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9 mars 1834 - Numéro 62
 

 




 
 
     

 A M. Charles Dupin,

député, PROFESSEUR DES OUVRIERS, et membre de l’académie des sciences,

les mutuellistes lyonnais.

Alors que les ouvriers lyonnais, pressés par la faim et le désespoir, furent réduits à demander, sous le feu des canons chargés à mitraille, du PAIN EN TRAVAILLANT ! alors, Monsieur, si votre voix se fût élevée, si vous aviez demandé pour eux autre chose que l’insultant bénéfice de la loi qui proclame la liberté illimitée du commerce et les bienfaits de la concurrence, nous n’aurions pas aujourd’hui à déchirer le masque ami dont vous vous couvrez la face, et nous n’aurions pas non plus à vous reprocher, avec amertume peut-être, et avec une franchise aussi rude que la vôtre, l’étroitesse et la sécheresse de cœur qui vous ont dicté les paroles que vous nous jetez dédaigneusement du haut de tous vos fauteuils…

Mais nous serons calmes et graves, Monsieur, comme doivent l’être les représentans d’une armée pacifique, dont la puissance (vous l’avez senti) aura bientôt conquis pour l’immense famille des travailleurs, la place qui lui est assignée au livre des destinées sociales. – Nous le serons, parce que nous avons pour nous le droit, la justice et l’humanité ! et parce qu’enfin, quelques efforts qu’on fasse pour empêcher notre marche victorieuse, quelques entraves qu’on jette au nom de la loi sur la voie dans laquelle nous sommes entrés, il est désormais impossible, même aux ROIS DE LA [1.2]TERRE, de s’interposer entre DIEU et nous, entre DIEU et son immuable loi du développement progressif de l’homme humanitaire.

Que si quelques complaisans valets, méconnaissant cette loi sacrée, les excitaient un jour, ce qu’a dieu ne plaise, à armer le fils contre le père, le frère contre le frère, la mère contre son enfant ! oh ! ce jour serait douloureux et terrible. – Mais dites, Monsieur, qui de nous ou de vos législateurs auraient décrété cette sanglante guerre ?…

Les jours qui viennent de s’écouler sont notre réponse : le pays tout entier l’a entendue ; il attend la vôtre, Messieurs ; et si le hideux char de la guerre civile doit encore fouler le sol de la patrie ; s’il nous faut un jour encore demander à la face des canons de l’ordre public du travail et du pain, eh bien ! alors le pays jugera entre vous et nous, et vouera à l’infamie qui l’auront mérité… Dites, si vous l’osez, que ce sera nous !!!

Grande est votre surprise que nous ayons pu, par un seul vote, frapper d’un interdit général l’industrie principale de notre cité, et nous en concevons le motif, quelque soit, Monsieur, la peine que vous prenez à le déguiser ; mais nous devons vous dire, qu’en adoptant cette mesure, l’association des Mutuellistes s’était proposé un double but :

1° De protester contre la baisse toujours croissante des salaires, effet de la concurrence et de la liberté de commerce dans leurs limites actuelles, et de faire reporter à un taux équitable le salaire, non de 500, comme vous le dites, mais bien de 1,200 peluchiers au moins. – Ce chiffre, dont nous rétablissons ici l’exactitude, vous a paru bien minime par rapport aux 50,000 individus, hommes, femmes ou enfans, occupés à la fabrication des étoffes de soie, qui ont sanctionné le décret de l’association, non pas par timidité, comme vous le dites, mais bien par une saine compréhension de leurs intérêts. – Mais c’est que nul d’entre ceux qui ignore aujourd’hui qu’il faut semer pour recueillir, et sacrifier quelque chose du présent pour assurer l’avenir, et si une telle unanimité s’est ainsi rencontrée parmi eux, ne comprenez-vous pas, Monsieur, qu’ils la doivent à cette conformité d’intérêts qui a servi et servira de base à toutes associations présentes et à venir. – Ne comprenez-vous pas encore que les différentes catégories d’ouvriers ainsi liées, ressemblent fort au [?] de [2.1]la fable de notre bon vieux La Fontaine, et qu’il y aurait aujourd’hui folie et crime à tenter de les séparer pour détruire leur puissance, si, ce que nous sommes loin de croire, cette tentative pouvait être faite avec succès ?

2° De protester contre l’état anarchique dans lequel luttent divers intérêts sociaux parmi lesquels on a beaucoup trop négligé, ou, pour mieux dire, oublié la représentation de ceux du peuple travailleur, et de démontrer l’urgence d’une réorganisation qui les comprenne tous et assure à chacun une part équitable des bénéfices de la production, en même temps qu’elle lui impose, dans une juste proportion, sa part des charges de la société ; de démontrer, en un mot, aujourd’hui que l’industrie, prenant le sceptre aux mains d’antiques castes, se pose reine du monde ! qu’il faut, sans priviléges aucuns, donner droit de bourgeoisie aux principaux leviers de production : travail, capital et talent.

Ainsi, Monsieur, le but de l’association par nous représentée, n’est donc pas aussi mesquin, aussi sordide que la pensée que vous nous prêtez, pensée bien digne vraiment de vos cerveaux scientifiques, à vous mathématiciens, législateurs, académiciens !!!

Vous dites, Monsieur, qu’il est tout simple qu’un pauvre ouvrier canut, ne sachant ni lire ni écrire, et n’ayant jamais fait usage de ses facultés intellectuelles que pour pousser avec égalité sa navette de gauche à droite et de droite à gauche, ne prévoie pas l’avenir.

Mais ce que vous dites n’est-il pas la preuve la plus éclatante de la mesquinerie et de l’égoïsme de cette civilisation, que de faibles mains font marcher à reculons, en criant bien fort : voila le progrès ! Et cette ignorance complète des classes travailleuses n’est-elle pas une honte pour ceux qui, comme vous, ne font rien pour hâter la fin de son déplorable règne ? A votre langage il semblerait, Monsieur, qu’un peluchier, un canut, et une navette soient trois instrumens d’une égale valeur, et cette pensée, assez clairement émise dans toute votre lettre, nous explique bien pourquoi vous vous étonnez que nous ayons fait notre cause à tous de la cause des peluchiers ; – pourquoi vous trouvez naturel que 1,200 travailleurs soient à la merci de 12 fabricans, 50 à 60,000 de 4 à 500, et pourquoi vous poussez le cri de détresse dès que vous voyez la puissance passer des mains de l’oppresseur aux mains de l’opprimé. – Or, vous devez comprendre aussi, Monsieur, pourquoi le sourire de la pitié nous vient en ce moment sur les lèvres, et peut-être regrettez-vous déjà n’avoir cherché à nous prouver que vous seul étiez l’ami des ouvriers.

Maintenant, par une insinuation plus perfide qu’adroite, vous vous demandez pourquoi, imitant en cela l’imprévoyance des plus pauvres, des plus simples canuts, nous n’avons pas compris qu’une révolte de nos ouvriers contre nous entraînerait notre ruine ; puis vous dites encore, qu’en maîtres absolus, nous voulons, nous, simples intermédiaires, exercer la dictature et sur l’ouvrier et sur le fabricant.

Notre puissance est, vous le savez bien maintenant, si déjà vous ne le saviez en nous adressant votre épître, notre puissance est toute morale ; nous n’avons ni baïonnettes, ni gendarmes pour tenir la main à l’exécution de nos décrets dictatoriaux ! Mais c’est qu’entre nos ouvriers et nous il y a solidarité ; et ils savent bien que travailler à acquérir des garanties pour nos intérêts, c’est assurer la conservation des leurs.

[2.2]Si nous sommes intermédiaires, c’est absolument au même titre que les maîtres tailleurs, cordonniers, charrons, menuisiers, etc. – Nous avons été et nous sommes travailleurs. Eh ! qui donc, nous vous le demandons, aurait appris leur métier à ceux que vous appelez nos ouvriers, et qui ont, autant que faire se peut dans un monde où il faut 23 MILLIONS de pauvres pour faire 4 à 5 millions d’aisés et quelques riches, les mêmes chances que nous pour devenir maîtres ! En vérité, Monsieur, une ignorance aussi grande de notre organisme industriel, nous donne une bien faible idée de vos connaissances et de votre science professorale.

Nous n’avons songé en aucune façon à exercer un pouvoir despotique sur les fabricans, et ce n’est pas notre faute si nous avons été amenés à chercher dans l’association des garanties contre celui si durement exercé par eux envers les ouvriers qu’ils emploient, mais bien celle de nos doctes législateurs qui ne savent encore aujourd’hui que nous répéter : que les transactions sont libres, que le fabricant a droit de proposer tel salaire qu’il lui convient ; l’ouvrier, droit d’accepter ou de refuser ses conditions, comme si ce droit pouvait être exercé par lui sans garantie aucune d’existence et de travail !!! – Ne pensez-vous pas comme nous, qu’un si pauvre raisonnement mérite bien à ceux qui le tiennent et le mépris et la pitié de tous les hommes de sens ?

