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2 mars 1834 - Numéro 61 |
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L’association des Mutuellistes a reçu, par l’entremise du Courrier de Lyon, une lettre de M. le baron Charles dupin1, à laquelle l’association répondra dans notre prochain numéro. L’insertion de cette réponse, dans le Courrier de Lyon, sera demandée à MM. les administrateurs de ce journal.
De nos très hauts et très puissans collègues DU COURRIER DE LYON.
MM. du Courrier de Lyon commencent ainsi l’un de leurs derniers articlesi : « Si l’importance de la question qui vient de se débattre et de se résoudre dans nos murs, etc. » – Les pauvres hommes ont en vérité la vue bien courte si des faits qui viennent de s’accomplir ils n’ont tiré d’autre enseignement que ce qu’ils ont bavardé pendant, et ce qu’ils bavardent encore après ; et nous ne savons trop si, pour nous, il ne vaudrait pas mieux traîner pendant quinze jours la chaîne du galérien, que de nous imposer l’obligation de mettre aujourd’hui sous les yeux de nos lecteurs quelques-unes des mille absurdités qu’ils ont placardées dans leur lourde et grotesque feuille chaque matin des jours de cette semaine à nos yeux si imposante par son calme et morne silence, et si riche d’avenir. Toutefois, comme nous devons ménager la patience de nos lecteurs (et il en faut pour subir le Courrier de Lyon), [1.2]nous serons avares autant que possible des citations. « La position que l’autorité devait prendre (a dit ce journal dans son N° du 17 février) entre les fabricans et les ouvriers était nettement tracée. Elle a dit aux uns et aux autres : Je n’ai rien à voir dans vos débats industriels ; réglez vos intérêts comme bon vous semblera. Vous, fabricant, proposez le prix de façon que vous croirez convenable ; vous, ouvrier, cessez de travailler si ce prix ne vous convient pas. Elle a ajouté qu’elle s’opposerait à ce que la paix publique fût troublée ; elle a déclaré qu’elle saurait au besoin faire respecter les personnes et les propriétés, et elle s’est mise en mesure de tenir parole. » Nous n’avons pas la prétention de discuter ici si cette position était bien celle devant être prise par l’autorité, et nous ne ferons rien non plus pour prouver que mieux vaut peut-être qu’elle soit restée muette au milieu de ce débat ; mais alors pourquoi avoir invité un peu plus haut, dans l’article dont nous venons de donner un extrait, les chambres et le gouvernement à prendre en considération sérieuse ce qui se passait à Lyon depuis quelques jours ? Il nous semble, à nous, que les autorités d’une cité étant une ramification du corps que nous appelons gouvernement, il est singulièrement bizarre de vouloir que ce corps se meuve et agisse tout en commandant l’immobilité à ses membres ; et nous nous demandons aussi à quoi peuvent servir ces mêmes autorités, si ce n’est pas à rétablir l’harmonie et la paix, si ce n’est à appeler les citoyens à une conciliation de leurs intérêts respectifs en vue de l’intérêt et de la prospérité générale ? Mais alors quelle est donc leur mission ? Nous n’en voyons pas d’autres, si ce n’est de mitrailler au besoin les parties pour clore leurs débats. Mais voila que dans un autre articleii, le Courrier nous donne quelques détails sur l’association des Mutuellistes, dans le seul but de fournir au député chiron l’occasion de monter à la tribune pour faire savoir à ses très honorables collègues qu’il a un Courrier dans sa poche, qui dit que l’association a été fondée par un membre influent de la Société des droits de l’homme ! Un autre que : « L’association est un véritable pouvoir, et celui de tous dont les ordres sont le mieux exécutés ; et qu’il s’en faut de beaucoup que le préfet du département ou le lieutenant-général qui commande la division, trouvent dans leurs subordonnés une obéissance aussi passive et aussi prompte. » [2.1]Puis un autre qui dit encore que, etc. ; et que, par tous ces motifs, l’arrêt de mort de ladite association doit être impitoyablement prononcé. Nous trouvons dans le même article les quelques lignes qu’on va lire, et qui disent assez le rôle honteux que ce journal a joué en ces momens difficiles et graves : « Nous l’avons annoncé dès le premier jour où l’orage a fait explosion, il n’y aura aucune collision, et le danger est tout entier pour l’avenir ; si rien ne doit être changé à une situation aussi extraordinaire que la nôtre. Nos prévisions se fondaient sur les moyens matériels de répression dont l’autorité disposait, sur 1’active intelligence et sur l’harmonie de nos fonctionnaires, sur la déconvenue des libérateurs de la Savoie, sur le courage civil des fabricans. Nous avons dit, dès le premier jour, dans l’intérêt du maintien de la paix de la cité, que le pouvoir était en mesure de donner une leçon sévère aux mauvais ouvriers qui oseraient troubler l’ordre et recommencer une insurrection ; ces paroles n’ont pas été peut-être sans influence sur les factieux à qui seuls elles étaient adressées. L’esprit de parti nous les a reprochées, mais son blâme est un éloge ; quelques-uns de nos amis, un peu sous le poids de ces folles frayeurs dont notre ville a été saisie, les ont appelées imprudentes ; mais nous aussi nous avons des devoirs à remplir, et celui de dire la vérité à l’anarchie et à la démagogie est le premier de tous. Ce n’est pas nous qui reculerons jamais devant leur accomplissement, nous que les trois journées de novembre ont trouvé au poste assigné par nos institutions à leurs défenseurs, et qui n’avons pas redouté alors de jeter à la révolte armée son nom odieux à la face. » Comme le pauvre journal, nous pensons que la question est toute dans l’avenir et dans un avenir très prochain ; mais s’il n’y a eu aucune collision, il faut bien le dire, c’est que les ouvriers de notre cité, tirant pour l’avenir meilleur profit que leurs adversaires des leçons douloureuses du passé, ont trouvé dans l’immense et l’indestructible coalition qu’ils viennent de révéler, un moyen moins violent et beaucoup plus certain de forcer au respect de leurs droits. Mais qu’ils aient reculé devant les moyens matériels que l’autorité avait entre les mains pour lui donner une VIGOUREUSE LEÇON, c’est ce que nous nions hautement : on sait assez, en effet, que le peuple n’est pas dans l’habitude de calculer les forces et le nombre de ses ennemis, et d’ailleurs MM. du Courrier de Lyon savent bien quels puissans matériaux étaient entre les mains de l’association, et qu’elle aurait pu opposer dans cette lutte l’immense concours de la population ouvrière de Lyon, sans distinction d’industries ; car, il faut bien que chacun le sache, aujourd’hui tous les travailleurs se tendent la main ; car ils ont compris que le triomphe de leur noble cause était dans leur union intime et générale. Nous avons peu de chose à dire sur l’harmonie des fonctionnaires et leur active intelligence, nous constaterons seulement un fait qui a pu échapper à beaucoup d’entre nos concitoyens, c’est que bon nombre des placards affichés à cette occasion, l’ont été sans l’approbation et le visa du préfet Gasparin. Pour ce qui est du courage civique des fabricans, nous croyons devoir nous taire, et nous pensons que ces Messieurs même trouveront la plaisanterie du Courrier d’un fort mauvais goût. Enfin, nous terminons l’analyse de cette citation en faisant observer à MM. du Courrier qu’il y a, malheureusement pour la cause qu’ils ont embrassée, beaucoup d’hommes disposés à ne défendre désormais que les institutions protectrices de tous les droits de tous les citoyens sans distinction de classes, et qui ne sauraient s’applaudir comme eux d’avoir répondu à ce cri : DU TRAVAIL ET DU PAIN EN TRAVAILLANT ! par des coups de fusil. – A ceux-là, et nous soutenons qu’ils sont en grand nombre, il a fallu, par un atroce [2.2]machiavélisme impossible à renouveler désormais, dire que le peuple voulait le pillage et la dévastation des propriétés ! – Pour ce qui est de la lâche insolence de MM. du Courrier de Lyon, nous savons qu’aujourd’hui comme alors ils ne se sont guère amendés, et aujourd’hui comme alors, nous n’avons pour eux que pitié et mépris. « Nous désirons, disait aussi ce journal dans son N° du 18, un rapprochement définitif et durable entre les fabricans et les ouvriers, honorable pour les uns comme pour les autres, et établi sur des bases qui rendent impossible le retour de ces funestes démêlés. Tous les intérêts de la cité sont engagés dans leur querelle, toutes les classes de citoyens souffrent de ce débat, et ressentent le contre-coup des dommages qu’il leur fait éprouver. » A ce langage vous seriez peut-être, lecteurs, tentés de croire à la bonne foi de ceux qui l’ont parlé ; mais lisez les lignes suivantes, prises un peu plus bas dans le même article, et puis vous vous demanderez s’il est possible de mentir aussi impudemment à sa conscience et en face du public que le font MM. du Courrier de Lyon. « Que les fabricans persistent quelques jours seulement encore dans leur système d’inertie, qu’ils attendent en paix dans leurs magasins le retour de l’ordre, qu’ils se refusent à toute concession, à toute transaction individuelle ; leur faiblesse perdrait leur cause, et jamais elle n’a été si belle. Ils ont pour eux non-seulement leur droit et la loi, mais encore un nombre de plus en plus considérable d’ouvriers indignés de la tyrannie de la commission exécutive et las d’être opprimés au nom de la liberté. » En vérité, voila de singuliers procédés de conciliation, et ces messieurs doivent être aujourd’hui fort mécontens que nul ne s’en soit remis à leurs moyens pour la solution de cette question. Après cela nous comprenons très bien la fureur de ces saints personnages en voyant des citoyens de diverses opinions, dépouillant leur caractère politique, se jeter au milieu de la tempête et faire entendre des paroles de paix et de concorde, et surtout en voyant le nom de M. Anselme petetin, mêlé à ceux de quelques autres citoyens de Lyon. – Oh ! Il leur fallait bien alors, appelant à leur secours la bassesse et la calomnie, chercher à égarer l’opinion sur les motifs de cette démarche, et la présenter comme une mesquine tactique de parti. Enfin, personne, même parmi ceux des citoyens qui n’appartiennent pas à l’opinion républicaine, n’a, dans cette circonstance, été à l’abri des plates et grossières injures vomies contre tous par MM. du Courrier de Lyon. – Ceci, du reste, n’est pas un grand malheur pour ceux que l’ignoble Journal a poursuivis jusque dans cet acte qui, nous en sommes convaincus, nous, leur avait été dicté par la seule voix de l’humanité. Mais nous n’en finirions pas si nous voulions reproduire et relever ici toutes les absurdités, insolences et contradictions débitées sans pudeur aucune par le Courrier, et ce serait d’ailleurs abuser de la patience de nos lecteurs ; c’est pourquoi nous allons clore notre revue par le paragraphe suivant, aussi étrangement ridicule, pour ne rien dire de plus, que tout ce qui a été dit par ce journal dans ces graves circonstances. « Des ouvriers confectionnent une étoffe pour le fabricant à un prix convenu par écrit. Au beau milieu de la besogne, la fantaisie leur prend de revenir sur la chose convenue : ils somment le fabricant d’accorder une augmentation. A défaut de ce, ils arrêtent tous ses métiers, et non-seulement les métiers du fabricant qui refuse de subir leur loi, mais encore ceux d’autres industriels avec lesquels ils n’ont rien à débattre. L’injustice et la mauvaise foi sont évidentes ici. Si ce salaire est insuffisant, pourquoi l’avez-vous consenti ; s’il est suffisant, pourquoi manquer à vos engagemens ? Encore une fois, le droit n’est pas douteux ; le fabricant ne peut transiger sur une question aussi nettement posée. » [3.1]Nous demandons tout d’abord ce que c’est que ce prix convenu, sous l’empire duquel les ouvriers confectionnent l’étoffe pour le fabricant, et comment MM. du Courrier de Lyon l’appellent ? Est-ce mercuriale, contrat, voir même tarif ? – Pour nous, l’une de ces trois dénominations équivaut aux deux autres ; et, en vérité, nous avons pitié de leur tartuferie, à eux qui jouent l’étonnement quand au beau milieu de la besogne les ouvriers demandent une augmentation au mépris du prix convenu par écrit. Ces messieurs savent fort bien que ce contrat est l’ouvrage d’un seul, imposé par le fabricant, et que ce n’est que sous son acceptation qu’une pièce est livrée aux mains de l’ouvrier. – Ils savent très bien encore que l’ouvrier l’accepte quel qu’il soit, quitte à revenir sur la chose convenue, parce que pour lui il n’y a point de milieu entre le besoin de travailler et le besoin de vivre ; ce contrat est pour lui la formule du voleur de grands chemins : La bourse ou la vie. – Et, sans contredit, s’il y a au fond de ceci injustice et mauvaise foi, ce n’est pas chez celui qui se courbe devant la loi qui lui est imposée, quelque révoltante qu’elle soit, mais bien chez celui qui l’impose, quand il sait fort bien que la nécessité et l’horreur de la faim peuvent seules la faire accepter. – S’il y a injustice et mauvaise foi, c’est certainement chez MM. du Courrier de Lyon, qui, fermant déjà les yeux sur ce qui vient de se passer, sur l’imposante attitude de l’ouvrier, sur sa scrupuleuse attention à éviter tout ce qui aurait pu donner lieu à quelques troubles, enfin, sur la sécurité qu’il a été donné à l’autorité seule de bannir pendant quelques instans hors du sein de notre ville par ses belliqueuses démonstrations et ses placards mensongers et calomnieux, ont assez de bassesse dans le cœur pour tenter, ce qui ne saurait être possible, d’égarer l’opinion du pays sur la justice et la bonté de la cause des ouvriers, en les montrant à ses yeux comme des hommes sans foi et sans loyauté. Notre intention ne saurait être de discuter aujourd’hui si, en d’autres temps, il eût été juste de respecter un contrat librement discuté et librement accepté ; nous ne discuterons pas davantage s’il n’eût pas été plus heureux pour ceux que le Courrier de Lyon défend si maladroitement, de prendre, avec l’association dont nous sommes l’organe, des engagemens plus durables que ceux qui ont été pris de part et d’autre sur la foi de l’honneur. novembre et février ont posé la question dans un tout autre sens, et ce n’est plus aujourd’hui pour les 25 c. qu’il plaît au journal de la haute et basse police, d’appeler une question sordide, mais bien pour une réforme qui place enfin les travailleurs au rang qu’ils doivent occuper dans la société comme premiers et indispensables leviers de production. – S’il en était autrement, si le peuple travailleur n’était pas encore arrivé à comprendre que c’est là son droit inviolable, et le plus sacré, nous demanderions un TARIF, et nous prouverions sans peine que, dans notre état de morcellement et de lutte constante de tous les intérêts, ce tarif serait non-seulement une nécessité pour donner une limite aux prétentions du maître comme à celles de l’ouvrier, mais encore un avantage incontestable pour ceux qui, en déchirant celui qu’ils avaient consenti, ont amené une catastrophe qui a laissé plus d’une douloureuse plaie au sein de notre population. Nos lecteurs comprendront pourquoi nous ne disons rien des efforts faits pour rattacher à la politique républicaine la coalition qui vient de donner à la face de tous un essai de sa force et de son pouvoir ; rien non [3.2]plus des tentatives faites en tous sens pour jeter la défiance et la désunion dans le camp des travailleurs, parce qu’au fond de tout cela nos lecteurs ont bien compris qu’il y avait mensonge et calomnie. Nous ne dirons rien non plus de la mesure prise si tardivement par nos autorités, pour purger la ville des malfaiteurs et hommes à figures suspectes qu’elles avaient elles-mêmes déclaré être venus en grand nombre pour profiter des désordres qui auraient pu surgir dans son sein, si, avant tout, les travailleurs n’eussent dit bien haut et à tous qu’ils repoussaient le désordre : ceci nous semble une tactique politique méprisable dont nous n’avons pas, nous, à nous occuper. Que MM. du Courrier de Lyon veuillent bien nous permettre, en terminant, de leur poser cette question : En supposant (ce qui n’est pas supposable) que les fabricans voulussent profiter du conseil qu’ils leur donnent assez maladroitement dans un petit article adressé au Précurseur, comment, disons-nous, s’y prendraient les fabricans pour refuser de l’ouvrage à 120 présidens de loges ? Pour une mesure de ce genre, il faudrait avant tout une harmonie qui n’existe et ne saurait exister parmi les fabricans, et lors même qu’elle existerait, comment feraient-ils pour refuser, le lendemain, puis un autre lendemain, de l’ouvrage à 122 présidens de loges renouvelés ? En vérité, cette menace si niaise et si ridicule dit assez haut la sauvage imbécillité du journal aux 150 patrons, recommandables avant tout par la situation brillante et prospère de leurs COFFRES-FORTS.
i. Courrier de Lyon, 25 février. ii. Courrier du 22 février.
Qui vive ? barthe le ministre, ex-carbonaro… – Qu’apporte monseigneur ou son excellence ? – Une loi contre les associations !!!… – C’est bien !… Lisez ; déposez les pièces sur le bureau de l’honorable président. – Que le président ordonne sur-le-champ l’impression ; – que les députés discutent sur-le-champ ; – qu’ils votent sur-le-champ ; car la société est en péril, en grand péril… Qui vive ?… Ouvriers !… Chacun à son poste !… C’est bien !
ENCORE UN MOT SUR LA CRISE PASSÉE. Les ouvriers de la fabrique d’étoffes de soie, en suspendant généralement les travaux, ont voulu arrêter le mouvement de baisse du prix des façons qui s’opérait dans diverses maisons de fabrique, prix déjà inférieur et pouvant tout au plus suffire à toutes les exigences de la vie. Vu leur peu de ressources, les ouvriers ont pensé que, pour arriver plus promptement à leur but, il fallait une suspension générale ; qu’alors les fabricans, dont la conscience leur fait un devoir de considérer l’ouvrier comme homme, et qui doivent lui donner les moyens de vivre comme tel, interviendraient auprès des fabricans que guide seul un intérêt sordide ; que ceux-ci, entendant les conseils justes et raisonnables de leurs confrères, condescendraient aux réclamations qui leur étaient faites. L’attente des réclamans a été trompée, l’erreur dans laquelle ils étaient, et qui leur a fait prendre cette grave mesure de suspension, s’est dissipée, le masque est tombé, et maintenant chacun peut apprécier tout ce qu’il y a d’odieux et de cruel dans l’obstination [4.1]de ces fabricans, indignes du nom d’homme, qui se font un jeu de l’existence de ceux dont les sueurs les enrichissent, qui ne craignent pas de compromettre les intérêts de toute une grande cité, et de mettre en question la tranquillité de la France entière. La responsabilité de semblables désordres ne peut retomber sur les ouvriers : ce qu’ils demandent, c’est un droit, c’est une nécessité de gagner leur pain en travaillant, et ce n’en est pas une de faire fortune en cinq ou six ans. Vous qui pensez que les ouvriers sont sous l’influence de quelques meneurs, rendez-vous dans leurs ateliers, et vous verrez que leurs meneurs ce sont les besoins. Là, vous verrez l’homme, dans la vigueur de l’âge, s’occuper sans cesse de l’organisation de ses métiers, vu le peu de temps qu’un métier marche sur la même disposition ; et cette organisation l’assujettit à des dépenses qui absorbent une grande partie de ses bénéfices. Ainsi, son temps le plus précieux s’écoule sans qu’il puisse rien réaliser pour assurer son avenir. Là, vous verrez une famille nombreuse dont le chef s’exténue pour satisfaire à ses besoins les plus pressans ; là, enfin, vous verrez de pauvres vieillards, qui, après de longues années de travail, sont dans la triste obligation d’aller demander le pain de la commisération, et qui n’ont pour espoir que d’aller mourir sur le lit de l’hôpital : alors vous comprendrez sous quelle influence se trouvent les ouvriers ; vous vous rendrez compte si une pareille perspective n’est pas de nature à suggérer aux malheureux travailleurs la ferme résolution de tenter de s’y soustraire. Maintenant, que l’organe rauque de nos tyrans bourgeois, qui désirait que nous reçussions une vigoureuse leçon, dise tant qu’il voudra que les ouvriers sont des tracassiers, qu’il insinue perfidement que nos intentions sont de piller, de dévaster : notre calme, l’ordre que nous avons observé dans cette grave circonstance, donnent aux détracteurs du peuple un éclatant démenti, et prouve combien la civilisation a jeté chez nous de profondes racines ; que nous comprenons que le droit du plus fort est une tyrannie, que la force brutale est un mauvais argument pour montrer la justice des réclamations ; que nous sentons que, pour obtenir la jouissance de nos droits, il nous faut bien remplir nos devoirs, et ces devoirs nous les avons remplis ; car, quant à nous, l’ordre, la tranquillité ont constamment régné. L’autorité a tout fait pour exaspérer ou effrayer les esprits, et nous, nous avons tout fait pour les calmer. Les pages de l’histoire qui mentionnera ces faits ne seront pas, au grand regret de nos ennemis, rougies par du sang français versé par des mains françaises. D... , Mutuelliste.
