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[1.1]Une souscription est ouverte au bureau de l'Echo de la Fabrique en faveur des blessés, des veuves et des orphelins des trois journées de novembre. Nous en appelons à toutes les ames généreuses, à ces cœurs philantropes qui ont secouru l'infortune jusques sur des rives étrangères et dont l'humanité ne manquera pas de venir au secours de leurs concitoyens malheureux.
LYON. L’AVENIR DES OUVRIERS DE LYON 1.
Nous ne sommes point de ces visionnaires, ne rêvant que sinistres et ne voyant qu'un avenir de misère et de dissolution pour la société. Nos craintes ne cherchent point à pénétrer les secrets des destinées ; nous n'entrevoyons à travers les phases des temps qu'un avenir heureux ; car nous savons que les bons cœurs, les ames généreuses abondent sur la terre qui nous a vu naître, dans cette France tant jalousée par les puissances de l'univers. Dans un pays où l'homme est éminemment vertueux, l'intérêt, ou pour mieux dire, l'erreur peut amener une collision, un combat sanglant peut s'en suivre, et de ce choc violent peut surgir une source de bonheur pour l'avenir, parce que, dans ces jours de désastres, les hommes sont jugés d'après leurs œuvres et tous apprennent à se connaître. C'est ainsi que les ouvriers de Lyon, dégagés de cette prévention qu'avaient fait planer sur eux quelques êtres dégradés, étrangers à leur ville et à leur industrie, voient leur cause se raffermir [1.2]de plus en plus, et par-là renaître leur espérance : nous disons leur espérance parce que cet état de misère où ils sont tombés ne peut durer, parce que l'homme, à quelque classe qu'il appartienne, ne naît, non point pour languir éternellement dans un état de souffrance, mais pour avoir part aux biens que dispense sur cette terre le grand être qui nous régit. Les ouvriers de Lyon ont donné un gage assez éclatant de leur désintéressement et de leurs vertus, pour pouvoir attendre tout de l'avenir ; et d'ailleurs, quel est celui, d'entre ceux qui les ont trop long-temps méconnus, qui leur refuserait aujourd'hui la part d'estime qu'on doit à l'honnête homme, au vertueux ? citoyen quel est celui qui, se rappelant leur conduite pendant des jours de malheurs, ne dira pas : Nous nous sommes trompés sur ces hommes dignes d'un meilleur sort : notre mission doit changer ; de tyrannique qu'elle était, elle doit devenir toute d'humanité. Nous ne faisons point l'injure aux commerçans de penser qu'ils traiteront toujours les ouvriers comme des êtres inférieurs dont ils sont les chefs naturels. Les hommes qui ont pris une part si active à la révolution de juillet, qui ont aidé à affranchir leur patrie, ne voudraient point regarder leurs concitoyens, leurs frères, comme des ilotes ; ils se défieront de ces écrivains insensés qui veulent partager les enfans de cette France que nous aimons tous, en deux camps ennemis sous les noms de riches et de prolétaires. L'avenir se dessine devant nous ; nous le contemplons avec joie ; car nous y voyons le bonheur de nos frères, de nos amis. Oui ; le commerçant, qui jusqu'à ce jour [2.1]n'a point oublié que l'ouvrier est un homme comme lui, se fera gloire de penser toujours de même, et ceux qui, par fierté ou par susceptibilité de caractère, le regardent encore avec un orgueilleux dédain, reviendront de leur erreur et avoueront que la classe qu'ils ont long-temps méprisée est digne de leur respect et mérite qu'on améliore son sort. Les jours d'une complète réconciliation ne sont point éloignés ; chacun se connaît, chacun sait apprécier les vertus privées de l'homme avec lequel il est en contact : et nous concluons de là qu'un heureux avenir se prépare pour tous ; que Lyon va reprendre sa splendeur, et qu'enfin des jours de prospérité vont succéder à des jours de misère. Si nous en croyons les cœurs généreux de ces ouvriers dont nous sommes les organes, nous ne formerons bientôt qu'un seul faisceau contre lequel viendront se briser toutes les intrigues des ennemis de la patrie, du trône constitutionnel et de la liberté. En terminant, nous croyons de notre devoir de prévenir les ouvriers contre des manœuvres perfides. Quelques hommes s'agitent dans l'ombre, et, sous les dehors de l'humanité, cherchent à semer les divisions. Ils semblent compatir à la misère du pauvre ; mais ils ont un autre but. Que les ouvriers se rappellent que ce sont ces mêmes individus qui, en 1815 et 1817, plongèrent leurs pères dans les cachots, et firent promener le fatal tombereau dans nos campagnes ! Qu'ils réfléchissent sur les actes passés de ces prétendus hommes compatissans, et leur patriotisme en fera justice. Nous pensons que les ouvriers nous sauront gré de cet avertissement ; car ils savent que nous serons toujours leurs amis, leurs frères, et que nous les défendrons avec courage, tant qu'il nous restera un souffle de vie.
... Héraclite pleure et soupire En contemplant cet univers ; Démocrite ne fait que rire, Il voit la médaille à l’envers… François de Neuchateau. Eh bien ! oui1 ; rire par le temps qui court, il faudrait avoir, comme on dit, l’ame vendue, disait un chef d'atelier en sortant de son magasin à un ancien ami qui, plus heureux que lui, avait encore une pièce. Peut-on être gai, je vous le demande, quand on vient de vous dire d'une voix douce comme celle du guichetier de Roanne : Il n’y a plus d’ouvrage… vous avez fait de si beaux chefs-d’œuvre !… allez vous-en… Sans doute, reprit l'ami qui avait encore un pièce, notre position n'est pas du tout plaisante, et nous ne sommes point sur des lits de roses ; mais pourtant je crois que nous pouvons, dans notre misère, nous égayer de la sottise des uns, de la faiblesse des autres et de la manie de beaucoup. Par exemple, ne peut-on pas rire de ce pauvre M. G… qui veut que ses ouvriers renoncent à toucher l’Echo de la Fabrique, même du bout du doigt, ou paf ! plus d'ouvrage ?… Voilà certes de quoi se dérider le front au moins pendant cinq minutes ; et de cet autre M. G... qui publie partout qu'il paye au-dessus de défunt le tarif et qui, si on lui en fait compliment, répond que ce n'est pas vrai, qu'on l'insulte ou qu'on provoque à la haine. Ne riez-vous pas, je vous le demande, de ces hommes de la peur qui insultent, sans le vouloir, à la classe ouvrière, en arrêtant la marche de leur commerce par la crainte de l’émeute, comme s’ils n'avaient pas eu de [2.2]fortes preuves de la probité de cette classe ? A ceux-ci on ne doit qu'un rire de pitié pour leur peu de discernement. Peut-on réellement garder un ton sérieux en lisant une feuille de la république, de l'empire, et de la restauration, le Journal des Débats enfin, qui dit que les ouvriers, les prolétaires sont plus à craindre que les barbares des steppes de la Tartarie ? Le plus petit ouvrier en soie va se regarder de pied en cap, va mettre la main sur son cœur, et ne trouvant rien en lui de barbare, partira par un éclat de rire. Qui est celui qui ne rira pas en lisant les discussions d'une assemblée de fortes têtes, où l’on se dispute pendant trois jours sur le sens grammatical d'un mot, et où l’on n'a pu encore prendre deux ou trois heures pour discuter si dorénavant le peuple mangera du pain ou non ?… Peut-on enfin, sans pouffer à en mourir, lire l'éloquent discours du philantrope M. Fulchiron qui, sortant de s'arrondir à l'office ministériel, prétend qu'un ouvrier peut bien vivre en gagnant de 28 à 32 sous ?… Quand on entend un homme frais et vermeil, possédant une centaine de mille francs de revenus, parler ainsi du pauvre, ne doit-on pas rire, rire, et beaucoup rire, fusse même avec un peu de malice ?… Vous voyez, dit en terminant, l'homme qui avait encore une pièce, que nous pouvons nous venger du mépris et des sottises des grands, en riant de leur orgueil, de leurs faiblesses et de leurs injustices, et je crois que le meilleur moyen de s'en faire respecter, est de ne point aller pleurer auprès d'eux...
