
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

Quand la mort, unique pouvoir,
Devant qui l’égalité règne,
A vos portes viendra le soir
Apposer sa lugubre enseigne,
Sa noire enseigne.
Un cortège nombreux suivra
Du riche le char funéraire ;
Mais ton chien seul te conduira,
Sur ton humble et triste civière,
Jusqu’à ta demeure dernière!…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

Au nom du plus saint des devoirs,
Tonne un jour le canon d’alarme !
Les bras velus et les doigts noirs,
Sauront seuls soulever une arme,
Brandir une arme.
Puis, quand bientôt s’amortira
L’éclat du foudre populaire,
Alors le riche sortira
De sa retraite salutaire,
Gueusant un effronté salaire !…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

a. altaroche1.

 TRIBUNAUX.

EXÉCUTION DE FAVARD.

La Gazette des Tribunaux rapporte ainsi les détails de l’exécution du nommé Favard, condamné à mort par la cour d’assises de la Dordogne :

Pendant la nuit du mardi au mercredi, la fatale machine avait été dressée au bas de la place de Prusse. Les ouvriers n’avaient pas voulu y travailler au jour. Un [7.1]temps viendra sans doute où ils refuseront entièrement leur aide pour cet horrible emploi.

Dès le matin, des groupes de curieux, qui peut-être ne songeaient pas au degré de moralité qu’on pouvait chercher dans leur conduite, stationnaient autour de l’échafaud et l’examinaient avec une curiosité qui souvent n’était pas sans effroi.

Cependant le malheureux Favard ignorait encore qu’il ne verrait pas la fin de ce jour qui s’était levé sur lui. Tranquille et plein d’espoir, car l’espérance chez ces misérables se nourrit de sa propre substance et prend des forces dans le temps même qui s’écoule après la condamnation ; tranquille et plein d’espoir, il attendait encore une commutation à sa peine, et cherchait des consolations dans la prière. Déjà plusieurs fois, depuis son entrée dans la prison, il avait reçu la visite de M. l’abbé Audierne, vicaire-général honoraire et secrétaire de l’évêché ; il lui avait même écrit la veille, pour l’appeler près de lui et réclamer ses secours et ses conseils.

Mercredi matin, à dix heures, M. Audierne se rendit à la chapelle, et célébra la messe à laquelle assistent ordinairement les prisonniers. Là, après l’office divin, lorsqu’il les vit tous silencieux et recueillis, il leur annonça la triste nouvelle, et leur dit que, pendant qu’il allait préparer le patient à la mort, M. l’évêque viendrait près d’eux pour réciter en leur présence les prières des agonisans.

On ne voulait point, en effet, laisser les prisonniers se répandre dans les cours, de peur que, par quelque indiscrétion, ils ne vinssent à révéler brusquement la vérité à Favard, à travers les barreaux mêmes de son cachot. Dès ce moment, la prudence ordonnait que toute communication fût interdite entre le condamné et ses compagnons d’infortune. Ces hommes, au reste, accueillirent les exhortations du jeune abbé avec un recueillement et une consternation qui prouvaient assez tout l’intérêt qu’ils prenaient au sort déplorable de Favard.

M. l’abbé Audierne, en surplis, se rendit enfin, à onze heures, auprès de l’assassin. Le malheureux ne fut point frappé d’abord de ces dispositions extraordinaires, et sur l’invitation du jeune prêtre, il confessa ses fautes sans qu’aucune idée de mort vint frapper ses esprits. M. Audierne prit alors la parole : « Humiliez-vous, mon fils, lui dit-il, qu’un repentir sincère plaide votre cause auprès de Dieu. Oubliez tout au monde pour ne songer qu’au salut de votre ame. » Favard ne comprenait pas encore…

« Vous ne devez pas vous dissimuler, reprit M. Audierne, que bien peu d’instans vous sont donnés pour vous réconcilier avec le ciel. » Le condamné frémit et leva les yeux effrayés sur le prêtre : « Oh ! mon Dieu, s’écria-t-il, est-ce que ce serait déjà le moment ! » Le silence du jeune abbé apprit tout au misérable ; il tomba à genoux, renversé sur la croix présentée à ses lèvres…

Ses larmes enfin commencèrent à couler. « Et mes enfans, et ma femme, s’écria-t-il : que vont-ils devenir après ma mort ? Ah ! M. l’abbé, il est bien cruel de mourir ainsi pour des scélérats qui m’ont trahi. Vous m’aviez dit que Dieu ne m’abandonnerait pas. Il m’abandonne, vous le voyez bien, puisqu’il permet ainsi qu’on me traîne à la mort ! »

