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1 décembre 1833 - Numéro 48
 

 




 
 
     

Encore des Coalitions.

ce qu’elles annoncent ; ce qu’elles produiront.

Voici venir les forts de la monarchie, qui voyant à la surface du pays fourmiller les associations d’ouvriers, ont dit, se croisant les bras, contrefaisant les penseurs et hochant superbement la tête : « Le serpent de la république est là-dessous », et ont pétitionné leur gouvernement : « Faites-nous des lois, beaucoup de lois ; que ces gens-ci ne se puissent plus réunir, si ce n’est, au plus, au nombre de deux. »

Or, messieurs de la monarchie, vous pensez en avoir fini avec l’esprit d’association sitôt que vous aurez tapissé nos murs de vos craintes avec glose et préface industrielle de M. Prunelle ? Pauvres gens ! de grace, écoutez-donc la grande voix de l’avenir qui prophétise, à qui veut entendre, les causes du grand phénomène des coalitions et les destinées du travail, écoutez :

Du sein des associations doit éclore une organisation prochaine ; ces associations, à cette heure, dispersées sur le sol, sont des germes qui bientôt grandiront ; ce sont des matériaux épars que le présent apprête et amasse, que la main de l’avenir trouvera là, qu’elle ajustera et alignera pour fonder une administration générale du travail.

Avez-vous donc espéré, messieurs du pouvoir, que long-temps encore les travailleurs français, aujourd’hui instruits et nombreux plus qu’autrefois, pourront se résigner tous les matins à aller à la découverte du hasard [1.2]auquel ils doivent chaque jour le travail et la vie ? pourront se résigner à se rencontrer chaque soir, eux et les leurs, face à face avec la faim, sans rêver, sans poursuivre une organisation qui leur épargne cet affreux tête-à-tête et qui les rassure pour leurs vieux jours ? Ils l’ont bien senti, les travailleurs, la république doit réaliser un jour ce souhait, ce désir légitime pour lequel provisoirement ils se liguent entr’eux ; et si vous ne prenez les devants, messieurs de la monarchie, vous y serez pris ; c’est rassurante chose que la police et la finance, mais qui ne suffit à tout, messieurs ! Votre clé d’or s’y pourrait briser.

En France, vous vous perdez dans la foule des gardes-champêtres, agens, commissaires, procureurs du roi, administrateurs, directeurs, percepteurs de toutes sortes et de tous habits ; vous comptez ces agens par milliers. Eh bien ! parmi ces armées de fonctionnaires, lequel est pour le travail ? Demandez-le ; on vous rit au visage ; il s’agit bien vraiment d’avoir une administration qui s’occupe de faire vivre les Français ! Un directeur de haras, à la bonne heure ; c’est parler, cela ! Améliorer les bêtes, cela se conçoit ; mais prendre soin de l’espèce humaine et du travail qui nourrit cette espèce, c’est indigne d’une monarchie ! Voyez aussi, que des circonstances imprévues, que des événemens extraordinaires viennent suspendre ou briser les métiers d’un million d’ouvriers, voila des familles sans pain, et aucune administration n’est là pour y prendre garde ; la monarchie dîne et passe outre.

Que des ouvriers tombent malades ; en quelques jours leurs familles sont dans la plus profonde misère, la monarchie dîne et passe outre.

Que la mort enlève un père de famille et laisse la faim à de petits enfans, la monarchie dîne et passe outre.

Que dans l’intérêt de l’ordre de choses, messieurs du parquet emprisonnent avant jugement et sous leur bon plaisir un chef de famille ; si les enfans du captif ont faim, le parquet dîne et passe outre.

Et vous voulez que les ouvriers, qui se voient chaque jour victimes de ces affreux malheurs, ne s’associent pas pour en conjurer le retour ? Il ne vous est donc jamais arrivé de vous dira : Si je n’avais rien pour demain, si le pain même me manquait ! si j’avais des enfans !… » et que la faim fût là !… car, à ces pensées, vous sentiriez [2.1]le froid de la crainte vous courir par le corps, et alors vous comprendriez l’effrayante anxiété qui doit tourmenter les 28 millions de travailleurs français ; vous comprendriez l’entraînement du sentiment commun du besoin qui les oblige de se serrer, de se presser poitrine contre poitrine, pour s’étourdir dans l’orage et résister ensemble. Il faut bien qu’ils organisent leur travail ; car enfin, l’avez-vous organisé, vous ? Voulez-vous, pouvez-vous l’organiser ? Non, vous dînez et passez outre. – Mais le Samaritain viendra qui ne passera pas outre.

Que feront ces lois que vous préméditez ? Que feront vos prisons, vos baïonnettes, vos balles ? Quand vous aurez emprisonné ou fusillé la moitié des ouvriers, le reste sera-t-il plus sûr de son avenir ? Sentira-t-il moins la nécessité toujours incessante d’une confédération ?

Faites du moins, pour assurer l’existence de vos semblables, ce que vous faites pour préserver les récoltes, les baliveaux, les routes, les créances des capitalistes ; pour chacune de ces choses, vous avez créé des administrations spéciales, l’administration des gardes-champêtres, celle des eaux et forêts, des ponts et chaussées, des hypothèques, etc., etc. N’est-il donc pas temps encore de songer à une institution qui préserve vos semblables de la faim ?

Vous nous donnez une administration des cultes qui nous charme par les chants grégoriens et les serpens, par l’harmonie des cloches et par la magnificence des cérémonies ; nous pouvons aller à confesse, au catéchisme, à la messe, à vêpres, voire même à complies : rien de mieux ; chaque commune a son église, son missel à olives, sa crécelle, sa vierge, son marguillier et son curé ; c’est bien vu, sans doute. Quand on veut des prières ou l’absolution, on sait où aller ; mais pour trouver du travail ! mais du pain ! ne vous adressez à personne, personne n’y prend peine, comme vous voyez. Vous avez tout organisé pour gagner la vie éternelle, que nous vous souhaitons ; mais vous n’avez rien fait pour la vie actuelle que nous tenons et que nous voudrions garder, ne vous en déplaise ?

