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15 décembre 1833 - Numéro 50 |
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Faux bruits.
Enhardis par notre silence et notre longanimité, des hommes étrangers au Mutuellisme et que le Mutuellisme repousse, s’efforcent d’égarer l’opinion sur l’esprit et le but de cette association. – Quels que soient leurs moyens, quels que soient leurs efforts pour nous amener à une polémique quelconque, nous ne répondrons rien à ces hommes de mensonge et de calomnie ; il nous faudrait descendre trop bas pour nous trouver face à face avec eux !… Grande et forte, l’association des Mutuellistes a, depuis long-temps, compris toute l’importance de sa mission, et son appui ne faillira pas plus à celles qui viendront lui demander alliance, qu’à celles qui déjà sont venues se grouper autour d’elle. Ainsi, nous le disons encore, notre journal, bien que représentant spécialement les intérêts des travailleurs de la fabrique lyonnaise, est la tribune de tous, ouverte à tous ! Et notre tâche ne sera remplie que lorsque les travailleurs de toutes les industries auront tous signé au même traité d’alliance. – Jusque-là, HONTE et MÉPRIS pour ceux qui braveront la sainteté de leur mandat ! le sceau de l’infamie les attend !1
DE LA LIBRE DÉFENSE
devant le conseil des prud’hommes. [1.2]Cette question a été à plusieurs reprises examinée et développée dans le Précurseur et l’Echo de la Fabrique. Des chefs d’atelier, des jurisconsultes, des publicistes l’ont sérieusement approfondie. Tous ont donné la même solution ; tous ont pensé que devant les prud’hommes, comme devant tous autres tribunaux, un justiciable pouvait s’adjoindre un défenseur ; enfin M. Odilon-Barrot lui-même, a sanctionné de son suffrage la solution donnée par ces consultations et articles de journaux. Ainsi le droit de défense devant le conseil des prud’hommes est maintenant hors de toute discussion. Pourquoi dès lors venir étayer de quelques nouvelles considérations ce que nul ne saurait contester ? C’est que MM. les prud’hommes ont dédaigné toutes les observations, ont brutalement repoussé toutes réquisitions de leurs justiciables. En vain la loi, la raison et la justice leur commandaient l’admission des défenseurs à leur barre ; du haut de leurs sièges ils ont superbement foulé aux pieds la justice, la raison et la loi. Forts sans doute de leurs vastes lumières et de l’infaillible rectitude de leur jugement, ils se sont cuirassés contre tout ce qu’on pourrait leur dire ; et sans doute aussi que cet absurde entêtement leur paraît une noble fermeté digne d’un Molé, car on les tuerait plutôt que de les faire revenir de leur injuste et ridicule résolution. Ouvriers et chefs d’atelier, vous n’aurez point de défenseurs ! L’irrévocable destin a parlé par la bouche de vos prud’hommes ; leurs volontés sont immuables. Ne vous souvient-il pas de certain roi qui, pour toute réponse aux plaintes d’un grand peuple, lui jeta dédaigneusement ces paroles : Ma volonté est immuable ! Mais le grand peuple, à son tour, l’expulsa pour toute réponse, et l’histoire accola à son non l’épithète désormais inséparable : imbécille. MM. les prud’hommes, ne craignez-vous pas qu’on ne vous renvoie à vos moutons, et que l’opinion publique, qui sait si justement dispenser l’éloge et le blâme, ne vous stigmatise avec raison de la qualification si bien méritée par Charles X ? Vous le savez, les élections s’approchent et justice sera faite ; c’est donc moins à vous qu’à vos successeurs que nous adressons les observations qui suivent. [2.1]La faculté pour tous citoyens de se faire assister d’un défenseur devant tous tribunaux, est un droit hors de toute controverse ; si on en repousse encore l’application, c’est que, dit-on, elle est difficile. « Des défenseurs entraveraient la justice expéditive des prud’hommes, et dans des causes souvent d’un très mince intérêt, le justiciable dépenserait ses économies en frais de défenseurs ; des chicanes interminables seraient élevées, et les premières victimes seraient ces personnes si empressées aujourd’hui à réclamer l’assistance d’un défenseur. » Ces objections sont des puérilités ; car, si vous admettez le principe de libre défense, réglez-en l’application ; décidez que des ouvriers, des chefs d’atelier pourront seuls assister leurs amis et développer leurs moyens de défense, et restreignez ces développemens. A l’appel de la cause, lorsque vous voyez sur quel intérêt elle porte, accordez plus ou moins de temps pour la discussion. Devant les cours et les tribunaux cela se fait ainsi : le président, suivant que la question à juger comporte une discussion plus ou moins longue, dit à l’avocat : « La cour ou le tribunal vous accorde demi-heure, une heure. » Loin de considérer cet usage comme une restriction à la libre défense, comme un empiétement sur un droit sacré, les plaideurs et le barreau en sont satisfaits ; les affaires sont plus vite expédiées et mieux jugées. Forcé de se restreindre dans de justes bornes, l’avocat rejette tout ce qui n’est que remplissage, écarte tous les moyens futiles, spécieux : plus concis, plus énergique et par conséquent moins ennuyeux, il ne présente que les raisons desquelles il peut vraiment étayer sa cause, et ces raisons se gravent plus profondément dans la mémoire du magistrat ; dominent plus sûrement son esprit qui n’a pas été fatigué d’un long et lourd verbiage. Ainsi, MM. les prud’hommes le voient, la prompte expédition des affaires ne souffrira pas de l’admission des défenseurs à leur barre, et cependant ils rendront meilleure justice, et cependant ils seront à l’abri des justes plaintes dont les poursuivent les justiciables. Mais, disent MM. les prud’hommes qui, honteux de leur coupable entêtement, veulent paraître ne céder qu’aux nobles impulsions de l’humanité, ces ouvriers, ces chefs d’atelier seront dépouillés par les avocats, avoués, agens d’affaires qui se rueront dans notre prétoire comme des vautours affamés. Eh ! qui vous a remis le soin de leur bourse ? La loi vous confère un mandat, celui de rendre aux chefs d’atelier, ouvriers et fabricans, bonne justice ; pour rendre bonne justice, il faut parfaitement connaître et comprendre les contestations soumises à votre examen. Or, vous ne pouvez les comprendre qu’autant qu’elles vous sont clairement exposées ; elles ne peuvent l’être par beaucoup de parties ; il faut nécessairement admettre les explications d’un tiers. Ce tiers sera payé, dites-vous ? Que vous importe ? Vos deniers ne seront pas engagés. Au surplus, c’est une question que vous n’avez pas à juger ; mais cette question ne s’élèvera pas, parce que les justiciables emprunteront l’appui de leurs amis seulement ; ces amis exerceront un ministère gratuit ; bien familiers avec les questions de fabrique, ils seront d’une utilité incontestable aux plaideurs et aux juges : aux plaideurs, dont les intérêts ne seront plus sans défense, et aux juges qui, éclairés par de sages et lucides discussions, n’auront pas à déplorer tant de bévues judiciaires. Ph. ch....1
UN MOT Avec le Journal du Commerce de Lyon.
