|
12 janvier 1834 - Numéro 54 |
|
|
|
RÉPONSE A M. LABORY. DU VIEUX SYSTÈME,
Tendant, sans discontinuation, A ÉTOUFFER LA VOIX DES OUVRIERS DANS LA JUSTICE des prud’hommes.1 Détruire dans les délibérations des prud’hommes l’influence profitable aux industriels, est un parti pris depuis que pouvoir judiciaire est attribué aux élus du peuple. L’histoire le démontre. On appela autrefois indifféremment du nom de prud’hommes et prudes-gens, ou des experts, ou des arbitres, ou des inspecteurs, ou des chefs de corporations industrielles, ou les administrateurs de certaines villes. Par un édit de Louis XI, du 29 avril 1464, ce nom fut affecté à la dénomination de certains juges. On trouve, dans cet édit, que pouvoir est donné « aux conseillers, bourgeois, manants et habitans de la ville de Lyon, de commettre un prud’homme suffisant et idoine pour régler les contestations qui pourraient arriver entre les marchands fréquentant les foires de la ville de Lyon. » Mais jusqu’en 1790, la combinaison judiciaire à laquelle succéda l’organisation des prud’hommes, étouffée sous le bon plaisir monarchique, variait au gré des résolutions immuables, et des intérêts flottans des courtisans et des mignons. Tour à tour accordée, retirée, ordonnancée, renversée, restaurée, tronquée, cette juridiction est arrivée à sa révolution, raccommodée, rapetassée, sans grandeur, sans vénération, sans caractère de durée ni d’avenir. La souveraineté populaire trouva ces haillons : voyons ce qu’elle en fit. [1.2]Le 22 décembre 1789, l’assemblée nationale proclama lois du pays les dispositions suivantes : « Les qualités nécessaires pour être citoyens actifs, sont : 1° d’être Français ; 2° d’être majeur de 25 ans accomplis ; 3° d’être domicilié de fait dans le canton depuis un an ; 4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ; 5° de n’être point serviteur à gages. » Le 15 janvier 1790, elle décrétait : « Que dans la fixation des prix des journées de travail, pour être citoyen actif, on ne pourrait excéder la somme de vingt sous. » C’est sur ce piédestal populaire que, le 16 août suivant, elle établissait la justice nationale. Titre iii, art. 1er : « Il y aura dans chaque canton un juge de paix et des prud’hommes assesseurs du juge de paix. » Art. 4 : « Le juge de paix sera élu au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages, par les citoyens actifs réunis en assemblées primaires. » Art. 6 : « Les mêmes électeurs nommeront, à la pluralité relative, quatre notables destinés à faire les fonctions d’assesseurs du juge de paix… » Art. 8 : « Le juge de paix et les prud’hommes seront élus pour deux ans et pourront être continués par réélection. » Art. 10 : « Le juge de paix, assisté de deux assesseurs, connaîtra… du paiement du salaire des gens de travail, des gages des domestiques, et de l’exécution des engagemens respectifs des maîtres et de leurs domestiques ou gens de travail. » Combien sainte était cette magistrature sortie du sentiment unanime du pays ! combien propre à l’harmonie des relations locales ! combien intelligente des besoins spéciaux de la population dont elle partageait les habitudes, les mœurs, les usages, les connaissances ! Les cantons peuplés d’ouvriers choisissaient les plus éclairés d’entr’eux pour composer ce jury de famille. L’empire détrôna la république ; les assesseurs ou prud’hommes furent supprimés en 1801 ; et dans l’inextricable complication des lois organiques dont on flanqua la constitution de l’an 8, et particulièrement dans les dispositions du sénatus-consulte de 1802, Napoléon, par la grace de Dieu et les constitutions de la république, empereur des Français, trouva belle occasion d’escamoter [2.1]ce qui restait de coopération démocratique dans l’élection des juges de paix. Depuis lors, et de nos jours, les citoyens ont vu de loin en loin tomber des nues et par hasard un homme en toge et en toque, d’eux inconnu, et qui ne les connaissait, eux, ni leurs travaux, ni leurs métiers, ni leurs relations industrielles, ni leurs habitudes commerciales, et qui, savant dans l’art de l’intrigue et de la sollicitation, n’avait point été travailleur, si ce n’est dans le métier de coureur de places et de balayeur d’antichambres (la seule science à posséder, après tout, quand on veut des emplois et qu’on doit être oint, non par le peuple, mais par quelque haut et puissant seigneur, friand de belles révérences, de gants blancs, de caressantes visites, de suppliantes et adulatrices prières). La charte de 1814 donna le coup de grace aux justices de paix, en conférant au roi le choix des juges. Or, quand les citoyens ne choisirent plus leurs juges de paix, quand il n’y eut plus d’assesseurs ou prud’hommes, les ouvriers et les fabricans, avec leur langage d’atelier, leurs coutumes de fabrique, ne se purent faire comprendre à l’homme du pouvoir ; et les pauvres juges-royaux, quelquefois instruits d’ailleurs, ne voyant rien aux détails des choses commerciales, ne trouvèrent rien de mieux pour sortir d’embarras que d’éclairer leurs décisions par les rapports des gens de l’art, et allèrent puiser les motifs de leurs jugemens dans des consciences étrangères ; de sorte que les contestations industrielles se jugeaient en dehors de la justice. Il fallut, malgré qu’on eût l’empire par la grace de Dieu, s’adresser à l’élection populaire pour déterrer du fond des ateliers les hommes spéciaux, enfouis dans leurs travaux, loin de l’œil de messieurs du pouvoir. Dans ce but, la loi de 1806 organisa le conseil des prud’hommes ; le décret de 1810 compléta cette organisation : mais l’esprit dynastique, forcé à accepter l’élection, installa du moins au sein de ce conseil une majorité légale et permanente pour les puissans qu’il s’attachait dès-lors comme complices de ses vues d’égoïsme, et associés à ses tendances oppressives ; mais enfin le principe d’élection perçait dans la loi, et jetait une faible lueur d’avenir. Il traversa la restauration, et en 1831 et 1832, favorisé par l’esprit d’association qui, unissant et doublant les intelligences, va toujours croissant, il faillit doter les travailleurs du frein tutélaire d’une jurisprudence écrite et de l’influence morale d’une libre défense. Cette conquête menaçante réveilla la haineuse méfiance qui, en 1801 et 1802, avait sourdement éteint la voix de la justice du peuple, qui, en 1814, avait audacieusement consommé cet attentat. Depuis 1801, le génie liberticide veillait en frémissant en face de notre justice élective ; aujourd’hui, il va souffler de perfides craintes dans les consciences timorées des négocians sous le faux semblant de leur intérêt personnel ; il rallie quelques aveugles à son esprit de colère et à sa tendance de destruction. La justice des prud’hommes reste seule en France élective ; n’osant de front en briser l’autel, le génie des dynasties feint de le caresser, puis, par boutades ne se pouvant tenir, il se démasque et le mord en le léchant ; il l’ébrèche, le mutile, le souille. Ainsi une ordonnance du 21 juin 1833 a brutalement arraché de leur siège les juges du peuple, et a déchiré violemment le titre qu’ils tenaient de l’élection ; ainsi, par un arrêté coupable, on avait osé pénétrer dans le sanctuaire et choisir ceux des juges [2.2]qu’il plaisait d’en exclure ; le cœur a failli à l’exécution de cette violence ; mais l’arrêté préfectoral restera là comme preuve du mauvais vouloir de l’autorité. Ainsi un arrêté du 14 décembre dernier, a méprisé vilainement un acte public et respectable du tribunal, un acte que le premier administrateur du département devait livrer à la génération de la cité, au lieu de le déchirer et de le fouler aux pieds comme il a fait ; ainsi, on a arrêté, en dépit de la loi, qu’un membre devenu étranger au tribunal, y siégerait bon gré mal gré. Il est donc bien vrai qu’on en veut à cette institution à cause des bases populaires sur lesquelles elle repose ; il est donc bien vrai que la lutte du peuple contre ceux qui veulent l’asservir à leur profit, et la tenir éloigné du mouvement social, s’engage autour de la justice des prud’hommes, comme autour de toutes les institutions. Arrivé à ce point, la question est belle à voir, et M. Labory doit comprendre toute notre pensée. Il ne nous demandera plus si le décret de l’empire existe par sa faute ? si l’arrêté préfectoral du 14 décembre viole la loi par sa faute ? Car nous avons dénoncé l’esprit despotique comme cause inspiratrice de toutes les attaques dirigées contre l’organisation électorale des prud’hommes ; il ne nous reprochera plus de semer la division, car la division entre ceux qui veulent la justice par élection ou la justice du bon plaisir, existait bien avant nous : c’est l’histoire de l’esprit démocratique aux prises avec l’esprit oligarchique. Il comprendra que nous, qui avons pris, dans notre dévoûment à l’humanité, mission de défendre les débris des institutions populaires qui restent encore en France ; qui n’avons eu qu’un cri d’indignation contre les manœuvres subreptices employées pour altérer la seule justice élective qui soit debout encore, voyant M. Labory ne pas protester contre un arrêté qui le dénonce, lui, comme instrument de la violation de nos droits, comme le marchepied sur lequel le pouvoir va passer pour souiller la pureté de notre justice ; le voyant par son silence approuver le scandaleux mépris de l’élection, se jeter au front d’attaque contre les faibles, n’osant croire M. le préfet si imprévoyant que d’avoir risqué d’éprouver un honteux échec par votre refus de monter sur le siège que vous tend son arrêté, soupçonnant un assentiment secret arraché d’avance à votre confiance ; voyant tout cela, M. Labory, espérant toujours de votre conscience, dont à juste titre vous êtes si fier, une énergique protestation, et l’ayant long-temps attendue en vain, nous avons dû provoquer une explication devenue nécessaire à votre honneur de prud’homme. Êtes-vous pour l’arrêté et l’esprit anti-populaire qui l’a dicté ? êtes-vous pour les travailleurs qui vous ont élu ? serez-vous pour nous ou contre nous ? voila ce qu’il nous importe de savoir, à nous qui combattons pour le droit électoral ; voila ce qu’il fallait nous apprendre. Nous n’avons dit ni insinué que vous fussiez un homme d’intrigue ; et si nous l’eussions pensé, nous l’eussions déclaré formellement et sans insinuation. Nous avons dit que vous étiez l’instrument choisi par les intrigans ; nous avons vu le piège qu’on tendait à votre bonne foi pour vous compromettre et vous gagner au parti qui depuis long-temps comprime l’essor de l’humanité ; nous avons dit que vous n’aviez qu’un pas à faire pour être apostat. Pour nous détromper, il fallait nous répondre : « Non, je ne veux point être complice de l’illégalité qui, par arrêté, m’attache au fauteuil ; je ne figurerai pas parmi les juges du peuple comme une violation vivante des droits de nos concitoyens ; je rejette [3.1]son honneur empoisonné de despotisme ; je ne veux point augmenter le nombre de ces victimes prises au trébuchet des pouvoirs, que l’on repousse du pied comme un utile rebut quand on les a flétries par des caresses perfides et désarmées de l’affection et de l’estime qui les rendaient redoutables ; qu’on abandonne comme un cadavre, quand on en a épuisé la vie. Je demeure fidèle à votre fraternité. » Mais votre lettre ne renferme que quelques récriminations injurieuses et inutiles ! Elle est pour nous un grand sujet d’affliction ; elle nous laisse dans l’incertitude et dans l’anxiété. Les frères demandent si la main qui attaque effrontément nos droits, qui vient asseoir de force son juge au milieu de nos juges, vous trouvera docile à l’exécution de sa coupable pensée ? Ils demandent si vous êtes transfuge ? Que voulez-vous que nous répondions ?
