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6 avril 1834 - Numéro 66
 
 

 



 
 
    
Texte

DE LA LOI SUR LES ASSOCIATIONS,

Telle qu?elle a été adoptée par la chambre des députés.

Art. 1er. « Les dispositions de l?art. 29l du code pénal sont applicables aux associations de plus de 20 personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections d?un nombre moindre, et qu?elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués.
[3.2]« L?autorisation donnée par le gouvernement est toujours révocable. »

« Art. 2. Quiconque fait partie d?une association non autorisée, sera puni de deux mois à un an d?emprisonnement, et de 50 fr. à 1,000 fr. d?amende.
« L?article 463 du code pénal pourra être appliqué dans tous les cas.
« En cas de récidive, les peines pourront être portées au double.
« Les condamnés, dans ce dernier cas, pourront être soumis à la surveillance de la haute police pendant un temps qui pourra être élevé jusqu?au double de la peine. »

Art. 3. « Seront considérés comme complices et punis comme tels, ceux qui auront prêté ou loué sciemment leur maison ou appartement pour une ou plusieurs réunions d?une association non autorisée. »

Art. 4. « Les attentats contre la sûreté de l?état, commis par les associations ci-dessus mentionnées, pourront être déférés à la juridiction de la chambre des pairs, conformément à l?art. 23 de la charte constitutionnelle.
« Les délits politiques commis par lesdites associations, seront déférés au jury, conformément à l?article 69 de la charte constitutionnelle.
« Les infractions à la présente loi et à l?art. 291 du code pénal seront déférées aux tribunaux correctionnels. »
« Les dispositions du code pénal auxquelles il n?est pas dérogé par la présente loi, continueront de recevoir leur exécution. »

A la suite de cette loi d?amour, dont la discussion a réveillé de vives émotions dans le pays, fait entendre à nos gouvernans d?énergiques protestations de la part d?un grand nombre de députés (parmi lesquels d?honorables citoyens bien connus par leur prédilection pour l?ordre monarchique constitutionnel ont produit une vive et profonde sensation), de remarquables discours sont venus fixer notre attention et commander notre admiration pour ceux qui ont avec tant de noblesse et si courageusement défendu les libertés du pays fortement menacées par cette loi.

Nous aurions bien voulu qu?il nous fût possible de les enregistrer tous et les livrer à l?appréciation de nos lecteurs ; car ils sont, telle est du moins notre pensée, le prélude du dernier défi jeté à l?humanité et au progrès social par les stupides soutiens d?un ordre qui procède par la corruption, la vénalité et la démoralisation, dresse des autels à l?ignorance et au fanatisme, et fait de la misère des peuples une jouissance de plus pour ses lâches courtisans.

Toutefois, nous ne saurions résister à l?envie de reproduire ici quelques fragmens du discours prononcé par M. Pagès (de l?Arriège)1 au moment où la chambre des députés allait par son vote clore la discussion de cette loi déplorable.

« Je déclare hautement, a dit M. Pagès, que, malgré son inique arbitraire, j?aiderai le pouvoir contre toute association perturbatrice, que je le ferai avec courage, avec force, de bonne foi, sans arrière pensée. Mais je déclare aussi que sous l?empire, j?ai fait partie d?une réunion ; magistrat alors, ma maison était son asile, et jamais, jamais je n?inspirai d?ombrage. Le despotisme n?est pas la tyrannie. Si quelques bassesses se couchaient à plat-ventre devant Napoléon, planant au-dessus de cette poussière, il comptait sur la France et sur son génie [?]

Je déclare que je ne ferai pas au roi des Français une injure que je n?ai faite ni à Napoléon, ni à la restauration. J?ai cru au puissant génie de l?empereur, j?ai cru à la religieuse probité de Charles X, je veux croire à la sagesse prudente de Louis-Philippe.

Si je me trompe, députés magistrats, députés fonctionnaires, je vous ajourne. (Mouvement.) Nous nous retrouverons hors de cette enceinte. Vous me verrez sur la sellette des accusés, seul devant Dieu et le pays, seul avec ma conscience, la raison et la liberté, et vous sur la pourpre, vous avec vos honneurs, vos places, vos traitemens. [4.1]La France dira si vous pouvez briser une indépendance de caractère que les Marchangy et les Bellart2ont respectée.

Aussi, si un Français, homme de bien, veut se réunir pour propager, affermir, garantir le christianisme, je suis son homme malgré vos ministres et votre loi. (Bruit au centre.)

Si un Français, homme de bien, veut se réunir pour étendre les secours de la bienfaisance à la classe pauvre et laborieuse, aux malades, aux infirmes, aux ouvriers sans travail, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. (A droite : Très bien !)

Si un Français, homme de bien, veut une plus puissante diffusion de vérités acquises, de saines doctrines, de ces lumières qui préparent la moralité de l?avenir et le bonheur de l?humanité, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. (Bruit confus. ? Approbation aux extrémités.)

Si un Français, homme de bien, veut donner au pays la sauvegarde de l?indépendance électorale, et s?opposer à ces choix honteux qui livrent la vénalité politique à la corruption ministérielle, je suis son homme, malgré vos ministres et votre loi. (Rumeurs au centre.)

Esclave de toutes les lois justes, ennemi de toutes les lois iniques, entre les persécuteurs et les victimes, je ne balancerai jamais. Je ne connais pas de pouvoir humain qui puisse me faire apostasier Dieu, l?humanité, la France. Je désobéirai à votre loi pour obéir à ma conscience (Voix des extrémités : Très bien ! très bien !) »

Notes ( Texte)
1. Jean-Pierre Pagès dit Pagès de l?Ariège (1784-1866), député de l?Ariège dès 1831, opposant au parti de l?ordre il prendra au tournant des années 1833-1834 la défense des associations.
2. Référence à Louis-Antoine-François de Marchangy (1782-1826) et à Nicolas-François Bellart (1761-1826) deux hauts magistrats qui, sous la Restauration, avaient accablé la presse et le droit d?expression.

 

 

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