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19 janvier 1834 - Numéro 55
 
 

 



 
 
    
 

De la Chambre des Députés.

Ecoutez, lecteurs : il y a tantôt un mois que nos législateurs sont assemblés, prêts à clore leurs travaux, et fiers d’avoir, en trois années à peu près, entouré de leur loyal et surtout désintéressé concours, le trône aux institutions républicaines ; de lui avoir assuré pour cinq ans bonne et joyeuse vie, et sauvé cent fois au moins le pays des attentats des factions carlistes et républicaines. – Les voila à l’œuvre et prêts à ordonner leur cinquième budget. Attention !

Cette session, comme toutes les autres, a commencé par ces royales paroles :

« Messieurs les pairs ! Messieurs les députés ! C’est toujours avec un nouveau plaisir, etc. » Le cadre de notre journal ne nous permet pas de nous étendre longuement sur le discours de Sa Majesté, et nous nous contentons, par conséquent, de vous dire que les factions carlistes et républicaines sont à jamais anéanties, et que nous pouvons compter sur la paix à l’extérieur comme nous sommes certains de la paix à l’intérieur.

Après ce discours et quelques dispositions préliminaires, telles que la nomination des présidens, vice-présidens, questeurs, etc., etc., un projet d’adresse, duquel nous avons retenu les passages suivans, a été soumis à l’approbation et à la sanction des honorables membres ; puis une foule de bravos, de très bien, de marques d’assentiment, se sont fait entendre sur les bancs des sauveurs du trône. Voici ces passages :

« La France élève une voix unanime pour mettre fin à toutes les manœuvres, à tous les obscurs complots qui tendent à arrêter ses nobles destinées. Autant elle proteste contre les fauteurs d’un régime de déception qui, sous le gouvernement déchu, a méconnu ses mœurs, ses intérêts et ses droits, autant elle repousse ces projets insensés qui tendraient à substituer un gouvernement électif à la monarchie héréditaire et constitutionnelle, autant elle s’indigne contre ces doctrines pernicieuses, ces passions violentes qui troublent toutes les existences, ébranlent la société dans ses bases, et menacent à la fois l’esprit de famille, le droit de propriété et l’essor de l’industrie et la liberté du travail. […]

« L’activité de l’administration, la fermeté de la magistrature, le courage de la garde nationale et de l’armée, notre loyal concours, sont d’imposantes garanties pour la répression de ces tentatives anarchiques que repousse d’ailleurs l’opinion du pays, et qui sont frappées d’impuissance par la réprobation publique. Ce que veut fortement la France, Sire, c’est la monarchie constitutionnelle, c’est le système représentatif dans toute sa sincérité, ce sont les institutions qu’elle a conquises. »

Vous entendez, lecteurs, la France ne veut plus d’institutions républicaines ; la France s’est trompée ! Et pourtant les peuples jamais ne se trompent… C’est du [5.2]moins ce que nous avons entendu dire quelque part par un haut et distingué personnage.

Après la lecture de cette pièce, est venue la discussion. – D’abord nous voyons la tribune occupée par M. Salverte, membre de l’opposition ; après lui, M. Bérenger, député ministériel, puis M. Garnier-Pagès, ce député courageux si connu de la population lyonnaise.

Après avoir combattu pied à pied le système de nos gouvernans, soutenu que l’organisation actuelle était fausse et qu’elle n’atteindrait ce degré de perfection auquel la société tend aujourd’hui, que lorsque tout individu aurait une juste part du bien-être auquel chaque homme a droit, M. Garnier-Pagès défend le droit d’association, puis il arrive aux coalitions.

« Je sais, dit-il, qu’on a tâché de rattacher ces coalitions d’ouvriers à des motifs politiques ; on a fait des perquisitions pour prouver que des lettres écrites après l’événement avaient fait naître l’événement même, que les ouvriers étaient à la disposition du premier homme qui voulait faire un mouvement ; mais l’a-t-on prouvé ? Non, sans doute. Le mal matériel est réel : vous le dites dans votre adresse, on l’a dit aussi dans le discours de la couronne. Le mal matériel est réel, s’il est vrai que des corporations viennent faire entendre leurs plaintes, s’il est vrai qu’il ne soit pas au pouvoir de ceux auxquels ils s’adressent d’empêcher leurs souffrances ; s’il est vrai que l’autorité ne peut pas plus qu’elle ne le pouvait à Lyon, faire des tarifs ; s’il est vrai que nous devons laisser à chacun la liberté de faire ce qu’il croit devoir faire, il n’est pas moins vrai aussi que des hommes qui ont élevé des plaintes et n’ont vu apporter aucun soulagement à leurs maux, seront obligés de chercher ailleurs le moyen de les alléger.