Indice de révolution sociale. Jésus entra dans le temple de Dieu, il en chassa tous ceux qui y vendaient et qui y achetaient, et il leur dit : Il est écrit : Ma maison est une maison de prières ; cependant vous en avez fait une caverne de voleurs. (evang., chap. xxi.) Un fait d’une nature extrêmement grave vient de s’accomplir avec les derniers jours de l’année 1833. –Vingt-sept jeunes gens au milieu desquels raspail ! ce jeune savant qui enrichit la France ; – dont la France s’honore à juste titre, et qui, depuis trois années, expie dans les cachots le tort de ne s’être point associé à l’infamie de quelques hommes au front sans pudeur et sans honte de l’ignoble rôle qu’ils ont joué à la face du pays ! vingt-sept jeunes gens, disons-nous, étaient là sur les bancs d’une cour d’assises, disputant au BOURREAU leurs têtes que demandait au jury la ridicule conspiration d’une police infame !1 Faux témoins et pièces falsifiées étaient là aux côtés d’un avocat-général jouant dans ce drame odieux le rôle qui leur avait été d’avance assigné ! Mais, quelque imparfaite que soit encore notre institution du jury, grace à elle, la fin de cette comédie avide de sang et de proscription n’a été que ridicule et en même temps flétrie par le bons sens de ceux-là même dans l’âme desquels on avait cherché à allumer la violence haineuse des passions politiques, et un acquittement solennel a été la réponse des jurés. Toutefois, comme il fallait tirer quelque fruit de ce honteux échafaudage, et trouver des coupables sur qui lancer les foudres de ce qu’on appelle encore la justice, trois avocats, dont l’énergique talent avait puissamment contribué à faire jaillir l’innocence de leurs cliens et démasquer les véritables conspirateurs, ont été condamnés, sur la demande de M. l’avocat du roi, l’un a UN AN de suspension, et les deux autres à six mois de la même peine. Oh ! pitié pour cette honteuse vengeance ! Honneur ! honneur aux hommes courageux qu’elle a frappés ! Pour qui ont assisté aux débats de cette affaire, ils n’oublieront jamais la noble conduite de ces trois avocats, et nous croyons répondre à leurs désirs en rappelant à nos lecteurs l’énergie avec laquelle ils ont accueilli, en ce qui les concernait, le réquisitoire de M. l’avocat-général. Ainsi, Me pinard après s’être livré à quelques considérations [3.2]sur le procès et à l’examen des différens points de l’accusation qu’il avait signalés comme entachés de malveillance et de mauvaise foi, termina en ces termes : « S’il fallait croire que ce concours étrange de suppositions, d’altérations, d’erreurs qui ressemblent à des mensonges, ne fût que l’effet du hasard, de quel nom faudrait-il donc alors l’appeler ? « Puisqu’on a parlé de circonspection, qui donc se chargera d’enjoindre au moins à M. le procureur-général d’être plus circonspect à l’avenir ? « J’ai fait mon devoir, et, quoi qu’il arrive, personne ne pourra dire de moi que je suis un calomniateur. » Après lui, Me Michel se leva, et au milieu du plus profond silence s’exprima ainsi : « Messieurs, « Je sue en ce moment, mais ce n’est pas de honte, c’est de colère et d’indignation. Vous pouvez me condamner, mais l’avocat du roi ne fera jamais de moi ni un accusé, ni un coupable. « Je suis plein de respect pour la magistrature ; car, sans elle, la loi n’est qu’un bienfait impuissant et stérile ; la magistrature, c’est la loi vivante. Mais il est quelque chose que je respecte encore plus : c’est la vérité. Comme homme, je la recherche ; comme citoyen, je la propage ; comme avocat, j’ai mission de la faire triompher. « Qu’exige-t-on de nous ? Je suis arrivé à un âge qui n’admet point l’excuse et l’irréflexion, et ma profession ne me permet pas d’ignorer la valeur usuelle et légale des mots. « Altérer des pièces, c’est un faux, selon le dictionnaire de l’Académie ; et selon les termes de droit, le fonctionnaire public qui reproduit des conventions non existantes, fait un faux. Je l’ai dit, je persiste. (Profonde sensation.) « Eh quoi ! les avocats sont-ils donc les esclaves des gens du roi ? Connaissez-nous mieux : il est possible que vous nous suspendiez…, tout est possible dans ce temps de malheur ; mais vous ne me réduirez pas à la misère, je ne tendrai pas la main à mes amis, et si je la tendais à tous ceux dont j’ai sauvé la vie ou l’honneur, je serais encore plus riche que tous les gens du roi, malgré les munificences du pouvoir… (Des applaudissemens unanimes éclatent dans l’auditoire). « Mirabeau2, plaidant devant le parlement de Provence, disait à ses juges : « Vous me condamnerez sans doute ; mais le jour de la vérité luira, et ce qu’il y a d’impur sera purifié sous peu de temps. » Dites que mon nom sera rayé du tableau ; mais dites aussi que le même jour j’avais, négligeant mes affaires, fait 60 lieues pour m’associer à la défense de 27 jeunes gens, et que ce même jour ils ont été acquittés. Ce souvenir, je le léguerai à mes enfans, et ce patrimoine en vaudra bien un autre. (Bravo ! bravo !) « Il fallait au moins vous presser d’un jour : hier, je n’aurais pas prêté le secours de ma voix à ce d’Argenson qui, lui aussi, ne vit que pour ce peuple avec lequel, quoi qu’on fasse, je ne cesserai de sympathiser, et dont je ne cesserai de défendre les droits. « Juges, le jour de la justice se lèvera pour tous, pour les gens du roi, pour nous, pour vous aussi, magistrats ! et c’est pourquoi j’espère que vous ferez votre devoir. » Aussitôt que les applaudissemens et l’extrême agitation [4.1]des auditeurs permirent à Me Dupont de se faire entendre, il se livra à son tour à l’improvisation suivante : « Vous avez accusé Raspail d’hypocrisie, et vous êtes ensuite venus nous dire que c’était avec regret que vous demandiez ma radiation. Vous n’avez pas dit la vérité. Vous voulez vous venger de trente défaites que je vous ai fait subir, Messieurs du parquet : voila le motif de vos réquisitions. Le pays jugera la fin du drame comme il a jugé les commencemens. Vous ne voulez pas que je flétrisse votre procureur-général ! Vous me dites que la postérité de Laubardemont3 se voile aujourd’hui la tête !… Si Laubardemont avait vécu de mon temps et qu’il eût été faussaire, je le lui aurais dit en face, et si Laubardemont avait eu des fils, je leur aurais dit : « Prouvez-moi que j’ai calomnié votre père ; voila ma poitrine. » « Je n’ai pas besoin de mon état pour manger, Messieurs les gens du roi ; j’ai une famille qui sera fière de moi après ma condamnation ; j’ai des amis qui viendront partager avec moi le pain de la misère, comme j’ai partagé avec eux le fardeau des persécutions. Pour venir perdre mon état devant vous, j’ai passé sept nuits sur douze : maintenant donnez-moi mon salaire. » […] « De quel côté que je le considère, je me félicite de ce que j’ai dit. Est-ce d’intention que notre adversaire a péché ? Il est croyable. Est-ce par légèreté ? Mais il y a long-temps qu’on a dit que chez le magistrat la légèreté est un crime… Et vous voulez que je me taise ! moi qui dirais la vérité devant mes bourreaux, je ne la dirais pas devant mes juges ? Mais vous me prenez pour un misérable ! J’endurerai la persécution ; mais je n’endurerai pas l’ignominie. « Ce qui vous peine surtout, c’est que je vous ai dit : Je vous rappelle à la pudeur ; mais puisque le mot de faux était dans mon plaidoyer, cette phrase devait y être. […] « Vous dites que les termes dans lesquels j’ai flétri l’accusation ont eu du retentissement, et vous me le reprochez. Il y a une autre chose qui, pour l’honneur de l’humanité, n’aurait pas dû selon moi sortir de l’obscurité, c’est l’accusation elle-même : on n’aurait pas eu sous les yeux l’exemple d’un magistrat demandant la déportation de 27 citoyens, avec pas une pièce vraie. » Maintenant, lecteurs, qui d’entre vous rejetterait les noms de pinard, michel et dupont pour ceux de delapalme ou de persil ? Qui de vous ne cherche pas, d’un œil inquiet et avide, ce qui dans l’avenir remplacera un présent douloureux pour la France de juillet ? pour ce peuple brave et généreux qui en trois jours brisa et refit un trône pompeusement décoré, alors du nom de la MEILLEURE DES RÉPUBLIQUES, aujourd’hui monarchie constitutionnelle ? Quelle main viendra, forte et vigoureuse, relever sur son autel sacré la justice ainsi flétrie et abaissée ?… Quels hommes viendront, saluant avec respect les portiques du temple réédifié, s’asseoir sur de nouveaux sièges pour, AU NOM DE LA SOCIÉTÉ, rendre des arrêts et non des services ?… Jusques à quand verrons-nous des hommes passionnés, pressés d’amasser force titres, force richesses, arracher à leurs familles, à leurs travaux, à leur avenir [4.2]enfin, des hommes dont le seul crime est d’écarter de leurs fronts la honte, que d’autres jettent à la face de leur patrie ?… Jusques à quand les verrons-nous, abusant des insignes dont la loi les a revêtus, et en face desquels la loi veut hommage et respect ; Jusques à quand disons-nous, verrons-nous ces hommes se jouer à la fois de la vie et de l’honneur des citoyens amenés à leur barre ; leur jeter du haut de leurs tribunes l’insulte et la calomnie au visage, puis se faisant les bourreaux de leurs pensées, les torturer impunément pour leur léguer les cachots de Ste Pélagie ou du mont St-Michel ! et ramasser pour eux un de ces crachats semés à profusion dans les antichambres de cour, puis monter d’un échelon !… Oh ! nous désespérerions, et de notre pays et de l’humanité tout entière, si nous n’avions foi en un avenir prochain et riche des efforts de l’intelligence humaine. Mais voici venir des hommes qui, comprenant mieux et le peuple d’aujourd’hui avec ses mœurs et ses besoins, et les destins de l’humanité, ont tracé la base sur laquelle doit s’asseoir notre nouvel édifice social. – Le temps ne saurait être éloigné, où il nous faudra tous grands ou petits, riches ou pauvres, mettre la main à l’œuvre !… Eh bien ! attendons : le courage et l’abnégation de soi sont le patrimoine du peuple et il sait jusqu’où doit aller la patience.
Hier samedi, à huit heures du matin, les négocians se sont réunis en assez grand nombre dans la salle de la Bourse, pour élire quatre prud’hommmes en remplacement de MM. Goujon, Gamot, Brisson et Reverchon ; mais l’administration qui, à ce qu’il paraît, ne se gêne guère, n’ayant point envoyé de délégué pour présider l’assemblée, les électeurs ont dû se retirer, jusqu’à ce qu’il plaise à M. le préfet d’expliquer les causes de cette mystification.
A l’Echo des Travailleurs. Nous avons lu dans l’Echo des Travailleurs et en regard des pièces que nous publions ci-après, une longue narration du fait qui a mis MM. Bernard, gérant de notre journal, et Martinon, chef d’atelier, dans la nécessité de demander au gérant de ce journal réparation d’une calomnie qu’aujourd’hui nous appellerons encore infame et atroce, et nous déclarons en même temps exact, d’un bout à l’autre, le récit que nous avions dû faire des deux entrevues que nous avons eues avec messieurs de l’Echo des Travailleurs, à qui il plaît aujourd’hui de l’appeler insolent, quand nous le leur avions lu tout entier et séance tenante, sans qu’il fût alors le sujet D’AUCUNE RÉCLAMATION de leur part… A Dieu ne plaise que nous poursuivions avec l’Echo des Travailleurs une polémique aujourd’hui commencée, et qui finira AUJOURD’HUI ! A Dieu ne plaise que nous soyons forcés, nous, de demander grâce à nos lecteurs pour d’interminables discussions exploitées et subies par la presse journaliste ! Nous avons la conscience de nos devoirs, et nous les remplirons demain comme nous l’avons fait hier : – mais s’il nous fallait pour satisfaire à d’ignobles passions, tremper notre plume dans la boue, la jeter sur le papier et [5.1]placarder les murailles d’un grossier pamphlet, sur nous tomberait alors l’anathème du peuple, et nous l’aurions bien mérité… Maintenant abordons le point essentiel du narré de l’Echo des Travailleurs, la conduite de MM. Bernard et Martinon aux trois journées de novembre : « A cette époque ils n’étaient pas, dit ce journal, dans les rangs des ouvriers insurgés, ils étaient dans ceux de l’ordre public, suivant l’expression convenue. Le premier se constitue le gardien, le protecteur du général Ordonneau, retenu prisonnier par les ouvriers ; il contribue à son évasion, il l’a facilitée de tout son pouvoir. Le second prétend avoir rendu de grands services, et préserve la recette générale du tout attentat de la part des ouvriers ; il s’en est fait délivrer un certificat qu’il a fait insérer dans tous les journaux, et que nous avons, nous (c’est notre opinion), regardé comme une insulte gratuite aux ouvriers. Voila quelle a été leur conduite ; nous sommes historiens fidèles. Dans le cas contraire, qu’on nous démente. » Dans les rangs des ouvriers insurgés, comme dans ceux de l’ordre public, c’étaient partout des citoyens, partout des frères ! Et encore une fois, ANATHÈME et malheur aux artisans de guerres civiles, et honte éternelle à tous ceux qui en portent le déplorable souvenir !… Honte éternelle à qui provoquèrent ces tristes et sanglantes journées ! mais honte aussi pour ceux qui, armés d’insinuations perfides, viennent à nous décorés d’un drapeau que nous repoussons comme un affront au peuple ouvrier ! Que celui d’entre les travailleurs de notre cité (que nous estimons un peu mieux que ne le font messieurs de l’Echo des Travailleurs), que celui-là s’avance ! et, blâmant l’un d’avoir protégé le général Ordonneau et facilité son évasion ; dans l’autre, d’avoir préservé la recette générale de tout attentat, non pas de la part des ouvriers qui faisaient, eux, bonne et prompte justice, mais bien de la part de cette nuée d’hommes à face plus que suspecte, qui s’étaient jetés au milieu d’euxi ; que, celui-là, disons-nous, s’avance et jette la première pierre… (Ce ne sera certainement pas sur nous : et voilà quelle est aussi notre opinion.) « MM. Bernard et Martinon, dit encore l’echo des travailleurs, ont-ils sollicité la croix-d’honneur ? Personnellement, nous n’en savons rien, mais on nous l’a dit, et même plusieurs personnes. Mieux encore, on nous l’a écrit. » Sans répondre à cette question que nous payons du plus profond mépris, nous passons à la dernière proposition qui contient un mensonge dont la preuve est entre nos mains : la lettre sur laquelle on s’appuie n’attaquait que l’un de ces deux citoyens. L’auteur de cette lettre a été désavoué par les siens, puis chassé ; – l’autre auteur de la note qui avait jeté quatre pères de famille armés sur le terrain, désavoué aussi par MM. legras et falconnet au nom de leur journal, l’Echo des Travailleurs. –Maintenant on comprendra (c’est aussi notre opinion) pourquoi MM. Bernard et Martinon les laissent jouir en paix du fruit de leurs calomnies…
i. Il y avait alors dans le sein de la ville de Lyon environ 1,200 forçats libérés (renseignemens que nous tenons d’un employé de l’Hôtel-de-Ville) ; ceux là n’étaient pas des ouvriers !