Or, cette anarchie dans la propriété du travail ne peut plus durer, messieurs, et le temps approche où ces paroles vont s’accomplir ; on verra, par commune, un administrateur industriel pour les travailleurs, comme on y voit un curé pour les dévots ; on y verra un temple ou une bourse comme on y voit une église ; une liste dans un cadre doré, contenant, non pas les noms de messieurs de la confrérie du St-Sacrement, mais de messieurs les ouvriers et leur genre de talent ; et au lieu de messes, homélies, sermons, benedicat vos, etc., on ouïra un bel et bon journal, aux frais du pays, notant le prix de tous les objets travaillés, le taux et le mouvement des marchandises, en tous les lieux ; les endroits où manque le travail et où il regorge ; les réclamations de tous ; enfin tout ce qui concerne l’industrie et l’œuvre ; et le prêtre commercial, élu des siens, tiendra registre exact des intérêts industriels de sa commune, saura chaque jours ceux qui sont privés de moyens d’existence. A lui viendront les pauvres ouvriers et les négocians qui sollicitent et offrent la façon, et dans chaque localité, constamment on tiendra prêts des travaux utiles à tout le monde, faciles et toujours accroissant la prospérité de l’endroit ; travaux à bon prix, de manière que l’industriel, s’y livrant, y gagne sa vie, et passe dire au capitaliste qui voudrait le serrer à la gorge dans les temps mauvais, et lui marchander la journée : Merci, je m’en vais à mon prêtre ; il me fournit [2.2]travail à meilleur taux, et je ne suis plus dans la nécessité de prendre le vôtre ou de mourir de faim ; merci.

Ayant telle organisation en France, vous ne craindrez plus ni interruptions, ni inégalités capricieuses dans les opérations, ni chute d’une branche d’industrie par laquelle sont dépostés les pauvres ouvriers, et jetés, misérables, sur la place ; ainsi 28 millions d’hommes ne vivoteront plus au hasard et n’auront que faire de se coaliser, et les préfets pourront dormir.

De plus, à côté de cela vous élèverez des établissemens de secours publics pour les vieillards, les infirmes, les malades, les enfans abandonnés, que le prêtre industriel vous fera connaître, et vous serez délivrés du paupérisme, des monts-de-piété et des bureaux de bienfaisance ; trois fléaux, les deux premiers surtout, qui vont corrompant le peuple et l’excitant au mal.

Ainsi se réaliseront les saintes inspirations de la Convention dans les décrets du 28 juin et 8 messidor 17931 ; car elle avait eu souci des malheurs du peuple, cette grande Convention, que MM. les doctrinaires calomnient, eux, petits, ne pouvant saisir l’immensité de son œuvre ; mais le monde, que sa mais a lancé sur la tangente de l’avenir, roulant sans dévier, docile à l’impulsion qu’elle seule pouvait oser lui imprimer, témoigne assez de la sainteté de ses intentions ; et vos monarchies, qui voudraient bien enrayer le monde, se jetant au devant, seront écrasées chétives !

F. C.

Elections départementales.

les propriétaires.

Travailleurs, qui n’héritez que de la misère et de la liberté contestée de travailler 14 heures par jour pour tel ou tel maître, soyez contens, chantez alleluia ! car les gens du tiers, qui ont pris la place des nobles, sont satisfaits et crient que tout est bien, qu’il n’y a plus ni priviléges, ni monopoles, ni castes ; que toutes les routes sont ouvertes à qui veut les parcourir.

Vous avez sous les yeux une preuve de la vérité de ces assertions : voyez si la noblesse fut jamais plus exclusive que la propriété ?

Lyon est une ville essentiellement industrielle, nul ne le niera ; l’industrie, le travail, c’est la vie, l’âme de la cité, et tout le reste en est la conséquence ; chassez de Lyon l’industrie, et l’herbe y croîtra et ses maisons seront désertes. La propriété naît et vit de l’industrie, qui est cause première des richesses.

Ce fait, évident pour tous, une fois admis, ne devrait-on pas croire que la plupart des représentans ou administrateurs de Lyon sont ou doivent être des industriels ? Eh bien ! c’est le contraire. La propriété domine et règne partout. Jadis, pour admettre un homme aux emplois, on demandait s’il était , c’est-à-dire noble, aujourd’hui ou demande s’il est propriétaire.

Jadis on mesurait la considération à l’origine ; aujourd’hui aux contributions. On avait tout dit lorsqu’on pouvait remonter aux Croisades ou aux guerres civiles. On a tout dit, on est propre à tout lorsqu’on a pignon sur rue, et que l’on paie assez pour être éligible. En vérité, l’un n’était pas plus absurde que l’autre.

Les élections pour le conseil général viennent d’avoir lieu1 ; Lyon a élu six membres. Vous croyez que cinq, au moins quatre sont des industriels ? Non, sur six [3.1]nous avons un industriel, deux médecins-propriétaires et trois propriétaires purs.

Mais voyez jusqu’où les nobles du jour pousse le rigorisme ; leur maire, leur homme, certes, et nous devons le dire, de beaucoup le plus capable d’entr’eux tous, a été ballotté deux jours ; il ne s’en est fallu que de quelques voix qu’il n’échouât. Savez-vous pourquoi ? C’est qu’il n’est pas propriétaire à Lyon même.

Et que nous montions vers la chambre des députés, ou que nous descendions aux conseils municipaux, nous trouvons toujours la propriété exclusive de la capacité, plus que la noblesse ne l’était de la roture.

Une pareille organisation peut-elle durer ? Non, car elle entrave la marche et le développement de la puissance du siècle, de l’industrie.

Au Rédacteur.

Monsieur,

Vous avez inséré dans votre numéro de dimanche dernier, 24 novembre, une lettre signée Dérobert, chef d’atelier, contenant des assertions mensongères et diffamatoires sur notre maison. Vous avez ajouté à cette lettre une note dans laquelle vous dites que vous ne doutez nullement de la vérité des faits qu’elle contient, et que si nous ne donnons pas quelques explications dans cette affaire, notre silence ne plaidera pas en notre faveur.

Profondément blessés dans notre honneur par la publication d’une aussi basse calomnie, nous n’avons pas dû nous borner à donner des explications, nous avons dû appeler le grand jour et l’investigation la plus minutieuse sur un fait aussi grave. En conséquence, nous avons cité M. Dérobert à comparaître au conseil des prud’hommes lundi dernier, et demandé devant lui une enquête générale sur tous les faits avancés par ce chef d’atelier.

Le conseil ayant fait droit à notre demande, MM. Goujon et Joly, prud’hommes négocians, Martinon et Bourdon, prud’hommes chefs d’atelier, formant la commission nommée par le conseil, ont procédé mardi matin à cette enquête en présence de M. Dérobert. MM. Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique, et Falconnet, ancien prud’homme et ancien gérant du même journal, l’un et l’autre chef d’atelier, ayant été invités par nous à assister à tout ce qui serait fait, étaient présens.

Les comptes de M. Dérobert ont été soigneusement révisés, les balances du magasin ont été examinées, comparées et trouvées l’une et l’autre parfaitement justes et d’accord en tout point avec celles du conseil des prud’hommes. Les nombreux maîtres qui se trouvaient au magasin pour rendre ou recevoir, interpellés par les prud’hommes sur la manière dont le service des ouvriers se faisait, ont répondu unanimement qu’il se faisait loyalement, qu’ils trouvaient chez eux le même poids qu’au magasin, qu’ils n’avaient jamais connu de différences entre les deux balances, que le service se faisait indifféremment dans l’une comme dans l’autre, et presque toujours au choix des chefs d’atelier, puisqu’ils avaient assez ordinairement l’usage de placer eux-mêmes leurs pièces dans la balance.

