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23 mars 1834 - Numéro 64 |
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ENCORE DU COURRIER DE LYON.
Le Courrier de Lyon à qui nous avions demandé, au nom de l’Association des Mutuellistes, l’insertion de leur réponse à la lettre de M. Charles dupin, avait tout d’abord promis à ses lecteurs de leur en faire connaître l’esprit et les conclusions, et ceci, sans doute, par excès d’impartialité, car nous nous serions volontiers contenté, nous, du fruit qu’ils eussent tiré de cette réponse, même sans le savoir et l’interprétation des très hauts et très puissans rédacteurs du Courrier. Mais voila que ces Messieurs, au moins aussi oublieux que leur patron, ne songeaient plus à leur promesse que nous croyons leur avoir rappelée dans notre dernier numéro. Des hommes, qui font métier d’imposture, nous diront peut-être demain que nous sommes beaucoup trop présomptueux ; que le Courrier de Lyon ne répond pas à l’Echo de la Fabrique ; eh bien ! soit, nous y tenons fort peu. Vous croyez peut-être, lecteurs, qu’ils ont enfin tenu leur parole, et qu’ils ont parlé esprit et conclusions ? non ; en habiles logiciens, ils ont commencé par poser cette thèse savantei : Est-ce l’Echo de la Fabrique qui répond, ou bien est-ce l’association des Mutuellistesii ? c’est-à-dire est-ce bonnet blanc ou blanc bonnet ? [1.2]Puis, prônant de nouveau le savant académicien, c’est de son langage calme, simple et grave qu’ils parlent, de sa compétence en industrie, de son impartialité au milieu de ce débat entre fabricans et chefs d’atelier, aussi de sa conscience, voire même de son amour pour les travailleurs, premier point du panégyrique. – Puis, jetant dans leurs respectables colonnes, en forme d’esprit et de conclusions, quelques morceaux isolés de la réponse des Mutuellistes à l’excellente lettre de M. Dupin, ils somment leurs lecteurs de se prononcer sur la logique de l’auteur, et posent en fait que les premiers principes de la science industrielle et le professeur des ouvriers ont été insultés par cette grossière déclamation. Voila des conclusions, mais bien fin vraiment qui y trouvera celles promises par le Courrier. – Pour nous, nous croyons que ses lecteurs se seront demandés, sans y rien comprendre, où étaient la grossièreté et les insultes que cette lettre vomissait contre M. dupin, et ce n’est pas aux rédacteurs de ce journal que nous donnerons jamais notre conscience à juger ; car, pour cela faire, il en faut une à soi et ne pas la vendre. Plus loin, MM. du Courrier demandent au secrétaire officieux comment a été atteint le double but de l’association, à qui a nui la protestation des Mutuellistes, et qui a perdu dans cette semaine qu’il appelle la semaine des dupes ? Eh bien ! nous allons essayer de lui répondre. Si ce but n’a pas été rempli en ce qui concerne la question des salaires, ce qui, du reste, n’est qu’une affaire de temps plus ou moins opportun, que le Courrier a pour le moins sentie aussi bien que nous, huit jours d’interruption dans les fonctions de notre machine industrielle ont assez clairement prouvé qu’il serait au pouvoir des travailleurs de compromettre, quand leurs intérêts le commanderaient, les entreprises des chefs d’industries, c’est-à-dire capitalistes ; et dès-lors il demeure prouvé, en dépit des efforts que font ces messieurs pour conjurer l’avenir, qu’il faut intéresser à l’action sociale le travail de même que le capital ; et un temps qu’il ne nous convient en aucune façon de déterminer, apprendra, sans nul doute, à qui doit profiter la leçon que les ouvriers ont payé 1,500 mille francs, les fabricans trois millions. – Nous ne croyons pas devoir traiter de ce qu’il plaît en outre à ces messieurs [2.1]d’appeler l’impuissance de l’association de toutes manières, les événemens ont parlé haut pour que tous soient éclairés, et quand le Courrier avance que cette mesure a soulevé les Ferrandiniers contre les Mutuellistes, il sait bien qu’il ment avec une rare effronterie. Il est peut-être bien de lui rappeler ici que malgré les prétendus torts de l’association, les différens corps de métiers étaient prêts à appuyer de leurs concours la mesure qu’elle avait prise, comme celle-ci leur prêtera toujours son appui ; car si, comme l’a dit certain écrivain, et nous le croyons, les riches veulent mollement la réforme industrielle, et que le peuple doit dans ce cas faire seul ses affaires, les travailleurs de toutes les industries savent aujourd’hui qu’ils n’arriveront à leur but qu’en mettant leurs efforts en commun. Enfin, le Courrier de Lyon termine, ce qu’il appelle ingénument ses conclusions, en se demandant et aussi sans doute à ses lecteurs, si la réponse de l’honnête secrétaire de l’association se recommande comme celle du député professeur par une connaissance approfondie des droits et des intérêts des travailleurs ? Les lecteurs de ce journal comprendront sans doute que cette question, appuyée seulement de quelques fragmens de cette réponse, est une mystification ; et en ce qui concerne cette feuille, ses rédacteurs prouvent, même dans ce cas, qu’ils ne sont pas plus aptes à apprécier la logique de cette réponse, qu’à en donner l’esprit et les conclusions, que nous attendons encore. Mais nous devons pourtant, faute de mieux, faire savoir à ceux que cela peut intéresser, qu’il en donne une toute petite. – La réponse est un pamphlet !!! Enfin, et sans doute pour répondre à la note qu’à ce sujet nous avions publiée dans notre dernier numéro, MM. du Courrier disent, avec cette finesse qui leur est particulière, que l’Echo de la Fabrique sait bien pourquoi ils ne répondent pas à ses plates injures, que le public s’en doute, et que ce n’est pas leur faute s’ils font des distinctions parmi leurs adversaires, et somme toute, que le Courrier de Lyon a de sots ennemis ! Nous les supplions de croire que nous n’attendons pas d’eux nos certificats d’honorables citoyens, et que nous nous soucions très peu de leurs distinctions, voir même de leur impartialité, et encore moins de nous déclarer leurs ennemis : pour que nous le fussions, il nous faudrait de la haine, ils valent tout au plus le mépris.
i. Courrier de Lyon, 17 mars. ii. Ici le Courrier dit des ouvriers mutuellistes. Nous protestons d’abord contre cette qualification, non qu’elle soit injurieuse pour les membres de cette association, mais parce qu’elle renferme une intention, que nous saisissons parfaitement, bien que nous n’écrivions pas aussi souvent et d’aussi longues pages que les rédacteurs de cette feuille, et sur laquelle nous reviendrons.
Extrait du Conseiller des Femmes.