Voici maintenant, qu’à l’exemple d’écrivains gagés pour mentir et calomnier, vous dites que nous sommes sous l’influence des partis carliste et républicain ; que nous subissons celle des sociétés secrètes ; enfin, que nous sommes les jouets des STIPENDIÉS DE L’ÉTRANGER !!!… Et ce triple mensonge, soufflé par de hauts et puissans seigneurs aux serviles échos de leur pouvoir, vous le dites à la France et le lui jetez au visage comme une insulte à sa raison et à son bon sens, vous son mandataire !…

Pour être vrai, Monsieur, il eût fallu lui dire que les dures leçons du passé, les besoins du présent et le développement incessant et rapide de l’intelligence populaire étaient nos seuls instigateurs, nos seuls patrons ! – Il eût encore fallu lui dire que ce n’est point au foyer du travailleur qu’ont jamais été VENDUS le pays, sa fortune et son avenir !!! – Et puis vous eussiez dû, descendant parmi nous, fouiller jusqu’au fond de la plaie qui use et boit la vie des classes travailleuses ; là, vous eussiez entendu les premiers frémissemens d’un cri qui bientôt s’échappera retentissant de toutes les poitrines : PLUS DE SALAIRES !!! – Peut-être alors eussiez-vous compris nos actes et nos motifs ; et, loin de nous adresser d’ironiques paroles, ami vrai des ouvriers, vous fussiez monté à la tribune nationale pour y proclamer la venue d’une nouvelle ère sociale !

Vous parlez, Monsieur, d’emblêmes, d’insignes, de bonnets en horreur a la france, arborés à point nommé ! – Mais ceci, souffrez que nous vous le disions, est un grossier mensonge, une infame calomnie, que nous aurions cru indigne de vous ; et notre sympathie pour le parti républicain, si riche de cœurs généreux et dévoués, nous impose l’obligation sacrée de repousser cette allégation de toute notre énergie ; et d’ailleurs son attitude dans la crise qui vient de tenir tant d’esprits en suspens, calme et grave comme la nôtre, dit assez combien est ridicule la diatribe dont vous avez bien voulu l’honorer.

Eh ! Monsieur, vous prenez une peine grande à nous [3.1]instruire des dangers que porte en elle l’ARME que nous avons entre les mains pour défendre nos salaires ; – vous parlez de commandes compromises, de confiance détruite, de capitaux s’exilant et commandant à travers champs les travaux de soieries à prix débattu, à prix libre. – Ici, nous l’avouons en toute humilité, il ne nous est pas permis de vérifier l’exactitude de vos savans et profonds calculs, car nous ne sommes pas mathématiciens, ni même académiciens ! Mais voici ce que nous dit notre bon sens, en s’appuyant même sur vos raisonnemens.

De telles conséquences sont encore fort éloignées. – Beaucoup dans ce voyage de la ville à la campagne, avant de toucher au terme, auraient vu se disperser leurs bagages, et nous ne comprenons pas bien ce qu’y gagneraient, par exemple, banquiers, négocians, propriétaires, commensaux du GATEAU MONSTRE, appelé liste civile, pensionnaires du budget ; aussi vous, Monsieur, qui, à moins que nous ne nous trompions, y puisez fort à l’aise ! – Mais, ce que nous voyons plus clairement, c’est que tous intéressés plus que nous encore à ce qu’il en soit autrement, tous (nous avons raison de l’espérer) se décideront bientôt à chercher avec nous un remède moins désastreux.

Vous nous rappelez NOVEMBRE 1831 ! Mais est-ce donc sur nous que ce souvenir doit se poser douloureux et menaçant ? nous qui demandions alors comme aujourd’hui a vivre en travaillant, et qu’on força à tirer l’épée du fourreau pour appuyer notre message de paix ?… Et dites, Monsieur, quoi de plus redoutable que la lente agonie de la misère et de la pauvreté ?… Dites aussi, quel champ fut jamais si peu respecté, si souvent, si long-temps dépouillé de sa moisson que le nôtre ?… Maintenant, écoutez :

Ces jours de si pénible mémoire étaient à peine écoulés, qu’un prince royal apparut dans nos murs ; quelques-uns parmi nous furent mandés près de lui. A ceux-là il témoigna de sa profonde affliction pour nos misères, parla de son père et promit de faire tous ses efforts pour qu’un prompt et efficace remède fût apporté à leurs maux !!! – Le lendemain, un maréchal-ministre entrait dans nos murs à la tête de 40,000 hommes le fusil chargé, l’épée nue et la mèche au canon ; puis il écrivait partout sur les murailles que le tarif discuté et consenti par les fabricans, était non avenu. A quelques jours de là, Casimir périer faisait retentir la tribune de ces paroles étranges : « Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation. » Et le député fulchiron, dépassant son maître, s’étonnait presque au même instant qu’un ouvrier ne pût pas vivre, lui, sa femme et ses enfans, avec 1 fr. 40 c. par jour ! Quoi de changé ? C’est ce que nous verrons bientôt.

Savoir pourquoi la Suisse, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Amérique font à notre industrie une concurrence ruineuse, et en dénoncer la cause serait pour nous chose possible, facile peut-être ; mais s’il nous faut encore résoudre cette proposition, à quoi servent donc nos législateurs ? – Voudront-ils, aujourd’hui encore, proclamer, pour leur plus grande gloire, que le bas prix des salaires est le vrai, le seul remède à appliquer ; – que nous sommes libres de travailler pour naître, vivre et mourir dans la misère ; dites, Monsieur, que diront les députés ?

Nous sommes loin de partager vos terreurs fausses ou vraies sur le gouvernement républicain, et nous vous trouvons bien changé, Monsieur, depuis le jour si fameux [3.2]lafayette montrait aux Parisiens encore en armes, une royauté entourée d’institutions républicaines !!!

Pour nous, lorsque nous verrons abattre les derniers lambeaux d’un ordre déjà presque éteint, nous applaudirons !

S’il fallait, pour affranchir le peuple de toutes les misères qui pèsent sur lui, pour l’arracher de l’abîme dans lequel vous voudriez encore le tenir plongé, que les grandes fortunes fussent abattues, eh bien ! nous applaudirions à leur chute ! Mais, rassurez-vous ; bien que nous ne soyons pas professeurs d’économie sociale, nous voyons le remède que nous cherchons ailleurs que dans la ruine des fortunes et l’abolition de la propriété.

Vous vous trompez, Monsieur, lorsque vous dites que le riche doit disparaître sous la faulx du régime populaire, c’est LE PAUVRE !!!

Si les palais sont l’horreur de la république c’est, nous le croyons, que les palais n’ont jusqu’ici vécu que de masures, de haillons et de misères !

Si les églises et leur culte font l’horreur des anarchistes comme vous dites, c’est que les prêtres en ont chassé DIEU et brisé les tables de sa loi ; c’est qu’ils ont trafiqué de sa divine parole !

Si l’opulence de simples particuliers est l’horreur de l’égalité, c’est que dans ce monde où, selon vous, tout est réparti pour le mieux, cette opulence de quelques-uns puise sa vie et son aliment dans la misère du plus grand nombre, c’est qu’elle fait vivre l’oisiveté riche et joyeuse, et tue lentement le travail, source de joies et de richesses ! L’égalité aurait-elle tort de repousser cette opulence comme un fléau ? Répondez, monsieur.

Nous ne pouvons nous défendre de sourire de pitié quand nous vous voyons, selon l’impulsion de vos passions égoïstes et la cause qu’il vous convient de défendre, jeter tour-à-tour de l’encens ou de la boue au génie de notre époque, au grand napoléon ! – S’il eût vécu au temps où l’orage, bouillonnant au sein de notre cité, enfanta NOVEMBRE, il eût recherché, compris cette douloureuse catastrophe, car il aurait, lui, fouillé jusqu’au fond de la plaie, et l’existence du peuple travailleur aurait cessé, nous en avons l’intime conviction, d’être encore aujourd’hui un problème à résoudre !…

Vous trouverez bon, monsieur, que nous ne vous suivions pas dans ce galimathias grossier dont vous nous gratifiez aujourd’hui, nous et les partisans de la république ; il porte au fond une pensée que nous vous renverrions trop amère peut-être, et d’ailleurs nous n’attendions pas plus de vous un cours de politique qu’un cours d’économie sociale ; mais écoutez :