Le résultat de cette enquête, qui a été faite aussi consciencieusement et poussée aussi loin qu’il était possible de le désirer, a démontré que toutes les inculpations avancées par Dérobert étaient fausses et calomnieuses, qu’elles ne reposaient sur aucun fondement, et que tous [3.2]les comptes de ce chef d’atelier avaient été réglés avec la plus sévère justice et la plus scrupuleuse délicatesse.

Enfin, M. Dérobert lui-même, pleinement convaincu de ses torts, a signé devant les témoins qui avaient assisté à l’enquête la déclaration suivante :

« Je soussigné, reconnais et déclare, pour rendre hommage à la vérité, que toutes les allégations contenues dans la lettre que j’ai adressée à l’Echo de la Fabrique de dimanche dernier, sont fausses et nullement fondées ; je déclare qu’après la vérification qui a été faite à la requête de MM. Arguillière et Mourron, par une commission composée de quatre membres du conseil des prud’hommes, et en présence de MM. Falconnet et Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique, il a été unanimement reconnu par ces Messieurs et par moi-même, que j’avais fait erreur, et que tous mes comptes avaient été réglés avec justice et bonne foi. En conséquence, je rétracte publiquement la lettre dont ces Messieurs ont à se plaindre, dans tout son contenu.

Lyon, ce 26 novembre 1833.

Signé DEROBERT, chef d’atelier.

La présente déclaration faite en présence des témoins ci-dessous signés :

E.-Ant. Goujon, prud’homme ; Martinon, prud’homme ; Bourdon, prud’homme ; Joly, prud’homme ; Falconnet, ancien prud’homme, chef d’atelier ; Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique.

Maintenant, M. le rédacteur, une réflexion se présente naturellement. Dérobert n’avait fait qu’une seule pièce de 68 aunes 3/4 ; il était en avance sur cette pièce de 35 grammes qui avaient été portés à son compte d’argent ; après son réglement de compte, il avait encore rendu un échantillon qui, avec les nœuds, pesait 10 grammes, ce qui portait son avance totale à 45 grammes. Il n’avait pas pu nous fournir de la soie, puisqu’il en avait eu beaucoup de reste. Après cette avance, qui était bien réglée et bien constatée sur son livre, était-il matériellement possible qu’on lui eût fait tort de 75 grammes, ainsi qu’il le disait ? Cette circonstance seule ne devait-elle pas établir le doute dans votre esprit ? Et cependant vous avez avancé que vous ne doutiez nullement de la vérité des faits.

Nous n’ajouterons rien à cette observation, persuadés que vous déplorez vous-même la précipitation et la confiance avec laquelle vous avez accueilli et publié une semblable calomnie.

Agréez, etc.

arguillière et mourron.

Note du rédacteur. – Personne, plus que nous, n’aime à rendre justice à qui le mérite : aussi nous empressons-nous de publier cette lettre qui rétablit, mieux que nous ne pourrions faire nous-mêmes, la réputation de la maison Arguillière et Mourron.

C’est à regret, nous le confessons, que nous avons contribué à répandre sur elle des soupçons défavorables que l’enquête a heureusement éclaircis ; mais nous dirons aussi que, organe des chefs d’atelier et de tous les industriels, notre mission est de recevoir et de publier toutes les réclamations qui nous sont adressées par eux lorsqu’elles sont revêtues des signatures qui peuvent mettre à l’abri notre responsabilité.

Quant aux reproches que nous adresse cette maison, d’avoir trop légèrement accueilli la plainte de ce chef d’atelier, nous répondrons que nous n’avons pas pour habitude de demander à nos correspondans s’ils sont fondés dans leurs demandes, et moins encore de dépouiller leurs comptes.

Maintenant que MM. Arguillière et Mourron nous ont, par une enquête solennelle, mis à même de proclamer leur probité et leur bonne foi, nous éprouvons une satisfaction bien plus grande à le faire, que nous n’avons mis d’empressement à publier un fait qui, tout énorme qu’il nous paraissait, n’était pourtant pas de [4.1]nature à ne pas exister, ne fût-ce qu’accidentellement. Nous espérons enfin que de cette malheureuse affaire il en ressortira cet enseignement utile : Que les ouvriers, aujourd’hui, veulent non-seulement un salaire proportionné à leur travail ; mais encore qu’on use à leur égard de tous les procédés qu’on se doit entre honnêtes gens.

De leur côté, les chefs d’atelier comprendront aussi qu’ils doivent mettre la plus grande circonspection dans les griefs qu’ils ont à dénoncer au public ; autrement ils nuiraient à l’intérêt de leur cause, qui est trop belle pour la compromettre aussi légèrement.

Au même.

Lyon, 7 novembre 1833.

Monsieur,

Nous répondons à la lettre signée P....., que vous avez insérée dans votre numéro du 24 novembre dernier, et à la note plus que fâcheuse dont vous l’avez accompagnée, par ce seul fait.

Le sieur P..... n’a fabriqué qu’une seule pièce pour nous ; il a été en avance de 43 grammes, et cette avance a été portée à son compte d’argent.

Agréez, etc.

P. francoz fils.

Note du rédacteur. – Nous prions M. Francoz de lire de nouveau la lettre de M. P....., et il se convaincra que ce chef d’atelier ne l’accuse pas de l’avoir trompé dans le poids de la trame, puisqu’il avoue que l’erreur avait été rectifiée ; mais il signale tout simplement la manière peu polie avec laquelle on a accueilli sa réclamation.

Nous désirons bien sincèrement que cette observation puisse convaincre le public que la lettre de M. P..... n’a pas eu pour but de nuire à la réputation de cette maison, mais bien de signaler le peu d’égards dont elle a usé envers lui dans cette occasion.

ÉTABLISSEMENT

d’une maison centrale de commerce,

Entre les chefs d’atelier et ouvriers de Lyon.

La maison centrale de commerce des chefs d’atelier et ouvriers de Lyon, pour la fabrication et la vente des étoffes de soie, vient de publier les statuts de la Société. Depuis long-temps le besoin d’un établissement semblable se faisait sentir, et nous applaudissons de bon cœur à sa création. Le courage et la persévérance qu’ont déployés en cette circonstance des hommes qui se sont dévoués au bonheur de leurs semblables, pour surmonter les nombreux obstacles qu’ils ont déjà rencontrés sur leur chemin, nous sont garans des efforts qu’ils feront sans doute pour conduire à bien cette généreuse entreprise. Nos vœux les accompagnent. Espérons que l’appel qu’ils font à leurs confrères sera entendu, et qu’ils s’empresseront de concourir à la réussite de cette œuvre d’émancipation.

