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11 novembre 1833 - Numéro 45
 
 

 



 
 
    

Nous avons reçu d’un de nos abonnés la lettre suivante :

Au Rédacteur.

Monsieur,

Veuillez insérer le fait suivant dans votre prochain numéro :

Les sieurs B...... et T....., négocians, s’arrogent le droit d’écrire en marge, sur les livres des maîtres lisseurs, une convention ainsi conçue : « En cas d’erreurs, les réclamations qui ne seront pas faites de suite, seront nulles. »

J’ai l’honneur, etc.

un chef d’atelier, l’un de vos abonnés.

Note du rédacteur. – Comme l’original de cette lettre est revêtue de la signature de son auteur, nous ne pouvons douter de la véracité du fait qu’elle contient. Nous croirions manquer à notre devoir en nous abstenant d’éclairer nos concitoyens sur la juste appréciation d’un pareil contrat.

Nous pourrions nous borner au mot nul, mais ce laconisme serait peut-être insuffisant pour quelques-uns de nos lecteurs ; nous entrerons dans le détail des motifs de cette nullité. D’abord, comme on doit, dans l’interprétation des conventions, s’arrêter plutôt à l’intention des parties qu’au sens littéral des termes, plus on réfléchit à l’esprit qui a dicté cette convention, plus elle paraît entachée de mauvaise foi ; ce serait un genre de spéculation frauduleuse tout à fait nouveau. Quoi ! un artisan, par le fait de cette convention, serait obligé de supporter toutes les conséquences des erreurs qui existeraient sur son livre à son préjudice ! Ses façons y suffiraient-elles ? Qui sait de quelles erreurs il pourrait être victime ? N’est-il pas présumable que ces erreurs seraient nombreuses ou considérables ? N’est-il pas permis de douter que celui qui ose imposer de pareilles lois, peut être capable de se tromper volontairement à son profit ? C’est vraiment incroyable, quand on songe quel degré d’astuce et de rapacité, quel comble de corruption il faudrait pour décider un négociant à descendre jusqu’à s’approprier les deniers du travailleur trop confiant. Le brigandage qu’exercent les scélérats qui obtiennent par la violence un acte à leur profit ne serait pas aussi dangereux qu’une pareille convention, si elle était exécutable, parce que la loi accorde aux victimes d’un guet-apens le délai nécessaire pour protester contre leur signature. Ici, pas le moindre délai ; c’est de suite qu’il faut réclamer. Réclamer de suite ? c’est être par trop exigeant ; c’est vouloir l’impossible ; c’est ne pas connaître ce qui caractérise l’erreur. Qu’est-ce que c’est que l’erreur ? c’est un mécompte qui n’est reconnu qu’après un laps de temps plus ou moins considérable. Le mécompte reconnu de suite ne constitue pas une erreur.

Oh ! spéculer sur l’erreur ! nous n’aurions jamais osé prévoir la possibilité d’un pareil abus ; heureusement le législateur a été plus prévoyant que nous. Que les tisseurs qu’occupent les sieurs B...... et T..... se rassurent ; ces négocians sont peut-être ignorans de cette coupable innovation ; elle n’est, suivant notre avis, que l’œuvre d’un commis ignorant et présomptueux, qui ternit la réputation de ses chefs en croyant servir leurs intérêts. Qu’ils adressent à MM. B...... et T..... leurs justes plaintes à cet égard, et si, contre notre attente, ils n’obtenaient pas satisfaction, dans un autre article nous leur ferons connaître les moyens de droit qu’ils auraient à opposer.

 

 

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