RÊVERIES.
Si j’étais négociant, oh ! qu'ils seraient heureux les ouvriers qui m'approcheraient ! Si j'étais négociant, mon magasin serait le paradis terrestre, et ma banque serait le Pactole. Si j’étais négociant, je n'aurais point une cage, où l'ouvrier humilié est enfermé comme un Ourang-Outang, et ne regarde son maître qu'à travers des barreaux. Je ne voudrais point le laisser debout des heures entières ; un banc bien rembourré serait autour de mon magasin, et là, il attendrait avec patience que mon commis ait fini de fredonner l'air de l'opéra à la mode et lui ait pesé sa trame. Si j'étais négociant, je ne voudrais point d'un commis qui prétendrait gagner ses appointemens à la balance ; et je voudrais que mes ouvriers s'achetassent avec leurs déchets une bonne veste bien fourrée pour l'hiver. Si j'étais négociant, je me regarderais comme le père de mes ouvriers, et comme un père veut que ses enfans vivent, je ne chercherais point à diminuer les façons pour qu'ils aient, au moins, toujours abondamment du pain. Si j'étais négociant, je serais sans orgueil et sans fierté, et au lieu de dire que mes ouvriers se créent des besoins factices, je voudrais quelquefois les mener au café, et leur payer la petite tasse, afin de leur faire oublier un moment leurs peines et leurs travaux. Oh ! combien cela ferait éprouver de plaisir à ces pauvres diables ! Si j'étais négociant, je voudrais que mes ouvriers entrassent dans mon magasin le sourire sur les lèvres et qu'ils me tendissent la main en signe d'amitié. Je voudrais que si un de mes commis avait la hardiesse de les brutaliser, ils y répondissent par un geste significatif et [3.1]touchant, afin de lui ôter l'envie d'y retourner ; car les ouvriers sont aussi de chair et d'os. Si j'étais négociant, au lieu de prêcher l'économie à la classe ouvrière qui n'a certes pas besoin de sermon, je commencerais par être économe moi-même ; et dans les temps mauvais je distribuerais le fruit de mes épargnes faites sur le luxe ou les besoins factices, et je dirais à mes ouvriers : Tandis que moi je puis avoir une bonne table, tenez, voilà au moins de quoi avoir du pain... Si j'étais négociant, tandis que d'autres sont montrés au doigt comme les sangsues du pauvre, je voudrais que mes ouvriers me signalassent dans les rues et sur les places publiques comme leur bienfaiteur. Et moi d'en être fier comme un paon, et de faire tout pour mériter leurs bénédictions. Si j'étais négociant !... Si j'étais négociant !... hélas ! je ne serais pas un ouvrier !… et bien des gens s'en trouveraient mieux.
DU CONSEIL DES PRUD'HOMMES 1.
Une nouvelle organisation sur des bases plus larges se fait sentir chaque jour de plus en plus. Car, qu'est-ce que le conseil des prud'hommes, tel qu'il est aujourd'hui ? Avec la charte de 1830, son organisation est une monstruosité. Nous disons une monstruosité, puisque la loi appelle à l'élection de son chef tout garde national, puisque les magistrats communaux sont nommés par des milliers de citoyens, et que les bases électorales pour la chambre des représentans ont été élargies. Les industriels ne peuvent être privés des bienfaits de la nouvelle constitution, et les bases électorales du conseil des prud'hommes doivent avoir leur part. A Dieu ne plaise que nous voulions déverser le blâme sur les membres actuels qui le composent ; ils ont fait preuve, dans les dernières séances, d'un amour vrai de la justice, et M. Guérin-Philippon2 a mérité aussi le titre de père des ouvriers ; mais c'est par cela seul que leur conduite a été généreuse que nous demandons une nouvelle organisation ; car les prud'hommes étant peu nombreux, trop de responsabilité pèse sur trop peu de personnes, et Dieu sait à combien de sarcasmes et de colibets ils ont été en butte de la part des condamnés. Les ouvriers sont-ils représentés avec l'organisation actuelle ? c'est ce que nous allons examiner : on appelle à l'élection tous ceux qui sont patentés, c'est-à-dire un sur deux cents ; ainsi sur dix mille chefs d'ateliers, fabricans d'étoffes de soie, cinquante sont électeurs, et c'est beaucoup dire, tandis que les négocians peuvent voter en masse ; voilà la classe la plus nombreuse représentée dans ses intérêts par 50 individus, tandis que la plus petite voit dans 800 membres dont elle se compose 800 électeurs. Les autres branches d'industrie qui concourent à la formation du conseil ne sont pas mieux partagées. Les fabriques de chapellerie et de tulle ont aussi à se plaindre du vice de l'élection. Pour venir à l'appui de ce que nous avançons, nous allons citer un fait qui plaidera mieux que nous ne pourrions le faire en faveur des ouvriers. On a vu, et nous pourrions citer les noms, un prud'homme négociant, fabricant de tulle, appelé à prononcer sur un genre de fraude qui a été la perte de cette branche de commerce, traduit lui-même à la barre du conseil, et quitter sa place de prud'homme pour venir se placer sur la sellette, déclaré enfin coupable de contravention et condamné à payer 80 fr. à son ouvrier, amende fixée par le conseil. On a vu, dans la même partie, un prud'homme, [3.2]chef d'atelier, favoriser lui-même la fraude au détriment de ses ouvriers. Voilà le fruit de l'organisation actuelle. Tant que tous les chefs d'ateliers ne prendront point part à l’élection du conseil, nous dirons que les ouvriers ne seront point représentés, et nous ajouterons qu'il y aura chaos dans toutes les parties du commerce et décadence dans nos manufactures ; car nous sommes persuadés que la prospérité de nos fabriques d'étoffes de soie dépend, en grande partie, d'une nouvelle organisation du conseil des prud'hommes sur des bases plus larges et plus solides. Y. T***
Nos lecteurs auront peine à croire le fait que nous allons rapporter : Un sieur G**** a menacé ses ouvriers de ne plus leur donner d'ouvrage si, seulement, ils touchaient le journal l’Echo de la Fabrique. Qu'on juge par-là jusqu'où peut aller la haine d'un grand négociant doué d'un petit cerveau, d'où il ne sort que des petitesses. Nous aurions pu signaler le sieur G**** et le livrer à la risée de nos concitoyens, mais les écrivains de l’Echo, journal que le sieur G**** et consorts trouvent incendiaire, sont plus tolérans qu'eux, et pensent que ce n'est que par de tels actes qu'on provoque à la haine, et qu'on mérite d'être regardé comme ennemis de l'ordre public.
Damis est beau1, Cléon est laid. Cependant ils sont égaux et jouissent des mêmes droits. Crassus est riche, Irus est pauvre. D'où vient ? fait-on une différence entr'eux ? naître pauvre ou laid, n'est-ce pas un accident de la nature identique ? Comme naître beau ou riche en est un autre. Si l'homme pouvait influer sur sa naissance, il ne demanderait pas à naître laid, il voudrait être beau. Il ne demanderait pas à naître pauvre, il voudrait être riche. C'est donc une grande injustice que de lui reprocher ce qu'il n'a pas dépendu de lui d'éviter, et si on ne le fait pas dans un cas (la laideur), pourquoi le faire dans l'autre ? Soyons plus conséquens. La laideur est à la pauvreté ce que la beauté est à la richesse. Ainsi beaux ou laids, riches ou pauvres, tous les hommes sont égaux. Marius Ch…
Nous avons fait1, dans un de nos précédens Numéros, le détail de ce que gagnaient un chef d'atelier et un ouvrier, en tissant l'étoffe unie ; maintenant, pour ne point laisser de doute à M. Fulchiron, ainsi qu'à ceux qu'il aurait induits en erreur par son discours à la chambre des députés, en disant que l'ouvrier est plus heureux aujourd'hui que dans le temps de l'empire, nous allons comparer les prix de cette époque avec ceux que paient maintenant les honnêtes négocians. Le gros de Naples se payait, il y a 20 ans, de 90 c. à 1 fr. 20 c. l’aune, suivant les qualités ; aujourd'hui de 45 à 60 c. La lévantine, étoffe dont les fabriques étaient très-multipliées à cette époque, s'est payée jusqu'à 1 fr. 30 c. ; aujourd'hui 60 à 70 c. Les satins, 60 à 80 portées, de 90 c. à 1 fr. 10 c. ; aujourd'hui 40 à 50 c. Les reps ont commencé à être payés 2 fr. 50 c. ; aujourd'hui de 80 c. à 1 fr. Les draps de soie, armures, etc., qui se payaient de 1 fr. 40 c. à 2 fr., ne se paient plus que de 80 c. à 1 fr., et, il y a dix ans, que ces étoffes se payaient encore à ces mêmes prix. C'est donc depuis dix ans que l'ouvrier a vu continuellement diminuer ses façons ; cette diminution se faisait [4.1]de 5, 10, 15 c. par année ; elles sont maintenant, comme nous venons de le comparer, à moitié prix de ce qu’elles étaient à cette époque. Maintenant comparons l’effrayante diminution qui s’est opérée depuis ce temps sur les étoffes façonnées. Les robes, fond de gros de Naples et autres, vulgairement appelées courant, articles dont la fabrication a été la plus active et qui a presque toujours servi de régulateur pour la hausse et la baisse des prix, se payaient encore, il y a 10 ans, 1 f. 75 c., et se paient maintenant 60 à 75 c. ; il est à remarquer qu'aujourd'hui cette étoffe est plus compliquée et plus difficile à tisser qu'elle n'était à l’époque où elle était payée au plus haut prix. Il y a trois ans que cette étoffe se payait encore 1 fr. l'aune, et c’est ce prix que les ouvriers réclamaient par le tarif, en demandant 20 c. par mille coups, ce qui en portait l'aune de 90 c. à 1 fr., suivant le nombre de coups ; prix auxquels les honnêtes négocians conviennent que cet article devrait être fixé, et avec lequel, en travaillant dix-huit heures par jour, l’ouvrier et le chef d'atelier peuvent à peine vivre, et, par conséquent, ne peuvent rien réaliser pour les temps de manque d'ouvrage ; ce qui arrive malheureusement trop souvent au tisseur de façonné, article qui ne se fabrique que par commission. Ainsi, un bon ouvrier peut tisser, terme moyen, trois aunes et demie par jour, à 70 c. l'aune ; un compagnon gagne donc 1 fr. 25 c. ; ce qui, déduction faite des dimanches et du temps perdu entre les fins et commencemens des pièces, etc., ne laisse tout au plus que 280 jours de travail, qui produisent un total de 350 fr. par an, environ 1 fr. par jour. Si l’étoffe était payée 1 fr. l'aune, prix réclamé par l'ouvrier, il aurait gagné 1 fr. 35 c. La position du chef d'atelier est encore la plus à plaindre, par la raison que nous avons citée plus haut, que cet article ne se fabrique que par commission, et que ses métiers ne sont par conséquent pas toujours occupés, à cause du fréquent changement d'articles ou du manque de commission. Un chef d'atelier de cinq à six métiers se trouverait bienheureux s’il en pouvait faire mouvoir continuellement trois. Il faut remarquer aussi que les dépenses, soit pour achat de mécaniques, soit pour montage de métiers, etc. sont au double et quelquefois au triple de celles des métiers d’unis, ce qui, au résumé, ne donne de bénéfice au chef d'atelier, toute déduction faite de ses frais sur trois métiers, dont il en occupe un, et son travail compris, à raison de 70 c. l'aune, que de 600 à 650 fr. par an, pour payer son loyer, et vivre lui et sa famille. Mais l’on sera encore plus étonné de l’énorme différence du prix de façon de quelques articles de goût, les luvévines, les velours-gaze qui se sont payés de 3 à 4 fr. l’aune ; les derniers articles de ce genre qui se sont fabriqués, n’ont été payés que 1 fr. 25 c. Les articles gazes, damassés, marabouts qui se sont payés de 1 fr. 20 c. jusqu'à 1 fr. 40 c., ne se paient plus aujourd’hui que 30 c. à 60 c. Dans les grands articles, il est des shals qui se sont payés jusqu'à 60 fr., maintenant plus compliqués, perfectionnés et mieux fabriqués, ne se paient que de 15 à 20 fr. Ainsi, comme tout a subi la même diminution, il est un grand nombre de chefs d'ateliers qui ont dépensé de 8 à 10,000 fr. pour monter leurs fabriques, et qui ne trouveraient pas à les revendre plus de 1,000 fr. Ce sont eux pourtant qui, se consumant dans le travail, ont amélioré, perfectionné leur industrie, et maintenant [4.2]accablés de dettes et de misères, on leur ôte tout, même l’espoir de sortir d'un pareil état. Non, ces hommes qui savent que leur travail est recherché, estimé du monde entier, ne peuvent croire que la misère et le désespoir soient la récompense de leurs pénibles travaux et de la réputation universelle dont ils ont doté la ville de Lyon, leur patrie !... Ils espèrent encore que leurs administrateurs voudront bien voir la profondeur du mal, leur devoir est d'en éclairer les ministres et la chambre des députés, afin d’épargner des erreurs telles que celles de l'honorable M. Fulchiron, qui prétend que les ouvriers gagnent trop, quand les trois-quarts sont en état de banqueroute et meurent de désespoir et de besoin.
AU RÉDACTEUR
Lyon, le 13 janvier 1832. Monsieur, J'ai lu avec plaisir dans votre dernier numéro la réponse de M. B. à ma lettre contenue dans votre numéro du 25 décembre : cette circonstance me permettra de donner plus de force à l'accusation que j'ai portée sur sa conduite envers les ouvriers, et ce n'est ni ses menaces, ni ses injures, qui m'intimideront. Je parlerai et confondrai sans peine celui qui pense s’excuser en accusant les autres d'avoir l'ame perverse. Mais tâchons de répondre succinctement aux mauvaises excuses et aux fanfaronnades insolentes de M. B. qui, à ma grande satisfaction, a vu la lettre qui était à son adresse. D'abord, il parle de l'indignation qu'il éprouve, et qui lui fait répondre aux injures et aux calomnies diffamatoires que ma lettre renferme. Je comprends très-bien toute l'indignation que peut ressentir un méchant, lorsqu'on le met sur la sellette et qu'on dit hautement ses actes sans ménagemens ; mais certes, ce n’est pas par des calomnies diffamatoires que j’ai divulgué sa conduite qui n’est rien moins que juste et généreuse. Si je me suis permis des injures, c’est que j’ignore le moyen de parler d'une méchante action, tout en adressant des complimens à celui qui la commet. Loin d'avoir l’ame perverse, je l'ai essentiellement libérale : je désire le bien de tous à celui de quelques-uns, je me récrie contre toute injustice, je tonne contre tous les abus du pouvoir et me plais à les signaler à l'opinion publique, pour qu'elle en fasse justice ; c’est par ce moyen que je cherche à les extirper de la société, afin que l'harmonie puisse se rétablir entre le fabricant et l'ouvrier ; car je ne pense pas que ce soit par des actes arbitraires qu'on pourra la rétablir. M. B. se plaint qu'on attaque l'honneur du fabricant qui, des premiers, consentit à augmenter le salaire des ouvriers qu'il occupe ; je n'ai attaqué que son égoïsme : si son honneur en fait partie, j'en suis fâché, je ne lui en fais pas mon compliment : je veux croire qu'il ait consenti à augmenter le salaire de ses ouvriers, mais je suis certain qu'il les paie plus mal que beaucoup de ses confrères. M. B. a osé dire que le fait consigné dans ma lettre était dans toutes ses parties d'une fausseté insigne ; et lui, qui dit vrai, redit la même chose à quelques variantes près que je vais réfuter. Il avoue ingénument qu'il a vendu à trois maîtres seulement des schals dont la valeur a été portée à 25 francs, à condition qu'il leur paierait le prix du tarif. J'avais dit 30 francs ; mais il n'existe pas moins que des schals ont été vendus, qu'importe 5 c. [5.1]de plus ou 5 f. de moins ; ces conditions iniques en existent-elles moins. Quant au prix du tarif qu'il doit les payer, ceci est faux ; M. B. devrait avoir bonne mémoire, ou, si sa mémoire ressemble à sa bonne foi et à sa générosité ; il devrait regarder, comme je l’ai fait, ses livres d’ouvriers, il y verrait que ce qui doit se payer 35 cent. le mille n’est porté que 30. Il ajoute ensuite avec naïveté que ces schals ne sont point rebut, mais seulement d'un dessin moins nouveau : je lui demanderai ce qui fait des rebuts, si ce n'est l'ancienneté d'un dessin. M. B. dit encore que le prix qu'il les a comptés est très-médiocre ; moi je le trouve très-élevé, et il ment, lorsqu'il dit les avoir vendus 36 fr. Commissionnaire, l'année précédente, M. B. ose avancer qu'il n'a point forcé ses ouvriers à accepter des conditions de ce genre : tout ce qui s'est passé entre nous, dit-il, a été d'un commun accord, et n'a donné lieu à aucune plainte contre moi. M. B., tout en se flattant de dire vrai, ment impunément ; car ceci est tellement faux, que j'ai parlé à un des trois maîtres, qui m'a conté qu'aussitôt qu'il eut vu ma lettre sur l'Echo, il fut chez M. B. et le menaça de le traduire devant les prud'hommes, s'il ne consentait pas à reprendre un schal que la force et le besoin avaient seuls fait accepter : M. B., craignant de fâcheuses explications, préféra le reprendre ; mais, injuste jusqu'au bout, il ne le reprit qu'en faisant perdre 5 fr. dessus, en disant à l'ouvrier qu'il l'avait terni et froissé. J'ai possédé quelque temps un de ces schals, et j'ai pu m'assurer de leur juste valeur : et, quoique M. B. mette en doute que je sois un commis fabricant, il pourra juger lui-même que je peux connaître, mieux que lui, la fabrication d'un schal, par le petit tableau que je vais établir sur le prix de toutes les matières qui sont entrées dans son schal de 25 fr. Le tout est porté à un taux élevé : 70 g.me chaîne fantaisie, à 51 fr. le kil. : 3 f. 57 c. 190 id. crescentine, à 15 fr. le kil. : 2 f. 25 c. 190 id. coton rouge, à 12 fr. le kil. : 2 f. 28 c. 190 id. coton noir, à 5 fr. 40 c. le kil. :1 f. 2 c. 190 id. coton blanc, à 3 fr. 60 c. le kil. : 0 f. 68 c. 14,000 coups, à 35 c. le mille. : 4 f. 90 c. découpage et apprét. : 1 f. 50 c. frais de dessin par schal. : 0 f. 95 c. frais de maison par schal. : 1 f. 5 c. [Total :]118 f. 80 c. Escompte, 10 p. 0/0 : 1 f. 88 c. Total. : 20 f. 68 c. Je ne me rétracterai pas de ma première lettre, parce qu'il n'y a pas inconséquence de ma part ; il y en a eu de la sienne à provoquer cette réponse. Il n'y a pas non plus mauvaise foi ; je crois avoir assez bien prouvé ce que j'ai avancé : je ne crains pas d'être traduit devant les tribunaux, comme vil calomniateur, pour avoir dit la vérité, pour avoir rendu service à la fabrique en général, en désignant celui qui nuit à tous les intérêts par un sordide égoïsme. Les réflexions qui terminent ma lettre sont celles d'un Français, d'un vrai patriote ennemi des dissensions civiles, mais qui ne manquera pas de faire tomber le masque de la cupidité. J'ai l'honneur d'être, etc. C... commis fabricant,
AU MÊME.
Monsieur, Vous vous donnez beaucoup de peine pour parvenir à concilier les esprits ; vos colonnes sont pleines des [5.2]mots d'oubli du passé, de voile jeté sur les jours de malheurs, et par fois vous vous adressez à MM. les négocians avec tant de modération, que vraiment plus d'un ouvrier croit que certains articles de votre journal sortent d'un comptoir ou d'un magasin. Pour moi, Monsieur, je ne le crois pas ; je suis persuadé que c'est par amour pour le pays, et pour éviter les dissensions civiles, que vous écrivez ainsi ; mais savez-vous comment on répond à vos articles de paix et de concorde ? On dit que votre feuille est un journal incendiaire, qu'il provoque à la haine, et que le commerce ne reprendra pas, tant que les ouvriers vous liront. Eh ! pourquoi ? parce que vous avez la générosité de prendre la défense des ouvriers, parce que vous appelez les choses par leur vrai nom, sans vous embarrasser si cela blesse tel ou tel petit égoïste, et que vous dites avec le poète : J'appelle un chat un chat, et Rollet un frippon. J'ai cru devoir vous instruire de ce qui se passe à votre égard dans certains magasins, afin que vous en fassiez votre profit ; car souvent je me dis : Ce pauvre rédacteur de l'Echo ! il épuise sa logique pour ramener les esprits : eh bien ! il parle dans le désert. Dieu sait comme on le traite… Ah ! Monsieur, si vous aviez vu, comme moi, froisser, déchirer en lambeaux votre feuille, à propos d'une séance du conseil des prud'hommes, où vous aviez eu la hardiesse de dire que le conseil avait condamné M. un tel à payer 50 francs à l'ouvrier, vous seriez vraiment dégoûté de faire de la modération : pourtant, comme vous êtes l'organe fidèle des ouvriers de Lyon, et que ces ouvriers ont le cœur vraiment généreux, je vous conseille de continuer votre mission de paix et d'oubli, en frappant toutefois de votre fouet tous ces petits nains commerciaux qui clabaudent contre votre estimable journal, dont le seul tort est de démasquer leurs petites manœuvres. Pour moi, Monsieur, je vous sais gré de la part honorable que vous accordez aux négocians honnêtes qui ne spéculent point sur nos misères ; car il ne faut pas confondre le baume avec la ciguë. Agréez, etc. Un canut, votre abonné.
AU MÊME.
Lyon, le 13 janvier 1832. Monsieur, Pourriez-vous me donner des nouvelles de cette fameuse commande que le Roi devait faire à la fabrique de Lyon ? L'intérêt de la classe ouvrière était le motif honorable qu'on prêtait au Roi dans une affiche placardée sur nos murs peu de jours après les tristes événemens de novembre. Les journaux de Paris parlent de cette commission comme si elle était en travail ; cependant je n'ai pas entendu dire qu'il se soit encore monté un seul métier à cet effet, ni même qu'il en fût question. En serait-il de cela comme de tant d'autres promesses qui n'ont été que de véritables mystifications ?... Ou serait-il vrai que l'époque assignée pour les paiemens, était tellement éloignée, que messieurs les fabricans auraient renoncé à remplir ces commissions, et retiré leurs soumissions ? Vous m'obligeriez, monsieur le Rédacteur, si vous pouviez me donner quelques renseignemens à cet égard. J'ai l'honneur de vous saluer. Un de vos abonnés. Nous répondrons à notre correspondant que nous ignorons, comme lui, où en est la fameuse commande pour [6.1]la maison du Roi ; cependant quelques on dit qui nous sont parvenus ont semblé annoncer que les architectes, les dessinateurs et les tapissiers étaient à lever les plans pour la distribution des étoffes : ainsi nous pensons que la commission sera pour l’été prochain. Si nous nous trompons, nous prions notre correspondant de s’adresser, pour des renseignemens plus sûrs, à MM. les fabricans qui auraient renoncé à remplir ces commissions. Nous ajouterons que, tandis qu'une souscription est ouverte à Paris chez M. Larouaz-Tribout, pour la fourniture d'une ou plusieurs robes de gros de Naples, à laquelle la famille royale s’est empressée de souscrire, les prix des façons de cet article ont éprouvé une baisse ces jours derniers. Voilà tout ce que nous pouvons affirmer. (Note du Rédacteur.)
NOUVELLES DIVERSES.
