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11 novembre 1833 - Numéro 45
 
 

 



 
 
    
Associations.

Depuis quelque temps l’esprit d’association se développe avec une admirable rapidité. En vain les feuilles du pouvoir le poursuivent de leurs dénonciations ; en vain les parquets le guettent au passage et tentent de l’écraser sous le poids des amendes et des chaînes, l’esprit d’association étend partout ses ramifications ; il s’implante dans le sol ; déjà il domine nos lois et neutralise, dans les mains des gens du roi, celles de leurs dispositions dont [2.2]ils s’arment contre lui. Le procès contre les Mutuellistes en a offert un mémorable exemple ; un magistrat probe et éclairé, tout en appliquant la loi, a proclamé des espérances de son abrogation.

Cet esprit d’association effraie nos gouvernans : on le conçoit, tout les effraie ; mais doit-il effrayer les hommes vraiment amis de leur pays et de l’humanité ? non. En voici quelques motifs que j’adresse aux hommes timides, afin qu’ils cessent de trembler, et aux ouvriers afin que, sans menace, sans violence, sans désordre, ils persistent dans leurs sages associations ; car dans leur sein est l’avenir du pays.

L’oppression, on le sait, a toujours enfanté les associations. Des hommes qui souffrent veulent combattre un mal, mettre un frein à l’injustice, soulager une infortune : leurs efforts isolés sont impuissans ; ils les unissent ; voila l’association. Ils l’agrandissent en appelant à eux d’autres hommes ; mais ces nouveaux adeptes ne sont pas admis, s’ils ne tiennent de l’opinion publique le brevet d’hommes de bien, s’ils ne promettent de faire des sacrifices personnels pour le bonheur commun. Ainsi, chacun sait donc qu’appartenir à ces sociétés est un honneur, qu’en être repoussé est une honte. Ces associations sont donc une excitation à la vertu, puisque pour y obtenir droit d’entrée il faut être vertueux ; les sociétaires savent que leur vie n’est pas murée, qu’ils doivent compte de tous leurs actes à la société ; il y a donc pour eux une obligation de combattre leurs habitudes coupables et d’être hommes d’honneur et de probité. Qu’on veuille examiner les associations politiques ou industrielles qui couvrent comme d’un réseau notre cité tout entière, on reconnaîtra que dans ces associations sont les plus hommes de bien, les plus amis de l’humanité. L’égoïste seul peut aimer à vivre isolé : renfermé dans son individualité, il est sourd à toutes les infortunes privées ou publiques ; lorsqu’il a pu s’entourer de toutes les jouissances de la fortune, que lui importe les souffrances d’autrui ?

Les associations sont un moyen de répandre les lumières. Entre des hommes réunis il s’établit un échange d’idées, une communication de réflexions souvent contradictoires. Cette opposition d’idées, ce frottement d’opinions divergentes, ont pour résultat ordinaire et presque immédiat la vérité. Toujours dans des réunions d’hommes on entend des paroles généreuses, des appels à la philantropie ; toujours l’exaltation de l’amour du pays, du dévoûment à la patrie ; toujours dans toute réunion on flétrit le vice et toujours on préconise la vertu. Ainsi ces ouvriers de toutes les professions dont les associations n’ont d’autre but que celui de s’aider mutuellement dans le besoin, savent tous que cet appui, pour être certain et durable, doit se fonder sur le travail et l’économie. Aussi, les premières conditions pour appartenir à leur association, sont une probité incontestée et l’amour du travail, de l’ordre et de l’économie. Ces conditions imposées à leurs adeptes n’en disent-elles pas plus que tous les livres ? N’ont-elles pas plus d’empire sur les cœurs que toutes les colères et les menaces de la chaire ? Reconnaissons donc, d’après ces seuls motifs, que ces associations sont essentiellement morales, et qu’elles ont pour résultat immédiat de corriger les mœurs avant même d’obtenir l’amélioration matérielle qui est leur seul but. Si maintenant on réfléchit que quelques sociétaires sont tour à tour chargés d’une censure toute personnelle, de visiter leurs frères malades, de les aider dans leurs besoins, de les consoler dans leurs douleur, de relever leur courage abattu par les souffrances [3.1]en leur montrant leur société veillant sur eux avec la sollicitude d’une tendre mère, on comprendra que ces associations doivent dissiper au lieu d’augmenter les terreurs des gouvernans, et qu’au lie d’entraver leur marche par les chicanes d’une odieuse police, ils devraient leur offrir, non leur appui, elles n’en ont pas besoin, mais ce droit de cité qu’elles sauront bien conquérir si ou persiste à le leur refuser.

Les associations mènent à l’égalité, à la démocratie… c’est là tout leur tort aux yeux des gouvernans ; aux nôtres, c’est leur principal mérite, et elles l’ont réellement, l’association des Mutuellistes le prouve. Le chef d’atelier n’est plus isolé ; fort de l’appui de ses frères, il fait respecter son caractère d’homme ; sans inquiétude d’un avenir qu’il sait n’être plus à la merci du négociant, il traite avec lui d’égal à égal, de puissance à puissance ; il sait qu’on peut lui refuser des matières à ouvrager, mais il sait aussi qu’il peut, lui, refuser sa main-d’œuvre ; et, dans les deux cas, il a pour appui ses associés qui ne souffriraient pas que la misère puisse, même de loin, lui montrer son front menaçant. Le fabricant, qui reconnaît impuissantes ses vieilles menaces de suspension de travaux, de cessation de commerce, revient enfin à de meilleures idées, et sa cupidité recule devant d’infames spéculations, celles sur la faim des ouvriers. Des rapports plus intimes, des relations plus amicales s’établissent entre eux, et l’alliance de l’ouvrier et du fabricant succède enfin au hideux despotisme dont l’un écrasait l’autre.

Déjà ces heureux résultats des associations ont été remarqués dans notre cité. Les tullistes, les tailleurs de pierre, les mutuellistes, les ferrandiniers ont cessé leurs travaux librement et sans qu’aucune violence ait été exercée. Les parquets ont bien poursuivi, les tribunaux ont bien prononcé quelques condamnations, mais les résultats qu’espéraient ces associations ont été obtenus ; les salaires ont été augmentés, et depuis les travaux ont continué sans que nulle part on ait fait entendre des plaintes. Qu’on déclame tant qu’on voudra contre les coalitions ; que les gens du roi, armés des dispositions tyranniques du code pénal, les poursuivent avec fureur : déjà sorties victorieuses de plusieurs luttes, elles survivront à l’article 415, car elles ont pour base une loi de tous les temps, de tous les pays, l’équité.

Les tribunaux l’ont reconnu ; ils ont plutôt donné de paternels avertissemens qu’infligé des peines aux ouvriers ; et bientôt, nous l’espérons, ils sauront repousser toutes poursuites du ministère public contre les associations. La misère enfante les crimes, l’association tue la misère. Poussons à l’association, le peuple deviendra moral, le peuple sera heureux !

Ph. ch....

 

 

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