Indignés de l’humiliante condition qui pèse sur la femme en général, sur la femme du peuple surtout, qui ne peut arriver à l’indépendance et à la satisfaction des besoins de la vie que par le travail ; mais n’achète et ne peut obtenir ce travail (si elle ne veut endurer misère et faim), qu’en faisant abnégation de son être, et cela précisément dans cette belle industrie que certains hommes appellent la richesse et la gloire de notre cité, nous avions quelquefois déjà soulevé le bandeau qui dérobe aux yeux cette plaie honteuse de notre organisme industriel ; et un sentiment qu’aujourd’hui même il nous serait encore difficile d’exprimer, nous avait toujours empêché de dire combien de victimes d’un tel ordre renferme notre sein mutilé. – Nous hésitions à dire combien il amasse d’amertume au cœur d’une mère impuissante, hélas ! à arracher son enfant aux mille pièges d’infamie élevés partout autour d’elle. – Nous hésitions [2.2]encore à dire que ce sanglant affront aux cheveux blancs de nos vieux pères les précipite à la tombe où ils descendent en maudissant la vie et son cortège de douleurs. – Enfin, nous hésitions à fouiller dans les replis de ce funeste et honteux présent dont la civilisation abreuve la pénible vie du peuple travailleur, car pour nous c’était encore un autre supplice. Mais voici que Mlle Dubuisson, l’une des rédactrices du Conseiller des Femmes, descend aujourd’hui parmi nous pour crier, de toute la puissance de son cœur noble et fort, anathème contre cette flétrissure de l’œuvre de Dieu ! Merci à elle, car placée qu’elle se trouve dans une région sociale plus élevée, elle pouvait, comme tant de gens encore aujourd’hui, elle pouvait s’étourdir et fermer les yeux sur cette lèpre hideuse, et puis grossir de sa voix les rires inhumains qui accueillent trop souvent les légitimes plaintes du peuple… Mais laissons-la parler. DES FEMMES DE LA CLASSE OUVRIÈRE A Lyon. Depuis long-temps des plumes éloquentes, des cœurs généreux, plaident la cause des malheureux ouvriers de notre ville, mais excepté M. Jules Favre, personne n’a pensé au sort déplorable des femmes, des filles de la classe ouvrière, et par classe ouvrière, je n’entends pas seulement celle qui travaille sur le métier, mais aussi celle dont l’industrie se rattache directement ou indirectement à la fabrication des étoffes de soie ; de ce nombre sont les dévideuses, frangeuses, couseuses, découpeuses de schalls, etc., etc. Dans cette malheureuse et utile portion de la population de notre opulente cité, la misère et ses horreurs n’épargnent pas même l’enfance. – Dès l’âge de six ans une malheureuse petite fille est attelée à une roue de mécanique dix-huit heures par jour, elle gagne huit sous, en dépense deux, trois au plus, pour ajouter une insuffisante portion de mets grossiers à son pain plus grossier encore ; cette enfant étiolée par un travail au-dessus de ses forces, abrutie par une existence toute contre nature qui s’écoule dans des ateliers malsains, hideux de malpropreté, végète ainsi dans la plus déplorable ignorance. Si son enfance maladive échappe à tant de maux, elle atteint une jeunesse plus malheureuse encore. Réservée à la fabrication des étoffes unies (les plus mal rétribuées), une femme travaille quinze ou dix-huit heures, souvent les dimanches et fêtes, pour gagner un salaire qui suffit à peu près à la moitié de ses besoins les plus urgens. Si elle se lasse d’un état qui la tue, quand la continuité d’ouvrage le lui permet, si, dis-je, une ouvrière veut chercher une occupation qui la fasse vivre, son intelligence éteinte dès son enfance lui interdit toutes celles qui demandent un peu d’étude. – Restent alors celles qui se rattachent à la fabrique. Veut-elle dévider de la soie ? Il ne suffira pas, pour obtenir de l’ouvrage, de le bien exécuter et d’être d’une exacte probité, il faudra auparavant, à quelque titre que ce soit, être recommandée au commis qui tient la balance. Celui-ci, puissance secondaire, tient peu de compte des ordres du chef lui-même, ou s’il ne peut éluder l’injonction de donner de l’ouvrage à telle ouvrière qui n’a pas cherché sa protection, alors commence pour elle une suite de vexations qui finit par lasser la misère la plus patiente. Dégoûtée d’un état qu’on ne peut exercer que sous un patronage révoltant, l’ouvrière va sacrifier un temps long et précieux dans un atelier de couture [3.1]de schalls pour apprendre un état plus lucratif. Là, elle verra d’abord que la maîtresse de l’atelier est ou parente du chef ou du commis principal, ou leur appartient à un autre titre, seules conditions pour obtenir le monopole de l’ouvrage d’un magasin. Ainsi il faudra que l’ouvrière vienne chercher de l’occupation dans ces ateliers dont la maîtresse, à l’exemple des fabricans, fera des gains exorbitans en ne la payant qu’au taux le plus minime (sans négliger aucun des moyens illicites et vexatoires qui seront en son pouvoir) ou qu’elle accepte elle-même d’ignobles et révoltantes conditions. Et qu’on ne pense pas que toutes celles qui sont exposées à tant d’horribles séductions succombent ; non ! J’ai vu d’honorables misères placées entre le vice et la faim, refuser de honteux marchés, et, par ce refus, se voir enlever leur ouvrage. Leur ouvrage ! Leur pain de tous les jours ! – Je citerai, à l’appui de ce que j’avance, les lignes suivantes, empruntées au plaidoyer éloquent de M. Favre. « Je parlais de leurs filles, ils nous donnent leurs bras, et nous, qui ne les payons point assez pour qu’elles en puissent vivre, nous prostituons leurs corps aux viles passions du plus offrant. On les accuse d’inconduite ! d’inconduite, grand Dieu ! lorsqu’on profite des privations auxquelles les condamnent la modicité du salaire, pour rendre plus enivrantes les séductions dont on les entoure, lorsqu’on spécule sur leur misère pour souiller leur innocence et profaner leur beauté ! et c’est pourtant là la vie de tous les jours. L’ouvrière qui veut être sage, doit manger du pain, boire de l’eau, se vêtir de bure, et consentir à manquer souvent d’ouvrage. Si je n’avais été témoin de ces honteuses stipulations, de ces concessions arrachées à la pudeur par la faim, je n’y croirais pas, mais j’ai entendu, et l’on veut que je ne demande pas hautement qu’on mette un terme à tant de turpitudes, à ces exploitations lubriques du plus fort, en donnant à l’ouvrier un salaire qui assure son indépendance. Oh ! non, je ne le puis, et quand à moi se joindront tous les hommes de cœur et de talent, la société consentira peut-être à ouvrir les yeux et à prendre un parti. » Ainsi l’ouvrière que la misère et l’exemple n’ont pas corrompue, doit travailler toute sa vie, vivre des plus dures privations, et au milieu de cette lutte entre le malheur et l’infamie, voir arriver des infirmités précoces, une vieillesse anticipée ; tandis que ce qu’on ne lui donne pas, disons mieux, ce qu’on lui vole, fait la fortune de ceux qui ne rougissent pas de s’enrichir des sueurs du pauvre. On opposera peut-être à ce tableau celui des aumônes immenses qui se distribuent tous les ans ; mais ce n’est pas l’aumône qui flétrit. Que veulent ces pauvres victimes de la cupidité ? C’est un travail pénible, continu qu’elles demandent ; mais un travail qui les nourrisse et qui ne leur laisse pas en perspective la faim et l’hôpital ! Et quand ces abus se présentent saignans, palpitans, hideux, ne faut-il pas mépriser cette philantropie qui ne sait pas voir, pour les guérir, les véritables plaies de l’humanité, les maux réels que la société endure ? Oh ! si vous aviez vu comme nous, les larmes amères qui coulent de ces yeux rougis par les veilles, si vous aviez entendu les cris de douleurs de ces cœurs ulcérés, vous maudiriez comme nous ces meurtriers qui frappent une génération dans sa racine, qui la rongent lentement, jusqu’à ce que la suite de maux dont ils l’abreuvent, l’éteigne tout-à-fait. jane dubuisson.