On souscrit chez
MM. bonnard, plieur, rue Henri IV, n° 3, à la Croix-Rousse.
naudor, chef d’atelier, rue de la Visitation, n° 3, id.
garçon, id., id., id.
armand aîné, id., id., id.

gauthier, plieur, montée Rey, n° 8-10, id.
lardet, rue des Fossés, n° 8, id.
verdun, chef d’atelier, rue du Charriot-d’Or, n° 12, id.
colombin, rue Juiverie, n° 12, à Lyon.

[4.2]Nous nous voyons forcés de renvoyer au numéro suivant le compte-rendu du jugement prononcé en police correctionnelle, dans l’affaire des ouvriers cordonniers, accusés de coalition.

Au Rédacteur.

Monsieur,

Je viens signaler un abus existant en fabrique et qu’il convient de détruire. Comme le moyen de saper les abus est de les montrer au grand jour, je vais vous conter mon affaire, afin que vous en donniez connaissance au public dans votre prochain numéro.

Le deuxième associé (je tais son nom par égard pour le premier associé, qui est un homme d’honneur ; malheureusement que l’ouvrier ne traite pas avec lui) ; le deuxième associé, dis-je d’une maison de fabrique avec laquelle je viens de régler mes comptes, m’a élevé une difficulté au sujet d’une coupe rendue, il y a un mois et demi, qui avait été reçue sur mon livre pour 12 aunes 3/4, ce qui en effet était l’aunage que je rendais, mais qui ne fut marquée sur le livre du magasin livre du magasin que 12 aunes 3/8.

Certain de l’aunage de 12 aunes 3/4 que j’avais rendu, et qui, d’ailleurs, était écrit sur mon livre, je demandai que cette coupe me fût représentée et aunée de nouveau ; mais on me répondit qu’elle était expédiée, et qu’au surplus je devais être convaincu qu’on me disait vrai, puisque le livre d’entrée était conforme au livre du magasin.

Je voudrai bien savoir si un négociant serait reçu à donner pareil témoignage ; car il me semble qu’il pourrait bien écrire sur le livre de l’ouvrier l’aunage qu’il rend, pour éviter sur le moment toute réclamation, le fait étant récent, et écrire sur le livre du magasin et sur celui d’entrée un autre aunage, sur lequel on réclamerait lorsqu’on croirait que l’ouvrier en aurait perdu la mémoire.

Je livre cette question à la sagesse des hommes éclairés et judicieux, particulièrement à MM. les prud’hommes, les priant de faire connaître leur avis à cet égard par la voie de l’Echo de la Fabrique, afin d’éclairer ceux de mes collègues qui pourraient se trouver dans le même cas.

Quoique la façon de ces 3/8 fût de 2 fr., j’en ai fait le sacrifice pour éviter le désagrément de paraître à la barre du conseil, où l’on court quelquefois le risque de s’entendre imposer silence avant d’avoir expliqué son affaire assez clairement.

Veuillez, monsieur, me donner votre avis sur cette question ; vous obligerez votre dévoué.

françois, chef d’atelier.

Note du rédacteur. – Puisque M. François veut bien nous demander notre avis, nous répondrons franchement à son appel, et nous lui dirons que, comme lui, nous pensons que le meilleur moyen de détruire les abus est de les signaler au public, et surtout qu’il est du devoir de tout bon citoyen de les combattre corps à corps lorsqu’ils se présentent. Que, par conséquent, il a manqué à ce devoir, en ne saisissant pas cette occasion qui se présentera, nous espérons, bien rarement, de mettre le conseil à même de se prononcer en pareille matière. Il est malheureux que sa pusillanimité, d’ailleurs mal fondée, nous ait privé d’un jugement qui, nous le pensons, aurait été rendu en sa faveur, puisque le chef d’atelier est en droit de réclamer ce qui est écrit sur le livre. Ses confrères auraient été rassurés pour un cas semblable, et l’en auraient remercié.

Samedi dernier, 23 novembre, les chefs d’atelier composant la Société des Mutuellistes, ont fait célébrer un service funèbre en mémoire des victimes de Novembre 1831. La paroisse de St-Georges, à Lyon, et la paroisse de St-Denis, à la Croix-Rousse, ont été choisies pour cette pieuse commémoration, à laquelle ont assisté un grand nombre d’ouvriers de toute industrie.

Nous ne passerons pas sous silence la conduite toute de zèle et de désintéressement de M. Nicod, curé de la [5.1]Croix-Rousse : non-seulement il a consenti à célébrer gratuitement ce douloureux anniversaire avec plus de pompe qu’on n’avait osé en exiger ; mais encore il s’est empressé de contribuer à la collecte faite au profit des blessés, veuves et orphelins de nos trois journées. Honneur au ministre de Dieu qui prêche la morale d’exemple, se souvient qu’il est des victimes qui souffrent et contribue à leur soulagement ! Celui-là est vraiment le représentant de la Divinité, qui compatit aux peines des malheureux. Honneur à M. Nicod !

Collectes faites au service funèbre célébré à la Croix-Rousse : 133 f. 10 c.
Id., id., à St-Georges : 63 f. 95 c.
Total : 198 f. 95 c.
Collecte faite par les compagnons ferrandiniers : 56 f. 80 c.
Dans une réunion tenue par la garde nationale, chez le sieur bouverat, à la Croix-Rousse : 21 f.
Dans une réunion de citoyens chez M. challier, marchand de vins, à la Croix-Rousse : 16 f. 20 c.
Par M. bigot, dans son atelier : 1 f. 50 c.
Un négociant de cette ville : 10 f.
M. R. C. : 5 f.
M. C......t : 1 f.
Total : 111 f. 50 c.
Total général : 310 f. 45 c.

Nous insérons la lettre suivante que nous ont adressée MM. les maîtres charrons. – Nous attendons, pour donner les observations que cette lettre nous a suggérées, que MM. les ouvriers nous aient donné leur réplique, pour laquelle ils nous ont demandé place dans nos colonnes.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

Dans l’intérêt de la vérité, de la justice, nous vous prions d’insérer dans votre prochain numéro la présente lettre.

Nous avons tous été peinés de la tournure que l’on a donnée à notre démarche auprès de M. le maire ; voici les faits tels qu’ils se sont passés. Nous n’avons point accusé les ouvriers charrons de complot politique ; la plupart d’entre nous ne connaissent et ne se mêlent jamais de gouvernement ; notre visite a eu pour unique but de demander liberté pour tous, et de réclamer assistance de l’autorité en faveur des ouvriers qui, comprenant mieux leurs intérêts, voudraient travailler en sûreté. D’après cette déclaration, vous voyez, monsieur le rédacteur, que ce n’est point une dénonciation, ainsi qu’on a semblé l’insinuer.