Notre industrie date de Louis XIV : Colbert devança l’Angleterre et jeta un immense éclat industriel sur les premières années de ce règne, où il y a tant à louer et tant à critiquer. Chassées par la révocation impolitique de l’édit de Nantes, les familles protestantes transportèrent en Angleterre les richesses dont leurs mains laborieuses commençaient à doter la France. Habiles à profiter de nos fautes, les Anglais développèrent ces germes de prospérité, et leurs manufactures, Manchester, Liverpool, Nothingham, Derby, Birmingham devinrent successivement commerçantes et riches. Les efforts de Napoléon, pour créer à la France une industrie qui put rivaliser, surpasser même celle de l'Angleterre, ont été gigantesques. Son blocus continental fut l'idée autour de laquelle gravitaient sa politique et ses guerres. Nos fabriques florissaient, et les désastres de 1814 purent seuls arrêter l'essor qu'elles avaient pris. La restauration continua ce mouvement, mais avec mesquinerie, et sans nous ouvrir des débouchés, comme s'empressaient de le faire Canning et les ministères anglais, en reconnaissant les républiques américaines. Une grande déconsidération fut jetée ainsi sur notre politique et sur nos relations commerciales ; nous étions même en dissidence continuelle avec les Etats-Unis. Cependant nos produits s'aggloméraient. Est-il juste maintenant d'attribuer à la révolution de 1830 la crise actuelle ? l'Angleterre, malgré l'activité prodigieuse de son commerce, n’y a-t-elle pas été plusieurs fois condamnée ? a-t-on oublié les briseurs de machines, les soulèvemens de 1823, les expatriations, la taxe des pauvres ? Reconnaissons que le mal est plus profond, qu'il faut l’étudier avec soin et y porter de prompts remèdes, non pas d'une main timide, mais avec l'énergie que réclament les circonstances. D'après des relevés et des calculs d'une statistique exacte, le prix des objets de première nécessité est augmenté en des proportions qui ne répondent plus avec l'augmentation du salaire. Le prix des objets de luxe n'est plus même proportionnel avec celui des objets d'une consommation journalière, de sorte que la charge du pauvre s’est accrue quand celle du riche s'est allégée. Ces faits sont réels et constatés. Ils doivent absorber toute la sollicitude du pouvoir, toute les méditations de l’économiste et de l’écrivain qui s'appliquent aux études morales, car là aussi est la souffrance. (Le Constitutionnel). [6.2]Un écrit d'Alençon, sous la date du 4 janvier : Des ouvriers en nombre considérable se sont portés sur la place d'Alençon : ils demandaient une augmentation de salaire. Il faut que vous sachiez que depuis quelque temps la ville occupe environ 250 malheureux, à des travaux d'assainissement ; mais qu'elle ne paie à la plupart que 1 franc, pour prix de la journée ; à d'autres que 75, et même que 30 centimes : c'est cette inégalité et cette insuffisance des salaires qui avaient donné lieu au rassemblement. M. Hommey Margantier, maire de notre ville, à la sagesse et à la fermeté duquel on ne peut donner trop d'éloges, est parvenu à faire retourner les mécontens à leurs travaux. Dieu veuille que la paix règne long-temps parmi nous ! Mais j'ose à peine en concevoir l'espérance, tant est grande la misère. (Le Mouvement). - La perception de l'octroi de Rouen vient d'être modifiée dans un excellent esprit. Les denrées les plus communes ont été dégrevées : celles qui appartiennent à la consommation des classes aisées ont été augmentées. La viande de boucherie a subi une réduction de 11 c. par kilog. ; le poisson frais une réduction d'un cinquième. En revanche, la volaille, le gibier et les truffes, qui échappaient à tout droit d'entrée, par on ne sait quelle protection, sont légèrement taxés. Nous voyons avec plaisir le journal des Débats applaudir à un dégrèvement en faveur des classes pauvres ; mais ce qui est bon à Rouen ne le serait-il pas également à Paris ? et si le principe en vertu duquel ce dégrèvement a été opéré est conçu dans un excellent esprit, pourquoi ne pas l'appliquer sur une échelle plus large ? Pourquoi ne pas soumettre à un impôt progressif tous les objets de luxe ? Nous féliciterions nos magistrats, s'il leur venait dans la pensée d'adopter pour Lyon ce mode de perception. Notre ville plus que toute autre est grevée par les octrois, et la classe ouvrière seule supporte cette charge, car ce n'est pas le riche qui consomme les objets de première nécessité et tarifés aux portes. La volaillle ! le gibier! les truffes ! qu'on mette un droit d'octroi sur ces objets, ceux qui les consomment peuvent le supporter, et qu'on diminue l'entrée sur la viande de boucherie, afin que l'ouvrier puisse en acheter un peu. (Note du Rédacteur de l’Echo de la Fabrique.) - Les journaux de Paris ont annoncé que, sur les instances de l'honorable M. Ardaillon,1 député de l'arrondissement de St-Etienne, le Roi avait accordé la décoration de la légion d'honneur à MM. Richard-Chambovet, Bancel, de St-Chamond et Rubichon de Rive-de-Gier. M. Richard est le premier qui ait eu l'idée d'introduire dans ce pays, la fabrication des lacets, branche d'industrie qui depuis a pris une extension telle, que nous sommes en possession de fournir à la consommation d'une grande partie du globe. M. Bancel est l'inventeur du ruban-gaze, et il est le premier qui ait employé à la confection de ce tissu si généralement adopté aujourd'hui, la soie retordue toute teinte, et connue sous le nom de Marabout. Stéphanois.2 - Il va paraître, dit-on, une Gazette du Clergé ; voici d'après le Mercure Ségusien, quels en seront les rédacteurs : un vicaire, un bedeau, un sacristain, deux sonneurs, un suisse et trois marguilliers. Sacristie !… quel journal !…
CONSEIL DES PRUD'HOMMES.
