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4 mai 1834 - Numéro 68 |
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1Alors que des lois anti-sociales, immobiles au milieu de l’immense révolution opérée par les rapides progrès de cette civilisation si bizarrement invoquée, poussent un peuple étreint dans de mesquines et étroites limites à se révolter contre des souffrances qu’il est las d’endurer ; – alors que l’étouffement de ses plaintes le jette armé sur la place publique, et que l’état social ébranlé jusque dans sa base verse des larmes de sang et attend l’issue de ces affreux combats que se livrent entre eux les enfans d’une même patrie, n’y a-t-il pas infamie et crime pour ceux qui s’élancent armés de lâches et honteuses passions au milieu des combattans et crient mort et anathème aux vaincus ? Telle est la question que nous posons à tous les hommes de bonne foi qui ont eu assez de courage pour subir les pages écrites par MM. du Courrier de Lyon, au milieu des douloureux événemens qui viennent d’étendre une seconde fois leur voile de mort et de deuil sur notre cité tout entière… Et maintenant qu’une grande leçon a été donnée à tous (ce nous semble), et qu’il serait du devoir des écrivains qui se sont donné mission de châtier ou d’éclairer l’opinion de résoudre ce problème social et politique si violemment agité depuis tantôt cinquante ans, et qu’il serait, disons-nous, du devoir de ces écrivains de rechercher enfin avec bonne foi et sincérité la véritable cause de cette perturbation dangereuse et sans terme (jusqu’à aujourd’hui du moins), n’est-il pas à la fois étrange et alarmant de voir ces hommes trahir sans pudeur leurs devoirs les plus sacrés et jeter de nouveaux brandons de haines et de discordes au milieu de nous quand les ruines sont à peine relevées, que la terre des tombeaux n’a pas encore englouti toutes les victimes, et que le glaive de la loi poursuit sans pitié ceux que la mort a épargnés ? [1.2]Telles sont les réflexions que nous suggère l’extrait d’un article du Courrier de Lyon du 29 avril 1834, que nous livrons à l’appréciation de nos lecteurs : « Quels sont donc les coupables parmi les deux partis qui sont en présence ? A qui la responsabilité de tant de malheurs et de sang répandu, si ce n’est à ceux qui ont été les agresseurs, qui ont fait d’une ville populeuse et florissante un champ de bataille ? Quand on appelle les horreurs de la guerre civile au milieu de la civilisation et de la paix, faut-il s’étonner ensuite que les horreurs de la guerre civile répondent à cet appel ? Singulière ingénuité ! Quoi ! vous élevez des retranchemens au sein de nos villes, vous tirez des coups de fusil, vous tirez des coups de canon, tout cela de votre propre mouvement, sans y être provoqués par qui que ce soit, et vous vous étonnez que les balles répondent aux balles, les boulets aux boulets ? Vous vous récriez quand ces projectiles s’égarent dans leur direction, quand ils ne s’arrêtent pas au point précis de leur destination, quand ils produisent d’inévitables ravages, comme si c’était une chose extraordinaire et imprévue ! Mais vous, agresseurs, qui avez nécessité l’emploi de ces moyens terribles, c’est vous qui êtes responsables des victimes qu’ils immolent et des désastres qu’ils occasionnent. Déclamez tant qu’il vous plaira sur les calamités qui ont affligé notre ville, peignez-les sous des couleurs plus lugubres encore. Plus le tableau sera noir, et plus il attirera de haine et d’exécration sur ces détestables artisans de guerre civile qui ont livré notre ville au meurtre, à l’incendie et aux dévastations. » Ces dernières paroles sont singulièrement remarquables et disent bien, toute la pensée qui les a inspirées. Octroyer une loi qui déclarerait traîtres au pays les hommes qui sont assez osés pour avoir une croyance qui ne soit pas la vôtre, et ordonnerait aux bons citoyens de courir sus et d’en purger le pays, en serait bien l’expression ! Mais heureusement MM. du Courrier ne sont pas législateurs ; et, quelques plaintes que nous ayons à faire contre ceux sous l’empire desquels nous vivons, nous sommes loin de les croire à cette hauteur.
Les deux Epoques.