Nous allons mettre sous vos yeux la position des ouvriers et la nôtre : ici, la tâche est facile à remplir.

Presque tous, nous avons fait notre tour de France ; les mêmes maux, nous les avons endurés ; seulement, c’était la privation de travail qui causait les nôtres, et pourtant le prix de nos journées était généralement moindre ou au plus égal à celui du moment actuel, la nourriture était presque toujours plus chère que pendant les deux années qui viennent de s’écouler. Il est un conseil de père que nous adressons à nos ouvriers ; ce serait de quitter cette habitude qu’ont la plupart de faire le lundi ; ils y trouveraient une double économie, celle de la journée perdue et celle d’une dépense ordinairement plus forte ce jour-là ; nous croyons de plus que leur moralité y gagnerait quelque chose.

Ainsi, monsieur le rédacteur, nul ne peut mieux que nous connaître la position de l’ouvrier, puisqu’elle a été la nôtre et qu’elle sera la leur dès le jour où ils deviendront maîtres à leur tour. C’est alors qu’ils verront mieux notre position, nos responsabilités et nos devoirs envers l’ouvrier ; enfin ils reconnaîtront que leur intérêt est lié au maître par un si grand rapprochement, que la distance en est des plus petites.

On a annoncé que nous faisions des bénéfices énormes ; ici il y a ignorance totale des faits : sur environ soixante-dix maîtres charrons qui exercent à Lyon et dans ses faubourgs, il serait difficile d’en citer plus de huit ou neuf qui aient acquis une honnête aisance ; mais en [5.2]revanche, on en compte vingt-cinq qui ont fait la triste expérience que les bénéfices à réaliser n’étaient pas énormes, puisqu’ils ont été contraints de fermer boutique. Neuf d’entre eux travaillent encore dans nos ateliers, et nous vous prions d’observer en passant que ce sont eux qui tiennent le plus à l’opposition.

Nous faisons remarquer qu’il y a eu erreur dans l’évaluation des journées ; des charrons peuvent gagner, soit aux pièces, soit à la journée, depuis 2 fr. 50 c. jusqu’à 4 à 5 fr., en proportion de leur activité et de leurs talens. Ainsi, en n’admettant pas les prétentions de nos ouvriers, nous pensons que personne ne nous taxera d’égoïsme ou de mauvaise volonté. Ces messieurs savent aussi bien que nous (et c’est là une raison pour que l’accord, qui a duré jusqu’à présent entre nous, se continue), ils savent, dis-je, que nous avons à soutenir une double concurrence : celle des environs, pour le gros charronnage, et pour la carrosserie, et celle de Genève, qui, pour utiliser ses produits, se sert de la voie de la contrebande.

Avant de terminer notre exposé, M. le rédacteur, nous faisons connaître que le sort de nos ouvriers ne nous a jamais été indifférent ; car antérieurement quelques-uns de nous avaient fait la proposition d’une souscription entre maîtres, dont le produit serait destiné à faire apprendre à nos ouvriers la lecture, l’écriture, les droits et les devoirs du citoyen.

Nous formons des vœux pour que l’accord se rétablisse, nous proposons même de nommer cinq membres chargés d’empêcher les injustices ou les diminutions de salaire.

Nous désirons qu’on trouve dans nos explications franches et toutes bienveillantes le gage d’une paix que nous désirons tous.

Recevez, M. le rédacteur, nos salutations sincères.

(les délégués de tous les maîtres charrons de la ville et des faubourgs.)

(Suivent les signatures.)

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

(présidé par m. riboud.)

Audience du 28 novembre 1833.

Burdy, chef d’atelier, avait en apprentissage Didier, dont la vue faible ne permet pas à ce dernier de se livrer à la fabrication des velours, genre d’étoffe qui se fabrique exclusivement dans l’atelier. Les parens n’ayant pas prévenu le maître de cette circonstance, celui-ci demande la résiliation des engagemens avec indemnité. Le conseil, sur le rapport du médecin, fait droit à la demande du maître, et lui accorde une indemnité de 50 f., eu égard au peu de temps que le jeune homme est resté chez lui.

Le conseil a-t-il le droit de fixer la quotité de la tâche d’un apprenti lorsque le maître l’a donnée trop forte ? Oui, en prenant pour base de sa décision, la quotité des tâches que la coutume a sanctionnée.

Ainsi jugé entre Dailly et Corsan.

Dailly observe au conseil que depuis que les tâches ont été diminuées chez lui, ses apprentis s’en sont prévalus, et qu’ils se comportent fort mal à son égard.

L’atelier est mis sous la surveillance de M. Dumas.

Cette affaire a offert un incident digne de remarque, par l’observation suivante que fit le président à Dailly : Vous imposez des amendes à vos apprentis ? Vous n’avez pas le droit d’avoir une constitution particulière pour vous. Bien ! très bien ! c’est à merveille, M. le président ! Nous espérons qu’à l’avenir vous n’aurez garde de reconnaître pour bonnes et valables certaines conventions écrites sur nos livres, qui peuvent être placées dans la même catégorie des amendes que vous désapprouvez. Nous espérons, enfin, que lorsqu’un négociant paraîtra à votre barre, soit pour déchet au-dessus du taux fixé par le conseil, soit aussi pour tirelles, décreusage et autres conventions contraires à l’équité et à la jurisprudence du conseil, vous leur direz, comme à [6.1]Dailly : Votre conduite est arbitraire, vous n’avez pas le droit de vous écartez de la règle usitée, et de créer pour vous une constitution particulière.

La discussion entre Lardet et la veuve Dasser, ne nous ayant pas paru assez claire, attendu que le jugement en avait été rendu depuis long-temps et en notre absence, nous nous abstenons de la rappeler.

Nous avons reçu l’avis suivant avec l’invitation de le publier :

ASSOCIATION DU PROGRÈS1.

Reçu du citoyen Joinon, de la Société du Progrès, la somme de 40 fr., montant d’une collecte recueillie le 1er novembre sur la tombe du citoyen Bellefond, en faveur du citoyen Coquelin, menuisier.
Lyon, le 15 novembre 1833.
Signé mathevon, née rouvard.

Reçu des citoyens Dupont et Blanc, la somme de 76 fr. 25 c., montant de la collecte faite le 29 septembre, en faveur des sous-officiers et soldats polonais, dans le banquet de l’Association du Progrès.
Lyon, le 20 novembre 1833.
Signé lortet.

