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8 janvier 1832 - Numéro 11
 
 

 



 
 
    
CONSEIL DES PRUD'HOMMES.

Séance du 5janvier.

(présidée par m. guérin.)

La séance a été ouverte à 6 heures 1/2. Il y avait une grande affluence d'auditeurs : la salle ne pouvait les contenir ; néanmoins un calme admirable a régné pendant trois heures qu'a duré l'audience, où une quarantaine de causes ont été appelées ; nous citerons celles qui ont offert quelqu'intérêt.

Le sieur Guillon réclame à la veuve Michel la somme de 27 fr. 50 c. qu'il a été obligé de payer, ayant été pris à occuper la fille Michel qui s'était enfuie de chez son premier maître. Le conseil a condamné la veuve Michel à rembourser au sieur Guillon la somme de 27 f. 50 c. et aux frais.

Le sieur Chantre réclame du sieur Lami un livret pour son fils qui a fini son apprentissage ; le sieur Lami déclare que son apprenti, ayant eu mal au doigt et ayant des engelures, ne lui a fabriqué qu'un quart de velours pendant neuf jours, et il demande que son élève remplace ce temps perdu et finisse sa pièce, avant de lui faire délivrer un livret. Le conseil, faisant droit à la juste réclamation du maître, décide que l'apprenti doit remplacer son temps perdu et finir sa pièce.

Le sieur Décombe réclame au sieur Defanis l'exécution du jugement rendu contre lui le 17 novembre, qui le condamne à payer la somme de 60 fr. Le sieur Defanis réclame contre ce jugement, disant que l'on n'a pas voulu l’entendre ; le président l'engage à développer de nouveau sa défense. Le sieur Defanis dit que l’on maltraite son fils, qu'on ne lui donne pas le temps de manger, et que c’est parce qu'il n'était pas content chez son maître, qu'il s'était enfui plusieurs fois. Le maître reproduit sa plainte contre son apprenti qu'il dit être un petit sujet et dont il ne peut plus se faire obéir ; il ajoute que le sieur Defanis, en lui ramenant son fils, lui avait recommandé de le corriger, s'il ne devenait pas plus docile, et prouve de nouveau que, l'ayant déjà repris plusieurs fois chez lui, il lui est impossible de le reprendre encore une fois. [5.2]Le conseil, après avoir bien entendu les parties, a confirmé son précédent jugement.

S'est ensuite présenté le sieur Peloce qui réclame au sieur Kocq une indemnité en compensation de ses frais de montage ; il présente un compte ou il prouve qu'il n'a fait qu'une pièce de schals 6/4 de 4 fils au maillon, dont la façon ne se monte qu'à 316 f. 85 c., et qu'après la dépense de son montage et avoir payé son ouvrier, son lanceur et son canetier, ses frais se montent à 482 f. 25 c. Le sieur Kocq, à son tour, établit pour sa défense, qu'il n'avait promis de l'ouvrage à cet ouvrier que jusqu'à la Noël ; que, s'il n'en a pas fait davantage, c'est par sa faute, et prétend que l'on peut passer douze mille coups par jour ; que, depuis le 24 septembre jusqu'au 29 novembre, il y avait 80 jours de travail, et que cet ouvrier n'avait passé qu'environ 7,500 coups. Le maître, de son côté, a prouvé qu'il n'avait réellement eu que 65 jours de travail ; le sieur Kocq l’a interrompu en disant c'est faux ! et l'ouvrier a répondu vivement : vous en avez menti !... Le président, agitant sa sonnette, a rappelé le sieur Kocq à l'ordre, à la modération et à garder le respect dû au conseil, et a en même temps engagé le chef d'atelier à la modération. De plus, le sieur Peloce dit avoir employé un bon ouvrier à la fabrication des schals de M. Kocq, et lui porte le défi de trouver un défaut de fabrication. Enfin le négociant, prétendant que le compte des dépenses fourni par le chef d'atelier était trop élevé, demande à ce qu'il soit examiné.

Le conseil a renvoyé au lendemain la vérification du compte, pardevant MM. Garnier et Rousset.

