Retour à l'accueil
26 janvier 1834 - Numéro 56
 
 

 



 
 
    
 

Au moment où nous comptions rappeler l?attention de nos lecteurs sur l?inqualifiable effronterie des discours de M. fulchiron, député, nous avons reçu la lettre suivante, déjà publiée dans plusieurs journaux de cette ville, avec invitation de l?insérer dans notre journal.

M. bruschet, auteur de cette lettre, ne nous a rien laissé à dire sur ce point ; mais nous nous demandons quels fruits certains hommes, se posant les élus de la France, pensent tirer de leurs insolens et grossiers mensonges, et nous les rappelons à la pudeur.

Qu?ils disent (et ils diront vrai), qu?ils ont bien autre chose à faire qu?à s?occuper des masses laborieuses, en butte à toutes les misères ; mais en vérité, leur prétention de faire croire au peuple que tout, par eux, va au mieux possible, est non-seulement ridicule, mais elle est infame dans le but qu?elle est, par cela même, forcée d?avouer, qu?il leur faut des pauvres, des malheureux, et beaucoup pour qu?ils soient et demeurent riches !

La Croix-Rousse, le 16 janvier 1834.

Monsieur,

Votre dévoûment aux intérêts populaires me fait espérer que vous aurez la bonté d?insérer les observations suivantes d?un ouvrier, sur la réplique de M. Fulchiron à M. Garnier-Pagès, dans la dernière discussion de l?adresse.

M. Fulchiron met en parallèle la situation des ouvriers dans les années 89 et 90 avec leur état en 1834. Puisque M. Fulchiron a une connaissance approfondie de la misère qui accablait le peuple à cette [3.1]époque, comment a-t-il pu oublier 1817 ? et pourquoi chercher des années de disette pour prouver que nous sommes heureux aujourd?hui ? Peut-être les amis de M. Fulchiron diront-ils que la preuve de notre bonheur actuel, c?est que l?ouvrier a le temps de lire les journaux qui rapportent les discours de M. Fulchiron, et, de plus, d?y répondre.

Il est très vrai que l?étonnante prospérité industrielle que vante l?adresse des députés, nous laisse, faute d?ouvrage, beaucoup de loisirs. C?est pour cela que je veux aussi comparer notre position présente avec le siècle passé.

Il existe des ouvriers en soie qui peuvent dire ce que valaient alors les comestibles, et ce que rapportait chaque article de fabrique, de 1777 jusqu?à 1787.

La livre de pain ne valait alors qu?un sou, aujourd?hui elle vaut 3 sous. La viande prise sur les bancs valait 4 sous, maintenant elle vaut 10 sous ; le vin 4 sous, maintenant 9 sous ; l?huile 7 sous, maintenant 15 sous ; les charbons 18 sous, maintenant 3 fr ; les pommes de terre 12 sous, maintenant 1 fr. 12 sous, etc., etc. ; et le prix des légumes a plus que triplé. La location d?un métier n?était que de 20 à 24 fr. ; et aujourd?hui elle est de 75 à 80 fr. ; et je suis persuadé que si M. Fulchiron eût pris la peine de chercher dans les papiers de M. son père (puisqu?il se dit fils d?ouvrier), il aurait évité de dire une sottise et de recevoir un démenti par un des membres de cette classe, qu?il croit heureuse malgré l?état languissant dans lequel elle se trouve.

M. Fulchiron dit aussi que les ouvriers gagnent de 50 sous à 3 fr. par jour ; c?est encore une de ses plaisanteries habituelles. Qu?il consulte une des premières maisons de fabrique ; qu?il compte le nombre d?ouvriers qu?elle a occupés depuis le 1er janvier 1833 jusqu?au 31 décembre de la même année, certainement il trouvera qu?ils n?auront pas gagné chacun 1 fr. 50 c. dans les maisons de 2me classe ; 1 fr. 25 c. dans celles de 3me ; dans celles qui en occupent le plus grand nombre, de 16 sous à 1 fr. par jour.

Si M. Fulchiron a parlé avec préméditation, il n?est qu?un brouillon qui cherche à mettre en dissidence les ouvriers avec les fabricans.

M. Fulchiron parle aussi de l?élégance des ouvriers, et prétend qu?on a peine à distinguer un ouvrier d?avec un fabricant. Est-ce un homme d?esprit qui peut débiter de pareilles balivernes ? ? M. Fulchiron s?obstine à ne pas faire entrer en ligne de compte la baisse du prix des objets de consommation, baisse qui a pour résultat d?habiller les riches à meilleur marché, sans donner un centime d?avantage aux fortunes médiocres.

M. Fulchiron a-t-il dit que l?ouvrier n?avait souvent qu?un habit, qu?il ne sortait que deux ou trois heures le dimanche, et que cet habit lui durait souvent 5 et 6 ans au moins ? Qu?il vienne donc maintenant parler de notre abondance et de notre superflu ; qu?il monte donc du 1er au 7me étage, qu?il assiste aux repas des ouvriers, et il verra les veilles qu?ils passent pour être propres et inspirer de la confiance aux fabricans ; après cela, qu?il ose encore parler d?un bonheur qui n?a jamais existé que dans son imagination ou chez lui.

Voila, monsieur le rédacteur, ce que tout le monde sait, excepté une classe d?hommes qui oublient d?où ils sortent, et qui ne prennent pas la peine de s?assurer des faits qu?ils osent avancer à la face de la France ; heureusement pour nous que nous avons une conscience qui ne peut supporter le mensonge. C?est vous dire que si M. Fulchiron ne s?instruit mieux des faits qu?il avance, il recevra autant de fois des démentis, et que nous ne cesserons de répliquer aussi long-temps qu?il continuera de mentir sur notre sort ; nous ferons notre devoir, advienne que pourra (comme dit M. Fulchiron).

Je suis, etc.,

bruschet cadet, Ouvrier en soie.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique