Retour à l'accueil
6 avril 1834 - Numéro 66
 
 

 



 
 
    

Au Rédacteur de l’écho de la fabrique.

Lyon, 3 avril 1834.

Monsieur,

Quatre chefs d’atelier, MM. Chardonnait, Millet, Marrel et Plantard, ont cru devoir faire insérer dans votre dernier numéro une lettre de nature à porter atteinte à ma considération. Je suis bien obligé, quelque regret qu’il m’en coûte, de repousser une attaque que je n’avais nullement provoquée.

Les quatre signataires parlent des conférences que j’ai eues au commencement de l’année avec une députation de chefs d’atelier : « Nous nous étions présentés, disent-ils, chez ce négociant dans la première quinzaine de janvier… ; il nous promit alors sur l’honneur, et à trois reprises successives, qu’il paierait cet article 1 fr. 20 c., etc. » Or, voyons quelle confiance méritent ces paroles.

M. Chardonnait ne s’est présenté chez moi avec la députation que le premier jour où je reçus sa visite, le samedi 11 janvier, quand elle m’annonça que si je ne consentais pas le prix demandé, les métiers que j’avais montés dans cet article s’arrêteraient le lundi suivant. Puisqu’ils s’arrêtèrent en effet le jour indiqué, apparemment je n’avais rien promis en présence de M. Chardonnait ; depuis lors je ne l’ai pas revu. – M. Chardonnait ne peut donc pas avoir dit vrai.

Quant à MM. Millet et Marrel, ils n’ont fait partie ni l’un ni l’autre de la députation des chefs d’atelier ; je ne les ai pas vus une seule fois pendant la discussion qui a duré du samedi 11 au mercredi 15 janvier. Ils n’en parlent pas moins comme ayant pris part à des conférences auxquelles ils ont été absolument étrangers. – MM. Millet et Marrel ne peuvent donc pas être crus.

M. Plantard a signé que j’avais promis à trois reprises, et ensuite que je refusais de donner fr. 20 c. Quant à la première allégation, M. Plantard doit se rappeler que le matin du mercredi 15, dernier jour du débat, je lui dis, dans un tête-à-tête qui ne peut être sorti de sa mémoire, que je quitterais mon état plutôt que de céder à l’acte de violence sous lequel je me trouvais ; je n’avais donc encore rien promis alors. Quant à la seconde, lorsque M. Plantard a donné sa signature à la lettre qui la contient, il avait toutes ses pièces portées à 1 fr. 20 c. au compte d’argent de son livre. – M. Plantard a donc des distractions qui ne permettent pas d’ajouter foi à son témoignage.

J’avais dit précédemment, dans une de vos feuilles, qu’il y avait eu promesse de la part d’une députation de chefs d’atelier de me garantir de la contre-façon, et de ma part promesse par réciprocité de payer 1 fr. 20 c. Pour infirmer mon dire, on sent bien qu’il eût fallu que les membres de cette députation l’eussent contredit : et cela n’a pas eu lieu.

Les quatre signataires me gourmandent de ce que j’ai pu croire qu’on me garantirait de la contre-façon ; j’avoue humblement que je l’avais cru Mais le tort de ma crédulité s’efface devant l’aveu que j’en fais. On n’acquiert l’expérience qu’à ses dépens, et je ne pense pas qu’on me fisse une autre fois un semblable reproche.

Maintenant je me demande, en finissant, qui a pu porter à la démarche dont je m’étonne autant que je m’en plains, des hommes avec lesquels je n’avais eu jusqu’alors que des rapports agréables, et qui avaient entr’eux dix métiers travaillant pour moi, lorsqu’ils ont résolu de me faire un acte d’agression si peu justifié ? J’avais des raisons de me croire dispensé de payer 1 fr. 20 c. l’article qu’ils fabriquaient ; toutefois, je m’y étais décidé par des motifs de convenance dont je n’ai pas à rendre compte ici. Que voulaient de plus les signataires ?

S’ils ont été mus par quelque sentiment d’animosité que je ne saurais m’expliquer ; s’ils ont eu l’intention de me faire de la peine, je puis leur dire qu’ils ont complètement réussi. Rien ne pouvait m’être [6.1]plus douloureux qu’un doute exprime publiquement à l’égard de ma loyauté.

Je vous prie, M. le rédacteur, de vouloir bien admettre dans votre prochain N°, cette réponse, qui sera la seule que je fasse, quoi qu’il puisse arriver, et agréez pour vous l’assurance de ma considération distinguée.

L. bonand.

Note du rédacteur. – Nous devons dire ici que les formes dans lesquelles M. Bonand se renferme pour démentir les faits avancés par MM. Chardonnait, Plantard, Millet et Marrel seraient de nature à nous faire soupçonner l’authenticité de ces faits s’il pouvait nous être permis de nous établir juges dans ce cas, et nous avons du reste une répugnance extrême à nous arrêter à un tel soupçon ; car nous ne saurions éprouver de sentiment plus pénible que celui d’avoir servi d’organe à des allégations mensongères, comme nous verrions avec la peine la plus grande que parmi les travailleurs des hommes se trouvent qui emploient de telles armes pour nuire à un citoyen, quelle que soit du reste sa position sociale.

La presse a commencé ce débat, la presse l’achèvera et rendra justice à qui de droit : c’est dans cette espérance du moins que nous nous sommes empressés de céder à l’invitation de M. Bonand.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique