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19 janvier 1834 - Numéro 55
 
 

 



 
 
    
 

L’association libre pour l’éducation du peuple1 avait ouvert différens cours publics et gratuits d’hygiène spécialement destinés aux ouvriers. Voici ce qui s’est passé tout récemment à l’une des séances.

M. le docteur Gervais avait commencé son cours en présence de deux cents auditeurs environ.

Après avoir reproduit rapidement le sujet de la leçon dernière, il abordait la leçon du jour, lorsqu’un commissaire de police et un officier de paix, décorés de leurs insignes, se sont présentés et ont été introduits. Le commissaire de police a exhibé sur-le-champ un mandat du préfet de police qui lui enjoignait de s’opposer à la continuation du cours d’hygiène et de faire évacuer la salle. M. Gervais lui a répondu qu’il ne reconnaissait à personne le droit de limiter la liberté d’enseignement, qu’il refusait d’interrompre la leçon que l’Association libre lui avait donné l’ordre de faire, et que pour l’y contraindre, il faudrait employer la force matérielle. Il a engagé en même temps l’assemblée à rester complètement étrangère à ce qui se passait et à ne pas entraver par une intervention passionnée les mesures que la commission et lui croiraient devoir adopter. MM. Audiat, docteur-médecin, Cercueil, manufacturier, commissaires délégués par le comité central pour assister le professeur et représenter l’association au besoin, ont pris la parole tour à tour, constaté la participation de l’association à ce qui se passait au cours d’un professeur nommé par elle, déclaré que l’opinion émise par M. Gervais sur la liberté d’enseignement était celle de l’association tout entière, et qu’ils protestaient en son nom contre tout empêchement apporté à la continuation de la leçon ; que, de plus, eux, commissaires délégués, approuvaient la résolution de ne céder qu’à la force.

Après une sommation aussi inutile que la première, le commissaire est sorti pour appeler la force armée. M. Gervais a dit quelques mots qui ont suffi pour apaiser l’agitation bien naturelle de l’auditoire, et, pendant un quart-d’heure à peu près, il a continué sa leçon au milieu du plus grand calme.

Le commissaire de police et ses agens, des sergens de ville, une compagnie de garde municipale, la baïonnette au bout du fusil, ont envahi la salle ; on leur avait facilité les abords de la chaire, ils l’ont entourée. M. Audiat a sommé aussitôt le commissaire de délivrer copie de son mandat. Pendant qu’il le transcrivait, les agens de police, les [5.1]gardes municipaux s’étaient mêlés à la foule et écoutaient avec intérêt la leçon qui continuait toujours. La copie terminée, le commissaire de police s’est approché de la chaire, et après avoir invité inutilement M. Gervais à interrompre la leçon et à congédier l’assemblée, il a ordonné à la force armée de l’y contraindre.

Un sergent de la garde municipale, tenant son sabre dans la main gauche, est monté sur l’estrade et a touché de la main droite le bras du professeur qui à l’instant a cessé de parler.

Il était trois heures, l’assemblée s’est séparée après avoir donné les témoignages les plus vifs de sympathie pour la conduite de l’association.

(Bon Sens.)

Notes (  L’association libre pour l’éducation du...)
1. Avec la Société des droits de l’homme et l’Association pour la liberté de la presse, l’Association libre pour l’éducation du peuple constituait alors l’une des trois institutions majeures du mouvement républicain.

 

 

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