Ou nous rapporte un fait que nous ne savons comment qualifier, s’il est exact. – Le 23, un chef d’atelier, M. Pipier, aurait été conduit par un commissaire de police près M. le procureur du roi, sous prétexte que ce magistrat désirait lui parler pour quelques renseignemens. Arrivés devant le palais de justice, ce commissaire lui aurait dit : Entrons ici (chez le concierge de la prison), nous devons y trouver M. le procureur du roi. – Mais à peine étaient-ils entrés que déjà, sur ces mots : C’est un prisonnier, la porte venait de se refermer sur lui. – Et il aurait encore passé les trois premiers jours de cette arrestation arbitraire et illégale, sans qu’il lui fût permis de voir qui que ce fût. Nous attendons sur ce fait de plus amples renseignemens.
Les honnêtes gens de 1815 et ceux de 1834.
[4.2]En 1815 les honnêtes gens étaient ceux qui appelaient brigands de la Loire les défenseurs de la patrie, ceux qui dénonçaient la retraite de Ney1 et qui le livraient à ses bourreaux, ceux qui tuaient, incendiaient dans le Midi et recevaient ensuite un baiser royal et des places pour prix de leurs forfaits ; ceux qui assassinaient par derrière Brune et Ramel2, ceux qui commettaient le fait suivant : « Lyadet était protestant et libéral : double crime. Une nuit, comme il dormait dans sa ferme, un jour artificiel et sinistre le réveilla ; la ferme flambait. Il réveilla sa jeune femme, catholique je crois, mais coupable, il faut être juste, de s’être alliée au suppôt de Satan, au fils de Calvin ; la charité n’est prescrite, à Rome, que pour les catholiques purs. Tous deux se précipitèrent à travers la fumée pour gagner une issue ; il n’y a plus d’issues. Partout des rires, des huées, du feu qu’on attisait à la pointe des baïonnettes et des décombres enflammés qui formaient une large pluie dans les chambres. Aux cris de Lyadet, aux cris de sa femme, un chant répondit du dehors. C’était la farandole, cette Marseillaise des verdets, où il n’est pas question de patrie, entonnée par 200 voix, sonores et fortes, comme pour intercepter toute communication entre la victime et Dieu ; Dieu n’entendit que les bourreaux. Au point du jour, les assassins et leur chef trestaillon dansaient en ronde et chantaient encore ; c’était inutile, la ferme, rasée par l’incendie, n’offrait plus qu’un monceau de gravois, de fer, de poutres et d’ossemens calcinés. » Voila les honnêtes gens de 1815. On fait courir le bruit qu’ils nous ont laissé de leur graine. Ecoutez encore : Il y a peu de jours qu’un négociant de Clermont s’écriait en pleine rue : « On ne conçoit pas que le gouvernement ne réunisse pas tous ces brigands de républicains et tous ces ouvriers lyonnais qui ne veulent que le désordre, pour les mitrailler en un seul jour. Quant à moi, je ne serai jamais plus heureux que le jour où je ferai le trestaillon contre tous ces anarchistes ! » Inutile de dire que c’était un héros du juste-milieu qui proférait ces exécrables paroles. On voit que les maximes de M. Persil sont loin de rester stériles : encore un pas, et nous aurons aussi nos honnêtes gens de 1834 ! L’article qu’on vient de lire, et que nous empruntons au Patriote du Puy-de-Dôme du 20 février 1834, en retraçant des actes d’une atroce barbarie dont nous devions croire notre époque enfin purgée, nous rappelle d’abord les mystérieux assassinats que naguère avec l’aube du jour révélèrent les pavés ensanglantés du pont d’arcole ; et puis la douleur et l’indignation s’emparent de nous lorsque, jetant les yeux sur la capitale, nous voyons surgir, armés de lourds bâtons, de nouveaux ASSOMMEURS, pressés de rivaliser avec l’épée assassine des sergens de ville, se ruer comme des brigands sur les citoyens, et en faire des cadavres avec lesquels ils paient la part du gâteau jeté à la gueule d’une police exécrable… Mais que se passe-t-il donc dans cette atmosphère qui nous est inconnue et que respirent nos gouvernans, pour que de semblables faits s’accomplissent, sinon avec leur adhésion, du moins sans aucune répression de leur part ? Quel génie infernal promène donc ainsi sur le beau sol de la patrie son lugubre drapeau, son sanglant anathème contre l’humanité ! – Oh ! Encore du sang répandu, toujours du sang, partout du sang !… La voix nous manque pour qualifier toutes ces trames odieuses et criminelles ; mais nos cœurs qui bondissent et de colère et d’indignation, appellent à grands cris le jour de la justice : ce jour, enfin, quand se lèvera-t-il donc ?… Un grand nombre de citoyens inoffensifs sont tombés sous les coups de ces infames scélérats, et nous livrons aux méditations de nos lecteurs la lettre suivante que [5.1]nous empruntons à la Tribune du 24, et qui ne saurait être sans poids dans l’opinion de tous : « Monsieur le rédacteur, « Lorsque des scènes d’horreur, pareilles à celles qui se passent aujourd’hui dans nos rues et sur nos places publiques sont données en spectacle à toute une population, c’est un devoir pour tout citoyen honnête homme de témoigner hautement son indignation de tant de forfaits. « Aujourd’hui, en plein jour, au milieu d’une de nos places les plus fréquentées, j’ai vu des hommes, qui n’ont d’homme que la forme, se ruer comme des bêtes féroces sur des citoyens calmes et sans défense, sur des enfans si jeunes que leur âge eût suffi pour écarter d’eux un soupçon du mal. « Je les ai vus les frapper de leurs bâtons avec une brutalité révoltante ; je les ai vus se précipiter sur un homme étendu à leurs pieds, l’outrager de nouveau sans pitié et le traîner par les cheveux dans un corps-de-garde, en lui faisant subir des traitements dont la vue ferait sortir de toute modération l’homme le plus froid et le plus indifférent. Non, il n’est pas de scélérat, si vil et si infame, qui n’eût droit à plus d’égards chez un peuple civilisé. « Et toutes ces horreurs, grand Dieu ! se passent en présence d’une autorité muette… Elle les approuve donc ?… Des officiers de la garde municipale eux-mêmes en sont indignés ; ils les déplorent, et lorsqu’on leur demande d’y mettre un terme en chassant ces assommeurs, ils répondent qu’ils n’ont pas d’ordre ; et ces malfaiteurs se retirent aussitôt au milieu des baïonnettes d’où ils bravent, comme d’un fort, les malédictions qui pleuvent sur leurs têtes. « Combien de temps encore serons-nous donc exposés à d’aussi révoltantes provocations ? – Combien de temps encore verrons-nous donc se renouveler à nos yeux des tableaux dont on ne trouve d’exemple dans les annales d’aucune nation ? – Où veut-on donc nous faire reculer en transformant ainsi nos places publiques en abattoirs d’hommes ? « J’en appelle au témoignage de tous les citoyens qui ont assisté à ce hideux spectacle, et qui, comme moi, étonnés de tant d’audace, ne savaient comment qualifier ces actes pour lesquels la langue française n’a point encore trouvé de nom. « En retraçant tant de forfaits, j’ai obéi à un devoir, mais à un pénible devoir ; car il est cruel d’avouer qu’ils se passent sous les yeux d’une nation qui, entre les nations, se flatte d’être de toutes la plus éclairée et la plus humaine. Les faits que j’ai rapportés sont exacts, et j’appelle à se prononcer comme juges tous les hommes de bonne foi, quelle que soit la nation, la religion ou le parti auxquels ils appartiennent. « Veuillez, etc. H. peut, « Propriétaire, électeur et éligible, rue de Louvois, n° 5. »
Nous remettons à dimanche prochain pour rendre compte des résultats de la souscription ouverte dans nos bureaux, au profit des ouvriers qui pourront demeurer sans travail, dans le cas où, comme nous l’avons dit, certains fabricans se refuseraient à payer raisonnablement les façons. En attendant, nous devons faire savoir à nos lecteurs que cet appel a eu tout le succès que nous espérions, et que les témoignages de sympathie ne nous ont pas manqué.
On nous écrit de Villefranche que, dans le monde commercial de cette ville, on fait courir le bruit qu’il y a désunion entre les Mutuellistes et les Ferrandiniers. – Nous ne sommes point étonnés que cette nouvelle, répandue dans un double but, celui de tromper la bonne foi publique et de provoquer cette désunion, par les ennemis de notre cause, ait trouvé au-dehors quelque crédit. – Mais nous tenons cette nouvelle pour fausse, et ceux qui l’ont ainsi colportée, comme imposteurs. – Que nos abonnés et nos amis veuillent donc être sans inquiétude sur ce sujet.
[5.2]Par suite des troubles de St-Etienne, et comme s’il s’agissait d’un vaste complot tendant au renversement de l’ordre de choses ! des perquisitions ont été faites chez tous les membres du comité de l’association des Droits de l’Homme ; le gérant du journal la Glaneuse, arrêté et mis au secret d’abord, mais aujourd’hui en liberté. – Nous n’avons rien appris qui nous mette dans le cas de penser que MM. de la police aient enfin découvert la trame de ce complot qu’ils voient depuis si long-temps partout et de leurs propres yeux sans pouvoir l’atteindre nulle part. Ce genre de comédie tant ressassé, et que nous avions cru usé, nous fait vraiment pitié. – Plusieurs journaux de Lyon parlent de l’arrestation de M. Poujol. Cette nouvelle est entièrement controuvée.
AU RÉDACTEUR, Nous livrons la lettre suivante à la publicité avec d’autant plus d’empressement que nous savons que la presse est la meilleure sauvegarde des citoyens attaqués dans ce qu’ils ont de plus précieux, l’honneur ! Et s’il est vrai, ce que nous nous plaisons à croire, que les faits imputés à M. lyonnet soient faux, nous ne saurions que blâmer les hommes qui, dans l’intention peut-être sincère de nous servir, nuisent à notre cause en ne respectant pas tous les citoyens sans distinction aucune, et alors même que leurs opinions et leurs paroles en feraient des ennemis de notre cause. Lyon, 24 février 1834. Monsieur, Victime du plus atroce mensonge, et voulant rétablir un fait qu’il m’importe, tant pour mes intérêts commerciaux que pour mon honneur, de rendre public, je vous prie de vouloir bien insérer la présente dans votre prochain N°. Samedi dernier, le sieur Laplace, cabaretier place St-Georges, accompagné, du sieur Jomet, épicier et marchand de vin rue St-Georges, se présentèrent tous deux seulement dans mon domicile comme quêteurs pour les ouvriers nécessiteux. Je dus être d’autant plus surpris de cette visite inattendue, faite au nom du Mutuellisme, que j’avais entendu dire, ce jour-là même, qu’un projet semblable avait été repoussé par l’association ; je répondis donc à ces deux messieurs que je ne donnais rien, absolument rien ; ils se retirèrent et bientôt je ne pensai plus à eux. Quelle fut ma surprise ou plutôt mon indignation, lorsque le lendemain dimanche, j’appris qu’un rapport avait été fait contre moi et répandu dans toutes les loges mutuellistes du quartier que j’habite ; dans ce rapport, on m’accuse d’avoir vilipendé trois Messieurs (deux seulement sont venus chez moi), et de leur avoir dit que je ne donnais rien pour cette canaille (parlant des ouvriers). Je déclare cette assertion fausse, et je donne un démenti formel aux infames imposteurs qui ont osé l’avancer ; je laisse aux lecteurs impartiaux, et surtout à ceux qui me connaissent, le soin d’apprécier la nature de cette inculpation, car, à moins d’être fou, il faudrait que je connusse bien peu mes intérêts pour insulter une classe d’ailleurs très respectable, qui me fait vivre, qui fait prospérer mon commerce, et à qui je dois tout ce que je possède. Dois-je me laisser ainsi calomnier sans me plaindre ? Verrai-je ma clientèle [6.1]fuir de ma maison sans pouvoir me justifier ? – La méchanceté de deux hommes intéressés à me nuire, l’un par état, et l’autre par malice, prévaudra-t-elle sur la vérité ? Non. Le machiavélisme dirigé contre moi sera dévoilé, mes calomniateurs reconnus et frappés du stigmate du mépris général ; car, j’en suis certain, Monsieur, vous me prêterez votre appui pour éclairer l’opinion publique sur ce fait. Agréez, etc. lyonnet, épicier, Montée des Epies, n° 2, à Lyon.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES,