[2.1]Lorsque Novembre et ses trois jours eurent, souvenir à jamais douloureux, légué à notre cité le deuil, la mort et l’effroi, et quand le combat fut achevé, que l’ordre légal eut repris son cours, si du moins des récompenses furent décernées aux uns, il y eut pitié et secours pour tous. – Alors, il nous en souvient, pour ces ouvriers que la misère et la faim avaient révoltés, des souscriptions furent ouvertes, d’honorables citoyens, mus par de généreuses passions, aujourd’hui presque étouffées, déposèrent pour eux leur offrande ; l’un d’entre eux, il nous en souvient aussi, promit 25 mille francs, que toutefois la chronique l’accusa de n’avoir pas donnés. Que la clameur publique ait alors dit vrai, c’est de quoi nous ne songeons guère à nous occuper maintenant que de plus nouvelles et plus profondes blessures sont venues s’asseoir sur celles à peine fermées des trois jours : ce que nous voulons constater, c’est le triste, nous pourrions dire l’insultant abandon dans lequel gémit aujourd’hui cette poignée d’hommes pour lesquels nous avons bien droit d’invoquer les paroles d’un de nos honorables députés : – « Aucune idée qui a soulevé une masse d’hommes ne mérite l’oubli, aucun dévouement le dédain ; et si toute croyance pour laquelle on se fait égorger n’est pas aussi nécessairement vraie que l’a cru Pascal, du moins est-elle sérieuse, du moins est-elle digne d’attention, d’estime ou de pitié. » Charles remusat1. (Extrait du Globe, 4 avril 1829). Mais, hâtons-nous de le dire, toutes les voix n’ont pas été sourdes, à l’appel de ces infortunes, et tous les cœurs n’ont pas été fermés aux poignantes souffrances des malheureux que la mort vient à frapper entre les secours que leurs voix n’osent appeler, et les prisons qui regorgent. – Voyez ces dames à la mise élégante et gracieuse qui, cheminant de porte en porte et gravissant jusqu’au sommet des maisons, s’exposent avec un noble courage aux rudes épreuves qui peut-être accompagnent la mission qu’elles ont embrassée : – Oh ! c’est plus que du courage qu’il leur faut pour l’accomplir en ce temps de haine et de passions si violemment agitées !!!… C’est la voix de Dieu qui leur a crié : Allez, vous qui avez foi en un avenir conforme aux vœux de l’humanité et à ma divine justice ; allez ! d’une main vous verserez un baume bienfaisant sur toutes les blessures, et de l’autre vous appellerez la paix et l’harmonie entre les pauvres et les riches, car pauvres et riches sont tous enfans du ciel !…, et cette voix retentissant au cœur de ces courageuses apôtres de dieu et de l’humanité, elles sont parties pour leur belle et sainte mission : honneur à elles ! Honneur à vous ! femmes qui déjà avez fait entendre votre puissante voix en faveur du peuple et plaidé avec chaleur et talent sa cause sacrée. Honneur à vous ! dames du Conseiller des Femmes qui vous êtes jetées au sein de l’orage pour le conjurer ; et de vos doigts délicats avez sondé les plaies pour toutes les fermer ! – Honneur à vous aussi femmes qui, répondant à leur appel, êtes venues prendre part à leur sainte entreprise ! Honneur à vous toutes !!!!!… Trouver dans vos cœurs généreux et bons la douce [2.2]récompense de votre œuvre d’humanité était toute votre ambition, sans doute ; mais pour nous ce n’était point assez, nous devions vous dire merci, et nous ne pouvions trop nous hâter ! Merci donc à vous toutes ! merci !…
Une souscription vient de s’ouvrir à Marseille, dans les bureaux du Peuple Souverain, en faveur des familles d’ouvriers lyonnais victimes des événemens d’Avril. – Voici en quels termes s’exprime ce patriotique journal : « Ni les soins, ni le pain, ni les récompenses ne manqueront aux militaires qui ont eu l’occasion funeste de signaler leur courage dans la guerre civile de Lyon. Jusqu’à présent, au contraire, le pouvoir ne s’est occupé des vaincus que pour ajouter à leur désespoir par la terreur des poursuites judiciaires. Il faut donc que la sympathie des uns et la pitié de tous se hâtent de secourir les femmes et les enfans des pauvres ouvriers lyonnais. Ce n’est pas une affaire de parti, mais bien de charité chrétienne et de tolérance politique. Nous espérons donc que notre appel sera entendu par les ames généreuses : des enfans, des vieillards et de faibles femmes, privés par la plus horrible catastrophe de leurs soutiens naturels, ne réclameront pas vraiment la pitié d’un public français. « Une souscription est ouverte en leur faveur au bureau du Peuple Souverain. Les noms des donateurs seront publiés ou resteront secrets, suivant qu’ils en décideront eux-mêmes. » Beaucoup de souscriptions ont été aussi ouvertes dans plusieurs villes et sous une influence semblable à celle qui a motivé la détermination toute philantropique du Peuple Souverain, et, grace au ciel, les sympathies ne manquent pas à nos classes ouvrières. Mais si nous reportons nos regards sur notre cité, combien ne sommes-nous pas attristés de cet esprit peu conciliant et si peu propre à ramener l’harmonie entre les ouvriers et les fabricans, qui a présidé aux sacrifices volontaires que se sont imposés nos riches bourgeois ? Certes, nous avons assez souvent dit que ce n’est point d’une lutte permanente entre les différentes classes qui composent la grande famille sociale que doit sortir le triomphe de la cause des travailleurs, pour qu’on n’attache pas aujourd’hui à nos paroles un sens qu’elles ne sauraient avoir. – Organes des ouvriers, si nous nous sommes souvent révoltés contre toutes les misères qui les assiègent, nous n’avons pas du moins cherché de remède contre ces misères en leur montrant les riches comme des ennemis à combattre jusqu’à ce que victoire s’ensuive. – Les victoires achetées par le sang des citoyens, quel que soit le vêtement sous lequel le fer et le plomb des guerres civiles le fassent couler, le seraient trop chèrement pour nous. Loin donc que nous appelions la haine des travailleurs sur ceux que le hasard a faits leurs maîtres, aujourd’hui comme hier, demain comme aujourd’hui, nous les appellerons tous à une conciliation forte et durable ; nous leur dirons que pour tous il y aura paix et sécurité dès le jour où, comprenant enfin les droits et les besoins de l’homme social, de meilleures relations et une plus juste répartition des charges et des bénéfices de la production se seront établies entre les hommes de travail et les possesseurs de capitaux. Maintenant nos lecteurs auront bien compris pourquoi nous déplorons que des actes d’une imprudence grande soient venus rendre plus difficile encore le rapprochement que nous avons toujours désiré entre ouvriers et fabricans au moment où il eût été plus sage et surtout plus humain de confondre en une seule et même infortune, pour mieux et plus vite les oublier, les malheurs inouïs qui viennent de désoler notre cité.
