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5 janvier 1834 - Numéro 53
 
 

 



 
 
    
 

Au Gérant de l?echo de la fabrique.

Monsieur,

Les ouvriers cordonniers de la ville de Lyon et de ses faubourgs ont certainement fait faire un grand pas au progrès en fondant la Société du parfait-accord ; car aujourd?hui, compagnons, sociétaires, indépendans, tous se tendent la main et s?entendent sur leurs intérêts ; haines, jalousies de profession, rixes, tout a disparu ! Et cependant naguère encore ces différentes classes ne pouvaient se supporter en face les unes des autres.

Mais dès que nous avons vu un pas de plus à faire, nous nous sommes remis en marche : ? s?arrêter lorsque l??uvre est à peine commencée, c?eût été, nous le croyons, faillir à notre mandat d?hommes qui se sont dévoués pour le bien de tous? Dans la Société du Parfait-Accord, on se voit, on se parle, on traite de ses intérêts ; mais il y manque un lien de fraternité dont l?absence pourra produire de fâcheux résultats pour ses membres, si après avoir obtenu des maîtres les prix de façons demandés, la plupart venaient à se retirer croyant l??uvre accomplie ; car alors, profitant de cette désorganisation, les maîtres diminueraient de nouveau les salaires, et alors aussi recommenceraient les haines et les divisions entre les diverses classes de travailleurs.

C?est donc dans cette prévision, et pour éviter un aussi fâcheux retour, que du sein même de la Société du Parfait-Accord, nous avons fait surgir l?association des frères de la concorde.1? Notre but est de fonder une maison centrale de commerce : déjà nous avons réuni beaucoup de matériaux, et nous avons lieu d?espérer que bientôt nous pourrons commencer nos travaux.

Sociétaires du Parfait-Accord, gardez-vous de vous méprendre sur notre but ; en posant aujourd?hui les premières bases de notre maison, c?est aussi pour vous que nous travaillons ; car le temps est venu où le travail doit assurer à l?homme l?aisance et le bonheur, et repousser loin de nous tous la misère. ? Le temps est venu où le commerce ne doit plus à lui seul dévorer tout le fruit du travail ; il doit enfin changer et de mode et d?allure ; et c?est à le rendre profitable à tous que nous dirigeons nos efforts et que nous emploierons les fonds que nous avons recueillis et que nous recueillons chaque jour.

Vous qui, comme nous, êtes animés pour tout ce [5.1]qui tend au bonheur de l?humanité, vous viendrez à nous, nous l?espérons ! Vous viendrez, surtout lorsque vous saurez qu?au milieu de l?association des frères de la concorde, compagnons, sociétaires, indépendans, tous agissent, se traitent et s?aiment en frères.

Arborant pour drapeau cet antique et impérissable précepte : Fais à autrui ce que tu voudrais qui te fût fait, nous nous abstiendrons de tout acte attentatoire aux droits des autres hommes, quelle que soit du reste leur place dans la société ; mais, pour notre ?uvre toute sociale, toute démocratique, comme pour consolider notre union, on ne nous verra reculer devant aucun sacrifice.

mutuellistes !

Nous venons, à l?exemple des Unistes, signer à notre tour au grand traité qui doit lier fraternellement les travailleurs de toutes les classes, vous demander place sous votre drapeau, et aide et secours pour l?accomplissement de notre ?uvre d?émancipation et de progrès.

unistes !

Comme vous, nous désirons vivement l?alliance intime de tous les travailleurs. ? C?est pour marcher sur vos traces que nous nous sommes levés ; car le temps est venu de repousser loin de nous tous le lot de misères, de haillons et d?ignorance que nous ont légué l?égoïsme de quelques privilégiés et l?isolement des travailleurs. ? Enfin, le temps est venu où nous avons besoin du concours de tous pour le succès de ce grand ?uvre d?humanité ; c?est pourquoi nous vous tendons aussi la main, désirant comme vous que l?Echo de la Fabrique soit notre représentant à tous.

Mutuellistes stéphanois, Unistes, et vous Mutuellistes lyonnais ! qui les premiers sur la brèche avez reçu les premiers coups d?une législation rétrograde et donné le signal de l?émancipation des travailleurs ! accueillez la famille des Concordistes. Elle vous demande aujourd?hui place au milieu de vous comme bientôt, nous ne saurions en douter, viendront vous la demander d?autres associations entraînées par l?exemple que nous-mêmes avons suivi.

Les délégués des Concordistes,
(Suivent les signatures).

Note des Rédacteurs. ? Organes des Mutuellistes, et de notre tribune où nous avons appelé tous les travailleurs sans distinction aucune de professions, nous avons dit assez souvent et assez haut le but de cette association pour qu?il soit superflu d?y revenir aujourd?hui.? Les Mutuellistes de Lyon, en ce qui les concerne personnellement, applaudissent aux efforts des Concordistes, acceptent, en leur témoignant ici la sympathie la plus vive, l?alliance fraternelle qui leur est proposée, et ne négligeront rien pour les aider dans le but qu?ils se sont proposé, et faire triompher avec eux la cause de tous ; le droit au travail et à une distribution équitable des bienfaits de la production.

Notes (  Au Gérant de l? echo de la fabrique...)
1. Parallèlement à la critique des vieux réflexes corporatistes ? chez les boulangers, chez les tonneliers ?, on voit s?affirmer peu à peu une direction nouvelle de la notion d?association. Se distanciant de l?origine strictement professionnelle et de la réalité des corps de métiers traditionnels, l?association se conçoit désormais sur un mode plus large et plus ambitieux et l?horizon devient l?établissement d?une association de toutes les associations. Cette évolution rencontre et se métisse en partie avec les revendications et l?action des républicains dont ce numéro du journal des canuts mentionne les progrès en faisant écho à l?organisation à Lyon de la Société des Droits de l?Homme.

 

 

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