Séance du 12 janvier. (présidée par m. guérin.) [7.1]La séance a été ouverte à dix heures, un nouveau couloir a été fait pour servir aux personnes dont les causes ont été jugées. II y avait beaucoup d'auditeurs, et un bon nombre de causes appelées n'étaient que des différens entre les maîtres et leurs apprentis ; quelques-unes ont ont été conciliées. Le conseil a fait de fortes réprimandes aux apprentis convaincus de ne pas faire leur devoir, en leur rappelant que le conseil était le tuteur des apprentis dont les parens étaient éloignés de Lyon ; que, sur les plaintes qui lui seraient faites par les maîtres, un des membres du conseil se transporterait à l'atelier, et ferait punir les élèves qui ne se comporteraient pas comme ils le doivent. Les causes qui ont offert le plus d'intérêt sont celles du sieur Lara, liseur, qui occupait chez lui la demoiselle Lucrèce, en qualité de première liseuse ; cette demoiselle réclame ses appointemens, à raison de 1,000 fr. par an, et présente son oncle avec qui l'engagement a été verbalement convenu. Le sieur Lara convient que cette demoiselle lui demandait 1,000 fr. mais qu'il ne lui à jamais promis que 900 fr. et que même le mois d'octobre, il l'avait avertie qu'il ne pourrait plus lui continuer ses appointemens, l'ouvrage n'étant pas assez abondant. Ici s'élève une controverse, de laquelle il résulte, que la lettre qu'il aurait adressée le 28 octobre à l'oncle de la demoiselle Lucrèce, ne lui aurait été remise que le 10 décembre. Le président, sur la demande des deux parties, appelle en témoignage l'oncle avec qui les engagemens ont été verbalement convenus ; celui-ci déclare que le sieur Lara lui a réellement promis 1,000 fr. pour la première année. Le conseil, sur la déclaration de ce témoin, condamne le sieur Lara à payer à son ouvrière 1,000 fr. pour la première année, et à lui payer les mois en plus à raison de 900 f. sauf à lui réduire le temps perdu pour absence. Après quelques explications du maître, le président lui a répliqué que, s'il n'était pas satisfait du jugement du conseil, il était libre d'en rappeler au tribunal de commerce. Le sieur Jaillet réclame au sieur Boulot, liseur, la somme de 40 fr. que l'ouvrier qu'il occupe lui doit depuis deux ans, et demande à être remboursé, la somme étant inscrite sur son livret. Le sieur Boulot fait observer que cette personne n'est pas un ouvrier, mais seulement un aide, et c'est par humanité qu'il le garde chez lui, et ne lui donne qu'environ 2 fr. par semaine. Le sieur Jaillet, à son tour, fait ressortir l'impossibilité qu'un homme gagne si peu. Le conseil a condamné le sieur Boulot à payer le sieur Jaillet à raison de 6 fr. par mois, qui seront retenus à l'ouvrier, le livret restera entre les mains du sieur Boulot. Le sieur Martel réclame au sieur Damiron un défrayement pour le montage d'un métier de schals 6/4, qui se paient 50 c. le mille corps plein. Le sieur Martel expose qu'il a fait beaucoup de frais et perdu beaucoup de temps ; la première disposition de son métier n'ayant pu aller, il a été obligé, pour le faire marcher, de changer une partie des plombs et de les remplacer par d'autres du poids de 12 deniers ; il fait aussi observer qu'il n'a [7.2]monté ce métier qu'avec l'assurance, plusieurs fois réitérée, du sieur Damiron, de le défrayer, s'il ne lui donnait au moins deux pièces de 30 aunes à fabriquer. Il prouve aussi qu'il a été doublement induit en erreur par le sieur Damiron, puisque ce dernier lui a donné une pièce chinée pour être brochée au milieu et sur les côtés, chose dont on ne l’avait pas prévenu. Il a de plus attendu un dessin où il y avait des erreurs à rectifier. Au fait, il n'a fabriqué qu'une pièce de 30 aunes ; la seconde n'a produit que 7 schals : ces schals valent 11 fr. de façon. Le sieur Damiron répond que le prix de ses schals ne devaient primitivement être porté qu'à 7 fr. 50 cent., et qu'il croyait bien défrayer le sieur Martel, en lui portant ses schals à 10 fr. Après quelques contestations entre les parties, le conseil ne se trouvant pas éclairé, a renvoyé l'examen de cette affaire pardevant M. Audibert. Le sieur Garnier réclame au sieur Gabillot une augmentation de façon, sur une pièce dont les matières étaient inférieures et donnaient beaucoup de peine à travailler, augmentation que le sieur Gabillot lui avait promise ; en l'encourageant à finir la pièce. Le sieur Gabillot nie la promesse, disant qu'il n'avait pas même connaissance que sa pièce fût mauvaise. L'ouvrier lui prouve qu'il l'avait averti, et qu'étant venu chez lui, le sieur Gabillot avait vérifié le fait. Le conseil condamne ce dernier à payer au sieur Garnier, à dater du 13 novembre, 17 cent, et 1/2 d'augmentation par mouchoir. Tous les auditeurs ont pu remarquer que le sieur Gabillot qui, depuis 15 jours, a eu au moins six causes et autant de condamnations, après avoir entendu cette dernière, s'est retiré en riant. On ne peut plus douter qu'il aime les prud'hommes et surtout leurs sentences. Le sieur Bayet qui a déjà paru à la précédente audience, et dont l'affaire avait été renvoyée pardevant MM. Garnier et Rousset, fait comparaître de nouveau les sieurs Court, Lachapelle et Démaillant qui, ayant négligé de se rendre à l'heure indiquée, devant qui de droit, ont été condamnés par défaut par MM. Garnier et Rousset. Le sieur Bayet a été invité par les sieurs Démaillant et compagnie à se rendre à leur magasin pour le régler suivant sa demande. Il est à remarquer que ces MM. ont bien porté en façon les galeries en plus des schals, mais au prix de 40 cent. le mille, au lieu de 60 cent. prix réclamé par le chef d'atelier. Les sieurs Court, Lachapelle et Démaillant n'ayant porté le déchet de la laine qu'à 12 deniers, le sieur Bayet se trouvant en solde, demande que son déchet lui soit compté à raison de 18 deniers, et réclame en outre que les 77 galeries qu'il a fabriquées lui soient payées à 40 cent. le mille. Le sieur Démaillant dit pour sa justification que seulement quelques-uns de ces ouvriers ont réclamé le prix des galeries en sus des schals, et qu'il ne les leur a payées que 40 c. le mille. Ici, M. le président fait observer à ces messieurs que le conseil ne cherche pas les causes, mais qu'il est de son devoir de rendre justice à ceux qui se présentent devant lui. Le conseil, après avoir délibéré, condamne Mrs Court, Lachapelle et Démaillant à payer les galeries au sieur Bayet au prix de 60 cent. et à lui porter le déchet de la laine à 18 deniers ou 4 et 1/2 pour 100.
Dans une réunion de la troisième société de bienfaisance des ouvriers-fabricans de Saint-Just, M. Fuyatier, trésorier de la société, a, dans une allocution touchante, imploré la philantropie des assistans en faveur des veuves, [8.1]des orphelins et des blessés des journées désastreuses de novembre. Les membres de la société n'ont point été sourds à la voix de leur vénérable trésorier, et une collecte faite, séance tenante, a produit 50 fr. qui ont été versés à notre bureau. Nous avons appris que déjà beaucoup de sociétés se proposent de suivre ce touchant exemple, et nous ne pouvons qu'applaudir à de si généreuses résolutions. Les causes doivent s'oublier ; mais l'homme blessé, la veuve et l'orphelin n'en sont pas moins des êtres malheureux au sort desquels tous les bons cœurs doivent compatir.
AVIS INTÉRESSANT AUX OUVRIERS EN SOIE.