M. Garnier a condamné le sieur Kocq à payer 50 fr. de défrayement au sieur Peloce.

La dame Rose expose au conseil que la sœur de la dame Tante, qu'elle a chez elle pour apprentie, a la vue basse et est peu capable d'apprendre l'état d'ouvrière en soie ; qu'enfin elle ne peut continuer à la garder chez elle, sans une agmentation des honoraires de son apprentissage dont la durée est de 18 mois. La dame Tante, ne voulant pas augmenter la somme convenue pour l'apprentissage de sa sœur, la dame Rose a réclamé la dépense faite pour la nourriture de son apprentie. Le conseil considérant que la dame Rose a nourri son apprentie pendant 90 jours, a condamné la dame Tante à payer la somme de 45 fr. à la dame Rose.

Une affaire assez embrouillée a été débattue entre le sieur Vidalin, teinturier, et un de ses ouvriers blanchisseurs avec lequel il avait fait des conventions onéreuses pour lui, quoique n'ayant pas d'ouvrage pour l'occuper dans cette partie, il l'avait occupé à d'autres travaux, mais il se plaint que depuis quelque temps, ledit Truche, son ouvrier, porte son industrie dans un autre atelier, et qu'il fait des absences de deux jours par semaine ; il prouve par témoins que le sieur Truche a été vu travaillant chez son beau-frère.

Le sieur Truche prétend avoir obtenu par son intelligence de l'ouvrage chez les fabricans, et dit qu'il n'a jamais refusé de travailler à tout ce que le sieur Vidalin a voulu lui confier, que s'il s'est absenté de chez lui, les jours d'absence lui ont été retenus, et que cela n'a été que pour rendre service à ses parens, et qu'étant rentré dans l'atelier, le sieur Vidalin lui a refusé le travail.

Le sieur Vidalin observe qu'il est en droit de demander l'annulation d'un engagement avec un ouvrier qui porte son industrie hors de son atelier.

Le sieur Guédon, teinturier blanchisseur, déclare que le sieur Truche connaissait sa partie lorsqu'il est sorti de [6.1]chez lui, par les promesses du sieur Vidalin, qui le lui a enlevé, et que lui Guédon était possesseur de ce procédé avant le sieur Videlin.

Le sieur Pommier, de son côté, déclare avoir vu le sieur Truche travailler chez son beau-frère.

Le conseil désirant avoir plus de renseignemens, renvoie les parties pardevant MM. Chinard et Tessier.

Le sieur Bayet réclame aux sieurs Lachapelle et Démaillon le payement de 77 galeries, qui ne lui ont pas été portées en façon, ainsi qu'un déchet de 18 deniers. Le conseil ne pouvant statuer, renvoie les parties pardevant MM. Garnier et Rousset.

Ont ensuite comparu les sieurs Pache, Rampser, et la dame Guichard. Le sieur Pache, ouvrier imprimeur chez le sieur Rampser, réclame le prix de sa façon sur 9 mouchoirs qu'il a chinés, convenant toutefois d'avoir omis involontairement quelques planches au dessin. Le sieur Rampser, représenté par son contre-maître, expose qu'il ne peut payer son ouvrier qui travaille à ses pièces, et à ses périls et risques, parce que la dame Guichard, commissionnaire, refuse de lui en payer sa façon, les mouchoirs n'étant pas imprimés exactement comme cette dame les avait demandés. La dame Guichard expose les mêmes raisons et montre les mouchoirs au conseil pour constater l'erreur et dit qu'elle a reçu 9 mouchoirs de ce dessin, et qu'elle n'en avait commandé et fourni que 7. L'ouvrier ne nie point son oubli, mais il prétend que son erreur ne peut empêcher la vente des mouchoirs et offre de les garder pour son compte, plutôt que de perdre sa façon. L'ouvrier observe que les mouchoirs étant très-compliqués il a eu beaucoup de peine et a mis beaucoup de temps pour les imprimer, que par conséquent il ne peut pour une légère erreur perdre entièrement sa façon.

Le président fait observer à l'ouvrier qu'il ne peut en aucun cas devenir le propriétaire des mouchoirs, dont les dessins sont la propriété exclusive de la dame Guichard ; mais considérant aussi que l'ouvrier ne peut pas perdre entièrement son travail, condamne la dame Guichard à payer la moitié du prix convenu. De son côté le sieur Rampser abandonne son bénéfice sur lesdits mouchoirs en faveur de son ouvrier, et demande à la dame Guichard de lui rendre deux mouchoirs unis en remplacement des deux qu'il lui a imprimés, par erreur, de plus que sa demande. Les parties se sont ainsi retirées d'accord.

