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1 janvier 1832 - Numéro 10
 
 

 



 
 
    
CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

Séance du 29 décembre.

La séance a été présidée par M. Guérin-Philippon. L'auditoire était bien moins nombreux qu'aux audiences précédentes ; mais, en revanche, les causes qui y ont été appelées, ont généralement offert plus d'intérêt.

M. Gaillard, chef d'atelier, faisait comparaître M. Reverchon, négociant. Ce dernier n'allouait à ses maîtres que 12 deniers, ou 3 p. 100, de déchet sur les schals bourre de soie qu'il fait fabriquer. Le sieur Gaillard a demandé au conseil si c'était bien là ce qui, depuis très-long-temps, avait été établi et reconnu par les fabricans. M. le président, après avoir pris l'avis de MM. les membres du conseil, a déclaré que, depuis douze au moins, par suite d'une délibération prise dans une réunion de négocians, le déchet alloué aux maîtres pour cet article était de 18 deniers, et a, en conséquence, condamné M. Reverchon à régler le déchet des schals de M. Gaillard selon ce qui venait d'être rapporté.

Le sieur Gaillard s'est plaint ensuite de ce que le sieur Reverchon lui avait fait couper une pièce, sous prétexte que la couleur était passée de mode ; mais qu'au lieu de la remplacer, ainsi qu'il l'avait promis, il en avait remis le dessin à un autre maître.

Le sieur Gaillard, d'après ce dernier procédé, a réclamé ses frais d'enlacement de cartons, du pliage et du torsage de la pièce coupée.

Le conseil, statuant sur la justice de cette demande, a condamné le sieur Reverchon à rembourser au plaignant les frais faits par ce dernier.

Ont comparu ensuite MM. Boferding, maître, et Champagne, fabricant.

Le sieur Boferding avait monté un métier de mouchoirs mandarines pour le sieur Champagne. Les frais, consignés dans un compte présenté par le sieur Boferding, s'élevaient à 42 fr. ; le salaire de l'ouvrage fabriqué se montait à 66 f. Le sieur Boferding, obligé de payer 33 f. à l'ouvrier, n'avait plus que 33 francs sur 42 qu'il avait dépensés pour le montage et le temps perdu. Il réclamait donc une indemnité.

Le négociant, de son côté, objectait que la note fournie par M. Boferding était de beaucoup exagérée ; mais qu'il ne se refuserait pas à l'indemnité que le conseil adjugerait.

M. le président a répondu au sieur Champagne qu'il connaissait l'état de la soierie ; que la demande du sieur [6.1]Boferding était très-modeste, puisqu'il avait perdu un mois et demi à l'opération dont il était question. Sur ce le sieur Champagne s'est écrié : « Je suis canut, et fils d'ouvrier, je connais aussi l?état. » Un mouvement prolongé d'hilarité, dans l'auditoire, a accueilli cette exclamation.

Le conseil, après avoir délibéré, a prononcé qu'il serait alloué au sieur Boferding une indemnité de 36 fr. 50 c.

A été appelée la cause des sieurs Patouillet et Girard.

Ce dernier avait proposé au sieur Patouillet un velours bleu de ciel, pour la confection duquel il lui promettait 6 fr. 50 c. par aune s'il était content. Le sieur Patouillet fit alors observer à ce négociant que dans cette saison il était impossible de faire un ouvrage aussi délicat, lorsque tout peut contribuer à sa détérioration ; que, dût-il le lui payer même 7 fr., à la condition de le confectionner comme dans les beaux jours, il ne pouvait s'en charger. Faites-le du mieux qu'il vous sera possible, répondit alors le sieur Girard, et la pièce fut acceptée par le maître.

Le velours terminé et rendu, le négociant n'avait plus jugé convenable de tenir la parole qu'il avait donnée ; il prétendait, sur un léger prétexte déjà prévu, faire à ce maître un rabais de 1 fr. 50 c. par aune.

M. le président, indigné d'une telle conduite, a dit au commis représentant le sieur Girard, que celui-ci avait livré la pièce à ses périls et risques dans un temps où il est impossible au meilleur ouvrier de répondre d'aucune avarie pour certaines couleurs ; qu'en outre le prix de 6 fr. que réclamait le maître-ouvrier Patouillet, était déjà trop minime pour être contesté.

M. le président a, en conséquence, condamné le sieur Girard à payer au sieur Patouillet le prix de 6 francs par aune de la pièce qu'il avait fabriquée.

M. Gabillot, négociant, appelé pour quatre causes, et M. Faure, également négociant, appelé pour deux, ayant fait défaut, M. le président a fait une juste observation à ce sujet, et à peu près en ces termes : « Quand les ouvriers, qui n'ont pas de temps à perdre, se rendent aux invitations qu'ils reçoivent, pourquoi MM. les fabricans refusent-ils de se présenter ? Je déclare que si ces messieurs ne paraissent pas à la prochaine invitation, ils seront passibles d'indemnités envers les ouvriers qu'ils dérangent de leurs travaux, sans préjudice des autres frais ou indemnités quelconques qu'ils encourraient par une condamnation, s'il y avait lieu. »

 

 

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