(présidé par m. riboud.) Audience du 27 février 1834. Mme Baroud fait comparaître Sauvage, avec lequel elle s’était engagée pour son fils, qu’il travaillerait chez ce négociant pendant l’espace de deux ans, moyennant un appointement de 56 fr. par mois. A la fin de cet engagement, Mme Baroud réclame à Sauvage la somme de 20 fr. qu’il refuse de payer au fils Baroud, attendu qu’il prétend lui avoir fourni, pour solde de cette somme, un chapeau et un gilet. Baroud croyait avoir reçu ces objets à titre d’étrennes ; et, pour éviter toute discussion, il a signé audit Sauvage un reçu pour solde de tout compte. Le conseil, considérant que lesdits objets ont dû être donnés à titre d’étrennes, et vu la minorité du fils Baroud, a annulé le reçu et a condamné Sauvage à payer à Mme Baroud la somme de 20 fr. Lorsqu’un apprenti a perdu du temps pour attendre la guérison d’une blessure qu’il s’est faite en travaillant pour son maître, il ne devient pas passible de remplacer le temps perdu. Ainsi jugé entre Michel et Rivière. Guillot fait comparaître Poulet, chef d’atelier, pour lui réclamer une indemnité et le remboursement de la somme de 100 fr. qu’il avait reçue pour à-compte de 300 fr., prix convenu pour le paiement de l’apprentissage du fils Guillot, que Poulet, son maître, avait renvoyé de chez lui, attendu qu’il montrait de la mauvaise volonté et de la négligence : mais le conseil, considérant que les plaintes de Poulet n’étaient pas suffisamment constatées, a condamné le fils Guillot à rentrer chez son maître, et a délégué deux de ses membres pour veiller à sa conduite. Court, Blanchet et Chatigny, ayant été condamnés à une indemnité de 100 fr. envers un chef d’atelier qui avait trop attendu son dessin, font comparaître Molin, liseur, pour exercer leur recours contre lui, comme étant seul cause du retard. Molin, de son côté, vu sa profession de liseur, refuse de reconnaître la compétence du conseil ; mais ce dernier, après avoir délibéré, s’est déclaré compétent, le lisage étant une profession relative à la fabrique. Alors Molin s’est fait condamner à défaut.
Au Rédacteur. Lyon, le 25 février 1834. Monsieur, En parcourant les colonnes de votre intéressant journal, j’ai été plus d’une fois étonné d’y rencontrer trop souvent la discussion de [6.2]plus en plus animée de MM. Dazon et Noyer. Votre journal, qui a toujours été le digne écho du progrès social, l’écho de l’union et de la fraternité, ne doit pas devenir l’écho d’une polémique d’autant plus ennuyeuse, qu’elle est trop prolongée et qu’elle dégénère en insultes déplacées. Si ces messieurs veulent avoir la satisfaction de rendre leurs débats publics, je les engagerais à avoir recours aux affiches journalières, et ils ne raviront pas à votre journal des colonnes que vous savez occuper d’une manière plus digne de l’attention de vos abonnés. Agréez, etc. Hippolyte vial.
Nous réclamons l’indulgence de nos lecteurs pour la chanson ci-après. Son auteur la donne bien plus encore comme l’expression des besoins de l’ouvrier, et non comme poésie ; car, on le sait, le travailleur n’a guère le temps de cultiver ses facultés intellectuelles et son génie poétique. LES FERRANDINIERS. air : Cette chaumière-là vaut un palais. Partageons mieux nos deniers ; Ici bas, vaille qui vaille, C’est pour vivre qu’on travaille. Chantons, ferrandiniers ; Chantons, chantons, ferrandiniers ; Chantons, chantons, chantons, ferrandiniers. Camarades, qu’on se soutienne ; De nos droits, trop long-temps privés, Que le salaire se maintienne, Marchands, sur mon livre écrivez : Allons, plus de rancune, Entre maigres et gras ; Vous avez la fortune, Mais nous avons nos bras ! Partageons mieux nos deniers, etc. Si le matin avant l’aurore, La navette fait son chemin, Si minuit nous retrouve encore La lampe éclairée à la main, Compagnons de fatigue, Plus de stupidité, Opposons une digue A la cupidité. Partageons mieux nos deniers, etc. Quand le riche heureux se promène, Ah ! du moins nous, qui travaillons Il nous revient, pour notre peine, Plus que du pain et des haillons ! Oui, trop long-temps flétrie, Notre classe, un peu tard, Veut de son industrie Une meilleure part. Partageons mieux nos deniers, etc. Parcourant ma modeste route, Comme un intrigant qui devrait, Je ne puis faire banqueroute, Car un maître tient mon livret. Mais aux Mutuellistes Respect, fraternité, Puisqu’un jour sur leurs listes Mon nom sera porté. Partageons mieux nos deniers, etc. Que chaque ouvrier soit un frère Soulagé par nos prompts secours : Nous savons tous qu’à la misère L’argent vaut mieux que les discours. L’opulent abandonne Le pauvre qui mourra ; [7.1]Nous tous, que chacun donne L’obole qu’il pourra. Partageons mieux nos deniers, etc. Chantons quand le dimanche arrive, Le gousset plein, le cœur content ; Du Rhône abordons l’autre rive, Là-bas le plaisir nous attend. Allons, qu’on te promène ; Oublions en ce jour Les maux de la semaine, Dans le vin et l’amour. Partageons mieux nos deniers ; Ici-bas, vaille qu’il vaille, C’est pour vivre qu’on travaille, Chantons, ferrandiniers ; Chantons, chantons, ferrandiniers ; Chantons, chantons, chantons, ferrandiniers. J. laudera.
Variétés. gaspard hausser.