Il faudrait et le zèle religieux et l’éloquence du jeune prêtre pour retracer ici les paroles qui surent relever cette ame abattue, et lui rendre la force nécessaire pour supporter une vie de souffrances qu’il avait à endurer pendant deux heures encore. Nous voudrions retrouver [7.2]ces expressions à la fois si simples et si touchantes, par lesquelles M. Audierne a bien voulu nous peindre lui-même ces derniers momens du condamné. « C’est une étude pénible, mais frappante, nous disait-il. Tout homme y pourrait puiser de hautes leçons de morale, et celles-là ne s’effaceraient jamais de sa mémoire. »

M. l’évêque de Périgueux vint joindre ses exhortations à celles de M. Audierne, et après avoir long-temps cherché à consoler le malheureux, après lui avoir donné la dernière bénédiction, il sortit pour aller à la chapelle rejoindre les prisonniers et pour réciter l’office des morts…

Favard se calma par degrés, et il avait recouvré quelque courage lorsque le bourreau se présenta devant lui. Mais alors son désespoir reprit toute sa première énergie. « Tuez-moi, tuez-moi ici ! s’écriait-il en se traînant à terre. – Est-ce là ce que vous m’aviez promis, Favard, lui dit M. l’abbé Audierne ? Ce que vous demandez est impossible, et, vous le savez, la résignation seule peut vous faire trouver grace auprès de la Divinité. »

Le jeune prêtre parvint encore à ramener un peu de calme dans l’ame du patient qui consentit à s’asseoir, et se prêta avec assez de sang-froid à ces tristes apprêts qu’on appelle la toilette du condamné. Enfin on lui lia les mains derrière le dos, et le lugubre cortège se disposa à partir. Favard refusa de monter dans la charrette qui l’attendait. « J’aurai plus de mérite aux yeux de Dieu disait-il, en faisant à pied le chemin qui me conduit au supplice. »

Sans doute il y avait là, chez lui, un désir secret de retarder l’instant fatal.

Avant de quitter la prison, il fit demander les sœurs de la charité, et leur témoigna sa reconnaissance pour les soins qu’elles lui avaient prodigués ; il remercia aussi le porte-clé et le concierge, et leur demanda à tous deux la permission de les embrasser, ce qui lui fut accordé sans difficulté. Il sortit alors, et se mit en route. Mais il avait à peine fait quelques pas sur les allées basses de Tourny, que, parmi la foule, il reconnaît un habitant de son village. « C’est toi, P…, lui dit-il ; ne me maudis pas, approche, viens m’embrasser pour la dernière fois ! – Non, certes, je ne le ferai pas ! répondit cet homme avec horreur ; et en même temps il s’enfuit, et se perdit au milieu de tous ceux qui l’environnaient. Favard resta quelques momens anéanti…

« De quoi vous occupez-vous, mon fils, reprit alors l’abbé Audierne ? Vous le voyez, le monde vous abandonne ! Détournez vos regards d’ici-bas, et tournez-les uniquement vers le ciel. »

Cette exhortation sembla le ranimer. Il continua sa route, soutenu par le jeune ministre, et demanda à faire les prières du Chemin de la Croix, prières longues, interrompues par quatorze stations qu’il fit toutes à genoux. Elles prolongèrent long-temps son supplice, mais à ses yeux elles éloignaient l’horrible moment. Il mit ainsi une heure et quart pour faire à pied un trajet qu’on parcourt en moins de dix minutes !…

C’est alors que nous avons senti tout ce que la religion peut offrir de puissance et de consolation. Ce misérable, si faible et si abattu par la frayeur, qu’il pouvait se traîner à peine, serait mort, sans doute, dans les horribles angoisses qui ont précédé son supplice, s’il n’avait trouvé, dans les vœux qu’il adressait au ciel, d’invisibles consolations et des forces surnaturelles. Ajoutons que, dans la foule immense qui se pressait sur ses pas, nous n’avons pas remarqué un sourire d’incrédulité ou de dérision. Loin de là, à chaque station, on voyait des femmes, des enfans, des hommes même, se [8.1]mettre à genoux et joindre leurs prières à celles du malheureux et de son confesseur.

Favard parvint enfin au pied de l’échafaud. Là encore il eut le courage ou plutôt la déplorable faiblesse de s’arrêter. Il s’agenouilla et pria pendant tout un quart-d’heure. Mais ses forces étaient évidemment épuisées comme celles de tous ceux qui assistaient depuis le commencement à ce long drame de terreur et d’angoisses. On parvint enfin à le faire lever. Il recommanda sa femme et ses enfans à M. l’abbé Audierne qui le bénit une dernière fois. « Hélas ! dit-il, je n’ai plus qu’un pas à faire, mais c’est le plus pénible ! Ah ! faut-il mourir pour les misérables qui m’ont perdu !… » Enfin il gravit les degrés, et quelques minutes après, le fatal couteau tombait avec une effrayante rapidité. Tout était fini.