TOUJOURS DU COURRIER DE LYON.
[3.2]Au milieu du déluge de lettres qui pleuvent depuis quelque temps dans les colonnes du Courrier de Lyon, tantôt sous cette signature : Un ancien fabricant ; autre part, sous ce titre : 16e lettre départementale ; une autre fois avec celui-ci : Troisième lettre d’un libéral à un membre de la Société des Droits de l’Homme ex-saint-simonien ; et quand nous croyons reconnaître, dans ces plaidoyers en faveur du bienheureux organisme industriel sous lequel nous sommes trop heureux de vivre, certain correspondant que le journal le Temps taxait de partialité et d’exagération, alors que la crise de février était pendante ; que trois jours après, ce correspondant se reproduisait niaisement dans le Courrier, sans même se donner la peine de déguiser ses formes de langage, et alors que nous voyons tout ce manège avoir pour but de garnir les poches du très honorable M. fulchiron d’argumens contre les associations, que nous voyons ce député tromper la France en présentant les chiffres que ce journal donne comme l’expression de la situation prospère des chefs d’atelier mutuellistes, bien qu’il ait aussi entre les mains des pièces qui, par l’autorité de leur signature, accusent hautement la vérité de celles qu’il produit au grand jour de la tribune ; et enfin, quand nous les voyons ainsi s’agiter tous, et accumuler mensonges sur mensonges pour se fournir l’occasion de bâcler une loi contre les associations, loi qui maintienne (si faire se peut) toutes choses dans l’état très satisfaisant où elles se trouvent, nous ne savons trop en vérité si nous ne devrions pas fermer les yeux sur ces honteuses menées, cette dégoûtante prostitution de la pensée, et si nous ne pourrions pas employer mieux notre temps qu’à démentir encore quelques-unes des assertions mensongères de cette feuille, et attendre en même temps que travailler à la solution d’une question qu’ils s’efforcent de ne pas paraître comprendre. Voyons pourtant ce que dit l’auteur de la 16e lettre départementale. – D’abord, et nous y sommes, Dieu merci, bien habitués, c’est un fatras de déclamations contre les agitateurs politiques, contre les menées de l’Association des Droits de l’Homme. Nos lecteurs savent maintenant la formule par cœur ; ainsi il est bien inutile de la leur faire subir encore ; nous passons donc, nous contentant tout simplement d’observer à la 16e lettre départementale que les ouvriers savent très bien de quel côté sont parties les excitations au désordre et comment ils sont parvenus à en triompher. – Nos gouvernans le savent très bien aussi, et sont certainement sur ce point très innocens. L’auteur de cette lettre, sous l’influence de cette pensée que Novembre et Février sont purement accidentels et ne se rattachent à aucun fait social nouveau, aborde la question des charges qui pèsent sur la classe des travailleurs, et cherche à prouver que ces impôts de toute nature sont peu onéreux pour les ouvriers de la Croix-Rousse surtout ; mais il appelle néanmoins à ce sujet d’importantes modifications. Ainsi il parle de réductions majeures dans les droits perçus sur la viande, le sel, le vin, etc. – Le pain, selon lui, serait à un taux modéré, et il n’y aurait là rien à changer. A cela près nous trouvons que l’auteur de la seizième a quelque raison d’appeler ces réductions. Mais, s’il est vrai que les campagnes soient favorisées, ce qui, toutefois, n’empêche pas les travaux agricoles d’être en souffrance, et rend de ce côté impossible une augmentation qui aurait [4.1]pour but de dégrever les villes, où prendra le fisc qui nous dévore aujourd’hui quelques cent millions de francs de plus que l’ex-royauté de par Dieu ? Les riches ne permettront certainement pas que ce soit sur eux tant qu’ils auront seuls voix délibérative en cette matière, et ils ne paraissent guère disposés à partager avec nous cette prérogative. Or, comment s’y prendront nos hommes d’état pour opérer cette réduction qui déjà ne serait qu’un très léger palliatif bientôt frappé d’une complète nullité par le vice organique de notre système industriel et commercial, alors que passant sous silence cette capitale considération, l’urgence et la nécessité de cette réduction leur sont néanmoins clairement démontrées ? – Nous désirerions bien que l’écrivain auquel nous répondons voulût résoudre ce dilemme. Mais voila que de ce que l’octroi de la commune de la Croix-Rousse est de beaucoup inférieur à celui de Lyon, le correspondant du Courrier en conclut que la situation des travailleurs y est très heureuse, et repousse tout prétexte de sédition. – Il s’étonne aussi que ce soit de là que s’est élancé le conflit de Novembre. Nous comprenons, nous, que quand le salaire des travailleurs est généralement descendu à un taux si modique qu’il peut à peine suffire aux premières nécessités de la vie, tout droit perçu sur la consommation, sur l’alimentation des travailleurs, est une charge anti-humaine, un impôt immoral et révoltant. Si le conflit de Novembre est parti de la Croix-Rousse, c’est que là se trouve, comme le dit avec raison l’auteur de la seizième, une agglomération considérable d’ouvriers, et qu’à ce temps-là, la presque totalité arrivait à peine à gagner 18 à 20 sous par jour. Notre antagoniste peut bien avoir oublié ce fait (les gens de certaine opinion, de certaine classe ont si courte mémoire), mais il ne saurait l’ignorer. – Aujourd’hui, grace aux dispositions des dispensateurs du travail, un autre Novembre surgirait certainement des mêmes causes qui ont une très grande tension à se reproduire si les ouvriers, à l’aide des leçons de l’expérience, n’avaient trouvé dans l’association des moyens sûrs d’échapper à une telle catastrophe et de forcer au respect de leurs droits, à la prise en considération de leurs plaintes. Mais si d’un côté la perception des impôts qui pèsent sur les objets de première nécessité, est un déni de justice, un affront fait à l’humanité ; si de l’autre, en même temps que de fortes réductions dans ces impôts seraient d’abord un acte de haute sagesse, en vue de l’amélioration du sort des