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24 novembre 1833 - Numéro 47
 
 

 



 
 
    

Nous avons été contraints de renvoyer à aujourd’hui l’insertion de l’article suivant, qui nous avait été communiqué trop tard pour lui donner place dans notre dernier numéro. Après avoir donné place à l’éloge de l’Association commerciale d’échanges, notre impartialité nous fait un devoir d’en accueillir la critique. Nous pensons que ce n’est que de la libre discussion que peut naître la vérité.

Au Rédacteur.

Lyon, 7 novembre 1833.

Monsieur,

Vous avez consacré dans votre dernier N° un article à l’association commerciale d’échanges. Après avoir examiné le système qu’on a essayé d’introduire dans notre cité, et tout en approuvant son principe, vous avez reconnu que l’application, telle que l’entendent les fondateurs, [6.1]présentait des difficultés qui ne sauraient être aplanies avant que les masses aient atteint un plus grand développement intellectuel.

Votre examen consciencieux et vos justes appréciations me font espérer, monsieur, que vous voudrez bien accueillir quelques observations sur un sujet qui intéresse si vivement nos concitoyens.

Vos remarques n’ont porté que sur la théorie de l’échange ; mais il en est de cette conception comme de beaucoup d’autres dont l’idée principale séduit, entraîne, mais qui viennent se briser contre l’exécution, lorsqu’elle n’a pas reçu la sanction du juge suprême, l’expérience.

Avancer que dans les transactions commerciales on peut arriver à se passer de numéraire ou d’un signe quelconque, qui serve d’intermédiaire entre les marchandises et de point de comparaison à leur valeur, est une chimère que l’on doit mettre en compagnie de la pierre philosophale et de la quadrature du cercle ; une semblable proposition ne saurait supporter l’examen. Les premiers hommes, dit-on, pratiquaient l’échange ; mais aujourd’hui les plus sauvages des Deux-Mondes ont leur numéraire qu’ils trouvent dans de simples coquillages. N’est-ce pas confirmer cette vérité, que la monnaie est au nombre des premiers besoins de l’homme réuni en société ?

Si nous arrivons à la spécialité, je demanderai d’abord par quelle anomalie bizarre les directeurs de l’échange, qui repoussent le numéraire comme une inutilité, se font payer une commission de 4 p. % en argent ? C’est le plus beau démenti qu’ils puissent donner à leur système, et cette condition prouverait sans réplique que le travailleur qui se lie à l’association doit toujours se procurer des espèces, ne fût-ce que pour acquitter les droits d’échange.

Comme vous le dites fort bien, monsieur, il faut dans l’association que les membres dont les produits sont d’un usage plus fréquemment répétés, soient en plus grand nombre, que les travaux engagés soient équilibrés ; qu’il ne se trouve pas plus de chapeaux que de têtes à coiffer. Mais c’est précisément ce qui n’existe pas, ce qui ne peut exister. Dans les 1,000 ou 1,200 adhésionnaires qu’a réunis la Société d’échanges, les professions sont toutes hors de proportions. On trouve engagés des avocats et des médecins plus que la réunion ne fournira de procès et de malades ; on voit un grand nombre de professions qui ne sont nullement utiles aux besoins journaliers, tandis qu’il manque totalement de boulangers, de bouchers, d’épiciers. C’est que ceux-ci ont trop bien compris qu’à leur égard l’échange était sans intérêt, sans objet ; leurs marchandises étant de première nécessité, l’argent ne peut jamais manquer de venir les chercher. On ne rencontre parmi les adhésionnaires, ni bijoutiers, ni horlogers ; ici la raison n’est pas difficile à saisir.

Vous supposez, pour expliquer le mécanisme de l’échange, une société de 100 travailleurs ; mais on ne peut donner cette qualification à tous ceux que vous y faites entrer. Le boulanger, le boucher, l’épicier, le marchand de draps, d’étoffes, et en général tous les marchands ne sont pas rigoureusement des travailleurs ; chacun d’eux doit se procurer les matières premières, et tous ont fondé le succès de leur profession sur un principe invariable, seule base du commerce : acheter à un prix et vendre plus cher. – Vouloir mettre en rapport direct les premiers producteurs est une impossibilité patente. Jamais, par exemple, vous ne lierez [6.2]entre l’ouvrier cordonnier de Lyon et un planteur de St-Domingue, l’échange d’une livre de café.

Une autre difficulté presque insurmontable est celle que présente l’évaluation des marchandises ; ici se déroulent des complications de tous genres qui s’opposent presque toujours à la réalisation des échanges. Je ne les passerai pas en revue aujourd’hui pour ne pas remplir vos colonnes du même sujet ; mais si vous donnez place à cette lettre, je reviendrai sur la question ; je démontrerai que le commerce n’est autre chose qu’un échange facilité dans son action par une valeur, un lien fictif : le numéraire ou le papier. J’établirai qu’il est impossible de se passer de cet agent puissant sans lequel il ne serait plus permis d’arriver au bien-être, à la fortune ; enfin, que l’échange, tel qu’il s’est montré dans notre ville, n’a été que nuisible à nos concitoyens. Il nous restera à examiner ce qu’il y aurait à faire pour une meilleure application du principe.

Agréez, etc.

X.....

 

 

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