Un professeur de chimie qui connaît à fond la fabrique d'étoffes de soie, voyant avec peine les pertes qu'éprouvent les ouvriers sur le poids des pièces quand ils les rendent confectionnées, pertes causées par une manœuvre frauduleuse de la part de quelques fabricans, déposera sous peu dans notre bureau un procédé particulier très-simple et facile, qui mettra fin à une infâme escroquerie. Ce procédé sera communiqué gratuitement à tous les chefs d'atelier qui se feront connaître au rédacteur.
SOUSCRIPTION
En faveur des veuves, des orphelins et des blessés des trois journées de novembre. 2me liste. MM. L., propriétaire, 2me versement : 10 fr. Louis N... : 4 fr. Un anonyme. : 50 c. Despierre : 3 fr. Falquet (Antelme) : 1 fr. La 3 me société des ouvriers-fabricans de Saint-Just. : 50 fr. Bresson. : 1 fr. [Total]1 : 69 fr. 50 c. MM. les souscripteurs peuvent prendre connaissance au Bureau de l'Echo de la Fabrique de la manière dont les fonds provenant des souscriptions sont distribués. Des cahiers sont ouverts à ce sujet.
ANNONCES DIVERSES. ÉVÉNEMENS DE LYON.
Une gravure, représentant la barrière de la Croix-Rousse, pendant les journées des 21 et 22 novembre, vue prise du côté de la place des Bernardines, au moment de l'attaque des barricades, se vend à la Croix-Rousse, rue du Charriot-d'Or, n° 6, chez Marigneux ; à Lyon, chez Château, imprimeur en taille douce, grande rue Mercière, n° 41, et chez les marchands de nouveautés. La scène du pont Morand le 22 novembre paraîtra à la fin du mois. [8.2]en vente Au Bureau de l’Echo de la Fabrique, justification de m. bouvier du molart, ex-préfet du Rhône, Cinq articles formant ensemble 20 pages in-4°, caractères neufs et beau papier. Prix, pour les abonnés, 25 c., et, pour les personnes non abonnées, 50 c.
rapport fait à m. le président du conseil et au ministre du commerce, par deux chefs d’ateliers. Ce rapport, de 8 pages formant in-4°, imprimé sur beau papier et caractères cicéro neuf, sera déposé dans tous les lieux désignés pour l'abonnement au journal, où chacun pourra se le procurer pour le prix de 50 cent. destinés au soulagement des blessés, des veuves et orphelins des trois journées de novembre.
AVIS.
- On demande des ouvriers compagnons pour des métiers de pluches pour chapeaux. S'adresser au Bureau du journal. On demande dans plusieurs ateliers des apprentis des deux sexes, pour tous les genres d'étoffes, principalement pour velours et unis. S'adresser au Bureau du journal. - On demande un apprenti de l'un ou de l'autre sexe pour apprendre la fabrication du velours. S'adresser au Bureau du Journal. - A vendre un métier de pluches pour chapeaux avec accessoires ayant une remisse en soie. S'adresser au Bureau du Journal.
AVIS ESSENTIEL.
Un bureau d'indication, spécialement consacré aux intérêts de la fabrique, est réuni à celui du journal. MM. les abonnés ne paieront que 10 cent. par ligne pour leurs insertions ; on traitera de gré à gré avec les autres personnes. Les articles comportant plus de 15 lignes subiront une diminution sur la totalité. Dans ce bureau on recevra : 1° Les demandes faites, par les maîtres, d'apprentis des deux sexes, ou par les apprentis des deux sexes pour trouver des places convenables ; 2° Les mêmes demandes à l'égard des ouvriers ou ouvrières ; 3° Celles de MM. les négocians qui auraient besoin de bons maîtres pour tous les genres d'étoffes.
Notes (LYON. L’AVENIR DES OUVRIERS DE LYON.)
L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes (... Héraclite pleure et soupire En contemplant...)
L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes (DU CONSEIL DES PRUD'HOMMES.)
La promesse d’une réforme des prud’hommes avait constitué l’une des rares concessions faites aux ouvriers après les journées de novembre. Le 21 janvier 1832 une Ordonnance de Louis-Philippe va venir modifier l’organisation antérieure. Les canuts et les journalistes de L’Echo de la Fabrique salueront l’événement voyant dans les nouveaux prud’hommes le moyen de supprimer par une jurisprudence adaptée les nombreux abus dans la fabrique. Pourtant, dès le départ, deux des principes nouveaux vont être la cible de leurs critiques : le fait que, sur le total des 17 prud’hommes liés à la fabrique, 9 soient des négociants et seulement 8 des chefs d’ateliers ; le fait également que seuls les canuts possédant au moins quatre métiers pouvaient participer à l’élection. Néanmoins jusqu’aux élections et à l’installation des nouveaux prud’hommes à la fin du mois de mai 1832, L’Echo de la Fabrique consacrera de nombreux articles à la nécessaire mobilisation et organisation des chefs d’ateliers dans la perspective du vote. Joseph Marcellin Guérin, président du conseil de prud’hommes de 1818 à 1832 dirigeait une des principales maisons de soierie « depuis longtemps connue par la supériorité des produits qu’elle livre au commerce », la maison Guérin-Philippon. Elle a été récompensée d’une médaille d’or aux expositions des produits de l’industrie française de 1819, 1823 et 1827 notamment pour la qualité de ses velours, une des spécialités de la maison. Son siège était situé 25 rue des Capucins. Références : Nouvel indicateur des habitants de la ville de Lyon, d’après le dernier recensement administratif, Lyon, 1832, chez M. P. Rusand imprimeur libraire L. Costaz, Rapport du jury central sur les produits de l’industrie française, Paris, imprimerie royale, 1819. Exposition publique des produits de l’industrie française. Rapport sur les produits de l’industrie française, Imprimerie royale, 1828, XVI-573p.
Notes (Damis est beau , Cléon est laid. Cependant...)
L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes (Nous avons fait , dans un de nos précédens...)
L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
Notes (AU RÉDACTEUR)
Ajouté par les éditeurs.
Notes (NOUVELLES DIVERSES.)
Riche industriel, Jacques-Marie Ardaillon fut député de la Loire (Saint-Chamond) de 1831 à 1842. Partisan résolu des idées libérales sous la Restauration il s’inscrivit constamment sous la Monarchie de Juillet dans le camp ministériel. Voir Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, ouv. cit., tome I, p. 85. Le Stéphanois : Journal de Saint-Etienne et de la Loire, dont le premier numéro fut publié en novembre 1828.
Notes (SOUSCRIPTION)
Ajouté par les éditeurs.
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