Vu la note insérée dans le N° 18 de l’Echo des Travailleurs, 1er janvier 1834, et vu la note publiée dans l’Echo de la Fabrique N° 53, 5 janvier 1834 ; une rencontre a eu lieu entre MM. Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique, Martinon, chef d’atelier et MM. Legras et Falconnet, collaborateurs de l’Echo des Travailleurs. Nous déclarons aujourd’hui que, par une circonstance tout-à-fait imprévue, l’auteur de la lettre [5.2]sur laquelle a été prise la note publiée dans ledit journal, s’étant fait connaître, et de franches explications ayant eu lieu entre les deux parties, MM. Bernard et Martinon entendent annuler hautement tout ce qui a été dit par eux contre M. Legras, représentant M. Sigaud, malade, et M. Falconnet, pour arriver à la connaissance de celui qui les a lâchement calomniés, se réservant telle action qui leur conviendra contre cet homme. La présente déclaration sera insérée dans le plus prochain N° de l’Echo des Travailleurs, de l’Echo de la Fabrique et de la Glaneuse. Suivent les signatures. Vu la note insérée dans le N° 18 de l’Echo des Travailleurs, 1er janvier 1834, et vu la note publiée dans l’Echo de la Fabrique N° 53, 5 janvier 1834 ; une rencontre a eu lieu entre MM. Legras et Falconnet, collaborateurs de notre journal, et MM. Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique, et Martinon, chef d’atelier. Nous déclarons aujourd’hui que, par une circonstance tout-à-fait imprévue, l’auteur de la lettre sur laquelle avait été rédigée la note publiée dans notre journal, s’étant fait connaître, et de franches explications ayant eu lieu entre les deux parties, la responsabilité de cette affaire retomba toute entière sur l’auteur, et MM. Legras et Falconnet en repoussent toute espèce de responsabilité et la désavouent hautement au nom du journal l’Echo des Travailleurs. La présente sera insérée dans le plus prochain N° de l’Echo des Travailleurs, de l’Echo de la Fabrique et de la Glaneuse. Suivent les signatures.
Nous recevons un lettre signée montpellier, dans laquelle ce monsieur, prenant le titre de délégué de la société du Parfait-accord, proteste en son nom contre l’appel des Frères de la Concorde, cette association naissante dont nous avons publié l’appel dans notre dernier numéro. Nous n’avons rien lu dans cette lettre qui pût motiver celle dans laquelle MM. de la Société du Parfait-Accord croient devoir désapprouver le but que se sont proposé les Concordistes de former une maison centrale (but que nous approuvons très fort) ; si ce n’est que ce projet n’a pas leur assentiment, et qu’ils s’opposent à ce qu’on se serve du nom de leur Société. Nous ferons observer à MM. de la Société du Parfait-Accord, que rien dans l’appel des Frères de la Concorde ne donne sujet à cette réclamation de leur part, et ils sont certainement bien libres de ne pas répondre à l’invitation qui leur est faite. M. Montpellier termine sa lettre en nous témoignant son étonnement de n’avoir pas vu au bas de cet appel les noms de MM. les délégués des Concordistes. Nous observons à ce Monsieur que cette pièce était revêtue de neuf signatures, et si nous ne les avons pas livrées à la publicité, c’est que l’expérience que nous avons acquise à cet égard nous en a fait une loi de sécurité pour eux. – Assez d’entreprises du genre de celle que vont tenter ces messieurs ont été déjà entravées, pour que nous nous persuadions que nous avons agi convenablement dans cette circonstance.
En répondant, dans notre journal du 29 décembre 1833, à la lettre de M. mazel jeune, directeur de la [6.1]Société d’échanges, insérée dans le numéro précédent, nous avions terminé en lui offrant pour la replique nos colonnes que jusqu’alors, disions-nous, nous lui avions refusées. – Nous attendions cette replique lorsque nous avons reçu de M. ravet une lettre dans laquelle il nous dit que, vu l’absence de M. mazel, il vient nous répondre à sa place. Quoique nous sachions très bien que M. mazel, que nous avons vu de nos propres yeux, n’est point absent et aurait eu par conséquent tout le temps nécessaire pour faire sa réponse et nous l’adresser, nous insérerions cette lettre dont le plus grand tort n’est pas de prouver le contraire de ce que nous avons dit, mais bien d’être rédigée en termes tels que nous ne saurions le faire, beaucoup plus dans l’intérêt de ce monsieur que dans le nôtre, si nous n’étions à regret forcés de lui reprocher à notre tour d’avoir mis de côté toutes convenances. En conséquence, nous rappelons à M. mazel jeune, à qui il ne manque pour nous entendre que la volonté, nous lui rappelons que nous sommes prêts à accueillir sa replique ; lui observant de nouveau, que c’est dans notre journal et pour établir notre public juge entre lui et nous, que nous entendons y terminer la lutte commencée.
