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15 janvier 1832 - Numéro 12
 
 

 



 
 
    
LYON. L’AVENIR DES OUVRIERS DE LYON1.

Nous ne sommes point de ces visionnaires, ne rêvant que sinistres et ne voyant qu'un avenir de misère et de dissolution pour la société. Nos craintes ne cherchent point à pénétrer les secrets des destinées ; nous n'entrevoyons à travers les phases des temps qu'un avenir heureux ; car nous savons que les bons cœurs, les ames généreuses abondent sur la terre qui nous a vu naître, dans cette France tant jalousée par les puissances de l'univers. Dans un pays où l'homme est éminemment vertueux, l'intérêt, ou pour mieux dire, l'erreur peut amener une collision, un combat sanglant peut s'en suivre, et de ce choc violent peut surgir une source de bonheur pour l'avenir, parce que, dans ces jours de désastres, les hommes sont jugés d'après leurs œuvres et tous apprennent à se connaître. C'est ainsi que les ouvriers de Lyon, dégagés de cette prévention qu'avaient fait planer sur eux quelques êtres dégradés, étrangers à leur ville et à leur industrie, voient leur cause se raffermir [1.2]de plus en plus, et par-là renaître leur espérance : nous disons leur espérance parce que cet état de misère où ils sont tombés ne peut durer, parce que l'homme, à quelque classe qu'il appartienne, ne naît, non point pour languir éternellement dans un état de souffrance, mais pour avoir part aux biens que dispense sur cette terre le grand être qui nous régit.

Les ouvriers de Lyon ont donné un gage assez éclatant de leur désintéressement et de leurs vertus, pour pouvoir attendre tout de l'avenir ; et d'ailleurs, quel est celui, d'entre ceux qui les ont trop long-temps méconnus, qui leur refuserait aujourd'hui la part d'estime qu'on doit à l'honnête homme, au vertueux ? citoyen quel est celui qui, se rappelant leur conduite pendant des jours de malheurs, ne dira pas : Nous nous sommes trompés sur ces hommes dignes d'un meilleur sort : notre mission doit changer ; de tyrannique qu'elle était, elle doit devenir toute d'humanité.

Nous ne faisons point l'injure aux commerçans de penser qu'ils traiteront toujours les ouvriers comme des êtres inférieurs dont ils sont les chefs naturels. Les hommes qui ont pris une part si active à la révolution de juillet, qui ont aidé à affranchir leur patrie, ne voudraient point regarder leurs concitoyens, leurs frères, comme des ilotes ; ils se défieront de ces écrivains insensés qui veulent partager les enfans de cette France que nous aimons tous, en deux camps ennemis sous les noms de riches et de prolétaires.

L'avenir se dessine devant nous ; nous le contemplons avec joie ; car nous y voyons le bonheur de nos frères, de nos amis. Oui ; le commerçant, qui jusqu'à ce jour [2.1]n'a point oublié que l'ouvrier est un homme comme lui, se fera gloire de penser toujours de même, et ceux qui, par fierté ou par susceptibilité de caractère, le regardent encore avec un orgueilleux dédain, reviendront de leur erreur et avoueront que la classe qu'ils ont long-temps méprisée est digne de leur respect et mérite qu'on améliore son sort.

Les jours d'une complète réconciliation ne sont point éloignés ; chacun se connaît, chacun sait apprécier les vertus privées de l'homme avec lequel il est en contact : et nous concluons de là qu'un heureux avenir se prépare pour tous ; que Lyon va reprendre sa splendeur, et qu'enfin des jours de prospérité vont succéder à des jours de misère. Si nous en croyons les cœurs généreux de ces ouvriers dont nous sommes les organes, nous ne formerons bientôt qu'un seul faisceau contre lequel viendront se briser toutes les intrigues des ennemis de la patrie, du trône constitutionnel et de la liberté.

En terminant, nous croyons de notre devoir de prévenir les ouvriers contre des manœuvres perfides. Quelques hommes s'agitent dans l'ombre, et, sous les dehors de l'humanité, cherchent à semer les divisions. Ils semblent compatir à la misère du pauvre ; mais ils ont un autre but. Que les ouvriers se rappellent que ce sont ces mêmes individus qui, en 1815 et 1817, plongèrent leurs pères dans les cachots, et firent promener le fatal tombereau dans nos campagnes ! Qu'ils réfléchissent sur les actes passés de ces prétendus hommes compatissans, et leur patriotisme en fera justice.

Nous pensons que les ouvriers nous sauront gré de cet avertissement ; car ils savent que nous serons toujours leurs amis, leurs frères, et que nous les défendrons avec courage, tant qu'il nous restera un souffle de vie.

Notes (LYON. L’AVENIR DES OUVRIERS DE LYON.)
1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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