Lorsque vous lirez ces lignes, déjà sans-doute vous aurez appris que quelques-uns d’entre nous sont appelés à se défendre contre la révoltante tyrannie de l’article 415, étonné d’être encore debout ! – Peut-être aussi, aura-t-on déjà commencé à formuler la loi qui doit EN FINIR avec les associations !!!… Si vous êtes l’ami des ouvriers, si vous êtes celui du pays, eh bien ! dites-lui, dites à la chambre législative que le sort de la France, de l’Europe peut-être furent un instant entre les mains de l’association contre laquelle elle va tenter, mais en vain, d’élever une barrière ; dites lui qu’elle a refusé le combat qui lui était offert, pour continuer en paix le grand œuvre de la régénération par elle commencée ! mais dites-lui surtout qu’elle peut (si la paix est repoussée), accepter la guerre !… et vous vous serez montré l’ami de tous ! Oui, monsieur, de tous…

Enfin, si vous êtes l’ami des ouvriers, dites qu’aujourd’hui [4.1]ils veulent s’affranchir de l’état de servitude dans lequel ils ont été trop long-temps retenus, comprimés pour l’honneur de notre mesquine et barbare civilisation ! – Dites qu’ils réclament leur place dans la grande famille sociale ; dites aussi qu’ils veulent et sauront obtenir leur part des fruits que leur active intelligence fait jaillir des entrailles de la terre. – Enfin, dites, Monsieur, que toutes ces volontés sont écrites en caractères immuables et sacrés, au grand code des lois de la nature ! et que ces lois doivent être avant tout respectées !…

Alors les leçons du passé n’auront point été sans fruit : riches et pauvres, tous nous pourrons marcher avec confiance du présent à l’avenir, de notre état de morcellement et de luttes continuelles à l’association, et de l’association à l’harmonie.

Seuls et sans le secours de vos riches intelligences, nous avons fait un premier pas, le courage ne saurait nous manquer pour ceux qui restent à faire, car, nous le répétons, nous avons pour nous Dieu, la justice et l’humanité.

Voila, Monsieur, ce que nous avions à vous faire entendre au nom de l’Association des Mutuellistes. Notre tâche maintenant est remplie.

 

Loi contre l’Association.

Quand le peuple, las d’endurer la faim dans son grenier, descendait sur la place publique et venait recevoir la mort de la main de ceux dont le devoir est de le faire vivre, on blâmait le peuple d’employer des procédés violens. Que n’avez-vous recours à des moyens pacifiques, lui disait-on ? Au lieu de vous en prendre au gouvernement de votre malaise, que ne cherchez-vous en vous-mêmes les moyens de le faire cesser ? Et le peuple comprit qu’il pouvait faire mieux que d’en appeler à la force physique, et il s’associa. Chacun des travailleurs n’était rien, ne pouvait rien par lui-même ; tous réunis formèrent un faisceau respectable. A cela il n’y avait rien à dire ; c’était l’exercice d’un droit que la nécessité rendait encore plus sacré.

Une occasion solennelle vient de montrer la haute importance de cette union des travailleurs, et de prouver en même temps qu’elle est sans danger pour la paix publique. Mais voici que le pouvoir, qui ne veut pas que le peuple pétitionne à coups de fusil (et en cela il a quelque raison), ne veut pas non plus qu’il cherche dans l’association le seul moyen d’améliorer son triste sort ; car, il ne faut pas se le dissimuler, c’est principalement contre les associations d’ouvriers qu’est dirigée la nouvelle loi, enfantée par nos Solons de la doctrine entre le Bordeaux et le Champagne. On veut faire retomber les travailleurs dans leur état primitif d’isolement pour les exploiter ensuite avec pleine et entière sécurité. Ne voulant pas les admettre au banquet social, auquel ils ont cependant droit comme les riches, on veut les priver de la puissance de l’association, qui leur permettrait tôt ou tard de réclamer la place qui leur est due. Comme la sagesse du peuple n’a pas permis aux patrons du Courrier de Lyon de lui donner cette vigoureuse leçon qui eût été sans doute analogue à celle que les forçats autorisés viennent d’infliger aux Parisiens, on cherche à détruire une organisation qui n’épouvanterait pas un gouvernement bien intentionné ; car elle est étrangère à la politique.

C’est une chose curieuse de voir l’autorité, avec cet esprit d’à propos qu’on lui connaît, attaquer l’association [4.2]dans le moment même où tous les hommes avancés s’accordent à reconnaître que le malaise de la société provient de l’isolement dans lequel vivent tous ses membres, dont les intérêts ne sont pas seulement séparés, mais sont aussi très souvent contraires. De là provient la lutte de l’intérêt individuel contre l’intérêt collectif. Or, qui peut mettre fin à ce fléau si ce n’est l’association ? Il est permis de ne pas être tout-à-fait d’accord sur la manière d’appliquer le remède ; mais il ne peut y avoir de doute sur le remède lui-même. Comment se fait-il donc que le pouvoir soit assez insensé pour ne pas sentir que sa loi, en opposition avec l’esprit du siècle ne saurait subsister ? Est-ce que par hasard Dieu voudrait perdre nos hommes d’état, qu’il commence par les aveugler ?

Que le serpent de la doctrine ne s’attaque pas à l’association ; car c’est une vigoureuse lime qui lui userait les dents avant d’être entamée. Le seul résultat de ces hostilités serait de transformer en réunions secrètes, et partant plus dangereuses, ces nombreuses sociétés dont toutes les opérations se fesaient au grand jour de la publicité. Nous ne comprenons pas ce que le gouvernement peut gagner à cette métamorphose ; nous ne voyons pas non plus ce qu’il y aurait d’avantageux pour lui à faire croire aux ouvriers qu’il n’est plus de remède à leurs maux ; il n’est pas sûr de pousser les gens au désespoir ; il serait bien imprudent et surtout bien cruel de relever dans le sang où il était tombé, le funèbre étendard de Novembre avec son inscription effrayante d’énergie et de vérité. Ce serait déclarer, de la manière la plus claire et la plus positive, qu’attendu qu’on ne peut pas, ou qu’on ne veut pas faire le bonheur du peuple, et qu’on désire cependant ne pas être troublé dans ses digestions et dans ses plaisirs par les importunes clameurs de ces milliers de prolétaires affamés, on leur imposera silence avec du fer et de l’or : le fer pour eux, l’or pour leurs bourreaux. Mais les ouvriers seront plus raisonnables que les conseilleurs et les donneurs de vigoureuses leçons. Ils resteront paisibles et associés ; ils s’efforceront même d’étendre de plus en plus les applications du principe d’association dont ils se sont très bien trouvés. Publiques ou secrètes, leurs sociétés continueront de subsister ; et cela en vertu d’un droit sacré, celui de la conservation, droit dont tous les sophismes, toutes les violences du pouvoir ne peuvent détruire la justice. Puisque le gouvernement ne protège pas les ouvriers, et que même il fait cause commune avec leurs persécuteurs, les ouvriers se protégeront eux-mêmes. Lorsqu’ils paient une si large part dans l’impôt de l’argent, lorsqu’ils acquittent presque seuls l’impôt du sang, il leur sera peut-être bien permis de s’efforcer de jouir de quelque bonheur. Il ne peut jamais être séditieux de chercher à ne pas mourir de faim.

 

Une femme dont nous admirons les nobles sentimens et les pensées justes et hardies, nous a adressé une lettre que notre dernier numéro n’a pu contenir. Telle est l’exiguïté de notre feuille que nous nous voyons forcés, encore aujourd’hui, de ne reproduire que par extrait ces pages si brûlantes d’amour patriotique.1

Lyon, 28 février 1834.

messieurs,

Vous avez inséré dans votre dernier N° une lettre de femme sur les événemens qui viennent d’émouvoir notre ville ; voulez-vous en recevoir une seconde ? Une femme ! [5.1]Des femmes écrire !!! Donner leur opinion sur des faits industriels et politiques !… Voila de quoi bien étonner et faire sourire certaines gens. – Mais qu’importe ces gens-là…. Parce qu’il y a des aveugles, chacun songe-t-il donc à fermer les yeux !… – Aujourd’hui, quelques femmes commencent à sentir leur valeur ; elles doivent la dire et la prouver. Une opinion de femme, c’est l’opinion d’un individu ; car cet individu est fait aussi à l’image de Dieu, et à lui aussi a été donné de régir le globe et d’en jouir. Les hommes, quand il leur plaît de réclamer leurs libertés, se servent de nous pour former le chiffre de 32 millions dont ils parlent si souvent. Qu’avant de nous représenter, ils prennent la peine de s’informer de ce que nos 16 millions trouvent bon à fonder ou à détruire.