La souscription de la même Association, pour sa cote part, dans l’impôt forcé de la Tribune, s’élève en ce moment à la somme de 405 fr. et sera publiée dans la Glaneuse.

NÉCROLOGIE.

Le peuple vient de faire une grande perte ; Alphonse peiffer, chirurgien, aide-major à l’Hôtel-Dieu, a été inhumé samedi, 23 novembre1. Tous les journaux de cette ville, quelle que soit leur nuance, ont été unanimes à le peindre comme un homme vertueux, de haute capacité et de grande espérance. Le Précurseur l’a réclamé comme un de ses collaborateurs et de ses amis : quoique nous ne puissions pas nous flatter que Peiffer nous eût encore prêté le secours de sa plume, cependant, l’ayant connu de très près, nous nous croyons en droit de le revendiquer comme un des nôtres.

Il était dévoué à l’amélioration du sort, des travailleurs ; depuis long-temps il avait pressenti et proclamé hautement que la marche isolée des industriels ne pouvait les conduire qu’à une misère toujours croissante ; aussi pensait-il que ce n’était point à de misérables réformes qu’il fallait aspirer ; que, par exemple, un gouvernement à bon marché, s’il n’apportait avec lui que ce seul avantage, ne valait pas la peine qu’on s’agitât pour l’obtenir ; car en effet, disait-il, supposez que les impôts soient d’un jour à l’autre réduits des trois-quarts, le bien-être que produira cette mesure ne sera que transitoire si le prix du travail de l’ouvrier est abaissé bientôt après, par l’effet de la concurrence, au niveau d’une dépense moindre. Peiffer travaillait donc avec ardeur à résoudre le problème d’une association industrielle qui détruisit la concurrence, cause constante de tous les maux. Il applaudissait aux associations naissantes de notre cité, comme à un début dans la voie pacifique.

Peiffer n’était l’homme d’aucun parti ; association et paix, voila quel était son principe. Lorsqu’une secte se présenta, qui proclamait cette doctrine, il s’y dévoua tout entier ; mais il se retira lorsqu’à ce but elle en joignit un autre d’abnégation de sa propre liberté et de mysticisme, il s’en retira pour éviter de devenir exclusif et pour et pour étudier sans prévention tous les systèmes qui feraient marcher les hommes en avant.

Ce qui distinguait Peiffer autant que son âme généreuses et ses hautes capacités, c’était un caractère ferme ; l’amitié même n’obtenait rien de son cœur si la raison n’appuyait ses sollicitations, il ne sacrifia jamais à la puissance du jour, et sa vie eût été fortunée s’il eût [6.2]consenti à être souple et caressant ; mais il ne voulut rien devoir qu’à la science et au travail : aussi se vit-il la arracher la palme méritée d’un concours, injustice cruelle pour lui qui y trouva un germe de mort, et dont ne se laveront jamais ceux qui en furent les auteurs ou qui en ont profité.

Que le souvenir de cet homme de bien, qui tout jeune encore attirait sur lui tant de regards et tant d’estime, soit conservé par le peuple auquel il vouait les secours de son art et ses veilles philosophiques : que sa mémoire ne soit point mise en oubli ! La reconnaissance du peuple est la plus pure, et c’est celle que Peiffer a méritée. 

Voici venir les jours d’hiver, temps de misère et de souffrance pour le pauvre ouvrier… Bientôt la rigueur du froid ajoutera ses angoisses à celles qui le dévorent et lui arrachera ses dernières ressources… Et tandis qu’il gémira dans son triste asile, que ses membres glacés se raidiront en luttant contre un pénible travail, tandis que sa femme, pressant dans ses bras ses enfans engourdis, s’efforcera de leur rendre un peu de chaleur et de vie !… le riche organisera ses fêtes et ses plaisirs. Il lui faut des spectacles, des bals, des jeux, des concerts, pendant cette saison du deuil de la nature. C’est alors qu’il déploie son luxe superbe, qu’il cherche à s’entourer de toutes les jouissances qu’il peut se procurer pour de l’or. – Et des milliers d’infortunés manquent autour de lui des premières nécessités de l’existence ! Et pourtant ils ne sont pas tous durs, impitoyables, ces heureux de la terre que l’on accuse et que l’on envie ; il en est dont le cœur généreux voudrait secourir toutes les infortunes, soulager toutes les douleurs. Mais que peuvent leurs vains efforts contre les calamités, les fléaux qui ravagent le monde ?… Ils donnent, ils font l’aumône. – L’aumône ! Ah ! ce n’est pas avec l’aumône qu’on peut établir le bien-être, arrêter le torrent des vices destructeurs ! – L’aumône, trop souvent dégrade, flétrit l’âme de celui qui la reçoit, et ses bienfaits passagers n’offrent point d’avenir.

Voila notre civilisation tant vantée ! voila tout ce qu’elle a su produire : le désordre et l’injustice. – Voila tout ce que peuvent nos gouvernemens si chèrement payés ! voila tout le fruit de nos fastueux sentimens de philantropie… Cruelle déception !

Le mal est-il donc sans remède ? Faut-il désespérer de le voir finir un jour ? Sommes-nous voués à son odieux empire ? – Cette pensée serait injurieuse au Créateur. Non, il est un moyen d’en délivrer la terre, de la régénérer par la justice et le bonheur. Ce moyen, Charles fourier l’a trouvé : c’est l’ASSOCIATION HARMONIENNE C’est elle qui doit assurer à tous, par un travail plein de charmes, la possession, l’indépendance et la moralité. C’est elle qui doit, comme un baume réparateur, comme une sève vivifiante, rendre la vie à tous les rameaux desséchés, et leur faire porter d’heureux fruits. – Des expositions publiques de théorie sociétaire ont eu lieu à Paris et dans plusieurs villes de France, où cette doctrine a trouvé un très grand nombre d’adhérens. A Lyon, un disciple avoué du maître (M. Berbrugger), dans un cours analytique de réforme industrielle, nous en a fait comprendre toute la portée, et a laissé parmi nous les bases d’une école qui doit avoir des réunions suivies. La société de civilisation la propage, et bientôt cette science si féconde sera le lot du genre humain. Enfin, une application réelle, expérimentale, se prépare à Condé-sur-Vesgre, [7.1]près de Paris, pour recevoir, au printemps prochain, son plein développement.