[2.2]La feuille de ce nom semble le porte-voix de messieurs de la préfecture ; le timbre de ces messieurs se déguise passant à travers, et arrive incognito au milieu du peuple leurré ; il se faut tenir en garde contre telles paroles, et veiller à ne s’y laisser prendre. Dimanche dernier, contrefaisant la tendre et la sensible, cette feuille a fait au public un vrai tour de piperie : nous le voulons conter à chacun, et nous dirons net et ferme notre pensée ; car chaque fois qu’on fera tentative pour tromper nos amis, nous irons bravement au devant, criant à tous : Voici des jongleries et des jongleurs. – Et une fois le masque arraché, paraîtra le machiniste, le même apparemment qui bistourna la voix du poète Barthélemy et celle de Figaro. Dimanche donc, 8 décembre, le Journal du Commerce s’est pris à chanter les bienfaits de la révolution de 1830 envers la classe ouvrière. D’abord, nous voulant flatter et nous tendant la main, si connue des postillons pour le pour boire, il a dit que nous étions Français, ce que nous soupçonnons fort ; non pas que nous lisions nos noms sur la liste des citoyens actifs de France, mais parce que nous les rencontrons tout au long sur les registres matricules de l’armée, lorsqu’il faut chasser les Cosaques et faire à la frontière un rempart de poitrines. Comme Français, poursuit le Journal du Commerce, nous devons être fiers (et de fait nous sommes fiers) d’une révolution qui a expectoré une monarchie qu’en fourgons avaient charriée les Tartares par l’Europe, et qu’ils déchargèrent chez nous comme un cadavre à empester le pays de légitimité. La classe ouvrière de Paris, puisque classe il y a, a mis, en telle occasion, son sang en enjeu ; elle a fait chose belle et grande comme le peuple sait faire ; c’est certainement un bienfait de cette classe à notre révolution, non point de la révolution à cette classe ; et c’est tricher à la discussion que de vouloir nous insinuer et nous convaincre qu’un bien fait par nous est bien fait à nous ; cela soit dit sans reproche ; nous ne plaignons pas le sacrifice fait, et nous avons, Dieu merci, du sang encore pour la patrie ; mais de ce que nous en avons versé déjà, il n’y a pas, ce semble, autorisation à nous donner le change, et à exiger de nous des devoirs de gratitude envers l’ordre de Chose, en vertu de nos propres titres à en exiger de lui : c’est par trop se moquer que de forcer son créancier à prendre le titre qui le constitue créancier, pour un titre qui le rend débiteur ! Puis la feuille, jabottant toujours, compare le propriétaire et le travailleur, disant que l’un n’a pas plus gagné que l’autre, ce qui paraît vrai ; par quoi il est clair que personne n’a rien gagné du tout, sauf les sauveurs. Mais ce n’est pas le fait d’une révolution d’agrandir les champs, les bois, les prés, ni les maisons des propriétaires, mais bien d’instruire et de favoriser le peuple, de lui assurer le travail ; et sur ces points, voyez ce qu’il y a de fait. C’est grand bonheur, poursuit la feuille, que juillet soit venu, car la légitimité tenait cachées maîtrises et jurandes, et à la suite des ordonnances liberticides les allait lâcher par la France ; et c’était fait de votre liberté industrielle ! Et alors aux dévoués auraient appartenus les priviléges du travail ; les portes de l’industrie se seraient fermées sur eux, et les autres auraient eu loisir, se dépitant au dehors et ne pouvant entrer ! [3.1]Ici encore le journal de la préfecture tente de nous prendre au piège et de nous circonvenir. Voici les faits : la liberté industrielle nous vient de 1789, des lois du 2 mars et 14 juin 1791, mais point de 1830, comme veut le suggérer ce journal. Au vrai, les aînés des Bourbons nous l’eussent peut-être enlevée ; mais le mal qu’ils n’ont point pu nous faire, est-il donc un bienfait que nous font les cadets ? Cette liberté a été écorniflée par les tartufes de l’empire, par ceux de la restauration, et l’est encore par leurs successeurs : aveugle engeance qui nous traîne au rebours et nous remorque au vieux temps, et nous a donné ou nous maintient, comme ci-devant, priviléges de courtiers, d’agens de change, de boulangers, de crocheteurs, de modères, d’avocats, d’avoués, de séminaires, d’ignorantins, d’université, d’élections, d’éligibilité, de pairie, d’aristocratie, toutes choses que nos devanciers d’entre 89 et 1800 avaient jetées là, pensions-nous, pour toujours, aussi bien que l’inégalité dans les successions, que messieurs de l’empire ont fait revivre par les majorats ; lesquels majorats, à cette heure, sont debout, insultant encore à l’égalité humaine. Il nous semblerait à nous, chétifs, que l’ordre de Chose s’accommode fort de tous ces privilèges, et ne songe guère à les défaire ; et la révolution de 1830, tout étonnée, les regarde disant : C’est grande étrangeté que de les voir ici ; et nous, qui nous sommes mêlés un tantinet de cette révolution, nous nous tenons ébahis, surtout entendant corner qu’elle a détraqué les priviléges, ce qui n’est point, comme vous pouvez voir autour de vous ; par quoi nous comprenons très bien, qu’en cornant ainsi, ces gens se veulent gausser, nous prenant pour simples. En train de s’ébattre sur les merveilles de l’ordre de Chose pour l’industrie, et, satisfaits d’eux-mêmes, ils finissent par poser magistralement cette question-ci : Que pourra de plus la république ? et le grand mot parti, vous les voyez hissés