masses (mais difficile à opérer par les raisons que nous avons alléguées plus haut), une suppression totale, bien mieux encore un acte de justice et de moralité ; il est assez prouvé, d’autre part, que le dévorant appétit d’une machine gouvernementale telle que la nôtre, ne saurait s’accommoder d’une semblable résolution. Pour nous, qui savons bien qu’il faut à cet appétit de l’argent, beaucoup d’argent ! Qui savons en outre qu’alors même qu’une suppression totale de ces impôts serait décrétée, il n’en surgirait qu’une amélioration passagère dans la condition des travailleurs, que l’allure de notre système industriel et commercial aurait assez tôt dévorée par son principe de base : liberté illimitée, libre-concurrence, principe si bizarrement interprété aujourd’hui, et alors que l’expérience l’a déjà solennellement accusé d’être seul la source des souffrances du corps social tout entier : nous croyons, le lecteur nous aura sans doute compris, que cette suppression totale d’impôts, impossible du reste, et dont l’application générale donnerait [4.2]à peine 2 sous de bénéfice à chacun des 32 millions d’individus qui composent la société française, ne leur serait guère mieux un remède que ces impôts, la seule et réelle source des luttes passées et à prévoir entre les travailleurs et les détenteurs de capitaux. Dans l’état présent, une part du mal est là sans doute, mais sa souche est dans l’ordre des relations, dans cet ordre de la répartition des bénéfices de la production où le travail-capital, tout aussi important en industrie que l’argent, est néanmoins son très humble valet. – C’est de là (qu’on cesse de feindre de l’ignorer) qu’est sorti Novembre ; c’est aussi là que gît la cause qui a produit la crise pacifique de février, et les associations qui ont surgi et s’étendront, quand même, jusqu’à ce qu’elles aient embrassé la masse générale des travailleurs, prouvent assez que leur instinct les a bien servis. Nous nous sommes, à dessein, longuement étendus sur ce point où se trouvent à la fois et le mal et le remède ; notre devoir était de tout signaler. Que maintenant nos législateurs veuillent bien comprendre et faire le leur, sinon advienne que pourra ; ce n’est pas nous qui aurons failli ; ce ne sont pas les travailleurs qui demeureront coupables et responsables des maux qu’une terreur puérile et de machiavéliques intentions semblent amasser sur notre belle France. L’anarchie grande qui règne dans la répartition des impôts personnel et mobilier ne nous permet pas plus de vérifier l’exactitude de ce fait avancé par notre adversaire : que la loi dispense de tout impôt ceux dont le loyer ne s’élève pas au-dessus de 250 fr., que les trop courts instans que nous aurions à donner à cette recherche, car il nous faut travailler pour vivre (ce qui nous rend sans doute moins honorables que MM. du Courrier.) Mais, ce que nous savons très bien, c’est qu’aujourd’hui encore une foule d’hommes qui n’ont qu’un très modeste réduit et leur travail dans des ateliers qui ne sont point les leurs, sont encore imposés en personnel et mobilier, et que, grâce aux entraves qui entourent toute espèce de réclamation, les ouvriers trouvent encore dans un meilleur emploi de leur temps un compte plus avantageux à payer et se taire jusqu’à ce que justice soit faite, ce que nous espérons bien. Mais, dit l’auteur de la seizième, la ville de Lyon prend sur son octroi 320 mille francs dont elle dégrève cet impôt (personnel et mobilier) ; la Croix-Rousse 10 mille. – Mais qu’il veuille bien répondre à cette question que nous lui adressons : A Lyon comme à la Croix-Rousse, qui, des travailleurs ou des hommes d’argent, remplit le mieux les coffres de l’octroi ? Pour nous, la réponse ne saurait être un doute, et que ce soit au nom de l’impôt personnel et mobilier, ou par les droits d’octroi que l’on arrive à pressurer le peuple, il n’en est pas moins vrai que c’est sur lui que se prélève la plus forte partie du budget. Et en vérité, la finesse de notre adversaire n’est pas très heureuse et ne saurait être un sérieux et valable argument. Passant aux loyers, le correspondant du Courrier avoue que là est la partie la plus onéreuse des charges de l’ouvrier (et en cela il a quelque raison), puis il signale une baisse notable dans leur prix en émettant le vœu que, dans leurs propres intérêts, les propriétaires veuillent bien en comprendre les salutaires avantages. Ces conseils sont fort justes sans doute, et nous pensons aussi comme lui, qu’il est mal de faire peser sur l’ouvrier solvable les non-valeurs, le dommage [5.1]causé à la rente du propriétaire par celui qui ne paie pas. – Mais nous demanderons tout d’abord comment on s’y prendra pour faire entendre aux propriétaires qu’ils doivent se contenter d’un revenu de 5 à 6 pour cent sur leurs propriétés, tandis qu’ils voient le plus ordinairement, dans le commerce, le capital rapporter 10 et souvent 12 pour cent. Bien que le capital ainsi employé n’ait pas autant de chances de perte qu’en industrie, les propriétaires n’en veulent pas moins augmenter leur bien-être en lui faisant rapporter le plus possible ; et d’ailleurs, alors même que les propriétaires, se rendant aux invitations qui leur sont faites, diminueraient le prix des locations, en tireraient-ils le profit qu’on leur promet ? – La baisse constante des salaires, conséquence forcée du système actuel, n’arriverait-elle pas bientôt pour rétablir le tout dans les mêmes conditions, et soumettre de nouveau les propriétaires à des non-valeurs ? Mais disons-le, pour qu’il y ait sécurité pour le propriétaire, certitude d’une rente convenable, il faudrait, avant tout, qu’il y ait garantie de travail pour l’ouvrier, garantie d’un salaire proportionné à son apport dans l’action industrielle, et l’ordre actuel n’est pas fertile en garanties. – Comme on le voit, nous sommes encore naturellement amenés à soulever la grande question de l’association des trois leviers industriels, travail, capital et talent. – Là se trouve la solution du problème et le terme de l’anarchie sociale. (La suite au prochain numéro.)