Conseil des prud’hommes,
(présidé par m. putinier, vice-président.) Audience du 9 janvier 1834. Damiron, négociant, fait appeler Cancalon, chef d’atelier, pour ce dernier s’entendre condamner à laisser lever une pièce que Cancalon a depuis long-temps sur le métier sans l’avoir commencée. Malgré l’observation que fait Cancalon, qu’il préfère fabriquer la pièce que de recevoir une indemnité, le conseil fait droit à la demande de Damiron, et renvoie les parties par devant MM. Verrat et Reverchon, pour régler l’indemnité. Lorsqu’un apprenti est en arrière de ses tâches, la caution est tenue de payer cet arriéré. Ainsi la veuve Blanc s’est vu condamner à payer 53 fr. à Baron, chef d’atelier et maître d’apprentissage du fils Blanc. Tournisson, chef d’atelier, réclame à Olivier frères, négocians, une indemnité pour sept journées perdues. Le conseil, considérant que ce temps perdu ne provient pas tout de la part du négociant, accorde 10 fr. au chef d’atelier. Lorsqu’un maître anéantit les conditions de l’apprentissage de son élève, il perd ses droits à une indemnité, et les engagemens sont résiliés ; l’élève se placera comme apprenti. Ainsi jugé entre Meunier et Tribouville. Rey, compagnon ouvrier en soie, réclame à Botto dix journées employées au déménagement de ce chef d’atelier ; le conseil, ne pouvant statuer, se déclare incompétent et renvoie les parties par devant le juge de paix. Roech, ouvrier tulliste, se présente devant le conseil pour qu’il lui plaise de régler à quel taux doit être payé son travail. Le conseil prononce que, d’après les usages reçus dans cette industrie, l’ouvrier tulliste doit recevoir les 2/13 de la façon.
Nous apprenons que les électeurs appelés à nommer un prud’homme pour la chapellerie, ne s’étant pas réunis [6.2]en nombre suffisant (ils n’étaient que 4), cette opération est renvoyée. – Il en a été de même dans la section de bonneterie et tulle, où les électeurs ne se sont trouvés que 7 ou 8.
On nous apprend que le roi de Piémont1 qui était allé, comme d’habitude, passer son hiver à Gènes, en est reparti presque aussitôt, furieusement désappointé et de plus malade. Voici le pourquoi : – Sitôt que la noblesse de Gènes le vit arriver, elle plia lestement bagage et partit pour la campagne ; ceux qui y avaient des habitations emmenèrent ceux qui n’en avaient pas, en sorte que Sa Majesté piémontaise se trouva bientôt seule au milieu de ses valets et de ses satellites. Que faut-il donc à cette noblesse piémontaise qui désavoue ainsi son roi ?
LE PEUPLE A FAIM.
air : Eugène est mort. Heureux du jour, sur vos tables splendides Quand l’art conduit, de cent climats divers, Pour assouvir vos estomacs avides, Les meilleurs vins et les mets les plus chers ; Sur les coussins où votre corps digère, Sentez-vous pas, comme un remords soudain, Poindre en vos cœurs cette pensée amère : Le peuple a faim ! Sur vos tréteaux où se vautre l’orgie, Le luxe dresse un autel fastueux, Pour vous l’argent, le vermeil, la bougie, Et le cristal reflétant mille feux ! Mais pour le pauvre, au lieu de porcelaine, L’écuelle en terre et la cuiller d’étain ! Heureux encor, quand cette écuelle est pleine !… Le peuple a faim ! Pour vous la vie avec ses jouissances, En été l’ombre, en hiver le soleil ! Pour vous la mode, et la scène, et les danses, Les nuits aux jeux et les jours au sommeil ! Mais pour le pauvre, abstinence, détresse, Et l’eau du ciel pour détremper son pain ; Puis l’hôpital quand blanchit la vieillesse…! Le peuple a faim ! Assez long-temps, gorgés de priviléges, De notre force on vous a rendus forts ; Les députés sortis de vos collèges Ont disposé de nos biens, de nos corps. A cette lice où l’on vole sa place, Le pauvre encor frappera-t-il en vain ? Il veut entrer par droit et non par grâce ! Le peuple a faim ! L’instruction, cette manne féconde, Pour le puissant, monopole nouveau, Le pauvre aussi doit l’avoir, en ce monde Où riche et pauvre ont le même cerveau. Attendra-t-il qu’une pitié tardive Jette à ses pieds un os avec dédain ? Non ! du banquet il veut être convive, Le peuple a faim ! Lorsque le peuple a, de sa main puissante, Brisé d’un roi le sceptre et les faisceaux, Il voit sortir de sa cave prudente L’heureux qui vient butiner les morceaux. Mais sonne encor l’heure trop différée, Sa grande voix vibrera dans son sein : « Faquins, arrière ! et place à la curée ! » Le peuple a faim ! A. altaroche.
BIOGRAPHIE POPULAIRE. Le Républicain Carnot.
[7.1]carnot1 naquit à Nolay, département de la Côte-d’Or, le 13 mai 1753, d’une famille plébéienne. Il commença ses études à Autun, et alla les perfectionner à Paris pour les mathématiques, sous les auspices de d’Alembert. En 1771, il entra comme lieutenant dans le corps du génie militaire. Capitaine en 1783, il remporta le double prix proposé par l’académie de Dijon pour l’éloge de Vauban2. Cette même année, nommé membre de l’académie de Dijon, qui, soit dit en passant, le raya de son tableau en 1815, ainsi que Monge3, il publia son premier travail scientifique, l’Essai sur les machines, sujet auquel il donna plus tard de grands développemens sous ce nouveau titre : Principes de l’équilibre et du mouvement . Il écrivit aussi sur l’art militaire et l’organisation du corps auquel il appartenait. Le département du Pas-de-Calais l’élut pour son député à l’assemblée législative. Il se dévoua dès-lors aux dangers et à la gloire de la vie politique. Sa première motion eut pour objet l’abolition des bastilles. « Une citadelle, disait-il, est un poste fortifié près d’une ville qu’il commande et qu’il peut foudroyer à chaque instant ; poste qui, bien loin de nuire aux ennemis du dehors, ne peut que favoriser leurs projets… repaires de tyrannie, contre lequel doit s’élever toute l’indignation des peuples et la colère des bons citoyens. » La coalition étrangère menaçait la France, Louis XVI trahissait sa patrie, et les soldats manquaient de fusils : Carnot fit décréter la fabrication de 800,000 piques : la confiance se rétablit. Après le 10 août, il fut chargé d’aller recevoir le serment de l’armée du Rhin ; il organisa à Châlons une armée de jeunes soldats qui, pour leur coup d’essai, rejetèrent l’ennemi par delà les frontières. Admis dans le comité d’instruction publique, dans le comité diplomatique, et dans le comité militaire, il prouva encore combien sa coopération était utile à la chose publique. Il fut de nouveau choisi pour représenter le département du Pas-de-Calais à la Convention nationale ; il présida cette assemblée dans des