sur la pointe des pieds, se trémoussant, présentant regard important et narquois, nous pensant morts du coup. Or, comme le parquet nous guette, nous voila bien empêchés, non de faire réponse, comme vous devinez-bien, mais des suites de la réponse ; ils en parlent à l’aise, eux : mais nous, non ; et force nous est de citer seulement l’histoire, ne pouvant mieux, laquelle sera factieuse, sans doute, mais nous laissera en paix avec M. le procureur du roi, chose très bonne en soi. Or, l’histoire apprendra aux gens du commerce que, sous un régime qui s’appela, ce nous semble, république, quelques-uns des nôtres, vivant encore et simples travailleurs comme nous, ont souvenance d’avoir, en ce temps, élu leurs administrateurs et leurs députés ; qu’il fut lors proclamé au son de trompe et de tambour, sur toutes nos places publiques, que la société devait à tout homme (au lieu de l’aumône de M. Fulchiron) le pain ou le travail ; vous en pouvez lire le décret au Bulletin des Lois ; pourquoi on vit poindre telle administration dans chaque commune, que le peuple aurait partout et toujours trouvé travail ou pain. Et déjà la besogne avançait, lorsque la race des dévots et des privilégiés revint lécher les mains de Napoléon et le gâter, ce dont nous avons été dupes ; ils s’arrangèrent, devinrent sénateurs, juges, archevêques, enfin tout, jusqu’à gardes-champêtres, et nous laissèrent au hasard, nous et notre propriété, le travail ! Et nous y sommes encore ; et tandis que la loi veille au sort du moindre plantard dans les champs, nous devenons malades, puis morts, sans [3.2]qu’agent de police (d’ailleurs fort soigneux s’il nous faut emprisonner) prenne plus de peine que si une feuille d’arbre se desséchait et tombait. Cela étant, nous nous méfions des dires de la feuille du commerce, derrière sont les gens à police ; sous ce couvert ils viennent à nous doucereux et la larme à l’œil. Ne vous organisez point, disent-ils, attendez : l’ordre de Chose est d’hier ; il vous veut du bien, parole d’honneur ! Vous tenez, son lendemain, il va songer à vous ; il vous aime, ne prenez peine, il va faire lui-même ! O papelards, qu’on se trompe à vos voix ! Tandis qu’ils nous donnent belles paroles… voyez les bienfaits de la révolution envers les travailleurs !... des emprisonnemens ! Ecoutez… là bas… entendez-vous !… le cri des verroux !… la voix plaintive perce la voûte des cachots !… les chaînes bruissent, se traînent sur les dalles !… Le glaive des lois impériales frappe de toutes parts et touche le cœur de nos frères, et vient jeter dans notre sang le frisson d’alarme !… Nous savons trop le bien que vous nous réservez, messieurs. Hypocrites ! le temps de la confiance est passé, passé sans retour, nous n’en avons plus pour vous ; c’est fini ! Et nous vous donnons avis que vous perdez votre temps à dresser des embûches à nos esprits ; nous vous connaissons, beau masque, et voyons vos lacs. Au revoir.
De l’Adresse au Roi PAR LES CHEFS D’ATELIER DE ST-ETIENNE. Nous avons lu avec tout l’intérêt et toute l’attention qu’exige la matière, l’adresse des chefs d’atelier et ouvriers passementiers de la fabrique de rubans de St-Etienne à Louis-Philippe. Elle prouve qu’à St-Etienne comme à Lyon, comme à Rouen, comme partout, la partie la plus nombreuse et la plus morale de la nation est exploitée par une minorité imperceptible qui éloigne la classe ouvrière de toutes les assemblées où se discutent leurs intérêts les plus chers ; que partout le manque de communications entre les fabricans et l’ouvrier, augmente l’intensité du mal qui travaille la société industrielle ; que partout le salaire de la main-d’œuvre est loin d’être en rapport avec les bénéfices des capitaux. M. Philippe Hedde, dont nous nous plaisons à reconnaître la haute portée industrielle, s’est chargé de rédiger l’adresse au roi et d’indiquer les mesures à prendre pour faire cesser un état de choses, qui ne laisserait bientôt plus aux chefs d’atelier et aux ouvriers de St-Etienne aucun moyen de pouvoir vivre en travaillant, et d’élever leurs enfans. Quelques-unes de ces mesures sont bonnes ; elles peuvent, non pas guérir la blessure du corps social, elle est trop profonde, mais au moins l’adoucir. Nous doutons pourtant qu’elles soient adoptées, si nous en jugeons par l’indifférence qu’on a mise à Lyon à examiner une suite de moyens analogues, proposés dans une brochure publiée par M. Baune, après novembre, et discutés depuis dans le Précurseur et dans l’Echo de la Fabrique. Nous applaudissons cependant à quelques-uns des principes qui ont dicté cette adresse ; mais nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer notre étonnement de la forme humble et servile que M. Hedde a cru devoir y employer. Jamais le commerce, même sous Colbert,et dans le beau temps du droit divin, n’a adopté des formules plus fadement obséquieuses. [4.1]Les très humbles et très obéissans sujets de sa majesté ont de plus oublié, dans leurs supplications, que, d’après nos lois, le pouvoir exécutif ne peut intervenir, pour conférer l’élection, qu’avec le concours de la puissance législative ; qu’il n’a aucun droit d’ordonner des associations de fabricans ; qu’il est dangereux pour l’industrie de demander au pouvoir de se mettre sous la tutelle de ses agens ; enfin, que les ouvriers et les chefs d’atelier invitent l’autorité à oublier leur dignité d’hommes lorsqu’ils l’oublient eux-mêmes.
Extrait du National. Nous empruntons ce qui suit au National qui, ce nous semble, a beaucoup mieux étudié le peuple, que ne l’ont fait M. dupin et les siens, tous gens de beaucoup d’esprit sans doute, mais dont l’esprit n’est plus de ce siècle ; fait suffisamment attesté par la peine grande que se donnent tous ces savans personnages à rejeter sur l’anarchie, la mauvaise presse, etc., la cause de la manifestation des prétendus besoins du peuple d’aujourd’hui. « À titre de savant, M. Ch. Dupin s’est chargé d’embrouiller une question fort simple, en mettant au nombre des propriétaires les familles campagnardes dont la contribution foncière est de 20 fr. et au-dessous, dans l’espérance de les séparer de la classe qui ne vit que de son travail, et de leur faire accroire que leur intérêt se confond avec l’intérêt que peut avoir la grande propriété à ne pas voir s’élever le salaire des ouvriers. Si M. Ch. Dupin s’était contenté de regarder bonnement ce qui se passe dans le département où il est né, qui ressemble à la plupart des départemens de la France, il se serait aperçu que le bon sens y a classé la population vivant de son travail sous trois dénominations qui indiquent leur position réelle, savoir : les gens à gages, les ouvriers et les journaliers. Les gens à gages se louent à l’année, soit chez les possesseurs de terres, soit chez les fermiers. Outre leurs gages, on les nourrit, on les loge, car ils n’ont pas de domicile à eux ; comme ils doivent tout leur temps à celui qui les a loués, leur existence n’est fondée que sur leur travail. Pour les ouvriers charpentiers, menuisiers, maréchaux, occupés à la campagne, ils sont dans la même situation que les ouvriers du même état employés dans les villes ; à cette seule différence que les maîtres les logent et les nourrissent souvent, parce qu’on trouve dans peu de villages des chambres en location. Si ces ouvriers sont propriétaires quelque part, ce n’est certainement pas du revenu de leur propriété qu’ils vivent. Reste les journaliers, qui presque tous possèdent une maisonnette, une chaumière et quelques morceaux de terre ; ils sont réellement attachés au sol, et paient une contribution foncière ; nous verrons bientôt à quelles conditions. Leur titre de journalier indique suffisamment que le travail sur lequel ils peuvent compter est plus incertain que le travail des gens à gages et des ouvriers, sans leur être moins nécessaire. Ce sont ces journaliers propriétaires, leurs femmes et leurs enfans, qui voyagent en troupes dans le temps des moissons et des vendanges, pour occuper leurs bras moyennant un faible salaire, mais toujours à la condition [4.2]d’être nourris, afin de ménager, pour leur retour, les produits qu’ils ont récoltés chez eux. L’argent qu’ils ont gagné, et qu’ils remportent, leur sert presque toujours à payer leurs contributions. Il en est de même des enfans de l’Auvergne et de la Savoie, qui viennent à Paris et dans les grandes villes employer leurs forces et leur intelligence au service de tout le monde, quoiqu’ils soient fils de propriétaires, c’est-à-dire, des gens qui possèdent une maison payant l’impôt foncier. S’ils n’en avaient pas, ils ne trouveraient pas à se loger. C’est cette impossibilité qui porte l’excédent de la population des campagnes dans les villes, qui leur offrent toujours l’espérance de pouvoir s’y placer. Nous nous sommes engagés à montrer quel est trop souvent le sort des villageois qui, propriétaires territoriaux, paient 20 fr. de contribution et au-dessous. Au-dessous est le plus grand nombre. Un journalier est à son aise lorsqu’il possède une maison de la valeur de 1,200 fr., y compris le peu de terre qui en dépend ; mais cette aisance tient entièrement à son travail. Qu’il meure et laisse trois enfans en bas âge, une succession est ouverte. Pour cette succession, il faut élire une tutelle, faire autant d’actes notariés, remplir autant de formalités que pour tout autre succession, et payer des droits d’enregistrement dans la proportion du bien. Le défunt n’a pas laissé d’argent, et nous admettons qu’il n’avait pas de dettes. Le notaire se charge de tout, fait les avances pour ce que réclame le fisc, et tient un compte dans lequel il ajoute l’intérêt légal de l’argent qu’il a déboursé jusqu’à la majorité des enfans. Que deviennent-ils, en attendant ? La charité de quelques propriétaires du même genre ou de quelque fermier s’en charge et les emploie ; car, à la campagne, les enfans servent de bonne heure. A défaut, des mendians du pays s’en emparent pour s’en faire des compagnons productifs. A mesure que leurs forces se déploient, ils entrent en service pour leur nourriture et leur entretien, Enfin, ils obtiennent des gages ; l’argent qu’ils reçoivent, ils le portent chez le notaire qui fait leurs affaires, et il n’est pas rare qu’à l’époque où ils sont entièrement libérés, leur portion d’héritage leur coûte plus que s’ils l’avaient achetée. Telle est l’histoire trop réelle d’une grande partie des familles que M.Ch. Dupin compte au nombre des heureux propriétaires. »
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