Ainsi que nous l’avions annoncé dans notre dernier numéro, nous donnons aujourd’hui quelques morceaux de la brillante et chaleureuse plaidoirie de Me périer. – Nous regrettons vivement que l’exiguïté de notre feuille nous commande l’avarice ; car c’était beaucoup moins l’avocat et sa parole que nous voulions présenter ainsi à nos lecteurs, que l’homme de cœur plaidant avec la voix de sa conscience la cause du peuple, et traçant hardiment l’avenir de l’humanité.1 – Mais hâtons-nous de le laisser parler. « Il est des jours de douleur pour les nations ; – des jours de deuil qui traînent après eux un long cortège de regrets et de larmes, – et dont les anniversaires apparaissent couronnés de souvenirs funèbres et voilés d’un linceul de mort. – Jours néfastes que Dieu a marqués du sceau de la nécessité ; – que l’histoire transmet à la mémoire des âges à venir, – et qui demeurent debout au milieu des siècles qui s’accomplissent et des générations qui passent, comme de grands enseignemens de la providence ! – Il fut un jour, et ce jour n’est pas loin, où des intérêts mal compris divisèrent les citoyens en deux camps ; – où des cœurs, qui devaient s’entendre plus tard, s’exaltèrent à des pensées de haine et bondirent au bruit des armes ; – où des mains fraternelles croisèrent le fer contre le fer ; – où la destruction et la mort promenèrent dans nos rues leurs faces hideuses. – Triste lutte ! où furent frappés de nobles cœurs, – où de belles vies furent moissonnées, – brillantes comme un rêve d’espoir qu’emporte en murmurant le flot mouvant de la destinée. – Il nous en souvient à nous, témoins et acteurs dans ce terrible drame ; – et quand l’œuvre de la fatalité fut accomplie, – aux émotions fébriles du combat a succédé la pitié… – la pitié sainte à qui il fut donné d’éteindre tous les ressentimens ; – cette seconde providence qui ne distingue point entre les afflictions d’ici-bas, et se répand sur tous comme les bénédictions du ciel ! – Nous n’avons pas eu de voix pour maudire, – mais des sympathies pour toutes les misères, des larmes pour toutes les douleurs, des fleurs pour toutes les sépultures. « Deux ans se sont écoulés. – Et l’on vient aujourd’hui rallumer des haines éteintes, – rouvrir sous vos pas le volcan des passions !… – On vient insulter à notre douleur pieuse, – nous faire un crime d’avoir pleuré, – et froidement dresser un acte d’accusation en face [5.2]des tombeaux de nos frères, dont les mânes sanglans frémissent dans cette enceinte !!… « Ombres généreuses qui m’entendez, je ne faillirai pas à mes devoirs !… – Je ne viendrai pas, au nom de mes cliens, renier leur foi de la veille et leur part de solidarité ; – ils ont accepté les chances de la lutte pour défendre à leurs risques et périls votre sainte mémoire ! – et quoiqu’il puisse advenir, du moins ils n’auront pas à se repentir d’avoir suivi les inspirations de la conscience et de l’honneur. – Leur conduite présente est écrite dans leur passé : – ils aiment mieux être condamnés debout que d’être acquittés à genoux ! […] « Avant d’aborder les spécialités de ce procès, je dois me placer un instant au milieu des événemens qui ont inspiré l’article poursuivi par le ministère public ; – j’écarterai de ces événemens tout ce qui peut avoir un caractère de personnalité quelconque : – je ne veux les envisager que de haut et sous leur plus large point de vue. « Toutes les fois qu’il y a dans la société un intérêt légitime qui se trouve opprimé par d’autres intérêts, il y a perturbation, désordre, anarchie. – C’est un état de choses irrationnel qui ne se peut prolonger, – un mal interne qui doit se manifester tôt ou tard par une crise extérieure. « L’industrie se compose de deux intérêts également légitimes, et dont l’un ne peut, sans péril, opprimer l’autre : – 1° le travail qui met en œuvre ; – 2° le capital ou les avances nécessaires pour avoir la matière première et attendre le placement de la chose produite. – Ce sont là deux élémens nécessaires à la production, dont chacun doit avoir sur le prix une part correspondante à sa valeur réelle. « Ces deux intérêts se trouvaient en présence en novembre 1831. « L’un était opprimé et devait l’être, – car dans l’état actuel de l’industrie, où les parts entre le capital et le travail sont faites par le capitaliste, il est impossible que ces deux intérêts trouvent également satisfaction. « Et c’est dans ce désordre moral, dans ce défaut d’équilibre entre deux forces sociales, – dans cet obstacle à une répartition équitable et rationnelle qu’il faut chercher la cause de ces agitations sourdes dont on ne voit trop souvent que la surface. « Il fallait voir dans ce conflit d’intérêts la manifestation d’un besoin social ; il fallait reconnaître qu’il y avait là un intérêt légitime à satisfaire, étudier la cause du malaise général, – s’appliquer à prévenir une explosion. « C’était au Pouvoir, chargé de protéger tous les intérêts, à comprendre la situation et à y pourvoir ; la cause du mal bien connue, il fallait chercher le remède, – instituer des banques de crédit, des établissemens de travail où tous les intérêts eussent trouvé leur place, – montrer tout au moins qu’on s’occupait des besoins généraux en créant des commissions d’enquête sur les moyens de détruire ou d’atténuer ces causes de misère, – disposer enfin les classes souffrantes à attendre patiemment un avenir meilleur en leur prouvant qu’on s’était rendu compte de leur position et qu’on s’efforçait d’y remédier. « Qu’a-t-on fait ? – Rien !!… « Je me trompe : on a fait rouler des canons, déployé des régimens ; on a fait de la force. « Qu’est-il advenu ?… Vous le savez tous. « Elle fut terrible cette explosion, comme ces tremblemens de terre convulsifs qui ébranlent les empires sur leurs bases séculaires. – C’est qu’on n’avait vu que des agitations à réprimer par la force, là où il y avait un mal profond à guérir ! – C’est qu’on s’était cloîtré pendant de longues années dans le cercle étroit des abstractions gouvernementales, – s’habituant à voir tout l’avenir social dans des questions de pondération et d’équilibre de pouvoir ; – c’est qu’on avait tout prévu, tout calculé, tout systématisé, tout doctrinalisé dans les écrits et les discours parlementaires, hors les besoins généraux de l’humanité. – Le temps vient où ces besoins dont on n’a pas daigné tenir compte surgissent comme d’impérieuses réalités. – On veut les nier, parce qu’ils ne sont pas entrés dans les calculs des politiques de la veille ; on leur ferme toute issue, – et plus fort que tous les obstacles, le torrent qui gronde emporte et roule dans ses larges flots les digues impuissantes qu’on lui oppose ! « Messieurs, voila novembre. – Ne récriminons point contre des faits accomplis ; – n’accusons point les hommes là où se montre le doigt mystérieux de la fatalité ; – mais reconnaissons, pour être justes, un fait que l’histoire aussi reconnaîtra : – c’est qu’un intérêt légitime [6.1]a été violemment comprimé, et que son explosion a été elle-même légitime, parce qu’elle a été nécessaire !… « Dans les rangs des travailleurs furent quelques hommes qui n’appartenaient pas eux-mêmes aux classes souffrantes, – mais dévoués à la cause du travail, ayant des larmes pour tous les maux, comme d’autres ont des sourires pour toutes les prospérités, et de l’encens pour toutes les idoles ; – hommes qui s’étaient donné la mission trop souvent insultée, mais plus tard comprise, de venir au secours de ceux qui souffrent. – Ils ne s’inquiétèrent pas si leur conduite devait, quelques mois après, les traîner sanglans sur les bancs d’une cour d’assises ; – leurs convictions parlaient, ils obéirent ; – il allait donner du sang, ils payèrent leur dette ! […]