Vous, Messieurs, dont le journal est voué à l’émancipation, permettez-moi de me servir de lui pour témoigner hautement de ma sympathie et de mon admiration pour la classe ouvrière de Lyon

Il y a huit jours, j’ai tremblé comme tant d’autres, mais non par la crainte du pillage. Fi donc ! J’ai frémi à l’approche de la guerre civile. Je ne savais pas, je n’osais pas penser jusqu’où pourrait aller le sang-froid et les délibérations calmes d’une classe, pour le développement moral de laquelle on a fait encore si peu. Je ne savais pas penser jusqu’à quel point une force immense pouvait se mouvoir, se prononcer comme un seul homme, et résister au persiflage, à la méfiance insolente et au défi…

Eh bien ! disent certaines gens, il fallait que les ouvriers reçussent une vigoureuse leçon. Ce mode d’enseignement, c’est la guerre civile. Quelle en eût été l’issue ? Je ne le sais, et je n’ai point la grandeur d’ame nécessaire pour envisager une cruauté avec une noble indifférence. Graces soient rendues à ceux qui ont démontré encore une fois la sottise des déclamations contre le peuple.

Pour moi, Messieurs, je dois le dire, je n’ai point approuvé la suspension générale des métiers. Cette mesure était inutile puisqu’elle ne pouvait pas être durable ; de plus, elle était effrayante pour la France et mal jugée à Lyon. Notre pauvre espèce sait si rarement apprécier les causes premières.

Le Précurseur a parfaitement posé la question dans le N° du 21 février : Peu importe, dit-il, que les fabricans refusent un tarif, si les ouvriers savent en avoir un et ne pas l’abandonner. Voila un besoin signalé… l’association est le moyen de le satisfaire. Pour moi, je n’ai pu comprendre l’association que de cette manière. Suivant le capital et le travail, elle m’a paru toujours impossible.

Mais, s’écrièrent nos savans industriels, vous ne savez pas quelle cause certaine fera sortir de nos murs notre industrie. – Si le taux élevé des façons ne fléchit pas, voyez les manufactures étrangères appeler à elles l’acheteur que nous repoussons.

Eh bien ! soit ; n’examinons pas si la concurrence est faite par l’étranger ou par les fabricans entr’eux.

Mais, je le demande, qu’est-ce donc pour la richesse d’une cité qu’une industrie qui, en employant 40 mille individus, en réduirait 30 mille à la misère, à la vie blême et chétive ?… L’ouvrier peut vivre, disent des hommes qui se croient philantropes. – Vraiment, messieurs, vous êtes bien bons de le décider et de le permettre. – Est-ce donc assez ? – Mais s’il ne peut que vivre quand il se porte bien et qu’il travaille, que fera-t-il quand il sera vieux ou malade ?…

[5.2]Et puis, quelle richesse pour le pays qu’une industrie qui ne pourrait s’exercer qu’avec la protection de 20 mille soldats, à la solde de guerre, comme en pays conquis ?…

Si donc l’on ne veut ni connaître, ni détruire les causes qui peuvent empêcher nos ouvriers de fabriquer au même taux que ceux des pays étrangers, laissez-les s’assurer des prix plus élevés… et si vous ne pouvez plus leur donner de l’ouvrage, ne prônez plus si haut cette industrie affamante ; laissez-la fuir ; n’en gardez que ce que vous pourrez avec profit pour tous. Laissez ; peu à peu, l’homme retournera au sol et à la vie des champs. Il est beau, notre sol… 40 millions d’individus pourraient y vivre heureux et aimans ; et avec vos riches industries, 30 millions s’y haïssent, s’y déchirent, et peut-être 15 millions y souffrent !!!

Que les ouvriers se resserrent plus que jamais autour de leur association protectrice ! – Qu’elle soit une digue victorieuse contre la concurrence envahissante ! – Il me semble qu’un local devrait être loué par elle, dans le centre de la ville ; ce local serait comme un passage ouvert à tout le monde (même aux agens de police) ; des tableaux seraient suspendus dans ce lieu, les uns portant les prix convenus entre ouvriers, selon les raisons et les circonstances ; les autres contenant les noms des fabricans refusant ces prix, et pour lesquels il serait convenu de ne pas travailler.

Voila, messieurs, ce que j’avais à dire : ce n’est point une prolétaire qui a défendu la cause avec amertume ; c’est une femme dont le cœur bat sous le cachemire, et dont la petite tête s’entoure de la blonde brillante, qui a voulu crier merci et persévérance aux travailleurs de Lyon. Dans ce temps de questions vives, parler est un devoir. Puissions-nous, nous femmes, en le remplissant, trouver de l’écho en France.

Recevez, etc.

A. morandt.

 

Nous devons éveiller l’attention de nos lecteurs sur la coupable négligence apportée à la rédaction des jugemens du conseil des prud’hommes ; cette négligence est le fait de M. le président et de M. le greffier ; elle est funeste aux plaideurs, il faut qu’elle cesse : la publicité est notre moyen de répression.

Le sieur Fillion, chef d’atelier, avait fait citer le sieur Ank, jardinier, en résiliation des conventions passées avec lui pour l’apprentissage de l’un de ses enfans, et en paiement d’une somme de 200 fr. à titre d’indemnité. Cette demande était fondée sur la paresse et le refus de travail du fils Ank.

A l’audience du jeudi, 2 janvier dernier, les parties se présentèrent ; le sieur Ank et sa femme développèrent, avec chaleur et surtout longuement, leurs moyens de défense. Le tribunal résilia néanmoins leurs conventions et les condamna à payer au sieur Fillion une somme de 200 fr. à titre d’indemnité. Mais, par une négligence inexcusable, ce jugement, contradictoire s’il en fut jamais, fut cependant sur la minute déclaré par défaut. Cette fausse énonciation expose aujourd’hui le Sr Fillion à la perte de son procès, et voici comment : L’huissier chargé de citer le sieur Ank, écrivit dans son exploit Ancré au lieu de Ank. Il n’y avait plus même nom, la citation était nulle ; mais cette nullité a été couverte par la présence du sieur Ank et sa femme à l’audience indiquée dans la citation, et le jugement rendu contradictoirement opposait au sieur Ank un obstacle insurmontable ; [6.1]il ne pouvait plus invoquer une nullité que sa libre présence à l’audience effaçait pleinement ; tandis que le jugement étant par défaut, Ank soutiendra ne pas s’être présenté et demandera la nullité de la procédure en se fondant sur la nullité de l’assignation. Déjà Ank a annoncé cette intention formelle, et c’est dans ce but qu’il a interjeté appel devant le tribunal de commerce. Si le sieur Ank réussit dans ses prétentions, le sieur Fillion supportera tous les frais, et son action en indemnité contre les mariés Ank pourra devenir illusoire : il sera ainsi victime de la négligence du président et du greffier du conseil des prud’hommes, qui auront déclaré par défaut un jugement cependant contradictoire. Lorsque le tribunal de commerce aura prononcé sur l’appel du sieur Ank, le sieur Fillion saura quelle conduite il aura à tenir avec M. le président et M. le greffier du conseil des prud’hommes.

MM. les souscripteurs au journal dont l’abonnement est expiré, sont priés de vouloir bien le renouveler, s’ils ne veulent pas éprouver d’interruption dans l’envoi de notre feuille. Le bureau est ouvert tous les jours de neuf heures du matin à huit heures du soir, et les fêtes et dimanches, de huit heures jusqu’à midi.

 

CONSEIL DES PRUD’HOMMES,

(présidé par m. riboud.)

Audience du mars 1834.

Balpetris fait comparaître Mlle Guillot, son apprentie, pour lui réclamer une indemnité, vu qu’elle était restée chez lui pendant l’espace de six mois, sans avoir passé des engagemens que Balpetris refusait de contracter, parce que Mlle Guillot montrait de la mauvaise volonté et un dégoût formel pour cet état.

Le conseil, considérant que Mlle Guillot avait été occupée à titre d’essai, l’a condamnée à payer à Balpetris la somme de 60 fr. pour nourriture, et les dépens en sus.

Dlle Favier fait comparaître Tholomé, et lui réclame le métier qu’elle avait monté chez lui à ses frais, sous la condition que la femme Tholomé s’engageait à lui apprendre son état dans l’espace d’un an.

Lorsqu’il a été constaté que Tholomé s’était servi du métier pour apprendre à travailler lui-même, qu’en outre il avait maltraité Mlle Favier et l’avait presque toujours occupée à son ménage, le conseil l’a condamné à rendre le métier que lui réclamait Mlle Favier.

Iserabe fait comparaître Perrachon, chef d’atelier, avec lequel il était convenu qu’il travaillerait dans son atelier pendant l’espace d’un an, et qu’il fabriquerait 1/2 aune de velours tous les jours, moyennant la nourriture et 75 c. par jour. Quatre mois après, Perrachon s’est refusé de payer la somme stipulée, attendu qu’Iserabe n’avait pu fabriquer l’aunage d’étoffe qu’il avait promis, et qu’en outre sa fabrication avait été reconnue fort mauvaise.

D’après la preuve de ces plaintes, le conseil a débouté Iserabe de toutes ses réclamations, et l’a renvoyé chez son premier maître pour y achever l’apprentissage qu’il avait commencé.

