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4 mai 1834 - Numéro 68
 
 

 



 
 
    
Les deux Epoques.

[2.1]Lorsque Novembre et ses trois jours eurent, souvenir à jamais douloureux, légué à notre cité le deuil, la mort et l’effroi, et quand le combat fut achevé, que l’ordre légal eut repris son cours, si du moins des récompenses furent décernées aux uns, il y eut pitié et secours pour tous. – Alors, il nous en souvient, pour ces ouvriers que la misère et la faim avaient révoltés, des souscriptions furent ouvertes, d’honorables citoyens, mus par de généreuses passions, aujourd’hui presque étouffées, déposèrent pour eux leur offrande ; l’un d’entre eux, il nous en souvient aussi, promit 25 mille francs, que toutefois la chronique l’accusa de n’avoir pas donnés.

Que la clameur publique ait alors dit vrai, c’est de quoi nous ne songeons guère à nous occuper maintenant que de plus nouvelles et plus profondes blessures sont venues s’asseoir sur celles à peine fermées des trois jours : ce que nous voulons constater, c’est le triste, nous pourrions dire l’insultant abandon dans lequel gémit aujourd’hui cette poignée d’hommes pour lesquels nous avons bien droit d’invoquer les paroles d’un de nos honorables députés :

– « Aucune idée qui a soulevé une masse d’hommes ne mérite l’oubli, aucun dévouement le dédain ; et si toute croyance pour laquelle on se fait égorger n’est pas aussi nécessairement vraie que l’a cru Pascal, du moins est-elle sérieuse, du moins est-elle digne d’attention, d’estime ou de pitié. »
Charles remusat1. (Extrait du Globe, 4 avril 1829).

Mais, hâtons-nous de le dire, toutes les voix n’ont pas été sourdes, à l’appel de ces infortunes, et tous les cœurs n’ont pas été fermés aux poignantes souffrances des malheureux que la mort vient à frapper entre les secours que leurs voix n’osent appeler, et les prisons qui regorgent.

– Voyez ces dames à la mise élégante et gracieuse qui, cheminant de porte en porte et gravissant jusqu’au sommet des maisons, s’exposent avec un noble courage aux rudes épreuves qui peut-être accompagnent la mission qu’elles ont embrassée : – Oh ! c’est plus que du courage qu’il leur faut pour l’accomplir en ce temps de haine et de passions si violemment agitées !!!…

C’est la voix de Dieu qui leur a crié : Allez, vous qui avez foi en un avenir conforme aux vœux de l’humanité et à ma divine justice ; allez ! d’une main vous verserez un baume bienfaisant sur toutes les blessures, et de l’autre vous appellerez la paix et l’harmonie entre les pauvres et les riches, car pauvres et riches sont tous enfans du ciel !…, et cette voix retentissant au cœur de ces courageuses apôtres de dieu et de l’humanité, elles sont parties pour leur belle et sainte mission : honneur à elles !

Honneur à vous ! femmes qui déjà avez fait entendre votre puissante voix en faveur du peuple et plaidé avec chaleur et talent sa cause sacrée. Honneur à vous ! dames du Conseiller des Femmes qui vous êtes jetées au sein de l’orage pour le conjurer ; et de vos doigts délicats avez sondé les plaies pour toutes les fermer ! – Honneur à vous aussi femmes qui, répondant à leur appel, êtes venues prendre part à leur sainte entreprise ! Honneur à vous toutes !!!!!…

Trouver dans vos cœurs généreux et bons la douce [2.2]récompense de votre œuvre d’humanité était toute votre ambition, sans doute ; mais pour nous ce n’était point assez, nous devions vous dire merci, et nous ne pouvions trop nous hâter ! Merci donc à vous toutes ! merci !…

Notes ( Les deux Epoques.)
1. Charles de Rémusat (1797-1875), philosophe proche de l’éclectisme, puis, dès 1830, député de la Haute-Garonne, proche du pouvoir orléaniste. Référence aux mots de Blaise Pascal, « je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger », publiés dans ses Pensées.

 

 

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