Nous sommes priés d’insérer la lettre suivante, et nous le faisons d’autant plus volontiers qu’elle est une protestation, digne d’être entendue, contre les prétendus bienfaits de la concurrence et contre la spoliation que MM. les fabricans exercent les uns envers les autres au désavantage de tous, fabricans et ouvriers. – Nous reviendrons sur cette lettre dans notre prochain numéro. Lyon, 21 mars 1834. Monsieur, A la petite audience du conseil des prud’hommes, lundi dernier, quelques personnes que je n’ai pas reconnues ayant dit que je leur avais promis 1 fr. 20 c. d’un article d’ombrelles façonnées dont je suis le créateur, j’y ai répondu à l’instant par un démenti énergique ; je viens le répéter de la manière la plus formelle, et je vous prie, M. le rédacteur, de me permettre quelques observations à ce sujet. Quand j’ai établi cet article dans le mois de décembre, je pensais en donner 1 fr. 10 c. de façon (plus de la moitié des métiers que j’occupe en ce genre font des journées de 5 aunes). Une quarantaine de livrets d’ouvriers portaient déjà le prix de 1 fr. 10 c. écrit en toutes lettres, lorsque, dans la première quinzaine de janvier, je reçus la visite de cinq ou six chefs d’atelier qui me demandèrent, au nom de tous ceux qui fabriquaient cet article ou qui avaient reçu des dispositions pour le monter, de le payer 1 fr. 20 c. Je m’y refusai en leur en expliquant les motifs. Ici se placeraient des détails que je crois utile de supprimer. – Après trois ou quatre jours écoulés sans aucune solution, je dis à ceux qui étaient venus plusieurs fois me parler au nom de tous les autres : « Je crois savoir qu’il se prépare une contrefaçon de l’article que j’ai créé, le plagiaire qui n’a pas eu à supporter des frais d’essai de matières, de lisage, etc., etc., pourra vendre son étoffe à meilleur marché que la mienne, et y trouver, en fin de compte, le même bénéfice que moi. D’ailleurs, je serai forcé d’arrêter la fabrication de ce genre un mois au moins plus tôt que je ne le ferais dans le cas où j’en resterais maître, ainsi que cela serait juste puisque je l’ai créé. Si donc vous aviez, par les points de contrat qui existent entre les chefs d’atelier, le moyen de me garantir de la contrefaçon, comme ce serait un avantage pour moi, et qu’un avantage en amène un autre par réciprocité, je donnerais volontiers 1 fr. 20 c. au lieu de 1 fr. 10 c. » Ceux qui formaient la députation dont j’ai parlé me demandèrent du temps pour me faire une réponse. Quand ils revinrent, je ne m’informai pas des lieux où ils étaient allés, ni des personnes qu’ils avaient vues ; mais je reçus d’eux, au nom des autres chefs d’atelier, l’engagement verbal de me garantir de la contrefaçon ; après quoi je leur dis qu’à cette condition, et par réciprocité, je donnerais les 10 c. d’augmentation. Voila des faits que je ne crains pas de voir contester par ceux qui y ont pris part. Je défie qui que ce soit, hors les personnes avec lesquelles j’ai été en conférence, au commencement de janvier , de dire que j’ai articulé en sa présence le chiffre de 1 fr. 20 c. Eh bien ! Il est arrivé que les chefs d’atelier ont été dominés par les circonstances ; ils n’ont pas pu persuader à des ouvriers sans ouvrage de ne pas prendre des dispositions semblables aux miennes. Non seulement j’ai été servilement copié, mais encore une maison, que j’ai bien envie de citer, a poussé la piraterie industrielle jusqu’à établir, depuis quelques jours, les produits de la contrefaçon, à 5 p. 0/0 au-dessous de mes étoffes. Certainement il me serait bien possible de livrer cette maison à la mésestime publique, au moyen de votre feuille : mais il n’est possible ni aux chefs d’atelier ni à moi d’empêcher que l’étoffe copiée ne soit faite. Vous voyez que la condition moyennant laquelle j’aurais donné avec [6.2]plaisir 1 fr. 20 c. de façon, ne se trouve pas remplie, et que dès-lors je ne suis pas tenu moi-même à une clause qui n’était que réciproque. Je veux donc qu’on sache bien que si je donne 1 fr. 20 c. aux chefs d’atelier dont j’ai à me louer, c’est-à-dire à la presque totalité de ceux que j’occupe, c’est par des raisons de convenance et pas du tout par devoir de conscience. Mais si quelqu’un avait fait de la mauvaise fabrication, ou s’était donné un autre tort quelconque, je ne vois pas pourquoi je paierais sa main-d’œuvre plus que je ne suis obligé de le faire. Agréez, etc. L. bonand.
MM. les souscripteurs au journal dont l’abonnement est expiré sont priés de vouloir bien le renouveler, s’ils ne veulent pas éprouver d’interruption dans l’envoi de notre feuille. Le bureau est ouvert tous les jours de neuf heures du matin à huit heures du soir, et les fêtes et dimanches, de huit heures jusqu’à midi.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES,
(présidé par m. riboud.) Audience du 20 mars 1834. Sur vingt-cinq causes qui ont été appelées à l’audience d’aujourd’hui, et qui, excepté deux ou trois, ont toutes été renvoyées à une audience prochaine ou à expertise, la suivante seulement paraît digne d’être rapportée. Coissard, chef d’atelier, avait fait comparaître, dans une audience antérieure, Billon et Gandy, négocians, pour leur réclamer une indemnité pour le montage d’un métier qu’ils avaient cessé trop tôt de faire travailler, sous le prétexte non fondé qu’on ne pouvait fabriquer des couleurs claires dans l’atelier de Coissard. Le conseil avait délégué d’eux de ses membres pour statuer à cet égard ; un seul a pu se présenter, lequel, d’après le consentement des deux parties, a procédé à cette affaire, et a décidé que Coissard devait recevoir la somme de 20 fr. à titre d’indemnité. Billon et Gandy ne voulant se rapporter à cette décision, Coissard les a fait reparaître devant le conseil qui a délégué deux autres membres. Coissard a présenté un second compte de dépenses plus exact et plus détaillé. Il lui a fallu le témoignage d’un commis de MM. Billon et Gandy pour leur prouver que, par rapport à une fausse disposition, il avait été obligé de remonter son métier. D’après ces preuves, Billon et Gandy ont été condamnés à payer à Coissard une indemnité de 48 fr. au lieu de 20 fr. Ces Messieurs, refusant encore de s’en rapporter à cette décision, Coissard les a fait comparaître aujourd’hui au conseil qui les a condamnés par défaut et aux dépens.
