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9 mars 1834 - Numéro 62
 
 

 



 
 
    
 Poésie.
JE REGRETTE MES PLEURS.

Oh ! que de fois, l’œil sec, le cœur sans battemens,
Evoquant du passé les jours et les momens,
[8.2]N’ai-je pas confondu, dans l’étrange délire
Qui fixait sur ma bouche un douloureux sourire,
Des songes de vengeance à des songes d’amour !…
Que de fois n’ai-je pas, appelant tour-à-tour
La mort et le pardon sur sa tête parjure,
Confondu ces deux mots en un même murmure !
Oui, j’ai rêvé de mort, long-temps ; oh ! bien long-temps !…
Et peut-être aujourd’hui pleurai-je ces instans ;
Car rien n’est comparable à ce vide d’une ame
Survivant par degrés à sa plus pure flamme,
A cet ennui de vivre, à ce dégoût de tout,
Qui fait que le passé, vous poursuivant partout,
Jette sur vos douleurs son reflet le plus sombre,
Et décolore ainsi chaque jour sous son ombre ;
Car rien n’est comparable à ce morne avenir
Qui semble, étant sans but, ne devoir pas finir !

(Un intervalle.)

Pourquoi, faible roseau me ployant aux orages,
Ne pouvant me briser sous leurs sombres ravages,
N’ai-je donc pu mourir !… mourir l’aimant toujours ?…
Que faire d’une vie inutile en son cours,
Et d’un cœur las d’aimer ?… Oh ! que le monde est vide
En ses déserts peuplés ; et qu’il est insipide
En ses plaisirs changeans !… Et l’on y va pourtant !
Et moi-même parfois j’y fus perdre un instant !
L’on se disait alors : « Voyez, elle est heureuse ! »
Et je tâchais de l’être, endormant, paresseuse,
Pour ne plus la sentir (aux ris, aux chants, au bruit),
Ma pauvre ame lassée et triste en son réduit !
Mais depuis que cette ame est morte à toute peine
Ainsi qu’à toute joie, et qu’elle a de sa chaîne
Vu tomber sous mes pleurs jusqu’au dernier anneau,
Qu’est-il besoin d’aller, faisant ombre au tableau,
Porter son pâle ennui dans de brillantes fêtes,
Courber son front rêveur sous de joyeuses têtes ;
Et le soir, au retour, sans regrets, sans désirs,
Se demander comment ces frivoles plaisirs
Pouvaient être pour vous le bonheur, l’espérance ?
Ou, s’effrayant bientôt de cette indifférence,
Dans le rêve effacé plus d’à moitié du cœur,
Tâcher de ressaisir un lambeau du bonheur
Qu’en ces lieux tant de fois avait connu votre ame ;
Rappeler ce regard furtif, mais plein de flamme,
Ce sourire d’amour, ce serrement de main
Qui berçaient jusqu’au jour l’espoir du lendemain…
Et ne trouver en soi que l’ombre de soi-même !
Et ne plus tressaillir comme en ce temps suprême !
Oh ! voila le malheur !… Voila, mon Dieu ! pourquoi
Je regrette mes pleurs ;… car tout glisse sur moi,
De même que l’on voit l’eau glisser sur la feuille ;
Et l’on rendrait plutôt à la fleur qu’on effeuille
Et que l’on foule aux pieds, sa forme et sa fraîcheur,
Que la joie à mon ame et l’amour à mon cœur.

Mme Mélanie waldor.

(Le Foyer.)

 

 

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