Nous ne reviendrons pas ici sur le dévoûment dont M. l’abbé Audierne a donné tant de preuves en cette occasion ; dévoûment qui était alors entièrement anéanti, car on a pu voir M. l’abbé Audierne se traînant péniblement jusque chez lui, et cherchant à cacher les larmes involontaires qui tombaient de ses yeux ; nous ne parlerons pas non plus de la satisfaction avec laquelle nous avions d’abord remarqué que la foule était moins nombreuse cette fois que le jour où fut exécuté Froidefond. Ce sentiment, si nous l’avons éprouvé, a bientôt été empoisonné par la vue des excès auxquels se sont livrés quelques hommes. Ils n’ont point eu la patience d’attendre que les deux exécuteurs eussent abandonné l’échafaud, ils ont franchi les marches, et là, ils examinaient tout avec une avidité sauvage, ils épiaient les dernières palpitations du cadavre, ils respiraient, pour ainsi dire, les émanations brûlantes de ce sang qui bouillonnait sur leurs pas. L’un d’eux a même osé prendre la tête du malheureux Favard, et la soulevant par les cheveux, il suivait avec une horrible curiosité le travail de la douleur grimaçant sur des traits défigurés. Le peuple, le vrai peuple, n’a pu supporter la vue d’une si atroce inhumanité, et bientôt une grêle de pierres a mis ces hommes en fuite ; un soldat cependant a eu le temps de saisir l’un d’entr’eux, et avec une énergique colère, qui partout a été applaudie, il lui a lancé de toute sa force son poing au milieu de la figure.

Cet effrayant amour du sang, cet empressement barbare pour les spectacles de souffrances et de tortures, ne parlent-ils pas assez haut ? Ne révèlent-ils pas au législateur tout ce que la peine de mort a d’immoral et d’abrutissant ? Nous savons que cette haute question partage aujourd’hui encore les esprits les plus profonds ; mais est-ce donc une raison pour la laisser si long-temps indécise ? Pendant que l’on discute à froid, le sang coule, et le peuple, et le peuple s’habitue à ces meurtres commis le livre de la loi à la main. Parmi ces hommes qui courent à ces tragédies terribles, n’en est-il pas qui font là un horrible apprentissage, qui s’endurcissent à la vue du sang, et qui, peut-être, comme ils l’ont vu répandre, le verseront un jour sans pitié, sans remords ?

 AVIS DIVERS.

(290) A VENDRE, un métier de schals indiens en 5/4, mécanique en 1,800 ; on vendra, si on le désire, la mécanique séparément. S’adresser à M. Mauband fils, rue du Menge, n° 10, au 3e.

(291) A VENDRE, ensemble ou séparément, deux mécaniques en 784 chacune, avec engrenage, bascule à cylindre ; plusieurs rouleaux de devant et de derrière en noyer, pour 3/4, avec d’autres de [8.2]4/4 et 5/4 en tilleul ; diverses planches d’arcades ainsi que battans et peignes de différens comptes et en toutes largeurs ; le tout dans un état presque neuf. S’adresser au bureau du journal.

(256) A vendre, 8 rateaux pour la fabrique, et une mécanique en 900. S’adresser à M. Thivolet, rue des Tapis, en face de la porte des Chartreux.

(289) SURDITÉ.
Des lettres ont été adressées au docteur Mène-Maurice, de Paris, par un grand nombre de personnes honorables de la capitale, des départemens et de l’étranger, qu’il a guéries, par son Huile acoustique, de la surdité la plus invétérée. Ces lettres forment une petite brochure in-8°, contenant des documens fort utiles pour les personnes atteintes de cette infirmité, et qui se délivre gratis chez M. aguettant, pharmacien, place de la Préfecture, n° 13, à Lyon.
Huile acoustique, 6 fr. le flacon.