[3.1]On lit l’ordonnance suivante dans le Précurseur du vendredi 2 mai : Paris, le 18 avril 1834. Louis-Philippe, roi des Français, A tous présens et à venir, salut. Vu l’art. de la loi du 22 mars 1831, sur le rapport de notre ministre secrétaire-d’état du département de l’intérieur ; Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit : Article 1er. Les gardes nationales de la ville de Lyon, de Vaize, la Croix-Rousse et la Guillotière, sont dissoutes. Art. 2. Notre ministre secrétaire-d’état au département de l’intérieur est chargé de l’exécution de la présente ordonnance. Donné au palais des Tuileries, le 18 avril 1834. Signé : louis-philippe Par le roi : Le ministre secrétaire-d’état de l’intérieur, Signé : A. thiers. Pour ampliation : Le maître des requêtes, secrétaire-général du ministère de l’intérieur, Signé : Edmond blanc. Pour expédition conforme : Le secrétaire-général de la Préfecture, Signé : alexandre. Pour copie conforme : Le maire de Lyon, vachon-imbert.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES,
(présidé par m. riboud.) Audience du 30 avril 1834. Bazin, chef d’atelier, fait comparaître Morier et Cie, négocians, qui lui retenaient sur les façons qui lui étaient dues la somme de 68 fr., montant de deux billets que Bardet avait souscrits à l’ordre de Dominger pour solde de son loyer, en présence de Morier et Cie qui en avaient passé écriture au compte de Bardet, pour lui en retenir le montant. Le conseil, considérant que Morier et Cie n’avaient pas obtenu un mandat particulier et par écrit de Bardet qui les autorisât à retenir cette somme en faveur de Dominger, les a condamnés à payer à Bardet tout ce qui lui était dû pour ses façons. Goujon, chef d’atelier, fait comparaître Gonon auquel il refusait son livret, lui réclamant le remplacement du temps perdu pendant son apprentissage. Le conseil, considérant qu’il avait été stipulé dans les engagemens contractés entr’eux, que l’apprenti serait libre de remplacer le temps perdu ou de le payer à un prix qui était convenu, a condamné Goujon à donner à Gonon un livret sur lequel on inscrirait la somme qui était due pour le remplacement du temps perdu. Guillet, chef d’atelier, ayant contracté des engagemens pour l’apprentissage du fils Barras, fait comparaître Combet, chef d’atelier, qui avait retiré chez lui ledit apprenti que la femme Guillet avait renvoyé en l’absence de son mari. Dans une audience antérieure il avait été décidé par le conseil que l’apprenti rentrerait chez son chef d’atelier [3.2]et y resterait jusqu’à ce que des membres délégués eussent constaté ce fait et tous les sujets de plaintes qui s’étaient élevés entre lui et son maître. L’apprenti refusant de se conformer à cette décision, est resté chez Combet qui, d’après l’attestation de deux témoins, l’avait occupé dans son atelier. D’après ces preuves, le conseil a confirmé la contravention valable au profit de Guillet et au préjudice de Combet qui pourra exercer son recours sur le père de l’apprenti. Mme Bertholet fait comparaître Buisson et Martin, négocians, qui voulaient, pour cause de mauvaise fabrication, faire lever une pièce que fabriquait Mme Bertholet. D’après une expertise des membres du conseil, la fabrication a été reconnue mauvaise, et une diminution de 15 c. par aune a été faite sur la façon. Buisson et Martin ont réclamé la levée de la pièce en abandonnant le rabais qui leur avait été accordé sur la façon : le conseil a maintenu cette réclamation et a condamné Mme Bertholet à rendre la pièce. Bazin, chef d’atelier, fait comparaître Vercherin, qui avait retiré chez lui sa fille, apprentie dudit Bazin, attendu qu’elle avait été maltraitée par sa maîtresse d’apprentissage. Dans une audience antérieure, le conseil avait décidé que l’apprentie resterait chez son maître, et qu’elle y resterait jusqu’à ce qu’on eut constaté le fait. Le conseil, considérant que Vercherin avait refusé de faire rentrer sa fille, et que les preuves qu’il apportait ne constataient pas suffisamment les maltraitemens qu’elle avait éprouvés, a résilié les engagemens et a condamné Vercherin à payer à Bazin la somme de 100 fr. pour indemnité. Lorsqu’un apprenti reste pendant un laps de temps chez un chef d’atelier sans passer des engagemens, et qu’il se retire ensuite sans raison valable, le conseil considère ce laps de temps comme essai, et accorde une indemnité au chef d’atelier. Ainsi jugé entre Mme Rostaing et Mlle Chapuis, son apprentie. Lorsque la maladresse et la mauvaise volonté d’un apprenti ont été constatées par des membres du conseil, le conseil résilie les engagemens et accorde une indemnité au chef d’atelier. Ainsi jugé entre Montlouvier et Mlle Creuzet. Mlle Tisseur, ayant pris en apprentissage la fille Petit, s’aperçut quelque temps après que le père de son apprentie n’avait pas une ame assez dévote à son gré ; et, autant qu’il a dépendu d’elle, elle a refusé à cette enfant le plaisir d’aller voir son père, et, lorsque cette permission lui était accordée, elle avait soin de lui préparer une leçon de morale pour son père, à qui sa fille demandait s’il allait à confesse, s’il avait fait son jubilé, ses pâques, s’il assistait aux offices divins, etc., etc. Et, comme cette morale n’avait pas produit les effets qu’elle en attendait, elle n’a plus souffert que cette enfant rendît visite à son père ; en outre, elle lui avait substitué le nom de Gabrielle à celui d’Héloïse qu’elle ne trouvait pas dans la Vie des Saints. Un jour, une tante arrivée de Paris désirant la voir, son père lui écrivit de venir ou de lui écrire : l’un et l’autre lui furent défendus. Le père s’y est transporté, et, obtenant le même refus, il a emmené sa fille presque de force. [4.1]Les engagemens ont été résiliés d’un commun accord, et le père a été condamné à payer la somme de 37 fr., pour blanchissage qu’il avait promis de payer.
