AU RÉDACTEUR.
Lyon, le 6 janvier 1832.
Monsieur,
Dans son N° d'hier, le Courrier de Lyon annonce que la commission de la chambre des députés, chargée d'examiner la loi des douanes, en a écarté une disposition qui admettait la libre importation des soies étrangères et défendait l'exportation des soies françaises ; il ajoute qu'en même temps elle a remplacé cette disposition par une autre qui consacre, en faveur de la réexportation, le principe de la restitution à l'industrie du montant des droits d'entrée, et qu'en conséquence elle a proposé d'accorder à la sortie des étoffes de soie unies de toutes les manufactures françaises une prime qui, calculée sur la valeur totale de ces étoffes, devait être de 2 p. 100.
Le Courrier remarque ensuite que les fabriques de Nîmes et d'Avignon n'emploient que des soies indigènes ; d'où il suit que celle de Lyon seule emploie des soies étrangères : ce qui, néanmoins, ne l'empêche pas d'applaudir sans réserve à la résolution de la commission. Mais il me semble que ses éloges manquent de discernement, et qu'il nous importe de le faire apercevoir. Dans une matière pour nous aussi sérieuse et qui touche de si près à notre prospérité, les fautes même légères pourraient avoir encore les plus graves conséquences.
Nous ne devons donc pas dire d'abord que l'abolition proposée des droits d'entrée consommerait la ruine des filateurs et tordeurs français : ce langage serait par trop inexact. Toutefois, il faut reconnaître que la commission a eu raison de repousser cette proposition et de la remplacer par la restitution, en faveur de nos exportations, du montant de ces mêmes droits ; car le prix des soies n'aurait pas baissé d'une valeur égale à celle de la taxe supprimée, notre industrie n'aurait pas seule profité de cette suppression, et l'Italie en aurait partagé le bénéfice avec elle.
Par la restitution, au contraire, ce bénéfice nous reste tout entier ; et, en l'employant à favoriser nos exportations, nous leur accordons un secours plus important que celui qu'elles recevraient de la suppression des droits.
Mais, tout en louant la justesse des vues de la commission, je crois que l’on ne doit pas une approbation [3.2]aussi entière au mode qu'elle a proposé pour la restitution du montant des droits. Je pense que le principe en étant une fois adopté, il doit être complètement observé, et qu'il faut, par conséquent, que la restitution qu'il consacre soit entière. Or, pour atteindre ce but, la valeur de la taxe doit être rendue en totalité à ceux-là qui l'ont déboursée, c'est-à-dire à la fabrique de Lyon, qui seule, comme le dit le Courrier, emploie des soies étrangères.
Dans ce cas donc, la seule valeur des exportations de notre fabrique devrait être prise pour base de la fixation du taux de la prime. Cette induction est rigourement juste. Alors, doublée par ce calcul, la prime destinée à protéger l'écoulement de nos soieries unies, serait portée de 2 à 4 p. 100, puisqu'en ce genre les exportations de Lyon ne font que la moitié environ de celles de toute la France.
Voilà ce qu'exigerait naturellement le principe de restitution que vient d'adopter la commission de la chambre des députés. Et notre fabrique me parait être d'autant plus fondée à en demander la complète observation, qu'elle est placée dans des circonstances moins favorables que celles où se trouvent les autres fabriques françaises ; la vie étant plus chère à Lyon que dans les villes où sont établies ces fabriques.
Au reste, si la prime était fixée d'après la base que je viens d'indiquer ; que moins insignifiante, elle pût ainsi nous faire espérer une prétention plus efficace sur les marchés étrangers, nous verrions assurément sans jalousie la même faveur accordée aux autres fabriques nationales, et nous nous réjouirions de leur prospérité autant que de la nôtre.
Mais que nous voyant, après l'adoption d'un principe juste en soi, priver, par la fausse application que l'on en fait, d'une bonne partie des avantages qu'il semblait nous promettre, nous nous mettions aussitôt à proclamer, avec le Courrier de Lyon, que c'est là entrer pleinement dans les intérêts de notre commerce ; c'est, je crois, ce qu'il n'est ni raisonnable ni convenable de faire.
J'ai l'honneur d'être, etc.
D.