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27 octobre 1833 - Numéro 43
 
 

 



 
 
    
 LE PROLÉTAIRE.

air : Verse, verse le vin de France, etc.

Prolétaire ! voici le jour !
C’est assez dormir : le temps presse.
Le travail doit avoir son tour.
Pour toi le repos c’est paresse,
C’est paresse !
Quand le riche sommeillera
Pendant la matinée entière,
Ton bras endurci gagnera
Tout juste le pain nécessaire
Pour alimenter ta misère !…
Allons, sème, bon prolétaire ;
C’est l’oisif qui récoltera.

Au milieu de rudes travaux,
Le vin serait d’utile usage :
Il procure l’oubli des maux ;
Il rend la force et le courage,
Force et courage.
Quand le riche à sa table aura
Le Bordeaux, l’Aï, le Madère,
Ta lèvre ne s’humectera
Que d’aigre piquette ou de bière
Qui paie autant à la barrière !…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

[6.2]Lorsque la loi te fait majeur,
Surgit une dette nouvelle ;
Le capitaine recruteur
Sous les drapeaux déjà t’appelle,
Il t’appelle.

Quand le riche s’affranchira,
A prix d’or, de ce joug sévère,
C’est ton corps qui le subira,
Et tu quitteras ton vieux père
Pour marcher le pas militaire !…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

Époux et père, un jour tu veux,
Dans ta sage sollicitude,
Voir tes enfans laborieux
Vouer leur jeunesse à l’étude,
A l’étude.
Du riche quand le fils sera
D’un collège pensionnaire,
Bien heureux le tien se croira,
Si, dans une école primaire,
Il trouve alphabet et grammaire !…
Allons, sème, bon prolétaire ;
C’est l’oisif qui récoltera.

Quand le premier du mois paraît,
Survient un percepteur avide ;
Et le recors est là tout prêt,
Si par malheur ta bourse est vide,
Ta bourse est vide.
Cet impôt, que ta main paîra
Aux dépens de ton nécessaire,
Le riche seul le votera ;
Car tu n’as qualité pour faire
Ni ton député, ni ton maire...
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

Quand la mort, unique pouvoir,
Devant qui l’égalité règne,
A vos portes viendra le soir
Apposer sa lugubre enseigne,
Sa noire enseigne.
Un cortège nombreux suivra
Du riche le char funéraire ;
Mais ton chien seul te conduira,
Sur ton humble et triste civière,
Jusqu’à ta demeure dernière!…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

Au nom du plus saint des devoirs,
Tonne un jour le canon d’alarme !
Les bras velus et les doigts noirs,
Sauront seuls soulever une arme,
Brandir une arme.
Puis, quand bientôt s’amortira
L’éclat du foudre populaire,
Alors le riche sortira
De sa retraite salutaire,
Gueusant un effronté salaire !…
Allons, sème, bon prolétaire,
C’est l’oisif qui récoltera.

a. altaroche1.

Notes ( LE PROLÉTAIRE.)
1. Agénor Altaroche (1811-1884), publiciste, journaliste et homme de lettres, républicain, proche de la Société des droits de l’homme.

 

 

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