Lorsqu’un chef d’atelier renvoie son apprenti sans raisons [6.2]valables, le conseil résilie les engagemens sans indemnité. Ainsi jugé entre Mme Chapuis et Notin.

Primat, chef d’atelier, fait comparaître Delore, négociant, pour lui réclamer une indemnité pour frais de montage d’un métier qu’il cessait trop tôt de faire travailler.

Le conseil, considérant que Delore n’avait refusé de l’ouvrage à Primat que parce que sa fabrication était trop mauvaise, a débouté ce dernier de toutes ses réclamations.

Lorsque l’immoralité d’un chef d’atelier à l’égard de son apprentie a été constatée, le conseil résilie les engagemens sans indemnité.

Ainsi prononcé par le conseil, et jugé à huis-clos dans une audience antérieure.

 

conseil des prud’hommes.

AU RÉDACTEUR.

Lyon, 4 mars 1834.

Monsieur,

Le conseil des prud’hommes de la ville de Lyon a jugé à propos de diminuer considérablement le droit qui avait été perçu jusqu’à ce jour pour les dépôts de dessins ou échantillons ; cette réduction, qui a été faite dans l’intérêt du commerce, afin d’opérer un plus grand nombre de dépôts, et surtout afin de faciliter aux déposans peu aisés les moyens d’assurer la conservation des objets de leur invention, doit être portée à la connaissance du public ; en conséquence, je viens vous prier, Monsieur, de vouloir bien insérer, dans un des plus prochains numéros de votre journal, le nouveau tarif adopté par le conseil, le 30 janvier dernier.

J’ai l’honneur, etc.

Le secrétaire du Conseil,
staron.

NOUVEAU TARIF.

Le dépôt d’un échantillon ou dessin pour un an, donnera lieu à un droit de dix centimes : 10 c.
Pour 2 ans, le droit sera de vingt centimes : 20 c.
Pour 3 ans, vingt-cinq centimes : 25 c.
Pour 4 ans, trente centimes : 30 c.

Ainsi de suite en augmentant de cinq centimes par an.

Le droit ci-dessus fixé ne sera augmenté en aucun cas, quelque soit le nombre des dessins ou échantillons.

 ATHÉNÉE. – COURS ET CONFÉRENCES.

En même temps que le parti républicain empêche les exactions du pouvoir par une énergique résistance ; en même temps qu’il se popularise et acquiert plus de force au milieu des masses qui possèdent toute la vitalité à une époque d’émancipation ; il aime à constater tous les progrès que la raison publique accomplit de jour en jour, et à propager les institutions qui répandront dans le peuple des connaissances nécessaires pour ses travaux et pour son éducation sociale. Ainsi donc, arrière aux hommes qui pensent que les républicains sont en dehors de la voie d’avancement. Ceux-là ne savent pas combien le sentiment patriotique qui nous unit contient en germe d’idées comme les leurs. Oui, nous [7.1]voulons les améliorations pacifiques, et nous les voulons plus que les autres, car nous avons une grande énergie pour les obtenir.

Des hommes, mus par une ardente philantropie, organisent dans notre ville un établissement qui peut lui valoir un avenir glorieux ; aussi plusieurs d’entre nous ont concouru à cette œuvre, et apporteront tous leurs soins pour que la constitution de cette association pacifique offre des garanties aux cœurs vraiment libéraux, et que le programme offert aux lecteurs ne soit pas démenti comme tant d’autres par une dégoûtante réalité.

L’Athénée projeté pour Lyon doit être basé sur un terrain neutre, afin que les haines politiques et les haines religieuses ne viennent pas le dissoudre. Pour réunir beaucoup d’hommes dans notre temps, il fallait leur offrir le champ de la science pure. Nous souhaitons de bon cœur qu’on renouvelle à certains jours la trêve de Dieu, et que cette trêve ne soit plus troublée. On verra que le républicain n’est pas terrible, et que, s’il le devient, ce ne peut être que lorsqu’il le faut.

L’Athénée doit résumer trois institutions, dont chacune a en elle-même beaucoup de valeur :

Une salle de cours et conférences ;
Une salle d’exposition et de concert ;
Un salon de lecture à plusieurs cabinets.

En dehors des sujets non admis, les cours et conférences doivent être libres, et l’assentiment du public deviendra le seul motif d’acceptation pour un professeur. On désire atteindre deux buts par l’enseignement : 1° Instruire le public par des dissertations à la portée de tout le monde ; 2° Former le corps des professeurs par l’habitude de la parole et l’émulation.

On sait trop l’importance d’une salle d’exposition et de concert pour que nous la fassions sentir. Il suffit de dire qu’une exposition permanente serait fort utile pour exciter tous les jeunes hommes.

Un salon de lecture comprenant la littérature et les partitions musicales, devient un complément nécessaire.

Maintenant, disons que tout cet ensemble doit avoir principalement un caractère de société d’encouragement. L’on sentira combien des hommes auxquels la fortune n’a pas donné l’éducation des gens distingués, auront à acquérir. Peut-être de beaux talens apparaîtront-ils au milieu d’une classe méprisée par la fatuité oisive ?… Ce sera pour elle une grave leçon.

Plusieurs essais du genre de celui que nous annonçons pour notre ville, ont été tentés déjà, notamment à Paris, à Bordeaux, à Toulouse et à Marseille. Chacun a eu des succès plus ou moins considérables. Nul n’avait été aussi grandement et si libéralement conçu. L’union réelle des sciences et des arts sera vraiment neuve si le projet porte fruit parmi nous, et sa condition de vie se trouve dans cette union.

Une seule société peut-être a donné, sous le rapport scientifique, un noble exemple : c’est la Société de civilisation de Paris1. Là aussi la plus grande liberté est donnée aux professeurs dans les mêmes limites, et nous félicitons M. Moncey et ses nobles collaborateurs, d’avoir pu attirer à la même chaire MM. Azaïs, Rodière, Franson, Fourier, Monternault, Bertin, Vendel-Heyl, qui s’occupent des hautes questions sociales, en même temps que deux artisans appartenant à la classe dite inférieure, MM. Fugère et Stourm. Honneur à de tels hommes ! ils ne dédaignent pas la voix du pauvre et ont [7.2]repoussé un honteux préjugé qui porte les hommes de valeur acquise à rejeter bien loin d’eux les jeunes gens qui veulent se former par des tentatives de professorat.

Le journal de la Société de civilisation nous a offert des analyses précieuses que nous recommandons à nos lecteurs. Il est souhaitable que l’Athénée ait aussi une feuille de cours et conférences, et qu’elle vienne constater de semaine en semaine les progrès réels dans le développement de nos concitoyens.

Nous rendrons compte, lorsqu’ils auront paru, des statuts définitifs de l’Athénée.

 

Nous lisons les quelques lignes qui suivent dans l’Impartial de Besançon, qui, vu l’indépendance de caractère dont quelques-uns des rédacteurs de cette feuille ont fait preuve en plusieurs circonstances, aurait pu, selon nous, se dispenser d’entreprendre la tâche grande de justifier la politique du Journal des Débats et de l’appeler conservatrice. – Nous ne voyons pas non plus qu’il y ait justice à eux de juger par anticipation celle du National de 1834, parce que nous ne saurions croire que l’on puisse juger autre chose que des actes.

S’il nous était permis de parler politique, nous ne nous contenterions pas de jeter aussi mesquinement notre pensée. Mais le procureur du roi est là qui nous guette, et serait bien aise de nous happer ! – Nous pensons, néanmoins, que les rédacteurs de l’Impartial nous auront compris, à moins qu’ils n’aient les yeux fermés sur ce qui se passe autour d’eux, ce que nous n’osons ni ne voulons croire ; et, en vérité, nous ne pensons pas pouvoir mieux renverser leurs argumens en faveur du Journal des Débats, qu’en faisant suivre les quelques lignes que nous leur empruntons d’un petit article que nous avons lu dans un autre journal de leur ville, le Patriote Franc-Comtois, et qui résume assez bien l’état déplorable et alarmant dans lequel se trouve le pays :

« L’insuffisance de toutes les politiques, quelle que soit leur couleur, contre l’état de malaise de la société, est une chose bien manifeste. Mais à part toute prédilection de sympathie, et ce n’est point à des sympathies aveugles, fruits des préjugés le plus souvent, qu’il faut s’en rapporter pour juger les questions politiques, pas plus que toutes autres questions de science, car c’est pour nous une question de science que celle de savoir ce qui est bon ou mauvais pour la société ; toute sympathie à part, disons-nous, la politique conservatrice du Journal des Débats vaut cent fois mieux, à notre avis, que la politique révolutionnaire du National. Elle est infiniment plus conforme aux intérêts généraux, à l’intérêt du pauvre comme à celui du riche ; elle est plus favorable à toutes les réformes que réclame l’ordre industriel, le seul qui soit à réformer immédiatement, le seul par lequel il soit possible de commencer les réformes salutaires. »
(Impartial de Besançon du 27.)