Les journaux se sont évertués en conjectures sur Gaspard Hausser, cet étrange personnage, qui fut un jour trouvé dans les rues de Nuremberg, ne sachant ni parler, ni marcher. Nous recevons à son sujet, d’un de nos correspondans, des détails particuliers, qui nous paraissent devoir vivement intéresser nos lecteurs. « Selon toute apparence, Gaspard Hausser était resté, jusqu’au moment de son apparition dans le monde, renfermé dans un cachot étroit, sombre, obligé de se tenir assis ou couché ; le pain et l’eau devaient avoir été sa seule nourriture. « Sa taille était petite, et par la faiblesse de ses habitudes physiques, sa pâleur, l’absence de la barbe, il pouvait être comparé à ces êtres dégénérés que nous désignons sous le nom d’albinos. La conformation de ses pieds indiquait que ces parties n’avaient jamais été enfermées dans une chaussure. « Gaspard Hausser était du reste complètement inhabile de ses pieds et de ses mains, et paraissait dans un état complet d’idiotisme. Le changement de nourriture, auquel il eut d’abord la plus grande peine à s’accoutumer, le peu d’exercice qu’on lui fit prendre, amenèrent un accroissement dans sa taille ; peu à peu il s’habitua à sa vie nouvelle, mais il conserva néanmoins toujours une très grande aversion pour les liqueurs fortes et les stimulans trop âcres. Le système nerveux était chez lui excessivement irritable. Dans les commencemens, un bruit un peu violent lui faisait éprouver de vives douleurs ; les odeurs, même les plus légères, l’incommodaient. « Quand il fut en état de réfléchir et de rendre ses réflexions, des seuls souvenirs, qu’il put rappeler, il expliqua qu’il avait toujours habité une très petite chambre, continuellement assis à terre, pieds nus, et n’ayant qu’une chemise et un pantalon pour tout vêtement ; il n’avait jamais vu le ciel, souvent il était privé de toute lumière. Quelquefois il éprouvait, après s’être désaltéré, un engourdissement qui devait sans doute provenir de l’administration de quelque narcotique ; il s’endormait péniblement, et quand il se réveillait, on avait changé ses vêtemens, ses ongles étaient taillés. Jamais il n’avait aperçu le visage de celui qui lui faisait parvenir la nourriture, jamais il n’avait entendu de voix humaine. [7.2]« Il ne pouvait du reste savoir combien de temps il avait ainsi vécu. « Un jour, un homme qu’il ne pouvait définir, était venu dans sa loge, par derrière lui, lui avait fait agiter ses pieds et ses mains ; cet homme avait ensuite chargé Hausser sur ses épaules, l’avait enfermé dans une voiture, et lui avait fait faire un long voyage, durant le cours duquel Hausser s’était plusieurs fois évanoui, puis Hausser s’était trouvé à Nuremberg. « Plusieurs personnes riches, et entr’autres le premier bourguemestre de Nuremberg, lord Stanhope, s’étaient déclarées ses protecteurs, et on lui avait fait donner une éducation appropriée à ses moyens. Au moment de sa mort, il demeurait à Anspach, où le président du tribunal d’appel lui avait donné un petit emploi au greffe. Une tentative d’assassinat avait été commise déjà contre ce malheureux jeune homme. Sans doute ses bourreaux craignaient de voir tôt on tard luire une étincelle qui eût pu jeter quelque jour sur leur crime ; ils voulaient en anéantir la preuve. « Le 17 décembre dernier, Hausser fut poignardé en plein jour, au Parc, où il avait eu l’imprudence d’accorder secrètement un rendez-vous à un étranger qui l’avait accosté. « Hausser, qui eut encore la force de rentrer chez lui après avoir été frappé, expira la nuit suivante ; ses dernières paroles ne purent donner des renseignemens sur le meurtrier ; elles prouvèrent seulement la froide barbarie de ce misérable, qui avait eu l’audace de laisser sur le lieu du crime le billet suivant écrit à rebours : « Hausser pourra vous raconter très exactement comment je suis fait, et d’où je viens. Pour en éviter la peine à Hausser, je veux dire moi-même d’où je viens. Je viens de la frontière bavaroise… sur la rivière de… Je vous dirai même encore le nom, M. E. O. » « La police cependant ne découvrit rien, n’éclaircit rien. « Maintenant je viens d’apprendre qu’en quittant Carlsruhe, l’assassin a laissé, par mégarde, la copie de la lettre écrite à rebours, qu’il avait laissée à Anspach, et qui a servi à mettre sur la voie. On prétend qu’on fait des recherches, mais probablement ce n’est qu’un leurre. Si j’en crois les bruits qui s’accréditent dans le pays, on craindrait trop de mettre à nu la turpitude des petites cours d’Allemagne, qui n’ont conservé du moyen-âge que le mauvais côté, ce mystérieux effrayant, à l’ombre duquel le crime peut développer toute sa puissance. « Une première version avait fait Hausser fils d’un officier français et d’une princesse de Bade, qui n’aurait pas trouvé de meilleur moyen de cacher son fruit que de l’anéantir vivant. « Mais, d’après les nouvelles rumeurs, Hausser serait le fils d’un grand-duc de…, et victime de son oncle, qui fut ensuite malheureux comme il méritait de l’être. Dans le dessein de parvenir à la possession du duché, le grand-duc qui précéda celui d’aujourd’hui aurait fait assassiner son frère et empoisonner son neveu ; il aurait fait soustraire, au moment de sa naissance, Hausser, frère puiné de ce dernier, en lui substituant une fille, qui née d’une paysanne, éprouverait un étrange déplaisir s’il lui fallait un jour renoncer à sa vie de princesse. « Débarrassé de concurrens, l’oncle de Hausser devint grand-duc, mais, comme par une punition céleste, il n’eut pas d’enfant. [8.1]« A sa mort, le lieutenant de ses crimes serait resté chargé de Hausser, dont la mère est aujourd’hui mariée en France.
Nouvelles diverses huit sous par jour pour la famille d’un travailleur ! Loin de nous la pensée d’exciter les pauvres contre les riches ! Mais nous ne cesserons jamais d’invoquer la justice et l’humanité sur le déplorable sort du peuple. Ceux qui dînent fort largement chaque jour, qui ont des loges à l’Opéra, des chevaux à l’écurie, une douzaine de pensions, parce qu’ils ont prêté serment de fidélité à une douzaine de gouvernemens différens, qu’ils ont tous trahi, ceux-là disent que tout est pour le mieux du monde dans ce meilleur des mondes. Voici un fait que nous empruntons au Courrier du Bas-Rhin, et qui prouve tout le contraire : « Les ouvriers de la manufacture de tabac, dit ce journal, recevaient 20, 22 ou 24 sous par jour ; c’était à peine assez pour vivre. Mais voici que d’après un nouvel arrangement qu’on a voulu leur imposer, leur salaire journalier se trouve réduit à 8 ou 10 sous. Il n’y a pas de terme assez énergique, assez sévère pour qualifier un fait semblable : car c’est tout simplement prendre à ces malheureux ouvriers la moitié du pain qu’ils gagnent péniblement et qui suffit à peine pour leur nourriture. » Ce n’est pas l’ouvrier salarié à 8 sous par jour, ce ne sont pas ses enfans, sa femme, qui manquent de pain, qui doivent trouver que tout est pour le mieux dans ce meilleur des mondes. (Populaire.) Mlle Adélaïde, sœur de Louis-Philippe1, qui se prétend propriétaire de la place publique de Randan, l’avait récemment fait entourer de barrières, afin qu’on ne pût s’y promener. Les habitans de Randan, se fondant sur des titres qui leur confèrent la jouissance perpétuelle de cette place, se sont réunis en grand nombre, ont enlevé les barrières et en ont fait un feu de joie. Décidément les bonnes traditions se perdent ; il n’y a plus rien à faire du peuple. (Idem.) Les paysans des environs de la saline de Gouhenans, dont nous avons rapporté dernièrement l’illégale et sauvage destruction, étaient dans l’habitude de venir prendre les crasses provenant des cuissons, et de racler les chemins empreints du sel provenant du coulage des chaudières ; ils avaient cru pouvoir continuer à enlever ces résidus sans valeur, et abandonnés par les propriétaires. Tout-à-coup, sur un ordre barbare, et qu’il ne lui a pas été permis de discuter, à raison de l’obéissance passive que les réglemens militaires lui imposent, la troupe cantonnée à Gouhenans a fait feu sur les malheureux paysans, dont, par un hasard miraculeux, aucun n’a été atteint par les balles. (Idem.)
