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27 octobre 1833 - Numéro 43
 
 

 



 
 
    
 

DERNIERS ÉVÉNEMENS D’AFRIQUE.

[3.2]Nous avons lu dans le Précurseur du 19 octobre, l’historique de la dernière expédition de notre armée d’Afrique, que les journaux en général ont répété dans les mêmes termes ou à peu près. – Nous le disons avec une entière franchise, les détails affreux de cette expédition, et le ton joyeusement barbare avec lequel la plume d’un militaire français les a retracés, nous ont pénétré d’une profonde tristesse.

« L’ordre du jour du lieutenant-général voirol1(dit le correspondant d’Afrique) vient de recevoir son exécution. Le souvenir du châtiment infligé aux barbares ne s’effacera pas de long-temps de leur mémoire. Il est écrit en lettres de feu et de sang dans toute l’étendue de la plaine de Métidja, où le drapeau du brave 67e de ligne et celui de la légion étrangère ont été déployés, précédés et suivis de la désolation, de l’incendie et de la mort.

Eh ! Nous aussi nous avons eu nos trois journées. Les 27, 28 et 29 septembre compteront dans nos fastes militaires et prouveront aux ennemis de la France qu’on ne l’insulte jamais impunément. »

Oh ! Nous sommes loin de partager l’opinion et la satisfaction du correspondant ; et s’il est dans nos fastes militaires une page que nous voudrions pouvoir arracher ! C’est sans contredit la dernière.

En vérité, nous sommes honteux que ces tristes exploits, que ce trophée, bien plus digne d’un peuple qui ne se lève que la croix d’une main et le poignard de l’autre, appartienne au PEUPLE FRANÇAIS, ce peuple, le plus civilisé du monde !!! – Continuons.

« Les tirailleurs du 67e et de la légion étrangère rivalisaient de zèle avec les chasseurs d’Afrique qui sont depuis long-temps habitués à faire trembler et fuir les bédouins.

Pendant que ceux-ci harcelaient nos derrières et nos flancs, la tête de la colonne qui opérait ses évolutions aussi lentement, aussi paisiblement que sur un champ de manœuvre ou qu’à une parade, la tête de la colonne, dis-je, brûlait tout ce qu’elle trouvait sur son passage.

Nos soldats, après avoir allumé l’incendie qui dévorait les habitations de nos ennemis, rentraient dans les rangs, chargés de poules, d’oies, de meubles et de butin. »

Maintenant, nous le demandons, où s’arrêteront les représailles de ces peuplades barbares que nous devions nous croire appelés à civiliser ; mais non à étouffer dans leurs habitations dévorées par le feu et la dévastation ? Et s’il se trouvait parmi eux un autre PAUL-LOUIS COURRIER ! que deviendrait notre petite armée tant affaiblie par cent combats partiels, et le soleil brûlant d’Afrique ?… Poursuivons encore.

« Le bataillon des Zouaves, qui est conduit par un chef aussi intrépide qu’expérimenté, est celui qui se faisait le plus remarquer par son courage dans le combat et par sa dextérité dans le pillage. Il serait difficile de comprimer leur élan dans ces circonstances, parce qu’ils sont peu accoutumés encore aux exigences de la discipline.

Au 67e, au contraire, le chef de bataillon désignait presque à tour de rôle un certain nombre d’hommes par compagnie, qui se détachait sans que la marche fût interrompue, et revenaient dans leurs rangs après avoir rempli leur mission vengeresse ; de sorte que chacun y allait à son tour, que le service n’en souffrait pas, et que le désordre se faisait avec ordre et sans confusion. »

Eh bien ! nous le demandons aussi : – Quels sont les plus barbares ! de ces hommes demi-sauvages, vivant dans une ignorance absolue et dans l’abrutissement le plus complet, qui, ignorant la science de la destruction, ne livrent jamais de combats réglés, mais attaquent leurs ennemis en détail, les frappent à l’improviste, les assassinent enfin ! ou de ceux qui, armés du flambeau de la civilisation, saccagent les villes, détruisent les récoltes, écrasent ou fusillent des femmes et des hommes dans leurs habitations, et à travers les champs, ainsi que l’on chasse les bêtes fauves ? – En [4.1]vérité nous n’osons résoudre cette question ; et pourtant les uns sont des Bédouins, les autres des Français.

Oh ! si telle est la situation de notre armée d’Afrique ; que le soin, la loi de sa conservation exige d’aussi cruelles vengeances ! il faut bien s’y résoudre ; mais nous avons peine à croire que les Arabes veuillent maintenant se soumettre à la domination française ; alors il faudra donc les exterminer jusqu’au dernier…

« Cette expédition, dit encore le correspondant, retrempera le moral de l’armée qu’une longue inaction fatiguait, et à qui cette affaire semble en promettre de nouvelles. »

Pour nous, nous avons peine à croire que le moral de notre armée ait besoin de tels stimulans : – nous croyons, au contraire, que d’aussi tristes lauriers pèsent à nos braves ; et qu’ils sont loin d’attendre, la joie dans le cœur, les nouvelles affaires qu’effectivement la dernière semble présager.

Maintenant, si on réfléchit que ces déplorables résultats sont le prix d’un coup de chasse-mouche ; – si l’on pèse le sang que la vengeance de cet affront a coûté à la nation française insultée ; – ce que cette vengeance amasse de haines contre nous, chez les peuplades algériennes ! on se demande ce que c’est que la civilisation, et si de tels fruits ne sont pas bien amers !!!!!

Notes (  DERNIERS ÉVÉNEMENS D’ AFRIQUE Afrique ....)
1. Le général Théophile Voirol (1781-1853), commandant de l’armée d’Afrique en 1833-1834, qui se battit notamment contre la tribu des Hadjouth dans la plaine de la Mitidja.

 

 

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