circonstances difficiles. Sa pensée et son courage grandirent avec les circonstances ; il proposa et fit adopter la réunion de la Belgique, que Napoléon ne voulut pas abandonner, mais que les Bourbons eurent la lâcheté de céder en 1814, et que Louis-Philippe refusa en 1830. Quand vint le procès de Louis XVI, quand vint le jour où chacun dut consulter sa conscience et son patriotisme, il déclara le monarque coupable et demanda la peine de mort. Téméraires, qui, long-temps après l’orage, ne trouvez que des accusations contr’eux, qui se sont dévoués pour sauver la pairie, écoutez le sage Carnot prononçant du haut de la tribune nationale, la main sur son cœur, et d’une voix émue, ces solennelles paroles : « Dans mon opinion, la justice veut que Louis meure, et la politique le veut également. Jamais, je l’avoue, devoir ne pesa davantage sur mon cœur que celui qui m’est imposé ; mais je pense que, pour prouver votre attachement aux lois de l’égalité, pour prouver que les ambitieux ne vous effraient point, vous devez, frapper de mort le tyran. » La Convention l’envoya à l’armée des Pyrénées, puis dans le Nord, pour organiser une nouvelle armée. [7.2]Les troupes coalisées bloquent Maubeuge : il faut un coup de main pour préserver cette place. Carnot arrive avec des pouvoirs illimités, change les dispositions prises par le général, se présente sur le champ de bataille, saisit le fusil d’un grenadier blessé, il vole à la tête d’une colonne, envoie Jourdan et Duquesnay à la tête d’une autre colonne, gagne la bataille de Watignies4, délivre Maubeuge. Il était en mission hors de Paris quand le comité de salut public se forma : il en fut élu membre avec Prieur, de la Côte-d’Or, et Robert Lindet5. Tous trois s’occupèrent spécialement de l’organisation militaire. En quelques mois, quatorze armées furent créées comme par enchantement, organisées et postées aux frontières ; des manufactures d’armes furent fondées, d’immenses approvisionnemens rassemblés. Carnot dirigeait toutes les opérations ; bien différent de nos ministres d’aujourd’hui. Il travaillait dix-huit heures par jour : un verre de limonade, un petit pain, voila son repas ; il dormait le plus souvent sur un lit de camp placé dans son cabinet, afin de perdre le moins de temps possible. Entièrement absorbé par l’administration de la guerre qui lui était exclusivement confiée, il prit peu de part aux luttes intérieures de la Convention. Mais il fallait défendre le pays, à l’intérieur, contre les contre-révolutionnaires, les conspirateurs et les traîtres ; à l’extérieur, contre la coalition étrangère ; le comité de salut public prenait des mesures terribles. Naturellement sensible, Carnot gémissait devant cette effroyable nécessité, et se bornait avec Prieur et Lindet à protéger le territoire national. Après la mort de Robespierre et des siens, ceux qui avaient fait partie de l’ancien comité furent décrétés d’accusation comme ayant amené le régime de la terreur : Carnot monta courageusement à la tribune, défendit ses collègues, et revendiqua l’honneur d’avoir avec eux sauvé la patrie. La réaction devenant de plus en plus violente, il allait être lui-même décrété d’accusation, lorsque Bourdon 6 de l’Oise s’écria : « C’est cet homme qui a organisé la victoire dans nos armées ! » et l’assemblée passa à l’ordre du jour par acclamations. Il n’était que chef de bataillon par ancienneté de service quand il organisa quatorze armées, choisit et dirigea tant de généraux : il n’emporta pas d’autre grade en sortant du comité de salut public pour rester simple membre de la Convention. Lors des discussions sur la constitution de l’an III, Carnot s’opposa vivement à la division du pouvoir législatif en deux assemblées, et à celle du pouvoir exécutif entre cinq directeurs. Après la dissolution de la Convention nationale, quatorze départemens le portèrent au conseil des anciens. Bientôt après, les suffrages du corps législatif l’appelèrent au Directoire ; il accepta, fidèle à son système de sacrifier toujours son opinion personnelle à la liberté publique. L’administration de la guerre se trouva de nouveau remise en ses mains, et bientôt des succès éclatans apprirent cette nouvelle à l’ennemi. Les armées françaises reprirent l’offensive ; Bonaparte fut placé à la tête de celle d’Italie. Cependant, la situation politique était des plus embarrassée ; d’une part, la terreur réactionnaire qui venait de remplacer la terreur de 93 avait enhardi le parti contre-révolutionnaire ; de l’autre, les jacobins, irrités par cette réaction anti-républicaine, ne se montraient [8.1]pas moins menaçans pour le nouveau pouvoir. De graves dissentimens sur la manière de contenir les deux partis ne tardèrent pas à se manifester entre Carnot et ses collègues. Ceux-ci voulaient sortir d’embarras par un coup-d’état : Carnot pensait que le gouvernement, déjà si faible par sa constitution sans unité, perdrait toute espèce de puissance s’il donnait lui-même l’exemple de la violation des lois. Le parti de la violence l’emporta ; le coup-d’état fut fait ; et, sous l’absurde prétexte de royalisme, Carnot fut compris dans les proscriptions de fructidor. Il y échappa comme par miracle, et se réfugia en Allemagne, où il publia un écrit pour expliquer sa conduite et prédire à ses collègues tous les malheurs qu’ils allaient attirer sur la France. Cet écrit est connu sous le titre de Réponse à Bailleul, etc. Carnot y prend le titre de l’un des fondateurs de la république française. La révolution faite par Bonaparte au 18 brumaire permit aux proscrits de revoir leur patrie. Carnot devint ministre de la guerre. Mais, après quelques mois d’une administration signalée par de brillans succès militaires et de nombreuses améliorations administratives, le ministre républicain, continuellement froissé par les tendances despotiques du premier consul, donna sa démission. Il fut bientôt après élu au tribunal ; et toujours fidèle aux doctrines de toute sa vie, le tribun vota successivement contre la création de l’Ordre de la Légion-d’Honneur, contre le consulat à vie, et, seul de toute l’assemblée, contre l’érection de l’empire. Le discours qu’il prononça à cette occasion produisit une profonde sensation. Rentré dans la vie privée, après la suppression du tribunal, le modeste Carnot se livra tout entier aux sciences et publia son grand traité de la Défense des places fortes, pendant que tant d’autres, oubliant leurs antécédens républicains ou bourboniens, encombraient les antichambres du nouvel empereur. Mais lorsque