Avis Administratif. MM. les fabricans qui se sont fait inscrire pour l’exposition publique des produits de l’industrie française, qui doit s’ouvrir à Paris le 1er mai 1834, sont invités à déposer immédiatement à la préfecture du Rhône, les objets qu’ils veulent présenter à cette exposition. Le jury formé par le préfet pour statuer sur l’admission à l’exposition publique des produits industriels qui seront déposés à la préfecture, se réunira et prendra ses décisions dans les vingt premiers jours du mois de mars prochain. Les objets admis seront expédiés à Paris, aux frais de l’Etat, dans les 10 jours suivans ; le terme est de rigueur, [8.2]car au 1er avril les objets destinés à l’exposition ne seraient plus reçus à Paris. Les personnes qui voudraient concourir à cette exposition et qui auraient négligé jusqu’à ce jour de requérir, à cet effet, inscription sur le registre ouvert à la préfecture du Rhône, 2e division, sont invités à accomplir de suite cette formalité et à envoyer, sans retard, les objets qu’elles désireraient exposer. Le jury d’admission est composé de MM. Brollemann (Frédéric), Dépouilly (Charles), Buret, Grand aîné et Tabareau.
Avis. Dans la nuit du 17 au 18 février, présent mois, un individu est mort subitement à la Guillotière, dans une maison où il n’était connu que sous le nom de Victor. Signalement : âgé d’environ 35 ans, taille d’un mètre 76 à 79 centimètres (5 pieds 5 à 6 pouces), cheveux châtain foncé, yeux gris clair, nez bien fait, bouche moyenne, menton rond, visage ovale. Vêtemens : Habit bleu avec boutons en cuivre façonnés, pantalon gris foncé en ratine, gilet en poil de chèvre noir, un gilet de dessous en tricot de coton, bordé en mérinos rouge, cravate noire, mauvaises bretelles en coutil, des bottes, et un chapeau rond, portant l’étiquette du chapelier Millon, rue Sirène, à Lyon. Il a été trouvé dans les poches un mouchoir en coton quadrillé rouge et blanc, un couteau à manche noir et à tire-bouchon, ayant la marque de Cusin aîné 1833, une paire de gants en coton gris, et une filoche aussi en coton gris, avec deux anneaux en acier. Les personnes qui pourront donner des renseignemens sur cet individu, sont priées de les adresser à la préfecture du Rhône, division de la police.
AVIS DIVERS.
[320) A VENDRE, une banque de 50 tavelles pour grège ; un doublage ou trancanage de 50 à 100 broches ; 2 métiers mécaniques à rotation en fer. S’adresser à M. Ardin, vis-à-vis le pont de la Gare, à Vaise. (319) Un jeune homme de quinze ans environ, désire se placer comme apprenti dans une fabrique de velours. S’adresser, pour les renseignemens, à Mme Enjalbert, lisseuse, quai des Cordeliers, n° 57, 2e montée, au 3me étage. (318) A LOUER, appartement de 6 ou 9 pièces, si l’on veut, dont un hangar de 60 pieds de longueur sur 20 de largeur, propre à un établissement de soierie. S’adresser sur les lieux, à M. Matrat, propriétaire, route de Vienne, n° 4, en face le fort de La Mothe, à la Guillotière. (317) A VENDRE une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau. Chansons par le citoyen kauffmann. Les 2me et 3me livraisons viennent de paraître ; prix 50 c. chaque. En vente au bureau du journal.1 THEORIE SOCIETAIRE De Charles Fourier. Les deux dernières leçons de M. berbrugger, sur la théorie sociétaire de Ch. fourier, sont mises en vente chez M. Babeuf, libraire rue St-Dominique, n° 2. – Les 4 livraisons forment 103 pages in-8°. Chaque livraison se vend 50 c.
Notes (L’association des Mutuellistes a reçu, par...)
. Charles Dupin va publier ce texte en brochure, Aux chefs d’ateliers composant l’association des mutuellistes lyonnais. Elle paraît à Lyon chez l’imprimeur J.-M. Boursy peu après la grève de février. Dans cette brochure, celui qui signe le professeur des ouvriers explique aux chefs d’ateliers qu’ils ont commis une erreur de calcul politique en s’alliant, dans le cadre des associations secrètes, avec le « pauvre ouvrier canut, ne sachant ni lire ni écrire, n’ayant jamais fait usage de ses facultés intellectuelles que pour pousser avec égalité sa navette de gauche à droite et de droite à gauche », et, surtout, avec le républicain. Les républicains, manipulateurs et niveleurs, complotent à la disparition d’une industrie de luxe telle que celle de la soie. Surtout, ils ne peuvent tolérer le moindre écart de niveau social. Or, sitôt éliminés les négociants, véritable aristocratie de la Fabrique, ces républicains n’auront de cesse d’éliminer les chefs d’ateliers qu’ils assimileront alors, selon Dupin, à « l’infâme juste-milieu de la fabrication ». Ainsi le mouvement enclenché par les chefs d’ateliers mutuellistes se retournera contre eux : « Eh bien ! juste-milieu lyonnais, vous périrez sous la logique de la spoliation si vous ne respectez pas les droits, la propriété, l’industrie de la classe des fabricants capitalistes contre lesquels vous vous coalisez » (p. 2 et 6-7).
Notes ( Les honnêtes gens de 1815 et ceux de 1834.)
. Il s’agit du maréchal d’Empire Michel Ney (1769-1815), jugé puis condamné par la Chambre des pairs et fusillé en décembre 1815. . Maréchal et général d’Empire, Guillaume Brune (1763-1815) et Jean-Pierre Ramel (1768-1815) furent exécutés à Avignon et à Toulouse par les bandes royalistes durant la Terreur blanche de l’été 1815.
Notes ( Nouvelles diverses huit sous par jour pour...)
. Mention ici d’Adélaïde d’Orléans (1777-1847), sœur cadette de Louis-Philippe 1er.
Notes ( AVIS DIVERS.)
. A. Sébastien Kauffmann (1800-1868), Chansons de Kauffmann, publié en 1834 à Lyon chez l’imprimeur Léon Boitel.
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