« Quel spectacle présente aujourd’hui la France ! Trente mille hommes se concentrent dans ce moment autour de Lyon ; soixante mille sont cantonnés autour de Paris. Marseille, Nîmes et Grenoble, sont tenus sous l’épée, et l’on va discuter à la chambre la création de légions de gendarmes, où les brigadiers seront procureurs du roi, pour fortifier les 50,000 hommes qui observent l’Ouest. Dans Paris, des nuées de sergens de ville, qui ne peuvent suffire au service qu’on exige d’eux, en sorte que la police est obligée de fermer les théâtres à onze heures, pour laisser respirer ses agens ; les prisons remplies, les parquets encombrés de procès politiques, les outrages, les duels, les passions aux prises partout, la haine, la vengeance ou la peur au fond de tous les cœurs ; voila la société telle que la révolution nous l’a faite ; voila ce qu’on appelle l’ordre de choses. »
(Patriote Franc-Comtois.)

 

[8.1]Un fait d’une immense gravité, et qui pourrait bien porter d’autres fruits que ceux qu’en attendent les hommes qui ont travaillé à son accomplissement, occupe en ce moment tous les esprits, et est le sujet de bien tristes réflexions en même temps qu’il fait éclater de honteuses et infernales joies : c’est la condamnation du citoyen cabet, député, ami des dupont (de l’Eure), lafayette, garnier-pagès, etc., à 2 années d’emprisonnement, 4,000 fr. d’amende et deux ans d’interdiction de ses droits civiques et de famille, pour attaque envers les droits que S. M. Louis-Philippe tient, etc. – Voici ce que dit à ce sujet le journal le Temps, qui certes n’est pas républicain :

CONDAMNATION DE M. CABET.

M. cabet a été condamné à deux années d’emprisonnement (le minimum est de six mois et le maximum de cinq années), à 4,000 fr. d’amende (le minimum est de 500 fr. et le maximum de 10,000 fr.), et à l’interdiction des droits mentionnés en l’art. 42 du code pénal pendant deux années.

La disposition de l’art. 9 de la loi du 17 mai 1819, qui donne à la cour la faculté de l’interdiction des droits civiques, est ainsi conçue :

« Le coupable pourra en outre être interdit de tout ou partie des droits mentionnés en l’art. 42 du Code pénal, pendant un temps égal à celui de l’emprisonnement auquel il a été condamné ; ce temps courra à compter du jour où le condamné aura subi sa peine. »

Voici l’article 42 du Code pénal mentionnant les droits dont M. Cabet est interdit :

« Art 42. Les tribunaux pourront, dans certains cas, interdire en tout ou en partie l’exercice des droits civiques, civils ou de famille suivans : 1° de vote et d’élection ; 2° d’éligibilité ; 3° d’être appelé ou nommé aux fonctions de juré ou autres fonctions publiques, ou aux emplois de l’administration, ou d’exercer ces fonctions ou emplois ; 4° de port d’armes ; 5° de vote et de suffrage dans les délibérations de famille ; 6° d’être tuteur, curateur, si ce n’est de ses enfans, et sur l’avis seulement de la famille ; 7° d’être expert ou employé comme témoin dans les actes ; 8° de témoignage en justice, autrement que pour y faire de simples déclarations.

Ainsi, non-seulement la cour d’assises, par l’application de ce dernier article du code pénal, a cassé un député, mais elle a puni un délit politique par la privation des droits de famille pendant deux années. Il y a là pour tout homme qui ne s’est pas laissé aller à ce vertige de réaction et de violence, l’épidémie ministérielle du jour, un excès de châtiment qui dépasse évidemment le but. Il semble, en vérité, qu’on se soit emparé avec une joie convulsive du verdict des jurés pour en faire sortir tout ce qu’on a pu de vengeance.

Et que cette fois encore on ne se méprenne point sur nos intentions, et qu’on ne dise point que nous nous mettons contre la loi, du parti de ceux qui la violent. Nous croyons seulement qu’il appartient à la magistrature d’apporter, dans la répression juridique du désordre quel qu’il soit, cette haute modération, ce calme d’esprit inflexible qui fait sa force et peut la placer ainsi que la loi dont elle est l’interprète en dehors et au dessus des partis.

La justice, en effet, ce ne doit pas être le gouvernement qui se défend, ni même la société qui se venge ; ce doit être la raison elle-même qui intervient en tiers impartial et désintéressé entre l’offenseur et l’offensé, qui anime la loi morte pour lui prêter le discernement, la sagesse et l’équité.

Tel est-il le caractère de l’arrêt lancé contre M. Cabet !

 Poésie.
JE REGRETTE MES PLEURS.

Oh ! que de fois, l’œil sec, le cœur sans battemens,
Evoquant du passé les jours et les momens,
[8.2]N’ai-je pas confondu, dans l’étrange délire
Qui fixait sur ma bouche un douloureux sourire,
Des songes de vengeance à des songes d’amour !…
Que de fois n’ai-je pas, appelant tour-à-tour
La mort et le pardon sur sa tête parjure,
Confondu ces deux mots en un même murmure !
Oui, j’ai rêvé de mort, long-temps ; oh ! bien long-temps !…
Et peut-être aujourd’hui pleurai-je ces instans ;
Car rien n’est comparable à ce vide d’une ame
Survivant par degrés à sa plus pure flamme,
A cet ennui de vivre, à ce dégoût de tout,
Qui fait que le passé, vous poursuivant partout,
Jette sur vos douleurs son reflet le plus sombre,
Et décolore ainsi chaque jour sous son ombre ;
Car rien n’est comparable à ce morne avenir
Qui semble, étant sans but, ne devoir pas finir !

(Un intervalle.)

Pourquoi, faible roseau me ployant aux orages,
Ne pouvant me briser sous leurs sombres ravages,
N’ai-je donc pu mourir !… mourir l’aimant toujours ?…
Que faire d’une vie inutile en son cours,
Et d’un cœur las d’aimer ?… Oh ! que le monde est vide
En ses déserts peuplés ; et qu’il est insipide
En ses plaisirs changeans !… Et l’on y va pourtant !
Et moi-même parfois j’y fus perdre un instant !
L’on se disait alors : « Voyez, elle est heureuse ! »
Et je tâchais de l’être, endormant, paresseuse,
Pour ne plus la sentir (aux ris, aux chants, au bruit),
Ma pauvre ame lassée et triste en son réduit !
Mais depuis que cette ame est morte à toute peine
Ainsi qu’à toute joie, et qu’elle a de sa chaîne
Vu tomber sous mes pleurs jusqu’au dernier anneau,
Qu’est-il besoin d’aller, faisant ombre au tableau,
Porter son pâle ennui dans de brillantes fêtes,
Courber son front rêveur sous de joyeuses têtes ;
Et le soir, au retour, sans regrets, sans désirs,
Se demander comment ces frivoles plaisirs
Pouvaient être pour vous le bonheur, l’espérance ?
Ou, s’effrayant bientôt de cette indifférence,
Dans le rêve effacé plus d’à moitié du cœur,
Tâcher de ressaisir un lambeau du bonheur
Qu’en ces lieux tant de fois avait connu votre ame ;
Rappeler ce regard furtif, mais plein de flamme,
Ce sourire d’amour, ce serrement de main
Qui berçaient jusqu’au jour l’espoir du lendemain…
Et ne trouver en soi que l’ombre de soi-même !
Et ne plus tressaillir comme en ce temps suprême !
Oh ! voila le malheur !… Voila, mon Dieu ! pourquoi
Je regrette mes pleurs ;… car tout glisse sur moi,
De même que l’on voit l’eau glisser sur la feuille ;
Et l’on rendrait plutôt à la fleur qu’on effeuille
Et que l’on foule aux pieds, sa forme et sa fraîcheur,
Que la joie à mon ame et l’amour à mon cœur.

Mme Mélanie waldor.

(Le Foyer.)

 

THÉÂTRE DES CÉLESTINS.

C’est mardi prochain, 11 du courant, qu’aura lieu le bénéfice de Mlle Baudoin, bénéfice qui sera, nous l’espérons, lucratif pour elle et agréable pour le public. – Le Sauveur, vaudeville en 3 actes ; Les Malheurs d’un joli Garçon1, vaudev. dans lequel M. Breton jouera le rôle du joli garçon, et l’Infame ou le Guelje et le Gibelin, drame en cinq actes qu’on assure être sorti de la plume de l’auteur de la Tour de Stockolm, formeront le spectacle qui se terminera par deux jolies romances, chantées par M. Lange Chiarini, professeur de chant, auteur de la musique et des paroles. A mardi donc.

 

SUPPLEMENT au N° 62 de l’Echo de la Fabrique.

[9.1]Au Rédacteur de l’écho de la fabrique

Lyon, 7 mars 1834.

