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23 février 1834 - Numéro 60
 
 

 



 
 
    

Lyon et les Mutuellistes.

Depuis deux mois environ, et dans presque tous les genres de notre fabrication lyonnaise, se faisait sentir une tendance marquée à la diminution du taux des salaires. ? Alors se retracèrent au souvenir des travailleurs, formant aujourd?hui l?association des Mutuellistes, NOVEMBRE et toute sa hideur, et les angoisses du peuple épuisé de misère, réduit à demander, sous le feu des canons vomissant la mitraille, du pain pour vivre en travaillant ! ? Ces jours de mort et de deuil, si près de nous encore, pouvaient se renouveler et appeler sur notre cité une tempête plus terrible et plus désastreuse ; et aujourd?hui comme alors, aucune garantie contre une si déplorable alternative n?était là pour la détourner !!!Telles furent les graves considérations qui déterminèrent les Mutuellistes à frapper les métiers d?un interdit général, et ce fut dans la journée du 14 que cette décision fut unanimement exécutée.1 ? Ils avaient aussi (pourquoi le tairions-nous) pensé que cette interdiction générale amènerait un grand nombre de fabricans desquels ils n?avaient aucune plainte à faire, à intervenir comme conciliateurs entre eux et cette autre partie des fabricans qui, forts d?une quasi-disette de travail, ne rougissaient pas d?en profiter pour rendre plus critique encore la situation fâcheuse de l?ouvrier, mais que ces derniers feraient droit à leurs sages représentations. ? Qu?aujourd?hui cette prévision n?ait pas été justifiée par le fait, nul parmi nous ne prétend l?imputer à crime à personne d?entr?eux, bien qu?en vingt autres circonstances leur propre intérêt leur eût impérieusement commandé ce qu?exigeait le nôtre dans ce cas

[1.2]Les journaux de cette ville ont assez fait connaître au public les détails et les circonstances de ce débat : les reproduire ici serait chose fort oiseuse ; ainsi nous ne les rappellerons pas. ? Qu?il nous soit permis, toutefois, de témoigner ici toute notre gratitude aux écrivains et aux hommes qui se sont intéressés à notre cause. ? Pitié et mépris pour les lâches qui, le fiel au c?ur et l?insulte à la bouche, ont tenté de nous montrer à nos concitoyens et à la France entière comme des fauteurs de désordre, et comme des hommes avides de dévastation et de pillage : ils ne valent pas la haine?

A ceux qui nous demandent ou qui nous demanderont compte de l?illégalité dont nous avons un instant, et en apparence contre notre propre intérêt, frappé l?industrie de notre cité, nous demandons, à notre tour : Quoi de légal dans notre position, à nous qui, spoliés du plus sacré de nos droits, le travail, et subissant chaque jour la loi de la nécessité, sommes forcés d?accepter, pour prix de nos sueurs, tel salaire qu?il convient à nos seigneurs et maîtres de nous octroyer ? Et puis, si tant est qu?il y ait dans cet acte de notre propre volonté, injustice et illégalité, nous demandons à qui la faute, et si elle n?est pas le fruit du criminel abandon dans lequel nos législateurs nous ont placés ? ? Maintenant nos amis nous comprendront, nous en sommes convaincus ; que nos ennemis répondent !!!

Mais ne renferme-t-il pas un grand enseignement, le spectacle offert aux yeux de tous par la physionomie étrange de notre cité, qui, tandis que d?un côté les travailleurs, forts de leurs droits et confians dans la sagesse de tous, souriaient aux lourdes dispositions et aux ridicules et mensongers placards affichés ça et là sur nos murs, et rendaient vains les préparatifs faits pour accueillir VIGOUREUSEMENT leur supplique ; que, de l?autre, s?enfuyaient avec leurs coffres et leurs trésors, leurs timorés despotes, peu jaloux d?assister à la LEÇON ; n?était-il pas, disons-nous, bien étrange, l?aspect de notre cité, calme et immobile comme un rocher au milieu d?une affreuse tempête !

Mais ne reste-t-il pas clairement démontré que les travailleurs sauront désormais rendre impossible toute injustice de la part des maîtres, et infliger, à qui voudrait encore la mériter, sinon une VIGOUREUSE, du moins une sévère leçon.

[2.1]Ecoutez, vous qui déjà chantez victoire, écoutez : ? -L?association des Mutuellistes, quelque grands que soient les efforts que vous fassiez pour la détruire, reste debout et jette au loin les rameaux qui doivent unir et resserrer la grande famille des travailleurs. Le triomphe pour elle est certain. ? Mais, gardez-vous de croire qu?armé imprudente elle veuille jeter au hasard ses prochaines destinées et engloutir avec elle celles de toutes les associations qui, rangées autour d?elle, étaient là prêtes à l?appuyer de leur concours ! Elle a le choix des armes, à elle aussi de déterminer le lieu et l?heure du combat. ? Mais ce combat doit être pacifique : elle récuse l?épée et le canon ; à vous donc, à vous seuls d?appeler la guerre civile ; nous la repoussons, nous, comme le plus épouvantable fléau ; et pourtant, vous le savez, le peuple sut toujours ou mourir ou vaincre ; mais vaincre au sein de son pays ne saurait être qu?une déplorable victoire !!!? Demain, partout les travaux auront recommencé.

Notes (Lyon Lyon et les Mutuellistes. Depuis deux...)
1. À court terme, la grève de Lyon fut un échec, la tentative se heurtant à l?inflexibilité des négociants et des autorités civiles. Les journaux républicains eux-mêmes s?étaient prononcés contre l?opportunité d?une telle manifestation, jugée alors trop risquée. Le mutuellisme en ressortit effectivement exsangue notamment sur le plan financier. Pourtant, l?événement, organisé et longtemps maîtrisé par les mutuellistes, eu une vrai résonance dont un peu plus tard Louis Blanc, par exemple, se fit l?écho : « Considérée dans son principe moral, elle avait quelque chose de singulièrement élevé. Quoi de plus touchant que de voir cinquante mille ouvriers suspendre tout à coup les travaux qui les faisaient vivre et se résigner aux privations les plus dures, pour garantir de toute atteinte douze cents de leurs frères les plus malheureux !? Par rapport à la classe ouvrière, c?était la théorie de l?association appliquée sur une grande échelle et au prix de sacrifices qui en rendaient l?effet plus imposant. Par rapport à la bourgeoisie, c?était une démonstration terrible, mais péremptoire, des vices d?un régime industriel qui, fondé sur un antagonisme de tous les instants, ne vit que par le perpétuel triomphe du fort sur le faible, et entretient une hostilité flagrante entre ces deux éléments de la production : le capital et le travail » (Louis Blanc, Histoire de dix ans, ouvr., cité, vol. V, p. 249).

 

 

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