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8 janvier 1832 - Numéro 11
 
 

 



 
 
    
LYON1.

Voici venir un nouveau journal ayant pour titre Courrier de Lyon2 : et nous, qui sommes partisans de la publicité, qui voulons que tous les intérêts aient leur organe, qui ne rêvons point pour la presse, parce qu'elle prend la défense des industriels, des prolétaires, le bâillon de justice et d'amour dont voulait la doter M. de Peyronnet, nous avons applaudi à cette publication nouvelle. Son prospectus avait parlé d'amour du pays ; cela avait remué nos sympathies, nous nous sommes donc empressés de lire le Courrier de Lyon ; mais quelle a été notre surprise de voir dans son second numéro un article intitulé : Du langage tenu à la classe ouvrière par ses faux amis. Nous avons consulté notre mémoire, nous avons fouillé dans toutes les feuilles constitutionnelles qui ont paru depuis les déplorables événemens de novembre jusqu'à ce jour, et nous avons eu le bonheur de ne rien trouver qui ressemblât au langage de faux amis. Nous nous garderons bien de prendre la défense des feuilles qui ont eu assez de générosité pour montrer la vérité toute nue ; elles n'ont pas besoin de notre plume pour repousser de telles insinuations. [1.2]Nous ne chercherons point à nous justifier ; car nous sommes au-dessus de pareilles imputations, et les ouvriers connaissent assez aujourd'hui quels sont leurs vrais ou leurs faux amis.

Nous demanderons seulement au Courrier de Lyon ce qu'il entend par les chefs naturels des ouvriers ; nous ignorions que, sous un gouvernement représentatif, dans un pays où le premier article de la constitution dit : les hommes sont égaux devant la loi, nous ignorions, disons-nous, qu'il existât une classe d'hommes qui, par leur position sociale, devaient être regardés comme les chefs naturels des membres d'une autre classe, parce que ces derniers auront été maltraités par la fortune.

Le Courrier de Lyon dit aux ouvriers de n'écouter que les conseils de MM. les négocians : à cela nous répondrons que sans doute, dans la masse, il s'en trouve qui peuvent en donner de très-bons ; car nous savons qu'à côté de quelques égoïstes, vrais fléaux de nos manufactures, il en est un assez grand nombre pour qui les ouvriers doivent avoir une profonde vénération. Ceux-ci sont leurs bienfaiteurs, ceux-ci doivent être regardés comme leurs vrais amis ; mais ces hommes de bien ne revendiqueront point le titre un peu féodal de chefs naturels ; ils savent que, faisant partie de la grande famille, et étant citoyens, les ouvriers ne doivent en reconnaître qu'un seul, qui est le chef de l’état, le chef de la dynastie issue des barricades.

Comme le Courrier de Lyon, nous pensons que le commerce ne peut vivre que par la confiance ; nous avons fait des vœux ardens pour une prompte réconciliation, et certes ce ne sont pas les ouvriers qui ont [2.1]été sourds à notre voix. Ainsi, que les hommes qui composent cette minorité de négocians, qui ne veut point faire de concessions, abdiquent cette fierté de chefs naturels, qu'ils pensent que les ouvriers sont leurs égaux, moins la fortune. Alors se rétablira cet équilibre qui doit faire la prospérité de nos manufactures, et qui ramènera la confiance entre deux classes liées par les mêmes intérêts.

Quant au système d’économie prêché par la nouvelle feuille, il est si simple, si naïf, que nous ne savons point comment le qualifier : éclairez-vous, y est-il dit, dans les jours meilleurs, faites des provisions pour les jours mauvais ; amassez, économisez, etc. Et certes oui ! dans les jours meilleurs où vous gagnez vingt-huit à trente-deux sous, ouvriers, faites des provisions, amassez sur ce gain, 20 sous par jour, que vous mettrez à la caisse d'épargnes pour les jours mauvais : vous devez vivre avec huit à dix sous… Les plaisirs de cette vie ne sont point faits pour votre classe ; ce sont des besoins factices… amassez, économisez : voilà à quel prix l'harmonie peut s'établir entre vous et le commerçant, et, si vous ne le faites pas, on vous dira :
Vous chantiez ! j'en suis fort aise,
Eh bien ! dansez maintenant…

Notes (LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Appuyé par le préfet Gasparin et impulsé par le groupe d’actionnaires ayant vainement tenté de promouvoir Jean-Baptiste Montfalcon à la tête du Précurseur, le Courrier de Lyon fut fondé en janvier 1832. Journal de la bourgeoisie lyonnaise partisane de l’orléanisme, il fera de la défense du principe de propriété et de la limitation du suffrage deux de ses thèmes majeurs. Grand adversaire du Précurseur, il sera également, du fait de l’importance des développements consacrés à la fabrique lyonnaise et de ses critiques incessantes adressées aux canuts, l’une des principales cibles de L’Echo de la Fabrique ; évoquant ses lecteurs, Arlès-Dufour écrira qu’ils « ont le cauchemar, la monomanie du prolétariat » (L’Echo de la Fabrique, 22 juillet 1832) et Marius Chastaing l’éreintera à de nombreuses reprises, lui et ses « confrères en servilisme » (L’Echo de la Fabrique, 14 octobre 1832), le traitant, entre autres, de « journal ministériel » (L’Echo de la Fabrique, 3 mars 1833).

 

 

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