Monsieur,

Le Courrier de Lyon contenait dans son numéro de dimanche dernier, 2 courant, une lettre portant l’élastique signature un fabricant, et dont il est aisé de comprendre la portée et de deviner la source. – Sous le prétexte apparent d’éclairer paris et la france sur le sujet du débat de nouveau soulevé entre les fabricans et les ouvriers, M. l’ancien fabricant, à l’exemple du mathématicien dupin, a livré à la publicité des calculs dont je nie complètement l’exactitude que je vais ici rétablir dans sa pure et simple vérité.

Un métier de peluche ne peut rendre jour par jour, en 230 pour l’année, que 1 aune et 1/4 d’étoffe (je défie qu’on soutienne le contraire), et à 2 f. 25 c. l’aune ; cela fait, sauf erreur, 2 f. 81 c. et 1/4 par jour, et non 4 f. 30 c. comme le dit ce monsieur.

Sont à la charge du métier, et par conséquent du chef d’atelier, les frais ci-dessous :

De pliage pour six pièces de 30 aunes, aunage ordinairement usité ; à 50 c. l’une, et non 30 c : 3 f.
De pliage de 16 poils de 300 aunes chaque, soit 18 à 20 aunes peluches à 4 f. et non 3 : 64 f.
De tordage, y compris la nourriture de la tordeuse, pour 5 pièces, à 1 f. 10 c. l’une : 5 f. 50 c.
De tordage, y compris la nourriture de la tordeuse, pour 16 poils à 90 c. l’un : 14 f. 40 c.
De remettage y compris la nourriture de la remetteuse et du purgeuri : 5 f. 25 c.
De cannetage pour 312 aunes et 1/2, à 10 c. l’une : 31 f. 25 c.
total : 123 f. 40 c.

Or, ces 123 fr. 40 c. prélevés sur les 703 f. 40 c., total de 250 jours de travail à 2 f. 81 c. et 1/4, comme je viens de le dire, donnent un capital de : 579 f. 72 c. 1/2. Et non de 1 044 f. comme le prétend M. l’ancien fabricant, et, comme on le voit, son erreur, si on peut ainsi s’exprimer, est grande.

Voici bien un autre calcul de ce spirituel monsieur : Si un chef d’atelier est marié, qu’il ait trois enfans eu état de tisser, etc., etc. Cette plaisanterie, vous le penserez comme moi, M. le rédacteur, est par trop forte ; il semblerait que nos femmes mettent au monde des enfans de 15 à 18 ans, tout prêts à passer la navette de droite à gauche, comme dit aussi le spirituel député professeur des ouvriers. Apparemment qu’il ne nous en coûte rien pour les élever jusqu’à cet âge, et que dès qu’ils l’ont atteint ce sont des outils, tout bénéfice, pour leur propriétaire !!… Oh ! M. l’ancien fabricant, vous êtes par trop plaisant.

Mais revenons à notre calcul, et disons : la moyenne des ateliers composant notre fabrique est de trois métiers environ. – Ces trois métiers rapportent soit :

Pour le maître, ainsi que nous venons de l’établir : 579 f. 72 c. 1/2.
Par les mains de l’ouvrier, déduction faite des frais précités et du prélèvement de sa moitié : 228 f. 16 c. 1/4.
Par son épouse qui, lors même qu’elle serait bien robuste, ne saurait en tisser une aune par jour, et cela se conçoit aisément si l’on veut bien réfléchir aux charges, fatigues et maux attachés à sa nature (et qu’il serait assez juste d’alléger), 200 aunes ; ce n’est même pas raisonnable de supposer, au prix indiqué et avec déduction des frais dont il a été parlé : 370 f.
total : 1,777 f. 8 c. 3/4.

Or, comment croyez-vous, M. le rédacteur, que puisse être qualifiée l’erreur de M. l’ancien fabricant qui porte ce chiffre à 3,132 f. 45 c., et qui trouve à nous faire gagner 1,954 f. 56 c. 1/4 en sus, mais dans ses calculs seulement ? – Ceci nous rappelle ce ministre [9.2] qui voulut un jour prouver, aussi par des chiffres, qu’un budget de 1,500 millions était plus mince que le milliard de la restauration.

Je dois aussi faire remarquer ici qu’un métier lacé par le chef d’atelier au compagnon, ne rapporte, par conséquent, que 62 c. et demi par jour, au lieu de 1 f. 90 c., comme l’a dit M. l’ancien fabricant.

Voyons maintenant s’il est vrai qu’un métier ne coûte d’achat que 80 fr., et à notre tour posons des chiffres :

Bois de métier : 28 f.
Pour étamper et façon : 4 f.
Trois rouleaux, l’un piqué : 18 f.
Une remisse de 44 portées avec les cordons, à 40 c. la portée : 17 f. 60 c.
Un battant à mécanique de 30 livres : 14 f.
Une navette en cuivre : 6 f.
Peigne en acier : 7 f. 50 c
Une paire de fers : 1 f. 50 c.
Un rabot et son pince : 3 f.
Un canard et un pannaire : 5 f.
16 lisserons et plombs pour charger la remisse : 10 f.
Une mécanique : 18 f.
Forcet, pincettes, cordes de bascule et autres, tuyaux, restins, marches, baguette et verge : 10 f.
Total : 142 f. 60 c.

A présent, demeurera-t-il prouvé qu’un métier rapporte par an six fois son capital, comme l’a dit l’ancien fabricant ? J’ai, je crois, déjà prouvé que c’était un grossier mensonge. – On objectera peut-être que les métiers une fois payés laissent de bien plus grands bénéfices ? ici, je réponds qu’il faut :

Pour le loyer d’un an de l’emplacement de ses trois métiers, environ : 250 f.
Le chauffage des métiers : 50 f.
Le logement de l’ouvrier, à 3 f. par mois : 36 f.
L’usure des harnais, à 25 f. par métiers : 75 f.
Total : 411 f.

Otons encore cette somme du chiffre de 1,177 f. 88 c. 3/4, et disons enfin qu’il reste au chef d’atelier, pour bénéfice net, 766 f. 88 c. 1/4.

Croyez-vous, maintenant, M. le rédacteur, que la situation d’un chef d’atelier soit bien brillante, si, surtout, il a comme moi 4 ou 5 enfans ? Et n’est-ce pas mentir bien effrontément que de dire que les chefs d’atelier sont la véritable plaie de la fabrique et non les fabricans ? Et M. l’ancien fabricant n’a-t-il pas été un effronté menteur lorsqu’il a dit que le chef d’atelier pouvait se promener, jouer au billard, aller au théâtre, et être chargé en sus d’un emploi important dans l’association des mutuellistes, et être plus riche encore qu’un sous-préfet, un juge, un receveur-particulier, un employé d’administration !… Si ce Monsieur était mieux informé, il saurait qu’il n’y a pas de chefs chez nous et par conséquent point de sacrifice de temps au profit de l’association, et il se fût peut-être dispensé de ce dernier mensonge.

J’arrive au reproche adressé par ce monsieur aux chefs d’atelier, de ne pas donner les deux tiers de la façon à l’ouvrier, comme le fait, dit-il, celui qui dispose à lui seul de 40 à 50 métiers. Il y a dans cette assertion une double et grande erreur ; d’abord ce n’est pas 40 ou 50 métiers, mais bien 130 environ ; et puis, la division du partage entre l’ouvrier et le maître est, sur le chiffre de 90 c., de 55 pour l’un et de 35 pour l’autre.

Cette différence est notable, sans doute ; mais, pour l’expliquer avec franchise (si toutefois M. l’ancien fabricant sait ce que c’est que la franchise), il aurait dû faire savoir aussi que, contrairement à l’usage établi de temps immémorial parmi nous, les ouvriers, travaillant chez ce chef d’atelier, sont obligés de faire tordre et plier leurs pièces à leurs frais, et qu’ils ne sont ni logés ni nourris chez lui.

Enfin, il est bon de dire que ce ne sont pas des peluches qui se fabriquent dans cet atelier. Et au surplus, mes confrères et moi ne mettrons aucun obstacle à un partage de ce genre avec les ouvriers ; dès que ceux-ci voudront se charger du pliage et du tordage. Avec de semblables conditions rien n’est plus facile à nous que d’accorder les deux tiers pour façon.

[10.1]Voilà, M. le rédacteur, ce que j’avais à répondre à ce Monsieur, ou plutôt à M. le rédacteur du Courrier de Lyon ; car cette lettre n’est qu’un mensonge de plus ajouté à toutes les infamies débitées par ce journal.

Veuillez donner à cette lettre toute la publicité que comporte votre feuille, et agréer, etc.

f. œuillet,

Chef d’atelier, Mutuelliste, aux Brotteaux,
rue Charlemagne, n° 1.