Mais, en attendant un résultat dont les bienfaits ne nous appartiennent encore qu’en espérance, ne pourrions-nous pas essayer quelque association charitable pour adoucir, autant que possible, l’affreuse misère qui pèse sur l’indigent ? Ce froid qui s’avance, si dur à supporter, n’est-il point de moyen de lui en diminuer la souffrance ? Des chauffoirs publics, établis dans cette grande cité, pourraient recevoir les plus nécessiteux. On pourrait y faire des distributions de soupe, y introduire même le travail. Sans doute, il ne serait pas attrayant ; notre ordre subversif en a fait un supplice que le malheureux n’accepte que par nécessité ; mais il serait productif, et les personnes chargées d’y pourvoir s’efforceraient d’y faire régner du moins l’ordre et la propreté. C’est aux femmes à répondre à cet appel, elles dont l’âme sensible et compatissante est si dévouée pour le bien, si ingénieuse à en trouver les moyens favorables ; ce serait par leur douce influence, plutôt que par des mesures de rigueur, que l’on y établirait un sentiment de moralité et de bonnes mœurs. Des dames formant un comité, d’un nombre égal à la division qui serait adoptée, réussiraient promptement à l’organisation de cette association bienfaisante. L’examen de cette simple proposition peut conduire un esprit appréciateur à quelques données sur les économies et les avantages immenses que produirait l’association générale du genre humain, dans tous les rapports sociaux et toutes les branches de l’industrie, bases de l’ASSOCIATION HARMONIENNE.

(Une Phalanstérienne.)

Au Rédacteur.

Monsieur,

La conscription1 est un impôt d’hommes ; comme les autres impôts sa répartition doit être juste, de manière à peser sur les familles avec le plus d’égalité possible. C’est à ces fins que la loi, dans ses nombreux articles, marque ses prévisions et donne les garanties qu’elle a cru nécessaires et suffisantes aux besoins de la société, pour la soumettre à un tel sacrifice, le premier de tous, puisque sa première conséquence est l’aliénation de sa liberté pour un temps, et une vie pendant ce temps toute d’abnégation.

C’est donc la franche exécution de la loi qui peut faire taire tout mécontentement et faire subir une telle nécessité sans provoquer de plaintes, puisque le tirage au sort doit désigner ceux que la loi atteint. Mais c’est là précisément que les abus se glissent et détruisent l’effet du sort, qui promettait du moins l’égalité du hasard. Après le tirage qui a numéroté tous les conscrits d’une classe, dans chaque département, vient l’opération de la réforme, pour n’admettre, dans les rangs de l’armée, que des hommes valides, bien constitués. Cette œuvre de réforme est donc bien nécessaire, bien indispensable pour n’envoyer aux armées que des hommes utiles ; mais à côté de l’usage est l’abus de la chose. Tel conscrit, que son bas numéro désigne pour le service, a recours à la réforme, comme son dernier ancre de salut contre l’arrêt du sort qui l’a frappé : par tous les moyens dont il peut disposer, par lui-même, par ses parens ou par ses amis, il tente de se faire réformer sur les motifs les plus légers et même les moins constans. S’il réussit, il pousse le numéro supérieur au [7.2]sien à l’obligation d’être soldat à sa place, par le fait de son exemption, et par suite de sa réforme. Si cette réforme n’est pas motivée, qu’elle soit le fruit de la faveur ou de la corruption, ou bien qu’elle ait été achetée, voila certes un énorme délit.

Eh bien ! ce délit existe assurément, car il est des hommes qui viennent offrir des réformes aux conscrits à certains prix. Si ces hommes peuvent ainsi prévoir les délibérations d’un conseil de réforme départemental, ou en disposer, il faut bien admettre que tout cela se traite d’une manière occulte parmi les titulaires. D’ailleurs ce qui ne serait qu’une injurieuse supposition pour un conseil de réforme, sera vrai pour un autre, parce que personne ne s’avisera de croire, qu’à notre époque, comme sous la restauration, comme sous l’empire, où tous les fonctionnaires publics sont un choix du gouvernement, ce dernier puisse, même en lui en reconnaissant toute la volonté, puisse, disons-nous, toujours bien choisir. Ainsi, dans l’ordre des choses, si admirablement constitué pour encourager toutes les combinaisons ténébreuses, c’est un fait avéré que l’intrigue préside fréquemment dans ces délibérations, qui ont pour effet d’envoyer tel conscrit vivre paisiblement chez lui, et tel autre faire pendant huit ans patrouille sur le pavé de nos principales villes, malgré que le sort en eût autrement décidé.

Ce ne sont pas les abus les plus connus qui sont les premiers signalés, contre lesquels des voix improbatrices s’élèvent ; mais bien ceux qui ne profitent directement qu’à quelques hommes ; alors ces abus sont livrés à leur propre force pour se soutenir. Au contraire, ceux qui profitent à plusieurs, non-seulement par ce fait, mais encore par les espérances qu’ils donnent à un grand nombre, sont épargnés, se promènent impudemment sur la place publique et moissonnent en plein jour. Par exemple, les faveurs dans les réformes d’un conseil de département, sont comme une loterie où chacun espère gagner, où chacun vient jouer en cachette. Les heureux comme les malheureux à cette nouvelle roue de fortune, se réjouissent ou s’affligent dans le silence, ou dans les plus intimes confidences ; mais tous se taisent au-dehors, et ces abus restent debout aux yeux de tous.

Ainsi, la loi n’est donc pas parfaite, puisqu’elle peut si facilement être tronquée et produire un effet si opposé à son esprit. Certainement, si parmi les législateurs qui l’ont votée, s’était trouvée représentée cette portion immense de la population, qui ne fournit point de députés, mais en revanche beaucoup de soldats, ces abus eussent été prévus. C’est une porte dérobée, ménagée encore à la fraction aisée. On aurait considéré que le tirage et la réforme étaient deux opérations qui intéressaient autant les communes que le gouvernement ; que les communes et le gouvernement représentaient les deux parties, celle qui veut des conscrits et celle qui les accorde. Dès-lors un medium, nommé par les conscrits, eût été opposé au chirurgien-major ; un maire opposé à M. le préfet, et des citoyens en nombre égal, toujours opposés, lors de la nomination des conscrits, aux autres membres qui composent le conseil de réforme, nommé par le gouvernement. Oh ! alors, si la faveur ou la corruption s’en mêlaient, des réputations appartenant aux localités seraient flétries, et comme il est moins aisé de supporter l’indignation qu’on a excitée chez des gens avec lesquels on doit vivre, au moins à titre de bon voisinage, que chez des personnes que l’on ne voit qu’un jour, et dont on redoute peu la critique, il n’est pas de doute que la justice présiderait à cette opération [8.1]si importante, sous la protection d’une telle garantie.

Mon fils n’ayant heureusement aucun motif de réforme à faire valoir, je suis intéressé, comme père de famille, à ce que la fraude soit bannie de la conscription, pour qu’il n’y ait contre lui que les chances du sort. L’idée que la faveur ou la cupidité peuvent, dans trois ou quatre ans, placer mon enfant sur les remparts d’un des forts dont Paris sera couronné, m’afflige et m’irrite. C’est bien assez de la fatalité, sans qu’un tripotage de conseil s’en mêle.