(275) VENTE VOLONTAIRE AUX ENCHÈRES,
D’une propriété située à Lyon, près de l’escalier du Change.
Le mercredi 30 octobre prochain, à dix heures du matin, il sera procédé, en l’étude et par le ministère de me dugueyt, notaire à Lyon, à la vente aux enchères, en deux lots, d’une propriété située à Lyon, près de l’escalier du Change, consistant en trois corps de bâtimens sur le derrière, avec cour et jardin, d’un revenu annuel de :
Premier lot : maison de trois étages, cour et jardin du revenu de 500 fr.
Deuxième lot : maison de 4 étages et bas voûté, petite maison attenante de deux étages et rez de chaussée, du revenu de 800 fr.
S’adresser, pour les renseignemens, en l’étude de Me DUGUEYT, notaire, place du Gouvernement, n. 5, chargé de traiter de gré à gré avant le jour indiqué pour la vente.
Toutes facilités seront accordées pour les paiemens.

(276) A VENDRE, grand atelier de lisage, composé de cinq lisages, deux repiquages, dont il y en a un de 1,056, 744, deux 600 et un 400 ; avec une bonne clientelle. S’adresser au bureau du journal.

(277) PAR BREVET D’INVENTION.
Les sieurs machizot, à la Croix-Rousse, et malozay, rue Vieille-Monnaie, n° 8 (mécaniciens), font des mécaniques à cannettes, selon le nombre de bouts que l’on désire, sans balles aux broches ni demoiselles, et dont la cannette s’arrête aussi promptement que l’éclair dès qu’un bout vient à casser ; en outre, l’attention des bouts est beaucoup plus fidèle qu’à celles qui ont été faites jusqu’à ce jour.
Ils font également des mécaniques rondes dans un genre nouveau, qui surpasse celles qui ont paru jusqu’à présent ; elles ont pour avantage une très grande douceur, par la suppression de tous les engrenages, bâton rompu et volans à lentilles.
Les inventeurs osent se flatter du succès de leur entreprise, vu les grandes améliorations qu’ils ont apportées à ces genres de mécaniques.

(280) A VENDRE à l’amiable, une belle propriété entre Autun, Châlon-sur-Saône et Beaune, près le canal du Centre et la route de Paris à Lyon, dans une position agréable, consistant en une belle maison de maître, réparée et décorée tout à neuf ; logemens de fermiers et de vignerons, cours, jardins, pressoirs, foudres et cuves ; caves pouvant contenir ensemble près de mille pièces de vin, vinées, écuries et granges, d’une superficie d’un hectare cinquante ares ; cinquante hectares ou cent quarante-six journaux de terres ; vingt hectares ou quatre cent soixante ouvrées de vignes ; vingt-un hectares ou soixante-une soitures de prés ; et vingt-six hectares ou cinquante arpens de bois taillis. Il dépend de cette propriété un moulin à eau, placé avantageusement et bien achalandé.
La maison de maître pourra être vendue meublée ou non meublée, au choix de l’acquéreur.
S’adresser, à Paris, à M. Maurice Richard ;
A Autun, à M. Chauveau Picard ;
Et à Couches, à Me Moulinet, notaire, dépositaire des plans de la propriété.

(281) A VENDRE, deux métiers dont un en 6/4, mécanique en 740, et l’autre en 5/4, mécanique en 400, tout montés. S’adresser à M. Dumas, rue Tronchet, n° 1, au 2e.

(284) AVIS AUX FABRICANS DE CHALES.
mercier, serrurier, fabrique des tampias en fer à 7 fr. pièce et à 72 fr. la douzaine.
Il demeure rue Condé, à Perrache, à côté des Bains.

Notes (  DERNIERS ÉVÉNEMENS D’ AFRIQUE . [3.2]...)
1. Le général Théophile Voirol (1781-1853), commandant de l’armée d’Afrique en 1833-1834, qui se battit notamment contre la tribu des Hadjouth dans la plaine de la Mitidja.

Notes (  Le Conseiller des Femmes . Tel est le titre...)
1. Eugénie Niboyet (1799-1882) allait publier Le Conseiller des femmes, entre novembre 1833 et septembre 1834. Un court moment après allait lui succéder, à partir d’octobre 1834, La mosaïque lyonnaise. Journal littéraire. À Lyon, L’Écho de la Fabrique sera l’un des très rares journaux à saluer sans restriction cette parution. Significativement, à quatre reprises par la suite, le journal des canuts reproduira des articles du Conseiller des femmes, articles signés par Eugénie Niboyet, mais aussi Louis Maignaud ou Jane Dubuisson.
2. Référence ici à Germaine de Staël (1766-1817) et à Jeanne-Marie Rolland de la Platière (1754-1793). Cette dernière avait publié, peu avant la Révolution, plusieurs articles dans le Courrier de Lyon.

Notes ( LE PROLÉTAIRE.)
1. Agénor Altaroche (1811-1884), publiciste, journaliste et homme de lettres, républicain, proche de la Société des droits de l’homme.

 

 

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