(présidé par m. riboud.) Audience du 12 décembre 1833. Burel, chef d’atelier, demande la résiliation avec indemnité des engagemens qu’il a pris avec Charmillon, pour l’apprentissage du fils de ce dernier, dont la durée doit être de trois ans. Il fonde sa demande sur la maladresse de son élève et sur son peu d’habileté, quoiqu’ayant déjà deux ans de fait de son temps, et demande en outre que le jeune homme finisse chez un autre maître le temps de son apprentissage. Le père demande au conseil que son fils subisse un examen pour qu’on puisse constater le degré de son instruction. Renvoyé à huitaine pour prononcer. Joseph Bufe, apprenti de Frandon, a quitté à plusieurs reprises l’atelier de son maître ; depuis un mois [5.1]il est absent. Malgré les diverses recherches faites, on ignore sa retraite. Sur la demande de Frandon, le conseil résilie les conventions et accorde 150 fr. d’indemnité au maître, qui seront payés par Olivier, caution de l’apprenti, sauf son recours contre le père. Lorsqu’un apprenti quitte son maître pour aller exercer un autre état, le maître qui l’occupe est-il passible de la contravention ? Oui. Ainsi jugé entre Allemand, chef d’atelier, et Chaîne, enlaceur de cartons. Lorsqu’un ouvrier sans livret, a déjà fait chez un maître deux pièces, et que la troisième est sur le point d’être commencée par l’ouvrier, le maître est-il en droit de le renvoyer sans lui accorder la huitaine ? Non. Ainsi jugé entre Déchelette, chef d’atelier, qui paiera 10 fr. d’indemnité à Blanc, son ouvrier. Un maître peut-il obliger un apprenti à le suivre quand il va s’établir dans une autre ville que celle qu’il habitait à l’époque où l’apprenti est entré chez lui ? Non. Ainsi jugé entre Froget et Sornet. Gaudet, ouvrier formier, a fait acheter par Brunier, maître formier, des ustensiles nécessaires à son état, pour travailler chez lui pour le compte de ce dernier. Aujourd’hui il ne lui convient plus de tenir à son engagement pris envers le maître qui lui réclame par conséquent le prix de ces divers ustensiles. L’ouvrier répond qu’il est d’usage, dans cette industrie, que les maîtres fournissent presque tous les outils. Le conseil, considérant qu’il existe dans le nombre de ces outils un banc que le maître ne doit pas fournir, condamne Gaudet à payer 4 fr. à Brunier pour le prix de cet objet. Besset et Bouchard ont remis à Déphanis une disposition d’un métier schal indien, le 23 novembre dernier, et l’ont retiré le 30, parce qu’il leur a plu de ne pas monter le métier. Déphanis observe qu’il a fait emplette de divers ustensiles nécessaires au montage de ce métier, qu’il a perdu la huitaine à leur achat, et demande en conséquence le remboursement de ses frais et une indemnité pour ses courses. Le conseil condamne Besset et Bouchard à reprendre seulement le peigne et le remisse au prix d’estimation, et à 24 fr. d’indemnité envers Déphanis. nota. Nous ignorons à quelle somme se monte les divers ustensiles achetés par le maître, qui prétend en avoir acheté pour plus de 200 fr. mais nous savons que la plupart d’entr’eux ne peuvent servir que pour ce genre d’étoffe. Ainsi le caprice d’un négociant peut causer la ruine ou tout au moins la gêne d’un chef d’atelier, sans encourir une plus grande responsabilité ? Pauvres prolétaires !… L’apprenti Muet s’est présenté au greffe du conseil pour se plaindre de ce que Brunet, son maître, ne réglait jamais le montant de ses tâches, et d’autres causes que nous ne nous permettons pas de rendre publiques. Sur cette simple plainte, et sans avoir fait appeler le chef d’atelier, M. le président crut devoir envoyer un membre du conseil chez Brunet pour vérifier les faits. Aujourd’hui ce chef d’atelier proteste énergiquement contre cette conduite, et se plaint vigoureusement de ce que son domicile a été violé. Le président, ne pouvant calmer l’emportement bien pardonnable, à notre avis, de ce chef d’atelier, qui se serait vu condamner sans être [5.2]entendu, lui applique l’amende de 10 fr. avec impression du jugement à ses frais que prononce la loi, et renvoie l’affaire devant M. Perret. Quant à nous, nous pensons que M. le président n’a pas le droit d’envoyer un prud’homme dans l’atelier d’un maître sans que ce dernier soit auparavant entendu contradictoirement à son adversaire ; autrement ce serait faire croire que le président devrait ajouter foi au dire d’une seule partie, ce qui ne nous paraît pas conforme aux lois de l’équité.
Comme nous l’avions annoncé, le tirage au sort des prud’hommes chefs d’atelier sortant a eu lieu le samedi 7 décembre. Les noms sortis de l’urne sont ceux de MM. Labory, Charnier et Martinon. Nous ignorons quels sont les prud’hommes négocians que le sort a désignés. Nous en informerons nos lecteurs lorsqu’ils seront à notre connaissance.
COMPTE-RENDU
Du produit des listes de souscription ouvertes au mois de janvier 1833, en faveur des blessés de Novembre. Noms des commissaires. Nos des feuilles : M. carrier. N° 3 : 4 fr. 65 c. N° 10 : 3 fr. N° 12 : 1 fr. 50 c. N° 19 : 2 fr. 50 c. N° 20 : 75 c. N° 63 : 15 fr. 75 c. Total : 28 fr. 15 c. M. soucret. N° 4 : 2 fr. 50 c. N° 7 : 50 c. N° 9 : 4 fr. 50 c. N° 35 : 75 c. N° 41 : 14 fr. 25 c. N° 53 : 9 fr. N° 59 : 2 fr. N° 60 bis : 12 fr. N° 64 : 50 c. N° 69 : 2 fr. 50 c. N° 71 : 2 fr. 75 c. N° 72 : 3 fr. 75 c. N° 77 : 11 fr. 25 c. N° 82 : 7 fr. 50 c. N° 83 : 22 fr. 35 c. N° 87 : 24 fr. 25 c. Total : 120 fr. 35 c. M. falconnet. N° 22 : 3 fr. 30 c. N° 24 : 50 c. N° 26 : 4 fr. 75 c. N° 28 : 4 fr. 75 c. N° 29 : 2 fr. 60 c. Total : 15 fr. 90 c. M. duchamp. N° 5 : 12 fr. 25 c. N° 8 : 5 fr. 75 c. N° 11 : 50 c. Total : 18 fr. 50 c. M. labory. N° 42 : 4 fr. 50 c. Total général : 187 fr. 40 c.
AVIS. [6.1]Nous prévenons de nouveau que la Commission des secours pour les blessés de Novembre, n’a pu faire son compte-rendu en entier, attendu l’absence de quelques feuilles de souscription. Ainsi les personnes qui pourraient donner des renseignemens sur celles portant les Nos 2, 6, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 46, 49, 51, 52, 53, 54, 56, 62, 66, 67, 69, 70, 73, 74, 75, 76, 78, 79 et 80, sont priées de passer au bureau du journal le plus tôt possible. Incessamment nous publierons les noms des souscripteurs.
LE TABAC.
son influence sur la santé. Aucune substance n’est d’un usage plus général que le tabac. L’Arabe le cultive dans ses déserts ; il est employé dans l’Inde, la Chine et le Japon. Les habitans des tropiques et ceux des pôles, le Nègre, le Lapon, le sauvage et l’homme civilisé, tous en font leurs délices. Ils le prisent, le fument ou le mâchent. Il devient d’une nécessité si indispensable, lorsqu’on en a contracté l’habitude, que le misérable supporte plutôt la privation du pain que celle de cette substance. La cessation subite de son emploi peut occasionner une foule de maladies. Un élève interne de première classe à la Salpétrière, jeune homme fort instruit et de beaucoup d’espérance, sentant combien son usage entraîne de désagrémens, tenta de s’en défaire. Les premiers jours, gaîté singulière, inspirations poétiques, contraires à son état ordinaire ; puis morosité, taciturnité, colère même, quoique d’ailleurs il fût d’un caractère fort doux, ou pour mieux dire qu’il eût sur lui beaucoup d’empire ; espèce de délire pendant la nuit ; idées bizarres et incohérentes ; cet état persiste plusieurs jours. Lorsqu’on veut perdre l’habitude de prendre du tabac, il faut y procéder avec beaucoup de gradation : ce n’est que lentement qu’on peut y parvenir. Lorsqu’on introduit le tabac en poudre dans les narines encore inaccoutumées à son action, il fait éternuer, occasionne des vertiges, et peut produire l’apoplexie. Il émousse à la longue la sensibilité de l’odorat, et ne fait plus éternuer. Il peut établir une révulsion salutaire dans quelques affections chroniques. Les aliénés aiment le tabac avec fureur. Lorry1 attribuait à l’usage fréquent du tabac le grand nombre des affections nerveuses qui régnaient de son temps. L’irritation habituelle que cette substance détermine sur la membrane muqueuse du nez, et l’avantage qu’elle a de diminuer l’impression des mauvaises odeurs, sont les seules propriétés qu’on lui connaisse. Fumé, le tabac produit d’autres résultats. Dans les commencemens, il détermine des vertiges, des céphalalgies, des anxiétés, des défaillances, une chaleur brûlante, des tremblemens, des sueurs froides, des vomissemens, de l’ivresse, de la somnolence. Il augmente l’action de la membrane muqueuse de la bouche et des glandes salivaires, ce qui occasionne de grandes pertes de salive, et rend la digestion plus pénible et moins parfaite. Cette habitude est donc pernicieuse. Dans quelques cas, fort rares, le tabac pourrait être de quelque utilité ; les habitans des pays froids et humides, d’une constitution lâche et molle, peu irritables, peuvent en user sans danger. [6.2]Il sera nuisible aux personnes placées dans les circonstances contraires. L’excès de tabac fumé a causé l’idiotisme et la perte de presque tous les sens. Deux frères furent frappés d’apoplexie pour avoir fumé, l’un 17, l’autre 18 cigarres. Tissot2 assure que cette habitude abrège la vie. L’haleine des fumeurs est fétide, leurs dents noires et cariées. L’usage de mâcher le tabac est moins ancien que les deux manières de le prendre dont nous venons de parler. Les marins, les soldats, les gens du peuple, mâchent le tabac ; il produit les mêmes effets, mais avec plus d’intensité que la méthode précédente. Dans le commencement de la découverte de cette substance, on ne manqua pas de la prôner comme une panacée, on la recommanda dans toutes les maladies ; mais l’expérience ne tarda pas à faire voir toute la vanité d’un pareil espoir. Aujourd’hui, son usage en médecine est singulièrement restreint ; on pourrait même dire qu’il est tombé en désuétude. On le recommande encore, mais non sans contestation, comme préservatif de la peste, et comme neutralisant les principes contagieux. (J. du Commerce.)
Voici le relevé des frais d’un grand dîner à Harfleur,donné au roi François Ier par les magistrats de cette ville en 1520 : Pour quinze douzaines et demie de pains à 2 sous la douzaine : 1 l. 15 s. Perdrix, canards, videcoqs, pluviers, lapins, chapons et autres sauvagins : 7 l. 15 s. Deux moutons à 16 sous : 1 l. 12 s. Quatre gigots de mouton à 2 sous 6 drs : 10 s. Six tartes à 3 sous : 18 s. Huit livres de lard à larder : 12 s. Une douzaine de verres à pied : 9 s. Cinquante-sept gallons de vin, à 2 sous 6 deniers le pot : 14 l. 5 s. Un pouchot de vin clairet d’Orléans : 8 l. De plus au fourrier : 8 l. Aux laquais de monseigneur le roi : 6 l. Total : 49 l. 76 s. En rapprochant ces chiffres du prix du salaire à la même époque, il est très facile de savoir précisément si la condition des travailleurs est aujourd’hui meilleure ou pire qu’elle n’était alors.
ECONOMIE SOCIALE.
industrie départementale. Couteaux-Eustache de Saint-Etienne. Il y a peu de départemens où l’industrie se soit développée avec plus de rapidité que dans le département de la Loire ; depuis trente ans le nombre des usines et des manufactures y a triplé, et nous n’exagérons rien en disant que l’accroissement des produits est dans une proportion décuple. Remarquons, au surplus, que le Forez, qui forme aujourd’hui le département de la Loire, fut placé de tous temps au nombre des contrées les plus industrieuses de la France. Dès le commencement du onzième siècle on fabriquait à Furens, aujourd’hui St-Etienne, des gardes d’épées et quelques articles de quincaillerie grossière. [7.1]Ce n’est cependant qu’en 1516 ou 1535 que la fabrication des armes et l’emploi des métaux y prirent une certaine importance. Un ingénieur nommé Georges Virgile, frappé des avantages que cette province pouvait offrir à l’industrie et au commerce, détermina François Ier à fournir les fonds nécessaires pour y élever quelques usines. La quincaillerie, comme on vient de le voir, est une des plus anciennes industries de St-Etienne et des communes voisines ; la coutellerie, surtout la coutellerie commune, est une des branches les plus importantes de cette industrie ; c’est cette coutellerie qui sera l’objet spécial de cet article, et nous pensons que les détails que nous allons donner sont peu connus. En effet, le couteau-eustache a peu occupé l’attention de nos économistes industriels. Le couteau-eustache, que la modicité de son prix met à la portée des classes les moins riches, se vend dans toute la France et s’exporte à l’étranger ; il y a quarante ans, il était plus recherché qu’aujourd’hui ; il a trouvé une concurrence redoutable dans les couteaux à manche de corne dont la forme est plus commode et plus gracieuse. Il est vrai que l’eustache a une lame d’une meilleure qualité et coûte moins cher ; mais l’amélioration qui s’est opérée dans le sort de l’ouvrier fait qu’il regarde peu à une différence de prix qui est de 50 et même de 100 pour cent si on met en parallèle les prix de chaque genre de couteau, mais qui est minime pour l’acheteur, puisqu’elle n’est pour lui que de quelques centimes. En effet, à St-Etienne même on établit des couteaux à manches de corne à 30 sous la douzaine, et le prix moyen des eustaches est de 75 c. La différence pour l’ouvrier qui achète n’est donc que de 6 à 8 c. Le couteau-eustache, comme on l’appelle à Paris et dans les environs, porte à Rouen et à Amiens la dénomination d’Avril ; en Bretagne et dans les départemens qui bordent la Loire, on l’appelle couteau Descoz à la clé ; on le connaît dans le Poitou et la Saintonge sous le nom de couteau d’Ozon ; enfin, en Italie et en