Combien de pères partagent mes appréhensions ?… Avec un peu de prévoyance, on a le temps de faire quelques efforts pour faire subir à la loi des améliorations législatives. Le tenter est toujours louable. Malgré la conduite de la chambre des députés, il ne faut pas désespérer d’elle ; une pétition bien motivée peut être accueillie à la prochaine session, et lui inspirer la vertu de faire usage de son droit d’initiative, dont elle s’est, jusqu’à présent, montrée bien peu jalouse. C’est dans l’espérance que cette idée d’une pétition sur cet objet serait accueillie, que j’ai tracé ces lignes pour appeler l’attention de tous les citoyens intéressés à ce que la loi sur le recrutement soit amendée, et les engager à s’en occuper, parce qu’une pétition en noms collectifs a plus de force qu’une voix isolée. C’est pour un tel objet que j’adresse ces réflexions à vous, Monsieur le rédacteur, l’un des organes de la presse indépendante, persuadé que vous les accueillerez comme étant d’un intérêt public.

Agréez, etc.

billon.

COUPLET.

[8.2]air : C’est le roi Dagobert. (Il faut le chanter avec un peu d’ampoâ dans la voâ.)

Que je suis dans la joâ !
Depuis que le roâ de mon choâ,
Pour le prix de ma foâ
A daigné m’accorder la croâ.
Philippe, ô mon rohâ !
Compte sur ma foâ,
Puisque par ta croâ
Tu combles ma joâ,
Jusqu’à la mort croâ moâ

Le noble serviteur de toââââ.

(Corsaire.)

AVIS DIVERS.

(305) A VENDRE, une mécanique ronde à dévider, de 10 guindres, trancanage et cannetière de David. S’adresser au bureau du journal.

(304) A VENDRE, une belle planche d’arcades en 6/4, 4/4 et autres étroites ; rouleau de 6/4 de devant et de derrière ; d’autres en 5/4, 4/4 et 3/4 ; plusieurs peignes en 6/4 ; 5/4, 4/4 et autres largeurs et de tous comptes ; battans en 6/4 pour lancé, et autres de différentes largeurs ; le tout dans un état neuf. S’adresser au bureau du journal.

(301) A VENDRE, 4 métiers d’unis et une mécanique rondes de 12 guindres, ainsi qu’un ménage avec les meubles. S’adresser à Mme Fournel, place Rouville, n. 2, maison Brun.

(302) A VENDRE, 4 métiers d’indiens, en 900 et 1,200, avec tous les accessoires. S’adresser à M. Dufrène Pugnier, Grande-Côte, n. 28.

(299) A VENDRE, une mécanique longue à marches, de 14 guindres, à détrencannage, en bon état. S’adresser à M. Maillet, Grande-Rue, n. 107, à la Croix-Rousse.

(298) A VENDRE, deux battans 1/2 aune pour velours ; un remisse soie tout passé ; rouleaux divers pour velours ; caisses et canards, etc. S’adresser au bureau du journal.

PAR BREVET D’INVENTION ET DE PERFECTIONNEMENT,
(280) A VENDRE à l’amiable, une belle propriété entre Autun, Châlon-sur-Saône et Beaune, près le canal du Centre et la route de Paris à Lyon, dans une position agréable, consistant en une belle maison de maître, réparée et décorée tout à neuf ; logemens de fermiers et de vignerons, cours, jardins, pressoirs, foudres et cuves ; caves pouvant contenir ensemble près de mille pièces de vin, vinées, écuries et granges, d’une superficie d’un hectare cinquante ares ; cinquante hectares ou cent quarante-six journaux de terres ; vingt hectares ou quatre cent soixante ouvrées de vignes ; vingt-un hectares ou soixante-une soitures de prés ; et vingt-six hectares ou cinquante arpens de bois taillis. Il dépend de cette propriété un moulin à eau, placé avantageusement et bien achalandé.
La maison de maître pourra être vendue meublée ou non-meublée, au choix de l’acquéreur.
S’adresser, à Paris, à M. Maurice Richard ;
A Autun, à M. Chauveau-Picard ;
Et à Couches, à Me Moulinet, notaire, dépositaire des plans de la propriété.

(276) A VENDRE, grand atelier de lisage, composé de cinq lisages, deux repiquages, dont il y en a un de 1,056, 744, deux 600 et un 400 ; avec une bonne clientèle. S’adresser au bureau du journal.

(282) A VENDRE à sacrifice, pour cause de départ, un superbe lit à bateau tout neuf et tout garni, une jolie commode, également toute neuve et au goût du jour ; un brancard de petite mécanique, peignes à tisser les crêpes de Chine, roue de régulateur, etc.
S’adresser chez M. Raumiens, rue des fossés, n° 8, au 4e, à la Croix-Rousse. On trouvera le vendeur chez lui de 7 à 9 heures du matin.

(290) A VENDRE, un métier de schals indiens en 5/4, mécanique en 1,800 ; on vendra, si on le désire, la mécanique séparément. S’adresser à M. Mauband fils, rue du Menge, n° 10, au 3e.

Notes (Encore des Coalitions. ce qu’elles annoncent...)
1. Référence une nouvelle fois ici à la Constitution de l’an I (juin 1793).

Notes (Elections départementales. les...)
1. Le principe électif appliqué aux assemblées délibérantes des départements avait été conquis en septembre 1789, puis perdu en février 1800 (les membres étant dès lors nommés par le gouvernement). En 1833, le système avait encore changé, les membres de ces assemblées étant désormais élus au suffrage censitaire.

Notes (Nous avons reçu l’avis suivant avec...)
1. Cette association prolongeait probablement la Société du progrès qui, avec Rault, Lagrange et Lortet, avait été deux ans auparavant l’une des premières associations républicaines à renaître à Lyon, précédant et annonçant notamment l’Association pour la liberté de la presse.

Notes ( NÉCROLOGIE.)
1. Chirurgien-major à l’Hôtel-Dieu, Alphonse Peiffer (1803-1833) avait aussi été l’un des principaux animateurs de l’Église saint-simonienne de Lyon.

Notes (Au Rédacteur. Monsieur, La conscription...)
1. La conscription qui prévoyait l’obligation pour tous les garçons de servir sous les drapeaux, datait de 1798. Elle avait été supprimée au tout début de la Restauration. Mais devant la difficulté à maintenir des effectifs suffisants grâce au seul engagement volontaire, la monarchie avait, en 1818, mis en place un système de tirage au sort. Ceux ayant tiré le mauvais numéro devaient accomplir un service long ou devaient trouver une personne pour les remplacer.

 

 

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