Au Rédacteur. Lyon, le 21 mars 1834. Monsieur, M’étant présenté trop tard dans vos bureaux, et n’ayant pu faire admettre dans le dernier N° de votre journal un article en réponse à celui que vous avez publié sur l’affaire Fillon-Ank dans votre N° du 9 courant, je viens vous prier aujourd’hui de donner la même publicité à la réclamation que j’ai l’honneur de vous adresser. [7.1]J’ai été surpris et peiné de lire l’article que vous avez inséré au sujet de cette affaire, et j’y réponds pour dissiper les impressions fâcheuses qu’il aurait pu produire. Quant à M. le président et au greffier, sur lesquels vous déversez un blâme si amer, je vous dirai qu’ils étaient absens l’un et l’autre le 2 janvier : le premier était à Paris, le second à St-Etienne ce jour-là ; voila pour leur justification ; mais comme une absence ne peut mettre une responsabilité entièrement à couvert, il ne m’a pas suffi de penser que j’étais étranger à cette affaire, j’ai dû prendre des informations pour savoir si les torts étaient aussi graves que vous le prétendiez, et le commis-greffier qui tenait la plume ce jour-là, m’a assuré que la dame Ank avait assisté seule aux débats de la cause, sans autorisation ni procuration de son mari ; que dès-lors on avait dû prononcer le jugement par défaut. D’ailleurs, l’erreur que vous signalez serait si forte qu’on ne peut supposer qu’elle ait été commise. En effet, rédiger un jugement par défaut qui aurait été rendu contradictoirement, serait d’une incurie, d’une négligence si extraordinaires, que je ne puis en admettre la possibilité, et j’espère bien que jamais rien de semblable n’aura lieu. Quant à l’affaire, au fond, elle n’est point aussi sérieuse que vous le pensez, et que le jugement ait été rédigé par défaut ou contradictoirement, M. Fillon n’est pas exposé, par le mode de rédaction, à la perte de son procès comme vous le dites, car il s’agissait, dans l’espèce, d’une condamnation de 200 fr. Le conseil ne pouvait juger en dernier ressort, puisque sa compétence ne va que jusqu’à 100 fr. ; cette cause aurait toujours été portée devant le tribunal de commerce. Si elle l’est, comme vous le croyez, le jugement, quel qu’il soit, subira une censure à laquelle il ne pouvait échapper. Agréez, etc. staron, greffier. Note du rédacteur. – Celui de nos rédacteurs qui a fait l’article auquel répond la lettre qu’on vient de lire, étant absent, nous reportons à notre prochain numéro la rectification des faits contestés, s’il y a lieu, ou la réfutation des motifs allégués dans cette réponse.
Nouvelles Diverses. Plusieurs journaux, au nombre desquels sont le Peuple Souverain de Marseille, le Dauphinois de Grenoble, le Patriote de Saône-et-Loire de Châlons 1, et le Patriote Franc-Comtois de Besançon, ont, sur la demande que nous leur avions adressée au nom de l’Association des Mutuellistes, donné toute l’extension en leur pouvoir à la réponse de cette association à la lettre de M. Charles dupin. – MM. les administrateurs du Dauphinois, vu le format de leur feuille, et attendu que la lettre du savant professeur se vendait par ordre dans les rues de Grenoble, ont fait imprimer la réponse à part et l’ont fait distribuer de la même manière. – L’Association nous charge d’adresser ses remercîmens à ces différens journaux, et nous nous empressons de le faire en y joignant les nôtres. Nos lecteurs se rappellent le débat élevé entre le sieur Lyonnet, épicier, et MM. Laplace et Jomet ; le sieur Lyonnet nie derechef les accusations graves portées [7.2]contre lui, et voudrait continuer par un démenti très-peu conforme aux règles de la bienséance et qui nous mettent dans le cas de ne pouvoir publier la lettre qu’il nous a à ce sujet adressée, lettre qui du reste n’apporte aucune lumière sur ce débat qui ne nous semble pouvoir être éclairé que par une plainte en calomnie. Le Précurseur, cité par devant la cour royale, chambre des appels correctionnels, en la triple personne de MM. Jules favre, avocat ; Anselme petetin, rédacteur en chef, et Amédée de roussillac, gérant signataire du journal, comparaissait le 17 mars, accusé d’avoir rendu un compte inexact et infidèle du procès et de la condamnation du jeune Perrin par cette même chambre. L’article incriminé était de M. Jules Favre, défenseur de Perrin, qui s’est hâté d’en revendiquer toute la responsabilité. – Avant de remettre le soin de sa défense à Me Sauzet, M. Jules Favre a prononcé un discours dont la modération et la franchise ont fait une vive et profonde sensation ; et enfin hier 21, ce procès s’est terminé par une annulation pour vices de formes ; mais au fonds, par un acquittement. – Nous donnerons le discours de Me Favre dans notre prochain numéro. Mercredi, 19 mars, ont eu lieu les funérailles de M. Morel, membre de l’association des Concordistes. – A la suite de cette cérémonie, une collecte en faveur des blessés de Novembre 1831 a été faite par M. Chardonnet, qui en a versé le montant, qui est de 9 fr., dans les bureaux de notre journal, conformément aux intentions des citoyens de ces deux associations présens au convoi. Un excellent juste-milieu disait ces jours derniers : « Voila ce que c’est que les révolutions : ça commence par des poignées de main, et ça finit par des coups de bâton. C’est une paraphrase assez juste du vieux proverbe : jeu de main, jeu de vilain. » L’auteur de ce mot, qui paraît être pourvu au plus haut degré de la bosse du calembour, disait encore : « Et de quoi se plaint-on ? La loi ne dit-elle pas que pour faire retirer la foule il faut la sommer (l’assommer.) » (Bon-Sens.) Il n’est pas d’esprit généreux, d’homme de cœur qui n’ait gémi en apprenant, que, pour un propos arraché à l’audience par un sentiment d’indignation qu’il n’avait pu contenir, Vignerte eût été condamné, séance tenante, à trois ans du prison. Eh bien ! cette condamnation ab irato que les juges eux-mêmes déplorent sans doute, M. Persil entend l’exécuter avec un surcroît de rigueur inusitée même sous la restauration. Vignerte ne subira pas sa prison à Paris, il ira à Poissy, et là, au milieu des voleurs, accouplé avec eux, il expiera le crime de n’avoir pu supporter, sans se plaindre, qu’on calomniât, en sa présence, ses amis politiques. (Idem.) Le Journal de l’Aube2 rapporte l’anecdote suivante : « Un bon campagnard champenois vient d’être attrapé par un lièvre qui, dans cette circonstance, paraît avoir déployé beaucoup d’astuce et de présence d’esprit. « Le paisible animal, surpris par l’inondation, n’avait trouvé qu’un vieux saule sur lequel il s’était perché au milieu des eaux, lorsque, jeudi dernier, un paysan l’aperçut. « Notre homme s’embarque à l’instant dans un petit bateau et se dirige vers le saule ; mais le lièvre l’avait vu venir : il laisse approcher son adversaire, et au moment où celui-ci s’attachait à l’arbre pour l’atteindre, le lièvre saute vivement dans la frêle embarcation, que la violence du vent poussait au large, et il vogue à son tour vers la [8.1]rive, où il ne tarda pas à trouver la clé des champs, tandis que le paysan, captif à son tour, ne fut aperçu dans sa grotesque et pénible position qu’à trois heures de l’après-midi, après une faction qui avait duré depuis dix heures du matin. »
La lettre suivante a été adressée hier à M. le rédacteur du National de 1834 : Paris, 13 mars 1834. Monsieur, Deux ministres ont insulté, hier, à la tribune, les membres des associations politiques. Bien qu’on pût se dispenser de relever les injures de deux hommes aussi justement et universellement méprisés que MM. Guizot et d’Argout, notre position, comme mandataires de la Société des Droits de l’Homme, nous fait un devoir de repousser les outrages dirigés contre elle, et n’ayant pas, comme trois d’entre nous, le moyen de le faire à la tribune, nous avons recours à la voie des journaux. Placés à la tête de la Société des Droits de l’Homme, nous apprécions chaque jour ce qu’il y a de moralité et de dévoûment dans les hommes qui la composent. Nous donnons un démenti formel aux deux ministres, et, à la face du pays, nous déclarons infames et lâches tous ceux qui, à leur exemple, abuseraient de la position que leur fournit la tribune pour insulter des citoyens dont la vie ne craint pas l’examen. Les hommes de cœur de toutes les opinions s’étonneront de l’impudente audace de ces gens qui, flétris par toutes les bassesses, vils instrumens de tous les pouvoirs, insultent à des sentimens honorables et à des dévoûmens prouvés. A. J. Beaumont, G. Cavaignac, A. Guinard, Recure. (National.)