Le sieur Mille réclame du sieur Vindry, une indemnité pour frais de la nourriture de son fils, qu'il a eu chez lui pendant 12 jours, et qui s'est enfui. Le conseil a condamné le sieur Vindry à payer 6 fr. de défrayement au sieur Mille.

Le sieur Montier réclame au sieur Billon le payement de son impression sur 800 douzaines de mouchoirs. Le sieur Billon expose au conseil qu'un grand nombre [6.2]de ces mouchoirs lui ont été refusés par le commissionnaire, parce qu'un grand nombre étaient d'un mauvais rose ; que dans les verts il y en avait plusieurs de tachés, et que la perte est déjà assez grande pour lui sans qu'il soit obligé de payer la façon de tous ceux qui sont mauvais. Le sieur Montier fait aussi observer que la commission était très-pressée, qu'il a été obligé de travailler toutes les nuits, et que l'ouvrage de nuit n'est jamais aussi bon que celui de jour. Le conseil ne se croyant pas assez éclairé pour juger a renvoyé l'affaire pardevant M. Second.

Le sieur Goybez, négociant, remplacé par le sieur Gustel, son commis, réclame au sieur Girard la trame d'une pièce de rubans en gros de Naples blanc, qu'il a fait enlever chez ce dernier, parce que le sieur Girard, s'étant engagé à la faire lui-même, l'avait donnée à un ouvrier. Maître Girard dit qu'il n'a pu promettre cela, que ce n'est pas lui qui a reçu la pièce, mais sa femme, et qu'elle ne s'y est nullement engagée ; qu'au surplus, il est responsable de l'ouvrage qui se fabrique chez lui, que connaissant la capacité de son ouvrier, il a dû lui confier la pièce. Le sieur Girard croit que le sieur Gustel a eu tort de lui refuser un dessin lorsque son métier a été monté, et, que ce n'est qu'après avoir attendu plusieurs jours, qu'il s'est enfin décidé à laisser lever la pièce, ayant trouvé, pendant cet intervalle, de l'ouvrage ailleurs. Le sieur Girard manifeste l'intention de n'avoir à l'avenir plus rien à démêler avec la maison Goybez, et dit être prêt à rendre leur trame ; mais qu'il en réclame le dévidage, ainsi que les frais de son montage de métier et les dépenses faites par lui pour la réparation des navettes du sieur Goybez.

Le sieur Gustel consent à entrer dans les frais du dévidage et des navettes ; mais ne veut pas entrer dans les frais de montage. Le chef d'atelier expose alors que le défrayement qu'il demande n'est que pour payer son ouvrier qui a passé plusieurs jours à ajuster le métier.

Le président condamne le sieur Goybez à payer le dévidage, la réparation des navettes et la somme de 6 fr. pour défrayement à l'ouvrier.

Le sieur Donnadieu réclame au sieur Gabillot, qui a fait défaut la semaine dernière, une augmentation sur ses mouchoirs, augmentation à laquelle il a été condamné, par M. Second, de payer à trois de ses maîtres. Le sieur Gabillot dit, qu'étant indisposé, il n'a pu se rendre à l'audience ; alors M. le président lui déclare, avec l'accent de la pénétration, qu'il devait faire ses efforts pour se rendre à l'audience, que lui-même, quoique malade, s'était traîné au conseil, comme il avait pu, pour remplir les devoirs qui lui étaient imposés. La cause a été renvoyée pardevant M. Second. L'air souffrant de M. le président et l'accent dont il a prononcé ces derniers mots, ont fait une vive sensation dans l'auditoire.

Le sieur Kocq réclame de la dame Bonjour une sûreté [7.1]pour la continuation de ses schals, et dit que depuis long-temps que ses métiers sont montés, il ne lui en a été fabriqué que trois. La veuve Bonjour fait observer que, ne connaissant rien à l’état de la soierie, elle a loué ses métiers au sieur Cavalier, que seulement elle est responsable, ayant pris l'ouvrage à son nom ; elle ajoute que le jeune homme à qui elle a loué ses métiers, est presque toujours malade et ne peut presque pas travailler, qu'il a cependant un apprenti, jeune homme très-actif qui n'a pu continuer de travailler, parce que le sieur Kocq s'est refusé insolemment de donner de l'argent au sieur Cavalier, quoiqu'il en eût de gagné : d'après ce refus, n'ayant pu payer le lanceur, le métier a dû rester couvert. Le président, ayant fait tous ses efforts pour concilier les parties, a renvoyé l'affaire à la prochaine audience.

 

 

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