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15 janvier 1832 - Numéro 12
 
 

 



 
 
    
DU CONSEIL DES PRUD'HOMMES1.

Une nouvelle organisation sur des bases plus larges se fait sentir chaque jour de plus en plus. Car, qu'est-ce que le conseil des prud'hommes, tel qu'il est aujourd'hui ? Avec la charte de 1830, son organisation est une monstruosité. Nous disons une monstruosité, puisque la loi appelle à l'élection de son chef tout garde national, puisque les magistrats communaux sont nommés par des milliers de citoyens, et que les bases électorales pour la chambre des représentans ont été élargies. Les industriels ne peuvent être privés des bienfaits de la nouvelle constitution, et les bases électorales du conseil des prud'hommes doivent avoir leur part.

A Dieu ne plaise que nous voulions déverser le blâme sur les membres actuels qui le composent ; ils ont fait preuve, dans les dernières séances, d'un amour vrai de la justice, et M. Guérin-Philippon2 a mérité aussi le titre de père des ouvriers ; mais c'est par cela seul que leur conduite a été généreuse que nous demandons une nouvelle organisation ; car les prud'hommes étant peu nombreux, trop de responsabilité pèse sur trop peu de personnes, et Dieu sait à combien de sarcasmes et de colibets ils ont été en butte de la part des condamnés.

Les ouvriers sont-ils représentés avec l'organisation actuelle ? c'est ce que nous allons examiner : on appelle à l'élection tous ceux qui sont patentés, c'est-à-dire un sur deux cents ; ainsi sur dix mille chefs d'ateliers, fabricans d'étoffes de soie, cinquante sont électeurs, et c'est beaucoup dire, tandis que les négocians peuvent voter en masse ; voilà la classe la plus nombreuse représentée dans ses intérêts par 50 individus, tandis que la plus petite voit dans 800 membres dont elle se compose 800 électeurs.

Les autres branches d'industrie qui concourent à la formation du conseil ne sont pas mieux partagées. Les fabriques de chapellerie et de tulle ont aussi à se plaindre du vice de l'élection. Pour venir à l'appui de ce que nous avançons, nous allons citer un fait qui plaidera mieux que nous ne pourrions le faire en faveur des ouvriers. On a vu, et nous pourrions citer les noms, un prud'homme négociant, fabricant de tulle, appelé à prononcer sur un genre de fraude qui a été la perte de cette branche de commerce, traduit lui-même à la barre du conseil, et quitter sa place de prud'homme pour venir se placer sur la sellette, déclaré enfin coupable de contravention et condamné à payer 80 fr. à son ouvrier, amende fixée par le conseil. On a vu, dans la même partie, un prud'homme, [3.2]chef d'atelier, favoriser lui-même la fraude au détriment de ses ouvriers.

Voilà le fruit de l'organisation actuelle. Tant que tous les chefs d'ateliers ne prendront point part à l’élection du conseil, nous dirons que les ouvriers ne seront point représentés, et nous ajouterons qu'il y aura chaos dans toutes les parties du commerce et décadence dans nos manufactures ; car nous sommes persuadés que la prospérité de nos fabriques d'étoffes de soie dépend, en grande partie, d'une nouvelle organisation du conseil des prud'hommes sur des bases plus larges et plus solides.

Y. T***

Notes (DU CONSEIL DES PRUD'HOMMES.)
1 La promesse d’une réforme des prud’hommes avait constitué l’une des rares concessions faites aux ouvriers après les journées de novembre. Le 21 janvier 1832 une Ordonnance de Louis-Philippe va venir modifier l’organisation antérieure. Les canuts et les journalistes de L’Echo de la Fabrique salueront l’événement voyant dans les nouveaux prud’hommes le moyen de supprimer par une jurisprudence adaptée les nombreux abus dans la fabrique. Pourtant, dès le départ, deux des principes nouveaux vont être la cible de leurs critiques : le fait que, sur le total des 17 prud’hommes liés à la fabrique, 9 soient des négociants et seulement 8 des chefs d’ateliers ; le fait également que seuls les canuts possédant au moins quatre métiers pouvaient participer à l’élection. Néanmoins jusqu’aux élections et à l’installation des nouveaux prud’hommes à la fin du mois de mai 1832, L’Echo de la Fabrique consacrera de nombreux articles à la nécessaire mobilisation et organisation des chefs d’ateliers dans la perspective du vote.
2 Joseph Marcellin Guérin, président du conseil de prud’hommes de 1818 à 1832 dirigeait une des principales maisons de soierie « depuis longtemps connue par la supériorité des produits qu’elle livre au commerce », la maison Guérin-Philippon. Elle a été récompensée d’une médaille d’or aux expositions des produits de l’industrie française de 1819, 1823 et 1827 notamment pour la qualité de ses velours, une des spécialités de la maison. Son siège était situé 25 rue des Capucins. Références : Nouvel indicateur des habitants de la ville de Lyon, d’après le dernier recensement administratif, Lyon, 1832, chez M. P. Rusand imprimeur libraire L. Costaz, Rapport du jury central sur les produits de l’industrie française, Paris, imprimerie royale, 1819. Exposition publique des produits de l’industrie française. Rapport sur les produits de l’industrie française, Imprimerie royale, 1828, XVI-573p.

 

 

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