« Si la politique n’a pas donné naissance aux coalitions d’ouvriers, elle en sera la conséquence. »

Après lui, M. Fulchiron s’élance à la tribune. – D’abord il remercie ses chers collègues d’avoir interverti pour lui l’ordre de la discussion ; puis il s’exprime en ces termes :

« Cette tribune vient de retentir d’inculpations tellement graves contre l’ordre social en général, et contre une portion des habitans de la ville que j’ai l’honneur de représenter en particulier, qu’il est indispensable d’y répondre.

« On a dit que les ouvriers en France, que les classes ouvrières n’avaient pas trouvé ce qu’elles avaient le droit d’espérer, non-seulement de la révolution de juillet, mais encore des révolutions précédentes. Relativement aux ouvriers de la ville de Lyon, on vous a dit que les promesses qu’on leur avait faites en novembre n’avaient pas été tenues. Je demanderai d’abord quelles promesses leur ont été faites ?

A droite : Le tarif ! Le tarif !

« On vous a parlé des forts détachés de la ville de Lyon. On vous a dit que mes concitoyens s’en plaignaient. Tous mes concitoyens, messieurs, animés des plus nobles sentimens du patriotisme et du courage, ont la conscience que le système des forts détachés met la seconde ville du royaume à l’abri des attaques du dehors, leur permet de défendre leur sol et de déployer leur courage ! »

Après, c’est M. Persil1, ce procureur-général si fameux, qui vient se défendre des attaques dirigées contre lui par son honorable collègue, M. Bérenger.

Il regarde comme indispensable la presse de l’opposition, pourvu qu’elle se taise et s’agenouille devant tous actes, toutes violations de la souveraineté populaire, et s’il demande une réforme dans l’institution du jury, c’est [6.1]qu’il a vu que sur 20 de ses poursuites, 19 lui échappaient ; – c’est que 19 fois sur 20 le jury donnait un démenti à la cour et au tribunal ; – c’est qu’enfin le procureur-général A SU qu’un grand nombre d’acquittemens avaient lieu à 7 contre 5. (Vive interruption aux bancs de l’opposition.)

D’où il est aisé de conclure que la loi du jury a besoin d’être amendée, vu l’aversion de M. Persil pour les défaites.

Ensuite vient M. Guizot, qui regarde le gouvernement de juillet comme très légitime et non comme quasi-légitime, et qui se défend de l’avoir jamais regardé comme tel. (Il répond à M. Mauguin.)

« Veut-on savoir, dit le ministre, ce que j’ai pensé, le voici :

« Lorsqu’en juillet la part fut faite à la destruction, que le gouvernement qui existait fut renversé en 24 heures, j’ai pensé avec la masse du pays qu’il fallait un autre gouvernement monarchique, qu’il fallait une monarchie pour l’Europe… (Interruptions et rumeurs sur quelques bancs de la droite).

« Messieurs, ne fait pas des rois qui veut ; il n’est pas au pouvoir, même de 32 millions d’hommes, de créer un roi d’un seul mot.

« Il y a deux manières de faire des rois : d’abord comme l’a fait Napoléon, qui s’est fait roi par lui-même, par sa gloire, et après avoir sauvé son pays ; ensuite on peut être roi par la volonté du peuple ; ensuite, comme cela est arrivé en juillet, il existait un homme né prince et sur les marches du trône, il était (pardonnez encore cette expression) du bois dont la providence fait les rois. (On rit.) Eh bien ! Un peuple dans son bon sens, a dit : « Voila le roi qu’il nous faut ; c’est un prince appelé à monter sur le trône ; par sa situation forcée, il est d’accord avec nous, il est incorporé avec la cause nationale ! » Voila, messieurs, comme nous avons fait un roi ; et, je le répète, il n’était pas en notre pouvoir de faire autrement. »

Ensuite M. Guizot, abordant la question des forts détachés, dit :

« Je suis hors d’état de juger la question militaire, je ferai seulement remarquer à l’orateur que lorsqu’une vive opposition s’est manifestée contre ces forts détachés, il y avait deux ou trois ans qu’ils se faisaient au vu et au su de tout le monde.

