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15 décembre 1833 - Numéro 50
 
 

 



 
 
    
 DE LA LIBRE DÉFENSE

devant le conseil des prud’hommes.

[1.2]Cette question a été à plusieurs reprises examinée et développée dans le Précurseur et l’Echo de la Fabrique. Des chefs d’atelier, des jurisconsultes, des publicistes l’ont sérieusement approfondie. Tous ont donné la même solution ; tous ont pensé que devant les prud’hommes, comme devant tous autres tribunaux, un justiciable pouvait s’adjoindre un défenseur ; enfin M. Odilon-Barrot lui-même, a sanctionné de son suffrage la solution donnée par ces consultations et articles de journaux. Ainsi le droit de défense devant le conseil des prud’hommes est maintenant hors de toute discussion. Pourquoi dès lors venir étayer de quelques nouvelles considérations ce que nul ne saurait contester ? C’est que MM. les prud’hommes ont dédaigné toutes les observations, ont brutalement repoussé toutes réquisitions de leurs justiciables. En vain la loi, la raison et la justice leur commandaient l’admission des défenseurs à leur barre ; du haut de leurs sièges ils ont superbement foulé aux pieds la justice, la raison et la loi. Forts sans doute de leurs vastes lumières et de l’infaillible rectitude de leur jugement, ils se sont cuirassés contre tout ce qu’on pourrait leur dire ; et sans doute aussi que cet absurde entêtement leur paraît une noble fermeté digne d’un Molé, car on les tuerait plutôt que de les faire revenir de leur injuste et ridicule résolution. Ouvriers et chefs d’atelier, vous n’aurez point de défenseurs ! L’irrévocable destin a parlé par la bouche de vos prud’hommes ; leurs volontés sont immuables. Ne vous souvient-il pas de certain roi qui, pour toute réponse aux plaintes d’un grand peuple, lui jeta dédaigneusement ces paroles : Ma volonté est immuable ! Mais le grand peuple, à son tour, l’expulsa pour toute réponse, et l’histoire accola à son non l’épithète désormais inséparable : imbécille. MM. les prud’hommes, ne craignez-vous pas qu’on ne vous renvoie à vos moutons, et que l’opinion publique, qui sait si justement dispenser l’éloge et le blâme, ne vous stigmatise avec raison de la qualification si bien méritée par Charles X ? Vous le savez, les élections s’approchent et justice sera faite ; c’est donc moins à vous qu’à vos successeurs que nous adressons les observations qui suivent.

[2.1]La faculté pour tous citoyens de se faire assister d’un défenseur devant tous tribunaux, est un droit hors de toute controverse ; si on en repousse encore l’application, c’est que, dit-on, elle est difficile. « Des défenseurs entraveraient la justice expéditive des prud’hommes, et dans des causes souvent d’un très mince intérêt, le justiciable dépenserait ses économies en frais de défenseurs ; des chicanes interminables seraient élevées, et les premières victimes seraient ces personnes si empressées aujourd’hui à réclamer l’assistance d’un défenseur. » Ces objections sont des puérilités ; car, si vous admettez le principe de libre défense, réglez-en l’application ; décidez que des ouvriers, des chefs d’atelier pourront seuls assister leurs amis et développer leurs moyens de défense, et restreignez ces développemens. A l’appel de la cause, lorsque vous voyez sur quel intérêt elle porte, accordez plus ou moins de temps pour la discussion. Devant les cours et les tribunaux cela se fait ainsi : le président, suivant que la question à juger comporte une discussion plus ou moins longue, dit à l’avocat : « La cour ou le tribunal vous accorde demi-heure, une heure. » Loin de considérer cet usage comme une restriction à la libre défense, comme un empiétement sur un droit sacré, les plaideurs et le barreau en sont satisfaits ; les affaires sont plus vite expédiées et mieux jugées. Forcé de se restreindre dans de justes bornes, l’avocat rejette tout ce qui n’est que remplissage, écarte tous les moyens futiles, spécieux : plus concis, plus énergique et par conséquent moins ennuyeux, il ne présente que les raisons desquelles il peut vraiment étayer sa cause, et ces raisons se gravent plus profondément dans la mémoire du magistrat ; dominent plus sûrement son esprit qui n’a pas été fatigué d’un long et lourd verbiage. Ainsi, MM. les prud’hommes le voient, la prompte expédition des affaires ne souffrira pas de l’admission des défenseurs à leur barre, et cependant ils rendront meilleure justice, et cependant ils seront à l’abri des justes plaintes dont les poursuivent les justiciables. Mais, disent MM. les prud’hommes qui, honteux de leur coupable entêtement, veulent paraître ne céder qu’aux nobles impulsions de l’humanité, ces ouvriers, ces chefs d’atelier seront dépouillés par les avocats, avoués, agens d’affaires qui se rueront dans notre prétoire comme des vautours affamés. Eh ! qui vous a remis le soin de leur bourse ? La loi vous confère un mandat, celui de rendre aux chefs d’atelier, ouvriers et fabricans, bonne justice ; pour rendre bonne justice, il faut parfaitement connaître et comprendre les contestations soumises à votre examen. Or, vous ne pouvez les comprendre qu’autant qu’elles vous sont clairement exposées ; elles ne peuvent l’être par beaucoup de parties ; il faut nécessairement admettre les explications d’un tiers. Ce tiers sera payé, dites-vous ? Que vous importe ? Vos deniers ne seront pas engagés. Au surplus, c’est une question que vous n’avez pas à juger ; mais cette question ne s’élèvera pas, parce que les justiciables emprunteront l’appui de leurs amis seulement ; ces amis exerceront un ministère gratuit ; bien familiers avec les questions de fabrique, ils seront d’une utilité incontestable aux plaideurs et aux juges : aux plaideurs, dont les intérêts ne seront plus sans défense, et aux juges qui, éclairés par de sages et lucides discussions, n’auront pas à déplorer tant de bévues judiciaires.

Ph. ch....1

Notes ( DE LA LIBRE DÉFENSE)
1. Il s’agit ici, très probablement, de l’avocat républicain Philippe Chanay.

 

 

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