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2 mars 1834 - Numéro 61
 
 

 



 
 
    
 Variétés.
gaspard hausser.

Les journaux se sont évertués en conjectures sur Gaspard Hausser, cet étrange personnage, qui fut un jour trouvé dans les rues de Nuremberg, ne sachant ni parler, ni marcher. Nous recevons à son sujet, d’un de nos correspondans, des détails particuliers, qui nous paraissent devoir vivement intéresser nos lecteurs.

« Selon toute apparence, Gaspard Hausser était resté, jusqu’au moment de son apparition dans le monde, renfermé dans un cachot étroit, sombre, obligé de se tenir assis ou couché ; le pain et l’eau devaient avoir été sa seule nourriture.

« Sa taille était petite, et par la faiblesse de ses habitudes physiques, sa pâleur, l’absence de la barbe, il pouvait être comparé à ces êtres dégénérés que nous désignons sous le nom d’albinos. La conformation de ses pieds indiquait que ces parties n’avaient jamais été enfermées dans une chaussure.

« Gaspard Hausser était du reste complètement inhabile de ses pieds et de ses mains, et paraissait dans un état complet d’idiotisme. Le changement de nourriture, auquel il eut d’abord la plus grande peine à s’accoutumer, le peu d’exercice qu’on lui fit prendre, amenèrent un accroissement dans sa taille ; peu à peu il s’habitua à sa vie nouvelle, mais il conserva néanmoins toujours une très grande aversion pour les liqueurs fortes et les stimulans trop âcres. Le système nerveux était chez lui excessivement irritable. Dans les commencemens, un bruit un peu violent lui faisait éprouver de vives douleurs ; les odeurs, même les plus légères, l’incommodaient.

« Quand il fut en état de réfléchir et de rendre ses réflexions, des seuls souvenirs, qu’il put rappeler, il expliqua qu’il avait toujours habité une très petite chambre, continuellement assis à terre, pieds nus, et n’ayant qu’une chemise et un pantalon pour tout vêtement ; il n’avait jamais vu le ciel, souvent il était privé de toute lumière. Quelquefois il éprouvait, après s’être désaltéré, un engourdissement qui devait sans doute provenir de l’administration de quelque narcotique ; il s’endormait péniblement, et quand il se réveillait, on avait changé ses vêtemens, ses ongles étaient taillés. Jamais il n’avait aperçu le visage de celui qui lui faisait parvenir la nourriture, jamais il n’avait entendu de voix humaine.

[7.2]« Il ne pouvait du reste savoir combien de temps il avait ainsi vécu.

« Un jour, un homme qu’il ne pouvait définir, était venu dans sa loge, par derrière lui, lui avait fait agiter ses pieds et ses mains ; cet homme avait ensuite chargé Hausser sur ses épaules, l’avait enfermé dans une voiture, et lui avait fait faire un long voyage, durant le cours duquel Hausser s’était plusieurs fois évanoui, puis Hausser s’était trouvé à Nuremberg.

« Plusieurs personnes riches, et entr’autres le premier bourguemestre de Nuremberg, lord Stanhope, s’étaient déclarées ses protecteurs, et on lui avait fait donner une éducation appropriée à ses moyens. Au moment de sa mort, il demeurait à Anspach, où le président du tribunal d’appel lui avait donné un petit emploi au greffe. Une tentative d’assassinat avait été commise déjà contre ce malheureux jeune homme. Sans doute ses bourreaux craignaient de voir tôt on tard luire une étincelle qui eût pu jeter quelque jour sur leur crime ; ils voulaient en anéantir la preuve.

« Le 17 décembre dernier, Hausser fut poignardé en plein jour, au Parc, où il avait eu l’imprudence d’accorder secrètement un rendez-vous à un étranger qui l’avait accosté.

« Hausser, qui eut encore la force de rentrer chez lui après avoir été frappé, expira la nuit suivante ; ses dernières paroles ne purent donner des renseignemens sur le meurtrier ; elles prouvèrent seulement la froide barbarie de ce misérable, qui avait eu l’audace de laisser sur le lieu du crime le billet suivant écrit à rebours : « Hausser pourra vous raconter très exactement comment je suis fait, et d’où je viens. Pour en éviter la peine à Hausser, je veux dire moi-même d’où je viens. Je viens de la frontière bavaroise… sur la rivière de… Je vous dirai même encore le nom, M. E. O. »

« La police cependant ne découvrit rien, n’éclaircit rien.

« Maintenant je viens d’apprendre qu’en quittant Carlsruhe, l’assassin a laissé, par mégarde, la copie de la lettre écrite à rebours, qu’il avait laissée à Anspach, et qui a servi à mettre sur la voie. On prétend qu’on fait des recherches, mais probablement ce n’est qu’un leurre. Si j’en crois les bruits qui s’accréditent dans le pays, on craindrait trop de mettre à nu la turpitude des petites cours d’Allemagne, qui n’ont conservé du moyen-âge que le mauvais côté, ce mystérieux effrayant, à l’ombre duquel le crime peut développer toute sa puissance.

« Une première version avait fait Hausser fils d’un officier français et d’une princesse de Bade, qui n’aurait pas trouvé de meilleur moyen de cacher son fruit que de l’anéantir vivant.

« Mais, d’après les nouvelles rumeurs, Hausser serait le fils d’un grand-duc de…, et victime de son oncle, qui fut ensuite malheureux comme il méritait de l’être. Dans le dessein de parvenir à la possession du duché, le grand-duc qui précéda celui d’aujourd’hui aurait fait assassiner son frère et empoisonner son neveu ; il aurait fait soustraire, au moment de sa naissance, Hausser, frère puiné de ce dernier, en lui substituant une fille, qui née d’une paysanne, éprouverait un étrange déplaisir s’il lui fallait un jour renoncer à sa vie de princesse.

« Débarrassé de concurrens, l’oncle de Hausser devint grand-duc, mais, comme par une punition céleste, il n’eut pas d’enfant.

[8.1]« A sa mort, le lieutenant de ses crimes serait resté chargé de Hausser, dont la mère est aujourd’hui mariée en France.

 

 

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