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2 février 1834 - Numéro 57
 
 

 



 
 
    
Variétés.
saint-adrien

Dans la partie de la rade en face du port de Brest, et de l’autre côté de la petite île appelée Ile Ronde, est une anse bordée de vallons couverts de fruits et d’arbres verts. Une barre, que la mer haute recouvre, la sépare en deux. A marée basse, le paysan de Plougastel, qui mine sa pipe en passant sur cette barre, voit alors d’un côté la rade se déployer sereine et bleue, ou bien houleuse et blanche d’écume, et de l’autre un petit ruisseau, filet d’eau resté de la marée haute, et qui va se perdre en tournant en mille sens au fond du vallon.

C’est là, à gauche, en entrant dans la baie, que se trouve la petite chapelle de St-Adrien. En sortant de votre embarcation, vous avez monté un petit chemin au-dessus de la Grève ; vous l’avez suivi dans son cours tortueux ; vous avez passé avec lui devant l’auberge de Mme Foire, si chère aux pêcheurs et aux douaniers de Lauberlach ; puis un petit clocher, une croix et quelques ogives aux [7.2]vitraux cassés ont frappé vos yeux entre les arbres, et vous avez souri en disant : Voila St-Adrien !

St-Adrien ! – Si vous y êtes déjà allés, que ce nom dit de choses. Vous devinez alors, en pressant le pas dans le petit sentier où vous marchez, la pelouse verte qui entoure la chapelle ; vous respirez d’avance la fraîcheur de ces grands arbres qui l’ombragent, et un sentiment doux et religieux s’empare de votre âme. Mais ce n’est pas cette tristesse qui naît à un son de cloche ou à la vue des cimetières qui entourent ordinairement les églises de Bretagne. – Toi, mon joli St-Adrien, tu ne reposes pas les pieds de tes murs délicats et de tes ogives gothiques sur des morts ; jamais le fossoyeur n’éclaire le soir les voûtes de sa lanterne ; – non, à toi un doux soleil se jouant dans tes vitraux, ou bien de beaux rayons de la lune pour l’éclairer sous les vieux chênes et sur le tapis de gazon vert où tu t’étends mollement comme une jeune fille de quinze ans qui s’asseoit pour rêver sous les marronniers.

Quand la petite chapelle est ainsi éclairée par un beau soleil couchant, dont les rayons percent à travers les grands arbres, et font sur ses murs des taches rouges et brillantes, tâchez d’aller à St-Adrien. – Restez-y long-temps. – Alors, si vous voulez voir de fraîches figures de jeunes filles, regardez ces petites paysannes qui font le signe de la croix avant d’entrer. Voyez leurs cheveux noirs retomber par derrière sous leurs longues coiffes blanches, et leurs corsets qui ont un dos rouge, avec deux petites échancrures bleues ou vertes sous les bras.

Regardez ces jeunes filles : les voila qui s’agenouillent ; elles coupent des tresses de cheveux, des rubans qu’elles attachent aux cordages de petits vaisseaux suspendus dans la chapelle comme des lustres de salon. Ces vaisseaux sont l’ouvrage de quelques vieux marins qui les ont faits en l’honneur du bâtiment qu’ils ont affectionné autrefois, ou de celui d’un fils ou d’un frère. St-Adrien les prend sous sa protection, et bénit aussi les petits rubans que les jeunes filles y attachent.

Après, elles s’en vont joyeuses ; elles sont confiantes et croient. – Elles s’en vont contentes, car il leur a semblé, en partant, que la figure de bois de St-Adrien, qui est placée au fond de l’église, leur a souri quand elles se sont dressées sur la pointe des pieds pour atteindre le petit vaisseau. Elles s’en vont contentes, car St-Adrien est bien puissant : St-Goënou a sa fontaine où l’on jette des épingles pour savoir si on aura un mari ; Saint-Budoch a vécu six mois sur mer dans un tonneau ; et St-Ouardon est un très grand navigateur qui a traversé la rade de Brest dans une auge de pierre ; mais St-Adrien est le saint des jeunes filles de Lauberlach. Quand elles l’ont prié, elles retournent le soir chez elle sans crainte des lavandières de nuit qui forcent les passans à laver avec elles les chemises sales du diable, ni des goûls à la grosse tète, ni du joueur de bignou de l’enfer, qui donne à danser dans les bruyères au clair de la lune. Car, je vous le dis, St-Adrien est un saint bien puissant.

X. (Le Foyer1.)

Notes ( Variétés.)
1. Il s’agit ici du journal Le Foyer. Journal de la littérature et des arts. Théâtre, critique, mœurs, publié à Paris entre 1833 et 1835.

 

 

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