Note du rédacteur. – Nous avions pensé, comme notre correspondant, que la rédaction du Courrier de Lyon n’était point étrangère à la fabrication de cette lettre ; mais nous savons assez les habitudes de ces messieurs pour ne pas être étonnés qu’ils usent de tous les moyens, tant méprisables soient-ils, pour dénaturer les causes de l’événement auquel se rattache la lettre qu’on vient de lire. Leur effronterie nous fait pitié, et ne saurait nous inspirer que le plus profond mépris pour l’usage qu’ils font de leur plume !…


i. Le remettage n’est porté par M. l’ancien fabricant qu’à 2 f. 25 c. ce qui prouve seulement qu’il n’a de sa vie donné à remettre, car on donne à la remetteuse 2 f. 25 c. en espèces, plus un f. pour nourriture ; et puis 1 f. au purgeur, plus 1 f pour sa nourriture, ce qui fait bien selon moi 5 f. 25 c.

 

AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 6 mars 1834.

Monsieur,

Le quartier St-Georges est habité spécialement par des ouvriers en soie ; la baisse des prix de façon et la suspension forcée des travaux ont rendu pénible la position du plus grand nombre. Les mutuellistes se sont empressés de leur prodiguer des secours qui, bientôt, ont du être insuffisans. Plusieurs citoyens, n’écoutant que leur zèle pour le bien public, n’ont pas refusé leur concours à cette bonne œuvre ; une quête à domicile fut arrêtée dernièrement, et on députa, auprès de nous, des délégués qui nous invitèrent, au nom de nos concitoyens, à nous charger de cette honorable mission qu’il nous était, dès lors, impossible de refuser.

Nous étant présentés chez M. Lyonnet, épicier, montée des Epies, n. 2, nous fîmes connaître l’objet de notre visite. Aussitôt, sa femme nous adressa le refus le plus formel, ajoutant qu’elle croirait se compromettre si elle donnait la moindre chose. L’un de nous, le sieur Jomet, fit observer à cette dame que l’excès de la misère pouvait porter, malgré lui, l’homme nécessiteux à de fâcheuses extrémités, et qu’il était dans l’intérêt de tous d’éviter une si déplorable issue. Voici les propres expressions qui sortirent alors de la bouche du sieur Lyonnet : « Je m’attends bien d’un jour à l’autre à être pillé par… » Nous aurons la prudence de ne pas reproduire ici le mot irritant qu’employa le sieur Lyonnet. En sortant de chez ce dernier, et après avoir éprouvé aussi chez un autre individu une réception hostile (nous devons à la vérité de dire que partout ailleurs nous fûmes accueillis avec la plus flatteuse bienveillance), nous eûmes un instant l’intention de cesser nos démarches, et nous en fîmes part aux citoyens qui avaient eu la première idée de cette quête, les suppliant de ne donner aucune publicité aux propos imprudens qu’avaient laissé échapper les mariés Lyonnet. On nous fit facilement comprendre qu’il ne nous était guère possible de cacher les motifs de notre brusque retraite, et cette réflexion nous a seule déterminés à mener à fin notre mission.

Toutefois, notre colloque avec les mariés Lyonnet n’a pu rester un secret, car les moindres circonstances en ont été rapidement connues, grace, sans doute, aux indiscrétions du sieur Lyonnet. Si sa conduite lui a valu la sévère décision, prise par les ouvriers, de ne plus rien acheter dans son magasin, il n’est pas loyal de sa part de chercher à détourner l’orage en accusant deux de ses concitoyens, qui n’ont pas craint de descendre jusqu’à la prière pour désarmer l’indignation des ouvriers et obtenir l’oubli d’une si blâmable étourderie.

Le sieur Lyonnet a cédé à des conseils irréfléchis, en adressant au journal l’Echo de la Fabrique, une lettre où il se livre à un démenti téméraire, et où il taxe de calomnie et d’imposture un récit qu’il attribue à une prétendue jalousie d’étal. Cette dernière supposition est une injure gratuite, puisque la distance qui sépare les deux magasins des sieurs Lyonnet et Jomet, tous deux épiciers, rend la concurrence peu probable, pour ne pas dire impossible ; quant au sieur [10.2]Laplace, il a reçu souvent des voyageurs que lui adressaient les Lyonnet ; ce sont les seuls rapports qui aient existé entr’eux.

Certains d’avoir accompli un devoir d’humanité ; comment pourrions-nous être raisonnablement soupçonnés d’intentions malveillantes envers les Lyonnet dont le langage nous a autant surpris qu’affligés. Il ne doit imputer qu’à sa légèreté les suites fâcheuses d’une action que nous n’avons nullement provoquée, et dont nous aurions voulu, au contraire, étouffer jusqu’au souvenir. Attaqués par la voie de la presse, c’est devant nos concitoyens, et par la presse, que nous devons repousser la calomnie ; l’opinion publique nous jugera.

Agréez, etc.

LAPLACE fils, JOMET aîné.

 

Avis

Le 23 février dernier, on a retiré du Rhône, sur la commune d’Irigny, le cadavre d’un homme inconnu, paraissant âgé de 45 ans et de la taille d’un mètre 68 centimètres (5 pieds 2 pouces). L’état de putréfaction du corps n’a pas permis de signaler ses traits.

Vêtemens : Veste de chasse en drap noir, gilet blanc de laine, pantalon de drap couleur marron, bas noir, chemise de toile rousse marquée des initiales J. C., tricot de laine blanche.

Les personnes qui pourraient donner des renseignemens sur cet homme, les adresseront à la préfecture du Rhône, division de la police.

 AVIS DIVERS.

(320) A VENDRE, 2 métiers de schalls 6/4, en 1,500, avec suite d’ouvrage et suite de loyer si l’acheteur le désire. – S’adresser au bureau.

(320) A VENDRE, une banque de 50 tavelles pour grège ; un doublage ou trancanage de 50 à 100 broches ; 2 métiers mécaniques à rotation en fer. S’adresser à M. Ardin, vis-à-vis le pont de la Gare, à Vaise.

(319) Un jeune homme de quinze ans environ, désire se placer comme apprenti dans une fabrique de velours. S’adresser, pour les renseignemens, à Mme Enjalbert, lisseuse, quai des Cordeliers, n° 57, 2e montée, au 3me étage.

(318) A LOUER, appartement de 6 ou 9 pièces, si l’on veut, dont un hangar de 60 pieds de longueur sur 20 de largeur, propre à un établissement de soierie. S’adresser sur les lieux, à M. Matrat, propriétaire, route de Vienne, n. 4, en face le fort de La Mothe, à la Guillotière.

(317) A VENDRE, une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau.

(316) A VENDRE, une mécanique longue de deux rangs, à la piémontaise, de 24 guindres. S’adresser chez M. Milan, plieur de poil de peluche par fils, rue St-Georges, n. 73.

Chansons
par le citoyen kauffmann.
Les 2me et 3me livraisons viennent de paraître ; prix 50 c. chaque.
En vente au bureau du journal.

THEORIE SOCIETAIRE
De Charles Fourier.
Les deux dernières leçons de M. berbrugger, sur la théorie sociétaire de Ch. fourier, sont mises en vente chez M. Babeuf, libraire, rue St-Dominique, n. 2. – Les 4 livraisons forment 103 pages in-8°. Chaque livraison se vend 50 c.

Notes (  Une femme dont nous admirons les nobles...)
1. Cette lettre s’associe et prolonge l’envoi précédent, au rédacteur de L’Écho de la Fabrique, d’une lettre signée par une lectrice écrivant au nom des « prolétaires féminins » (numéro du 23 février 1834). Le thème de l’émancipation de la femme est, une nouvelle fois, intégré aux rubriques du journal, ce numéro publiant également, un peu plus loin, un poème de Mélanie Waldor (1796-1871).

Notes ( ATHÉNÉE. – COURS ET CONFÉRENCES.)
1. La Société universelle de civilisation avait été créée par un groupe de libéraux à Paris en 1829. Son principal organe, le Journal des cours et conférences… à l’École philosophique de la Société de civilisation fut publié entre 1833 et 1835 par F. de Moncey. Parmi les intervenants cités ici on trouve, outre Charles Fourier qui y avait donné une série de conférences entre décembre 1833 et janvier 1834, Aimé Rodière (1808-1888), Louis-Antoine Vendel-Heyl (1786-1854), ou encore Hyacinthe Azaïs (1766-1845).

Notes (  THÉÂTRE DES CÉLESTINS . C’est mardi...)
1Les Malheurs d’un joli garçon, comédie créée en 1834 par Desvergers (1810-1867), Étienne Arago et Varin (1798-1869) ; un peu plus tard, la rubrique théâtre de L’Écho de la Fabrique mentionnera encore la comédie-vaudeville La Chanoinesse, créée également en 1834 par Eugène Scribe (1791-1861) et Francis Cornu (1800-)

 

 

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