les armées étrangères mirent le pied sur le sol français, en 1814, oubliant lui-même tout ressentiment personnel, et mettant de côté tout système politique, Carnot, par une lettre célèbre, offrit ses services au chef de l’état, ou plutôt à sa patrie. Napoléon lui confia la défense d’Anvers, l’un des points les plus importans du territoire envahi. Carnot défendit Anvers jusqu’au moment où de lâches Bourbons consentirent l’abandon de la Belgique à leurs alliés. Sachant concilier les intérêts de l’humanité avec les exigences militaires, il avait conservé, sous sa responsabilité, un vaste faubourg que le conseil de défense voulait raser. Plus reconnaissans que les rois, les Anversois donnèrent à ce faubourg le nom de son sauveur. Carnot ne se laissa point tromper par les espérances que la première restauration avait d’abord fait concevoir à beaucoup de Français : il signala sa marche contre-révolutionnaire dans son fameux Mémoire au roi, tout en donnant au gouvernement des conseils qui l’auraient peut-être sauvé, si les conseils d’un patriotisme sincère et courageux n’étaient pas presque toujours ceux que les rois s’empressent le moins d’écouter. Napoléon, remonté sur le trône, chercha à se concilier l’opinion républicaine en lui donnant pour gage la nomination de Carnot au ministère de l’intérieur. Celui-ci [8.2]fit encore une fois le sacrifice de toutes ses répugnances au désir de servir son pays. Entré dans le conseil supérieur, il s’y montra plein de zèle et d’activité. Combattant néanmoins de tous ses moyens les tentatives despotiques de Napoléon, il s’opposa long-temps à l’acte additionnel ; mais, n’ayant pu réussir à en empêcher la publication, par un dévoûment plus grand que jamais, il y apposa publiquement sa signature, afin de ne pas briser, en présence de l’ennemi menaçant, le faisceau d’opinions dont l’unité pouvait seule sauver la France. Après l’abdication, Carnot devint l’un des cinq membres du gouvernement provisoire. Il lutta par sa fermeté contre les manœuvres du traître Fouché7, sans pouvoir empêcher sa trahison, et ne quitta son poste que lorsque l’ennemi entrait dans la capitale. Doublement proscrit par l’ordonnance du 24 juillet 1815 et par la loi dite d’amnistie du 12 janvier 1816 ; exclu par ordonnance de l’Institut dont il avait été l’un des fondateurs ; privé de la pension de retraite qui faisait sa seule fortune, et réduit à son modeste patrimoine qu’il avait bien des fois entamé au lieu de l’accroître dans les fonctions publiques, il déroba à grand’peine sa tête à l’échafaud, et vint demander un asile à la Pologne qui s’empressa de l’accueillir. Mais la politique ombrageuse du despote russe, le menaçant à chaque instant de quelque violence, il quitta, non sans douleur, sa retraite et ses nouveaux amis, et vint s’établir à Magdebourg, où le gouvernement prussien lui fit un accueil honorable. C’est dans cette ville qu’il a passé les dernières années de sa vie, partagé entre la culture des lettres et celle des sciences exactes qui avaient toujours été son occupation favorite. Différentes propositions lui furent faites, soit pour prendre du service à l’étranger, soit pour rentrer en France par tolérance du gouvernement royal : il repoussa les unes et les autres. Carnot mourut à Magdebourg, le 2 août 1823, comme un sage bien plus touché des maux de son pays que de ses malheurs personnels, entouré de l’estime, du respect et de l’affection de tous les étrangers qui l’avaient approché pendant sa proscription. Détracteurs de la république, qu’avez- vous à reprocher au républicain Carnot ? (Populaire.)
AVIS DIVERS.
(312) On demande une dévideuse à gage ou différemment. S’adresser à M. Gagnière, rue Dumenge, n° 13. (311) Une mécanique ronde de 12 guindres avec le détrancanage, de Delègue et Bailli, un pliage avec différens rasteaux. S’adresser à M. Curiat, quai Peyrollerie, n° 130. (210) A VENDRE, ensemble ou séparément, 2 métiers en 6/4, en 1500 ; un métier de corps plein, suite d’ouvrage et suite du loyer si l’acheteur le désire. S’adresser au bureau. (309) A VENDRE, pour cessation de commerce, 4 métiers travaillant, dont un en 6/4, un en 5/4, et deux en 4/4. On cédera la suite du loyer si l’acheteur le désire. S’adresser au bureau. (305) On offre un emplacement pour un métier pour maître. S’adresser au bureau du journal. (307) A VENDRE, 2 métiers travaillant en 6/4, à 4 fils au maillon. S’adresser chez M. Rebeyre, liseur, rue Casati, n° 6.
Notes ( RÉPONSE A M. LABORY. DU VIEUX SYSTÈME,)
. La dénonciation de Labory, pilier du premier Devoir mutuel, signale une nouvelle fois la direction récente prise par le mutuellisme à Lyon et le changement de génération qui s’est opéré en décembre 1833.
Notes (Indice de révolution sociale. Jésus entra...)
. Ce procès qui eut lieu dans les derniers jours de l’année 1833 concernait les vingt-sept républicains, membres de la Société parisienne des droits de l’homme et accusés d’avoir conspiré à l’occasion du troisième anniversaire des journées de Juillet 1830. Après dix jours de débats et délibérations, le système du jury avait encore joué en faveur des accusés politiques et l’acquittement avait été prononcé. . Mirabeau (1749-1791) avait plaidé sa propre cause à Aix-en-Provence lors du procès qui l’opposa en 1783 à son épouse qui demandait la séparation de corps et de bien. . Mention ici du baron Jean de Laubardemont (1590-1653), conseiller d’État, chargé par Richelieu de la répression des places protestantes.
Notes (On nous apprend que le roi de Piémont qui...)
. Mention ironique, une nouvelle fois, du prince Albert de Savoie-Carignano (1798-1849).
Notes ( BIOGRAPHIE POPULAIRE. Le Républicain Carnot.)
. Reprise du Populaire de Cabet, cette biographie du savant républicain Lazare Carnot (1753-1823) manifeste une nouvelle fois dans L’Écho de la Fabrique l’alliance de plus en plus ouverte avec les républicains. . Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707), ingénieur militaire français. . Gaspard Monge (1746-1818), mathématicien français. . En octobre 1793, la bataille de Wattignies, avait opposé les armées révolutionnaires françaises – commandées notamment par Jean-Baptiste Jourdan (1762-1833) et Florent Joseph Duquesnoy (1761-1801) – aux troupes autrichiennes. . Claude-Antoine Prieur-Duvernois (1763-1832) et Jean-Baptiste Robert Lindet (1746-1825), tous deux conventionnels. . François-Louis Bourdon (1758-1798), procureur au parlement de Paris. . Joseph Fouché (1759-1820), ministre de la police sous l’Empire.
|
|
|
|
|
|