MONT-DE-PIÉTÉ. Il sera procédé, le mardi 25 mars courant, et jours suivans, depuis quatre heures après midi jusqu’à huit, dans la salle des ventes du Mont-de-Piété, rue de l’Archevêché, à l’adjudication, au plus offrant et dernier enchérisseur, de divers objets engagés pendant le mois de février de l’année 1833, depuis le N° 8158 jusque et compris le N° [ ?]. Ces objets consistent en linge et hardes, dentelles, toiles, draps, glaces, bijoux, etc. Les lundis et les jeudis, on vendra les bijoux et l’argenterie, les montres et les dentelles, etc. ; Les mardis, les draps, percales, indiennes, toiles en pièces et hardes ; Les mercredis, les matelas, les lits de plume, les glaces, les livres reliés et en feuilles, les vieux papiers, autres objets et hardes ; Et les autres jours, le linge, les hardes, etc.
louis babeuf, rue st-dominique. en vente : DE LA COALITION des chefs d’atelier de lyon, Par Jules Favre, avocat. prix : 75 centimes. Au bureau de l’Echo de la Fabrique, et chez tous les libraires.
AVIS DIVERS.
AVIS. [8.2]On cherche le fils d’un portier nommé Cuay ; il est âgé de 13 à 14 ans, portant un pantalon bleu, un habit noir et un chapeau blanc. On présume qu’il est lanceur dans quelque atelier. Les personnes qui en auraient des nouvelles sont priées de les adresser au bureau du journal. AVIS. – Une jeune chienne croisée épagneule et braque, taille moyenne, poil gris mélangé de taches marron, oreilles à longs poils marron, marques de feu au-dessus des yeux, museau pointu, courte queue à longs poils, dessous du ventre blanc soieux, a été perdue dans le quartier de la Quarantaine, le 12 février dernier. On offre une récompense de 15 fr. à qui la ramènera à M. de la Perrière, à la Mulatière, maison en face du pont. Elle portait un collier commun en cuir noir, avec boucle et anneau de fer. (322) A VENDRE, pour cause d’infirmité, un magasin d’épicier-revendeur, bien achalandé, dans un quartier d’ouvriers. S’adresser à la Croix-Rousse : place de la Visitation, grande maison Perrein ; n° 1, au sieur Reyjoly, épicier. (320) A VENDRE, 2 métiers de schalls 6/4, en 1,500, avec suite d’ouvrage et suite de loyer si l’acheteur le désire. – S’adresser au bureau. (320) A VENDRE, une banque de 50 tavelles pour grège ; un doublage ou trancanage de 50 à 100 broches ; 2 métiers mécaniques à rotation en fer. S’adresser à M. Ardin, vis-à-vis le pont de la Gare, à Vaise. (319) Un jeune homme de quinze ans environ désire se placer comme apprenti dans une fabrique de velours. S’adresser, pour les renseignemens, à Mme Enjalbert, lisseuse, quai des Cordeliers, n° 57, 2e montée, au 3me étage. (317) A VENDRE une mécanique en 744 courant, corps et remisse en soie, travaillant pour étoffes d’ameublement. S’adresser au bureau. (316) A VENDRE, une mécanique longue de deux rangs, à la piémontaise, de 24 guindres. S’adresser chez M. Milan, plieur de poil de peluche par fils, rue St-Georges, n° 73. (318) A LOUER, appartement de 6 ou 9 pièces, si l’on veut, dont un hangar de 60 pieds de longueur sur 20 de largeur, propre à un établissement de soierie. S’adresser sur les lieux, à M. Matrat, propriétaire, route de Vienne, n° 4, en face le fort de La Mothe, à la Guillotière. Chansons par le citoyen kauffmann. Les 2me et 3me livraisons viennent de paraître ; prix 50 c. chaque. En vente au bureau du journal. THEORIE SOCIETAIRE De Charles Fourier. Les deux dernières leçons de M. berbrugger, sur la théorie sociétaire de Ch. fourier, sont mises en vente chez M. Babeuf, libraire rue St-Dominique, n° 2. – Les 4 livraisons forment 103 pages in-8°. Chaque livraison se vend 50 c. MÉTHODE pour s’exercer et même APPRENDRE À LIRE SANS MAÎTRE. prix : 1 franc. A Lyon, chez J. perret, rue St-Dominique, n° 13.
Notes ( Ainsi que nous l’avions annoncé dans notre...)
. L’échec de la grève de février 1834, le raidissement des autorités orléanistes et l’accélération de la répression conduisent à la soudure graduelle entre les mutuellistes et les républicains. Toutefois, les mutuellistes conservent leur autonomie et, la jugeant prématurée, résisteront, par exemple, courant mars 1834, au projet d’insurrection immédiate fomenté par les membres lyonnais de la Société des droits de l’homme. Durant ce mois de mars, les références au républicanisme se multiplient donc dans le journal. Ce sont dans les premiers jours d’avril 1834, à la veille de l’insurrection, qu’un « comité d’ensemble » réunissant républicains et mutuellistes sera finalement formé.
Notes ( Nouvelles Diverses. Plusieurs journaux, au...)
. Peut-être ici, Le Drapeau tricolore. Journal constitutionnel de Saône-et-Loire, publié à Chalon-sur-Saône depuis 1832. . Peut-être ici, Le Mémorial de l’Aube. Journal de l’arrondissement de Bar-sur-Aube, fondé en 1827.
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