Espagne, sous celui de Bizalion. Ces différens noms étaient ceux des fabricans, et on les retrouve presque tous encore à St-Etienne ; la maison Descoz fabrique encore de la coutellerie ; on trouve un Bizalion parmi les fabricans de quincaillerie, etc. En fabrique, ces couteaux se vendent par grosse ou douze douzaines ; leur prix varie suivant les qualités et les grandeurs qu’on distingue par les dénominations suivantes : Estillons : 5 f. la grosse, ou un peu plus de 3 c. le couteau. Quatrins : 6 f. la grosse, ou un peu plus de 4 c. le couteau. Très petits : 7 f. la grosse, ou un peu plus de 5 c. le couteau. Petits : 9 f. la grosse, ou un peu plus de 6 c. le couteau. Moyens : 11 f. la grosse, ou un peu plus de 7 c. le couteau. Grands : 13 f. la grosse, ou un peu plus de 9 c. le couteau. Passe-grands : 16 f. la grosse, ou un peu plus de 11 c. le couteau. Malgré la modicité de ces prix, un couteau passe par les mains de 18 ouvriers avant d’être achevé, et tous y trouvent de quoi vivre. Quelques détails à ce sujet ne seront pas sans intérêt. Les manches, en bois de hêtre, se fabriquent dans les montagnes, à 2 ou 3 lieues de St-Etienne, et sont rendus dans les ateliers au prix de 30 c. la grosse des plus petits, et de 75 c. pour les plus grands ; on les noircit en les plaçant dans des moules en fer chaud. Ce travail est payé à l’ouvrier 50 c. par grosse ; il peut gagner 30 à 40 sous par jour, mais il faut alors qu’il travaille de 5 heures du matin à 10 heures du soir. Les forgeurs de lame gagnent 36 à 40 sous par jour, [7.2]et, il faut le dire, cette journée est presque aussi longue que celle des noircisseurs de manches et beaucoup plus fatigante. La grosse leur est payée de 60 c. à 1 fr. Chaque lame doit être mise au feu six fois, et chaque fois elle reçoit au moins douze coups de marteau ; ainsi pour une douzaine de lames qui rapporte de 5 à 8 c. à l’ouvrier, il doit faire rougir l’acier 72 fois et lui donner 864 coups de marteau ; et encore sur son salaire, il a à payer le charbon, les outils et le loyer de la forge. Vient ensuite l’aiguisage. Ce travail est pénible à raison de la position où se trouve l’ouvrier, qui est constamment couché sur le ventre ; dangereux, parce que malgré les épreuves auxquelles on soumet les meules avant de les employer, malgré le soin qu’on apporte à les choisir, il arrive quelquefois que la vitesse de la rotation, jointe au choc de l’instrument qu’on aiguise, les fait briser, et il est rare que l’ouvrier ne soit pas blessé. Un habile aiguiseur peut préparer en un jour jusqu’à 1,469 lames d’eustache ; il gagne alors 7 fr. 30 c. ; mais le fait est rare ; communément un ouvrier n’en fait que 6 à 700. Enfin d’autres ouvriers sont chargés de réunir la lame au manche, et toute une famille, occupée à ce travail, gagne à peine 4 fr. par jour. L’homme scie le manche, la femme ajuste la lame, les enfans fixent les petites rosettes, ouvrent les couteaux ou les ferment. Pour ajouter à la célérité de l’ouvrage, tous les mouvemens sont combinés de manière qu’aucune seconde de temps n’est perdue ; ainsi le même mouvement qui sort le manche de l’étau sert à prendre celui qui le remplace, etc. Cet ajustage et ses accessoires sont payés à l’ouvrier 50 c. par grosse. On voit que la fabrication des couteaux-eustache est unique pour la modicité du prix de la main-d’œuvre ; aucune fabrique n’a pu en approcher. Nous voudrions pouvoir donner le chiffre exact de ses produits, mais les documens que l’on a sur ce genre de produit industriel n’ont pas une spécialité qui se rapporte exclusivement au couteau-eustache ; on y a fait figurer des chiffres qui appartiennent évidemment à la fabrication des couteaux d’un autre genre. On évalue à environ 1,000 grosses ou 1,200 douzaines par semaine le produit de la coutellerie de Saint-Etienne, tant en couteaux de poche qu’en couteaux de table. Six à 700 ouvriers sont occupés chaque jour à ce genre d’industrie qui se perfectionne et qui sans doute redeviendra bientôt aussi productif qu’il l’était avant la révolution. (Temps.)
Nouvelles. Dans la nuit de lundi à mardi, un violent incendie s’est manifesté dans une maison située au haut de la montée du Garillan. Les secours ont été fort lents, aussi le petit nombre de citoyens qui sont accourus a-t-il suffi à peine pour former une chaîne qui pût traverser ce quartier privé d’eau et venir puiser dans la Saône. Malgré le bruit que devait causer cet affreux désastre, les habitans du quartier St-Jean sont restés ensevelis dans le plus profond sommeil ; aussi l’incendie n’a-t-il été que faiblement combattu. La maison, au rez-de-chaussée de laquelle le feu s’était manifesté, a été entièrement consumée ; les maisons voisines cependant ont été heureusement garanties. On élève à [8.1]douze le nombre des ménages des prolétaires que ce funeste événement a ruinés. Le pont Seguin est à peu près achevé. L’épreuve à laquelle il a été soumis, et qui était plus forte que celle exigée par les clauses de la concession, n’a servi qu’à prouver sa complète solidité. MM. les ingénieurs du département en vont mourir de dépit ! – On s’occupe maintenant à achever les chapiteaux des colonnes qui portent les longues chaînes auxquelles le pont est suspendu. Bientôt, sans doute, on les surmontera des aigles de bronze qui doivent les orner, et donner à ce monument admirable le dernier cachet de l’élégance. Cependant, quelques contestations qui existent encore entre M. Jules Seguin et l’administration, empêchent que le passage ne soit, quant à présent, livré au public. M. berbrugger, disciple de Fourier, donnera trois séances publiques et gratuites ; la première a eu lieu vendredi 13, et les autres auront lieu lundi 16 et mercredi 18 décembre, à 8 heures précises du soir, dans la salle de la Loterie, près la barrière St-Clair. Ces réunions ont pour but de compléter les développemens que M. Berbrugger a déjà donnés dans la salle de la Bourse, d’appuyer sur des preuves historiques la valeur du système de réforme industrielle, et de démontrer l’influence que l’école phalanstérienne est appelée à exercer sur les destinées sociales. On n’entrera qu’avec des billets que M. Berbrugger (place St-Michel, n° 2) remettra aux personnes qui en feront la demande. Vendredi 13 décembre a paru la première livraison de l’exposition du système de Fourier, telle qu’elle a été faite en septembre dernier par M. Berbrugger. L’ouvrage sera complet en 4 livraisons du prix de 50 c. chacune. On les trouvera chez M. Babeuf, rue St-Dominique, et à la salle de la Loterie. M. Granier a été forcé de repartir précipitamment pour sa prison de Clairvaux. Il s’est mis en route samedi matin. – On lui a très positivement refusé une nouvelle prolongation de séjour. L’affaire des troubles de Loyasse, dans laquelle se trouvaient compromis les honorables citoyens Vincent, Thiou et Tiphaine, a été jugée hier samedi. Un verdict d’acquittement a été prononcé et accueilli par les plus vifs applaudissemens de tout l’auditoire. L’empressement du public à visiter l’exposition des tableaux au musée du Palais St-Pierre, et l’empressement des amateurs aux jours réservés, ont décidé l’administration municipale, dans l’intérêt de MM. les artistes, et sur la demande de M. le conservateur du Musée, à prolonger cette exposition jusqu’au 31 décembre inclusivement. Le Conservateur du Musée, thierriat.