Les arrestations continuent toujours. Les prisons sont encombrées. Il nous arrive chaque jour des plaintes sur la manière inhumaine dont les prévenus sont traités presque partout. Nous ne connaissons par exactement le nombre des personnes arrêtées ; mais nous supposons qu’il doit aller de 6 à 700. Il règne un tel désordre dans les prisons que nous doutons fort que l’autorité soit mieux instruite que nous. Beaucoup de personnes arrêtées ont été mises en liberté, après les premiers interrogatoires.
Les ouvriers tonneliers, réunis en société de bienfaisance, ont ouvert une souscription en faveur de la veuve et des enfans de leur camarade Rémi, tué d’un coup de fusil au moment où il tâchait de s’échapper pendant l’incendie de la maison qu’il habitait à la Guillotière. Il n’a laissé aucune ressource à sa famille dont tous les meubles ont été consumés. La souscription est ouverte chez M. Barange, cabaretier, rue Bât-d’Argent, allée Dumay. (Précurseur.)
On lit ce qui suit dans le Journal du Commerce de Lyon. Ainsi que le roi en avait manifesté l’intention, et par un sentiment de convenance que commandait la douleur dans laquelle la ville entière est plongée, quand tant de ruines sont encore fumantes, la fête de S. M. n’a été célébrée hier que par une messe solennelle qui a eu lieu dans l’église primatiale, et à laquelle ont assisté toutes les autorités militaires, civiles et judiciaires. En décidant qu’il n’y aurait point de réjouissances publiques le jour de la St-Philippe, le conseil municipal a bien compris que des illuminations, des danses et des feux d’artifice auraient été une insulte au deuil de tant de familles, victimes innocentes des ravages occasionnés par ces troubles, et en ajoutant la somme habituellement consacrée à cette fête, aux 20,000 fr. dont il a voté l’allocation extraordinaire pour secourir ces familles infortunées, ce conseil a servi le roi, selon son cœur, en même temps qu’il s’est acquis de nouveaux droits à la reconnaissance de la cité.
ANGLETERRE.
Le journal le temps rapporte, d’après un journal anglais, les détails suivans sur la procession des unions de Dorchester ou corporations d’ouvriers. La démarche des unionistes avait pour but l’obtention de la grâce de six cultivateurs de Dorchester condamnés par les assises pour s’être liés à d’autres cultivateurs par un serment d’affiliation1 : Grande réunion de Copenhagen-Fields du 21 avril. – Les unionistes de Dorchester. Le True Sun2 qui publie le bulletin le plus détaillé des événemens de cette journée, classe de la manière qui suit les divers incidens de la journée, et de celles qui l’avaient précédée. Vendredi, M. Owen s’est rendu auprès de lord Melbourne, et lui a annoncé l’objet de la grande réunion de ce jour, et il a demandé a sa seigneurie de donner des ordres à la police pour l’empêcher d’intervenir. Sa seigneurie a exprimé la surprise que lui causait la demande [4.2]qui lui était adressée, et elle a insisté sur la folie, le danger et le caractère impolitique de la démonstration, qui pouvait compromettre la paix de la métropole. Sa seigneurie a ensuite fait quelques questions générales sur le nombre des unionistes de Londres. Cette conférence préliminaire s’est terminée par l’expression de la désapprobation la plus explicite du projet par le ministre, qui a ajouté qu’il se guiderait d’après les circonstances pour les mesures qu’il croirait devoir adopter. Entrevue entre une députation du comité central et lord Melbourne. – Outre la visite de M. Owen à lord Melbourne, le comité central avait jugé prudent d’envoyer auprès de sa seigneurie une députation régulière. lord Melbourne a reçu les députés avec sa courtoisie ordinaire. Les députés, après avoir dit à sa seigneurie l’objet de la procession de ce jour, lui ont demandé la protection de la police, afin que la tranquillité ne fût pas troublée : lord Melbourne a répondu que la police avait des instructions pour maintenir l’ordre en toutes circonstances, et que dans celle-ci sans doute elle ne manquerait pas à son devoir. Sa seigneurie a ajouté d’un ton emphatique : La police y sera. La députation a demandé si sa seigneurie enverrait un corps spécial de la police pour suivre le cortège afin de le protéger, attendu, a-t-elle déclaré, qu’il n’y a pas d’hommes plus dévoués à l’ordre public que les unionistes. lord Melbourne n’a pas adhéré à cette proposition. La députation ayant demandé à sa seigneurie à quelle heure il lui conviendrait de recevoir la pétition, sa seigneurie a dit que dans la soirée elle les en préviendrait par écrit. On sait par le bulletin que nous avons extrait du Courrier et du Globe que la réponse de lord Melbourne exprimait l’intention de n’admettre aucune députation qui serait suivie d’une nombreuse multitude dans le but d’intimider. Instructions de la police. – La députation du comité central, avant de retourner à la salle des délibérations, s’est rendue à la station de la direction de la police dans Scotland-Yard, et a demandé le colonel Rowans, Il a été répondu que ni lui ni son collègue n’y étaient. Le surintendant et l’inspecteur, interrogés par la députation sur la nature des instructions de la police, ont répondu que leurs instructions générales étaient de protéger les obsèques et les autres processions du commerce. Mesures de précaution du gouvernement. – Samedi soir, l’affiche suivante a été placardée par ordre du premier magistrat de Bow-Street, avec la sanction expresse du gouvernement : « Attendu qu’avis public nous a été donné qu’un grand nombre d’individus se proposent de se réunir lundi 21 avril dans l’intention d’accompagner processionnellement dans les rues de la métropole une députation qui doit présenter au secrétaire d’état une pétition au roi ; et attendu qu’une telle réunion et de telles démonstrations sont tout-à-fait inconvenantes, de nature à épouvanter les citoyens paisibles et bien disposés, et peuvent devenir dangereuses pour la paix publique et pour les individus qui s’y engagent, les magistrats des bureaux de police préviennent par les présentes toutes les classes des sujets de S. M. du danger auquel elles s’exposeraient en se joignant à de telles assemblées, en prenant part à de semblables démonstrations. Les magistrats enjoignent à tous les maîtres d’empêcher leurs apprentis, ouvriers et domestiques d’assister à cette réunion. Signé F.-A. Boe, [5.1]« premier magistrat. » Bureau public, Bow-Street, 10 avril 1834. Mesures militaires. – Hier, 4 escadrons du 2e régiment des gardes du corps sont arrivés de Windsor à Kensington et ont été ensuite répartis en billets de logement à Hammersmith ; 4 autres escadrons stationnent dans le voisinage de Pemlico et de Chelsea. Hier soir, le commandant en chef a donné l’ordre à toute l’infanterie et à toute la cavalerie de la maison du roi de se tenir sous les armes et d’être dans leurs quartiers respectifs prêtes à marcher. Quatre brigades d’artillerie sont arrivées de Woolwich, chaque brigade ayant trois canons et un obusier : elles stationnent au quartier des gardes royaux à cheval (bleus), Regent’s-Park et Knight’s-Bridge. De nombreux détachemens, infanterie et cavalerie arrivés hier soir, ont été logés à quelques milles de Londres. Préparatifs de la réunion. – A peine le jour avait paru que devant la métropole et dans toutes les rues principales on remarquait déjà un mouvement extraordinaire annonçant la réunion de Copenhagen-Fields, et les apprêts se faisaient de toutes parts par le cortège, qui de là devait se rendre à Westminster, comme escorte de cinq députés désignés pour porter la pétition en faveur des ouvriers de Dorchester à lord Melbourne, pour que sa seigneurie, en sa qualité ministérielle, voulût bien la soumettre au roi. On voyait des individus avec le ruban distinctif des unions dans presque toutes les rues dès six heures du matin, et ces frères se rendaient en toute hâte à leurs loges respectives. A sept heures notre correspondant, entrant dans Holborn, trouva une procession de huit hommes de front marchant au milieu de la rue, et s’étendant de Leather-Lane à Holburn-Hill, aussi loin que l’œil pouvait les suivre. En entrant dans Halson-Garden, il rencontre deux autres files semblables, marchant sur quatre hommes et l’autre sur cinq de front. Plus on se rapprochait du rendez-vous général et plus il devenait difficile de distinguer dans ces masses les diverses corporations. A l’entrée de Copenhagen-Fields, des corps compacts, marchant en files serrées, défilaient dans toutes les directions, se rendant toutes au point central qui conduisait à Copenhagen-House, le nouvel asile calédonien. C’était un magnifique coup-d’œil et un spectacle richement varié que celui de toutes les corporations dans cette marche régulière. L’affluence à l’asile calédonien était si considérable à huit heures, qu’il fut nécessaire de proclamer une halte afin de donner aux diverses corporations le temps de s’avancer le long de Ballebridge-Road pour former une chaîne continue jusqu’au pont. Le long de la route, sur Maiden-Lane-Bridge, s’avançait une autre corporation. A 6 heures, une voiture a été envoyée de la Rotonde dans Black-Friara-Road, avec les bannières et insignes caractéristiques des corporations comme on en était convenu. Les bannières furent plantées dans un vaste espace qui est devant Copenhagen-House et qui avait été loué en grande partie pour les divers corps qui en arrivant devaient se ranger sous leurs bannières respectives. Copenhagen-Fields, 9 heures. – Maintenant tous les unionistes sont arrivés, ils viennent de se ranger dans un ordre admirable. Les bannières, portant les noms des divers métiers, ont été plantées à vingt pas de distance, sur des lignes parallèles, de chaque côté de la route conduisant de Copenhagen-House à Maiden-Lane. De une à dix-neuf les bannières sont placées de [5.2]manière à faire face à Londres et de vingt à vingt-cinq à Hamps-Strade. Les divers corps des métiers sont placés sur la ligne droite s’étendant le long de la campagne, dans la direction de la bannière. Les unionistes sont placés en rangs serrés six par six. On ne voit ni soldats ni agens de police jusqu’à présent. Tout nous retrace l’image d’un jour de fête de printemps ; les unionistes seuls ont le droit de se mettre dans les rangs ; ils ont une belle tenue. Arrivée de trois mille tisserands. – Trois mille tisserands viennent d’arriver d’Hospital’s Fields, et ont pris les places qui leur avaient été assignées. On n’aperçoit ni agens ni soldats. Le comité est réuni dans ce moment pour délibérer sur le mode à suivre. Communication de lord Melbourne. – On dit que lord Melbourne a écrit hier soir une seconde lettre au comité central, dans laquelle il annonce que si la procession s’approche des bureaux du ministère ou des administrations publiques, il ne recevra pas la pétition. On dit que le comité a décidé que la pétition ne serait remise à lord Melbourne par la députation qu’après que la procession aurait défilé devant White-Hall. Copenhagen-Fields, neuf heures un quart. – Le char vient d’être amené, il a été salué par de vifs applaudissemens. Il a la forme d’un carré oblong, plus large et plus haut qu’en bas ; douze hommes le portent sur leurs épaules. Au haut du char on remarque des festons de calicot rouge et au centre du calicot bleu piqué. La pétition est soutenue par une forme en fer dont les extrémités sont circulaires et s’étendent au-delà du char à chaque extrémité. La pétition est disposée de telle sorte qu’elle dépasse le char. Elle est écrite sur parchemin et a deux pieds de large et trois pieds de long. Les signatures se trouvant sur des feuilles de papier de la même largeur. On évalue à 150,000 le nombre des individus présens ; nous croyons qu’il n’y en a que 100,000. Il y a peu de curieux, ce qu’il faut probablement attribuer aux avertissemens des magistrats. Midi. La procession marche accompagnée d’une multitude immense. Jusqu’à présent il n’y a pas eu le moindre désordre. La pétition vient d’être déposée au ministère de l’intérieur, et la procession s’étend maintenant de la rue du Parlement jusqu’à la place d’où elle est partie. Nous devons faire remarquer que trois drapeaux tricolores ont été arborés sur une cabane attenant à Copenhagen-Fields. Le conseil exécutif avait demandé qu’ils fussent retirés de peur qu’il n’en résultât quelque désagrément pour les unionistes, mais sa demande a été rejetée. A midi moins un quart les portes des horses-guards ont été fermées. Texte de la pétition. Voici la pétition présentée au roi. – A S. M. le roi. Humble pétition des membres de l’union des Arts et Métiers de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. – Sire, les pétitionnaires regardent comme un devoir sacré pour eux, aussi bien que pour la postérité de V. M., de déclarer à V. M. le vif intérêt et la douleur profonde avec laquelle ils considèrent une sentence rendue dernièrement par une de vos cours de justice de Dorchester, contre six cultivateurs convaincus d’avoir prêté à d’autres cultivateurs un serment non autorisé par la loi, et qui, en conséquence, ont été condamnés à la déportation pour sept années. Les pétitionnaires regardant cette sentence comme cruelle et oppressive à la fois et la considérant comme une atteinte injustifiable [6.1]à l’humanité, supplient V. M. d’intervenir pour empêcher l’exécution. Les pétitionnaires prient aussi V. M. de vouloir bien ordonner une enquête sévère sur toutes les circonstances de cette affaire, que les pétitionnaires considèrent comme renfermant les conséquences les plus graves ; enfin ils prient V. M. de nommer aussi une commission spéciale pour rechercher les véritables causes de la détresse qui règne parmi la population ouvrière de l’empire de V. M., détresse qui, si elle n’était promptement arrêtée, amènerait les plus fâcheux résultats. Les pétitionnaires seront toujours les serviteurs de V. M. – L’Albion, après avoir rapporté la conférence qui avait duré 25 minutes entre les membres de la députation des unions et M. Pillips, et avoir dit que la députation était descendue du ministère de l’intérieur rapportant la pétition, ajoute : « Avant le départ de la députation, une force nombreuse de la division A. de la police avait été conduite à la trésorerie par l’inspecteur Adamson, et placée dans une salle particulière. M. Owen, en descendant, interrogé par les rapporteurs, qui désiraient savoir le résultat de leur visite, a dit : Vous voyez que la pétition n’a pas été reçue, car la voici. M. Owen, pressé d’autres questions, a ajouté que comme représentans d’une si immense corporation d’hommes, il convenait aux députés d’être extrêmement discrets dans les réponses qu’ils feraient ; que du reste la réponse de lord Melbourne, que les députés n’avaient pas vu, mais qui leur avait été intimée par son ordre, était que sa seigneurie devait refuser la pétition. » Serment. – Le même journal publie la formule suivante du serment exigé des unionistes : « Moi, A. B., étant en la présence du Dieu, je déclare que je ferai tous mes efforts pour soutenir une fraternité connue sous le nom de Société amicale des fabricans et d’autres ouvriers, et je déclare et promets solennellement que je n’agirai jamais en opposition avec la fraternité dans tous leurs efforts pour soutenir les salaires, mais je ferai tous mes efforts pour les assister dans toutes les occasions légales, et les aider à obtenir un juste salaire de notre travail. Je prends Dieu à témoin de ma solennelle déclaration que ni espoir, ni craintes, ni récompenses, ni châtimens, ni la mort même, ne me porteront jamais, directement ou indirectement, à donner aucun éclaircissement sur ce qui se passe dans les loges, et je n’écrirai jamais sur papier, bois, sable ni pierre, rien de ce qui serait connu dans lesdites sociétés, sans y avoir été autorisé par qui de droit. Je ne consentirai jamais à ce qu’aucun argent appartenant à la société, et consacré au soutien du commerce, soit distrait de la destination qui lui est réservée par la société. Dieu m’entende et me soutienne dans l’engagement solennel que je contracte ici : si jamais je venais à l’enfreindre en tout ou en partie, que toute la société à laquelle je vais appartenir me repousse et me flétrisse tant que je vivrai, et puisse ce qui est maintenant devant mes yeux me plonger à jamais dans des abîmes de douleur et de misère ! Ainsi soit-il. » Cette formule a de l’intérêt dans le moment où les unionistes se dessinent si ouvertement. – Il y avait ce matin plusieurs membres du cabinet au bureau de l’intérieur, quand la pétition des unions de commerce y a été apportée. La députation s’est retirée, à leur demande, par l’escalier dérobé. (Albion.) [6.2]chambre des communes. Séance du 21 avril. – (par voie extraordinaire.) – A l’ouverture de la séance nous remarquons dans l’assemblée une vive agitation ; toutes les figures trahissent l’inquiétude, et de tous côtés se forment des groupes où l’on s’entretient de la démonstration extraordinaire que viennent de faire les unions. Le banc des ministres est désert. M. roebuck exprime sa surprise que le ministre de l’intérieur, ou tout autre de ses collègues, ne soit à son poste pour donner à la chambre des renseignemens précis sur les scènes dont la capitale est en ce moment le théâtre, et pour leur faire part des mesures que le gouvernement est dans l’intention d’adopter. Un honorable membre, M. Slaney, fait observer que dans le moment de crise actuel la place du secrétaire au département de l’intérieur est plutôt dans les bureaux de son ministère qu’à la chambre. Cet incident n’a pas de suite, et le rapport ordinaire des pétitions commence ; mais la chambre, dans sa préoccupation, y prête peu d’attention. Au bout d’une heure, lord Althorp entre dans la salle. Il est bientôt entouré d’une foule de membres qui paraissent l’interroger ; autant que nous en pouvons juger par ses gestes et sa contenance, le ministre fait entendre des paroles rassurantes. Le calme étant un peu rétabli, lord Althorp prend la parole pour développer sa motion relative à la réforme de l’église. Le plan proposé par le noble lord consiste à abolir complètement les taxes dites taxes de l’église, payées au clergé pour être employées à la réparation des églises, à l’entretien des fabriques, des sacristies, etc. Pour suppléer à ces divers services une somme de 250,000 liv. ster. (6,250,000 fr.) serait prélevée chaque année sur l’impôt foncier. L’orateur fait observer que ce projet n’aura nullement pour effet, comme on l’a prétendu, la spoliation de l’église, car les taxes qu’on se propose d’abolir ne se montent pas à plus de 245,000 liv. sterl., et d’après le nouvel engagement on en accorderait 250,000. Mais on aura obtenu un grand avantage, celui de compléter l’abolition de toute espèce de taxes ecclésiastiques, dont le moindre inconvénient est de forcer le clergé à descendre au rôle de collecteur vis-à-vis de ses ouailles, et de diminuer par conséquent le respect et l’attachement dont le ministère sacré a besoin d’être environné. M. hume désapprouve le projet ministériel qui, dit-il, ne satisfera ni les dissidens ni les partisans de l’église établie. Il voudrait, qu’à l’exemple de ce qui s’est passé en France, toutes les propriétés ecclésiastiques fussent réunies à l’état, moyennant que ce dernier se chargerait de pourvoir aux besoins du clergé. (Exclamations et murmures.) Son discours n’était pas terminé au départ du courrier. P. S. Londres, six heures du soir. Les journaux ont dû vous donner des détails sur ce qu’ils savaient des scènes extraordinaires dont cette capitale a été aujourd’hui le théâtre, jusqu’au moment où ils ont mis sous presse ; voici à ce sujet quelques renseignemens qui nous sont parvenus ultérieurement. Les chefs des unions ont dans tout le cours de cette journée fait preuve de beaucoup d’habileté et de prudence. Au moment où la procession est arrivée à Kennington-Common, sur un ordre des chefs, un cercle immense s’est formé sans aucun désordre : alors un orateur a pris la parole, et a déclaré qu’on n’avait pas encore reçu la réponse de lord Melbourne, mais qu’elle serait communiquée aux diverses loges dans la soirée ; en conséquence [7.1]il a invité les assistans à se séparer. Ceux-ci ont déféré sur-le-champ et sans nulle réclamation à son invitation, et toute cette foule s’est écoulée paisiblement. On aurait plutôt dit des gens sortant d’un prêche méthodiste, que des unionistes venant de faire une démonstration audacieuse et alarmante. Sept heures. Jusqu’à ce moment la ville est tranquille. On a remarqué pendant tous les mouvemens aujourd’hui, que les unionistes paraissaient être divisés en cohortes, placées chacune sous la direction d’un chef qui recommandait incessamment à ceux qui marchaient derrière lui de s’abstenir de toute démonstration inquiétante pour l’ordre public. Sur ce point leurs ordres ont été scrupuleusement suivis, et la preuve, c’est que l’intervention de la force armée et de la police n’a été nécessaire sur aucun point. À l’instant où je vous écris, les unionistes sont rentrés dans leurs loges respectives ; on paraît craindre généralement qu’ils ne profitent de la nuit pour tenter un soulèvement populaire. P. S. Les journaux anglais arrivés postérieurement annoncent que la procession des unionistes n’a été troublée par aucune scène fâcheuse, et qu’ils se sont séparés sans donner la moindre inquiétude pour la tranquillité publique, bien que leur démarche n’ait pas eu tout le succès qu’ils avaient espéré, le ministre ayant refusé de recevoir leur pétition.
Variétés.