« Lorsque le gouvernement a fortifié Lyon, il a cru bien servir la population de cette ville, la garantir contre l’étranger : c’est uniquement dans cette vue que les fortifications de Lyon ont été élevées, et la population en est aujourd’hui pleinement convaincue. Si cependant il arrivait qu’un de ces grands désordres qui peuvent éclater, même dans le pays le mieux gouverné, se manifestât comme en novembre 1831, et que les forts détachés servissent à le réprimer… (Vives interruptions aux bancs de l’opposition.) »

MM. Voyer-d’Argenson et Audry de Puyraveau, sommés par le général Bugeaud de donner des explications à la chambre sur leurs actes de citoyens, prennent tour à tour la parole, et voici ce que nous avons gardé de leurs discours :

« On a parlé, dit M. Voyer-d’Argenson, du devoir qu’impose le serment. – Le premier de tous nos sermens n’est-il pas d’obéir à la souveraine volonté du peuple, et la souveraine volonté du peuple n’est-elle pas variable, progressive ainsi que la raison et la volonté d’une intelligence individuelle ?

[…]

[6.2]« Je rougis d’être obligé de répéter des vérités aussi triviales. La souveraineté du peuple est proclamée en 1830, et certes elle avait assez glorieusement agi pour mériter d’être aussi légitimée. Quelques députés, se disant les organes de cette souveraineté, font une charte, s’en saisissent, et n’admettent parmi eux que des hommes disposés à répéter servilement la formule qu’ils ont dictée ; que dis-je, ils n’accordent le droit de suffrage (indépendamment d’un cens arbitrairement fixé) que sous la condition de réciter cette formule. Si bien que voila une nation qui sera souveraine, mais dont chaque citoyen devra renoncer individuellement à sa part de souveraineté. En conscience, c’est par trop abuser des mots et se jouer de la raison publique. »

« Malgré les injures des feuilles stipendiées et certains réquisitoires, dit M. Audry de Puyraveau, on ne fera jamais croire à la France que la grande cité, ce pays des lumières, renferme une société d’hommes de désordres, de bouleversement et de pillage, même de la loi agraire, ce Croque-Mitaine des imbéciles. (Rires et murmures.) Juillet 1830 a prouvé le contraire de cette assertion machiavélique, jetée, sans être crue de ses auteurs, à la tête des niais.

« Ce serait peut-être ici le moment de parler de moi pour détruire les calomnies dont je suis l’objet depuis si long-temps, mais elles n’en valent pas la peine, et je dois les estimer à la même valeur que ceux qui s’en sont rendus les colporteurs salariés. D’ailleurs, ceux qui me connaissent savent que je ne dois rien, ni à la révolution, ni à l’empire, ni à la restauration : la révolution de juillet a causé ma ruine (sensation), et j’ai acquis la haine du pouvoir. Ici l’orateur entre dans le récit de faits qui lui sont personnels.

« Que l’on en finisse donc enfin, dit-il, et que l’on mette donc à exécution la sentence que Charles X avait prononcée contre moi ; je l’avais bien méritée au moins. Je l’attends sans crainte, ce ne sera pas trop pour expier le tort impardonnable d’être l’ami du peuple, de désirer son bonheur et de le croire possible. (Très vive impression. – On a remarqué que pendant ce discours M. le président s’est tenu debout.) »

Maintenant c’est M. Thiers qui, de ce qu’il est venu s’asseoir au conseil du roi, à côté d’hommes ayant des titres magnifiques, de grands noms, de hautes positions sociales ou bien gagné des victoires, prétend qu’il n’y a plus d’aristocratie.

Après avoir défendu et le ministre et l’homme de lettres, l’ex-protégé de M. Laffitte parle du calme profond qui règne dans le pays, boit de l’eau sucrée et termine à peu près ainsi son discours, qui nous a semblé n’avoir pas cette gravité qui convient à un ministre à la face du pays :

« Le gouvernement a été attaqué par des émeutes, il a fallu livrer des batailles dans les rues. A-t-il fait tomber une seule tête ? Pas une. Véritablement dans un pays où la répression a été telle, dans un pays où l’on peut dire, en fait de procès intentés aux journaux : Il n’y a eu de procès faits qu’à ceux qui attaquaient le principe du gouvernement, au National et à la Tribune ; mais il n’y a pas eu un procès fait au Constitutionnel. (Marques d’adhésion.) A-t-on le droit de parler de persécutions ?

« Nos honorables collègues de l’opposition ont fait l’examen de nos opinions, de notre système, de notre conduite. Eh bien ! qu’ils viennent dire avec nous qu’ils donneraient mille fois leur vie pour empêcher qu’une autre forme de gouvernement ne fût substituée à celle qui existe. Venez le dire comme nous l’avons dit et [7.1]comme nous l’avons confirmé par nos actes, car nous n’avons pas craint d’arracher des provinces qu’elle troublait par sa présence, une princesse fameuse ; car nous avons donné des gages que personne n’a donnés avec plus de force et de dévoûment. »

Et puis c’est M. Odilon-Barrot, cet astre éclatant hier, mais si pâle aujourd’hui ! qui entre à son tour dans l’atelier où se fabriquent ROIS et LOIS, et propose d’intercaler dans l’adresse l’article qui suit :

« La chambre des députés a l’assurance que le gouvernement de votre majesté a protesté contre l’état actuel de la Pologne, et qu’il réclamera toujours avec persévérance contre les persécutions infligées à cette brave et malheureuse nation. » (Appuyé ! Appuyé !)

Enfin, voici venir pour la clôture de la discussion, M. Dupin aîné, l’honorable président de l’honorable chambre des députés :

« Nous voulons, dit-il, un ministère qui soit un, solidaire, indépendant et responsable par conséquent ; deux chambres, pour éviter la tyrannie d’une seule ; le vote annuel de l’impôt, comme garantie souveraine, comme vœu de la majorité, exprimant le vœu du pays que notre devoir est toujours d’interroger ; la liberté de la presse : qui dira qu’elle n’existe pas ? le progrès, mais par les moyens constitutionnels, par une discussion régulière qui n’ait pas une révolution pour premier terme et l’anarchie pour dernier résultat. (Marques d’adhésion.) La liberté réglée par les lois, c’est ma devise : Sub lege libertas, et non pas cette liberté dont la devise est : Liberté ou la mort ! et dont la livrée est couleur de sang. »

Ces préliminaires enfin terminés, il a été procédé au tirage au sort de la grande députation chargée de présenter l’adresse au roi. – Quelques députés, parmi lesquels M. odilon-barrot, s’étaient joints à cette députation, et l’adresse a été lue en présence de tous les ministres. – Le roi a répondu :

Messieurs les députés,

Je reçois avec satisfaction cette expression de vos vœux, etc., etc.

Voila, lecteurs, tout ce qu’avait fait la chambre des députés lorsque nous l’avons quittée.

Somme totale : vous avez entendu un honorable membre faire l’apologie des forts détachés, et dire que vous en étiez TRES SATISFAITS.

Un ministre, dire que si un événement semblable à celui des 21, 22 et 23 novembre 1831, à Lyon, survenait, les forts détachés pourraient bien être bons à quelque chose…

Puis un autre honorable membre, procureur-général, demander un jury plus conforme à ses goûts ; celui actuel n’étant pas en harmonie avec son ardent amour pour l’état de choses.

Puis un autre ministre, dire que ses collègues et lui étaient prêts à sacrifier mille fois leur vie pour conserver la forme actuelle du gouvernement, et citer, comme un de leurs actes périlleux, MADAME arrachée aux provinces qu’elle troublait par sa présence…

Des lois ? Elles ne vous manqueront pas : attendez. – La chambre basse (comme disent nos voisins d’outre-mer) en a fait CENT et plus l’année dernière. – Ne conviendrait-il pas mieux de passer de suite au budget ? – Qu’en pensez-vous, lecteurs ?

Pour nous, nous en pensons bien quelque chose, mais penser est chose permise ; dire sa pensée c’est autre chose ; il faut mettre la main à la bourse et puis payer ! Et encore !…

Notes (  De la Chambre des Députés. Ecoutez,...)
1. Jean-Charles Persil (1785-1870), avocat libéral sous la Restauration, député puis procureur général près la cour royale de Paris. Ce partisan zélé du parti de l’Ordre, adversaire des associations, sera nommé en avril 1834 ministre de la Justice et des Cultes.

 

 

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