AVIS. Le 6 décembre courant, on a retiré du Rhône, à la Mulatière, le cadavre d’un homme inconnu, submergé depuis environ trois semaines. Signalement. – Paraissant âgé de 65 ans, taille d’un mètre 60 centimètres, cheveux gris. Il était vêtu d’une veste en velours coton olive, d’un pantalon en drap bleu avec un passe poil rouge ; il portait un second pantalon de coton bleu en guise de caleçon, un gilet bleu en circassienne, un autre gilet en laine bleue, tricoté, et une chemise en coton sans marque. Il avait une cravate en coton rose quadrillée et des souliers ferrés. On a trouvé sur lui un petit couteau à manche de corne et une somme de 1 fr. 37c. monnaie de cuivre. Les personnes qui pourraient donner des renseignemens sur cet individu, sont priées de les adresser à la préfecture du Rhône, division de la police.
AVIS DIVERS.
[8.2](305) On offre un emplacement pour un métier pour maître. S’adresser au bureau du journal. (307) A VENDRE, 2 métiers travaillant en 6/4, à 4 fils au maillon. S’adresser chez M. Rebeyre, liseur, rue Casati, n° 6. (308) A VENDRE, un métier de 4/4, mécanique en 900, 4,000 maillons, et tous ses accessoires, ainsi que le mobilier si l’acheteur le désire. S’adresser à M. Hipolyte Collavon, chez M. Salardisse, rue Madame, n° 6, au 4e, aux Brotteaux. (309) CHANGEMENT DE DOMICILE. Le sieur LATTIER, fabricant de peignes à tisser en tous genres, demeurant côte des Carmélites, n° 27, au 1er, est actuellement rue Vieille-Monnaie, n° 2, au 2e, du côté de la Grand’Côte, allée de la fontaine. – Il tient un assortiment complet de peignes neufs et de rencontres, et fait des échanges. (290) A VENDRE, un métier de schals indiens en 5/4, mécanique en 1,800 ; on vendra, si on le désire, la mécanique séparément. S’adresser à M. Mauband fils, rue du Menge, n° 10, au 3e. (306) AVIS. M. brun, plieur, demeurant place des Pénitens-de-la-Croix, est actuellement place St-Clair, n. 6, au 3e, sur le devant. (303) A VENDRE, une mécanique ronde à dévider, de 10 guindres, trancanage et cannetière de David. S’adresser à M. Matral, montée du Chemin-Neuf, n° 20, au 2e. (304) A VENDRE, une belle planche d’arcades en 6/4, 4/4 et autres étroites ; rouleau de 6/4 de devant et de derrière ; d’autres en 5/4, 4/4 et 3/4 ; plusieurs peignes en 6/4 ; 5/4, 4/4 et autres largeurs et de tous comptes ; battans en 6/4 pour lancé, et autres de différentes largeurs ; le tout dans un état neuf. S’adresser au bureau du journal. (301) A VENDRE, 4 métiers d’unis et une mécanique ronde de 12 guindres, ainsi qu’un ménage avec les meubles. S’adresser à Mme Fournel, place Rouville, n. 2, maison Brun. (302) A VENDRE, 4 métiers d’indiens, en 900 et 1,200, avec tous les accessoires. S’adresser à M. Dufrène Pugnier, Grande-Côte, n. 28. (276) A VENDRE, grand atelier de lisage, composé de cinq lisages, deux repiquages, dont il y en a un de 1,036, 744, deux 600 et un 400 ; avec une bonne clientelle. S’adresser au bureau du journal. (282) A VENDRE à sacrifice, pour cause de départ, un superbe lit à bateau tout neuf et tout garni, une jolie commode, également toute neuve et au goût du jour ; un brancard de petite mécanique, peignes à tisser les crêpes de Chine, roue de régulateur, etc. S’adresser chez M. Raumieux, rue des Fossés, n° 8, au 4e, à la Croix-Rousse. On trouvera le vendeur chez lui de 7 à 9 heures du matin.
louis babeuf, rue st-dominique. en vente : DE LA COALITION des chefs d’atelier de lyon, prix : 75 centimes. Par Jules Favre, avocat. Au bureau de l’Echo de la Fabrique, et chez tous les libraires.
Notes ( Faux bruits.)
. Le journaliste mentionne ici les attaques incessantes, souvent personnelles et dirigées contre César Bernard, que subit le journal de la part de L’Écho des Travailleurs. Par ailleurs, le journal de Chastaing exploite désormais l’affaire Labory qui implique à la fois les autorités et les mutuellistes.
Notes ( DE LA LIBRE DÉFENSE)
. Il s’agit ici, très probablement, de l’avocat républicain Philippe Chanay.
Notes ( LE TABAC.)
. Anne-Charles Lorry, célèbre médecin du XVIIIe siècle (1726-1783). . Samuel-Auguste Tissot, autre célèbre médecin du XVIIIe siècle (1728-1797).
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