Une revue de l’Empereur. L’anecdote suivante est extraite d’un article intéressant d’un journal de Bruxelles, sur une des promenades de cette ville, l’Allée verte. Il est question d’une revue que passait Napoléon dans cet endroit. En distribuant ses regards à tous ses braves, l’empereur distingua un vieux soldat qui portait les insignes de sergent-major. Il avait des yeux grands et durs, qui brillaient comme des flambeaux sur un visage noirci par vingt campagnes. Une barbe énorme, couvrant la moitié de cette figure, la rendait encore plus formidable ou plus bizarre. L’empereur le fit sortir des rangs. Le cœur du vieux brave, si ferme, si intrépide, ressentit de l’émotion. Une vive rougeur parut sur ce qu’on pouvait distinguer de ses traits ; car il était modeste. – Je vous ai vu, lui dit l’empereur. Votre nom ? – Noëls, sire, répondit-il d’une voix déjà altérée. – Votre pays ? – Enfant de la Belgique. – N’étiez-vous pas en Italie ? – Oui, sire, tambour au pont d’Arcole.– Et vous êtes devenu sergent major ? – A Marengo, sire. – Mais depuis ? – J’ai pris ma part de toutes les grandes batailles. L’empereur fit un signe. Le sergent-major rentra dans les rangs, et pendant deux minutes Napoléon s’entretint avec le colonel. Quelques regards lancés sur Noëls pouvaient faire penser que l’empereur s’occupait de lui. En effet, c’était un de ces précieux soldats, vaillans et calmes, esclaves du devoir et de la discipline, constans et dévoués, comme les aimait l’empereur. Il s’était distingué dans toutes les affaires ; sa modestie, que peut-être il tenait de son pays, ne lui ayant pas permis de solliciter de l’avancement, on l’avait oublié dans toutes les promotions. L’empereur le rappela. – Vous avez mérité la croix, lui dit-il, en lui remettant la sienne. Vous êtes un brave. – Le soldat en ce moment se trouvait entre son colonel [7.2]et son empereur. Il ne sut pas répondre un mot, mais ses grands yeux adorèrent celui qui savait si bien récompenser. Sur un geste de l’empereur, les tambours battirent un ban ; le silence se fit ; et le colonel, présentant à l’armée le nouveau chevalier de la Légion-d’Honneur, qui tremblait en plaçant avec transport sa croix sur sa poitrine, s’écria d’une voix forte : – Au nom de l’empereur ! reconnaissez le sergent-major Noëls, comme sous-lieutenant dans votre régiment. Toute la ligne présenta les armes. Noëls, dont tout le cœur s’était ébranlé, entendit ce mot comme le prestige d’un rêve ; il voulut se jeter à genoux, mais la figure impassible de l’empereur, qui alors semblait plutôt rendre justice que donner des grâces, le retint. Sans voir son mouvement, sans faire attention aux sentimens qui agitaient le brave, Napoléon fit un nouveau signal : les tambours battirent un second ban ; le colonel reprit de sa voix puissante : – Au nom de l’empereur ! reconnaissez le sous-lieutenant Noëls comme lieutenant dans votre régiment. Ce nouveau coup de tonnerre faillit renverser le Belge. Ses genoux le soutenaient à peine ; ses yeux, qui depuis vingt ans n’avaient jamais su pleurer, se mouillèrent de grosses larmes ; il chancelait, ses lèvres balbutiaient sans parvenir à exprimer aucun son ; il ne se reconnaissait déjà plus, lorsqu’un troisième roulement de tambour acheva d’égarer sa tête ; et le colonel dit : – Au nom de l’empereur ! reconnaissez le lieutenant Noëls comme capitaine dans votre régiment. Après cette promotion, l’empereur, avec ce calme supérieur aux passions, qui lui donnait tant de majesté, continua gravement et froidement sa revue. Mais le pauvre Noëls s’était évanoui, les yeux gonflés de larme, dans les bras de son colonel, en poussant à moitié d’une voix étouffée ce cri sacré de : Vive l’empereur ! (Journal d’Arlon.)
Faits Divers.
La cause nationale vient de perdre un de ses organes les plus énergiques et les plus indépendant M. Vierne1, rédacteur du Patriote de Lizieux, a péri victime d’un déplorable accident, écrasé par un arbre. Son talent d’écrivain et la loyauté de son caractère lui avaient concilié au plus haut point estime et affection de tous les partis ; aussi, le plus grand nombre de ses concitoyens s’était donné rendez-vous sur sa tombe, où des discours empreints d’une touchante simplicité ont été prononcés. A l’exemple des habitans de Moulins, qui naguère ont adopté la famille d’Achille Roche, les concitoyens de M. Vierne ont manifesté la résolution d’alléger la malheureuse position de sa veuve et de ses enfans. On a ouvert à cet effet une souscription dans laquelle viendront se [rejoindre] toutes les opinions, car ce n’est point une manifestation de parti, mais une œuvre toute d’humanité, un hommage rendu à la conscience et à la probité politique que l’on accordait unanimement au généreux citoyen dont la tombe s’est fermée trop tôt. (Le Patriote du Puy-de-Dôme.) La question déjà agitée il y a deux ans devant les tribunaux dans l’affaire de l’abbé Dumonteil, la question du mariage d’un individu engagé dans les ordres religieux, mais n’exerçant plus le sacerdoce, va se présenter, assure-t-on, devant le tribunal civil de Pont-l’Evêque. Un ecclésiastique d’un âge mûr, tombé dans la disgrace de l’évêque et suspendu ou interdit de ses fondions de de desservant, voulant sortir de la fausse position où il se trouve, isolé entre la vie civile et l’état religieux, a dû, depuis un ou deux jours, commencer l’instance tendant à obtenir la faculté de s’engager dans les vœux du mariage. (Le Précurseur.) [8.1]camille2, général romain, assiégeant Falère, un maître de pension qui espérait une récompense, lui livra les enfans des principaux habitans, convaincu que par ce moyen il lui livrait la ville. – Camille le renvoya et lui dit : « Nos armes ne sont destinées que contre ceux qui sont armés contre nous, et non contre des enfans que l’on épargne même à la prise des villes ! » Henri III, voulant faire Charles de Larochefoucault chevalier du Saint-Esprit, à la première promotion, le 31 décembre 1578, lui demanda un état de ses services3. Il en remit un. « Je ne vois là, dit ce prince, que les sièges et les batailles où vous vous êtes trouvé sous les règnes de mon père et de mon grand-père. » – Sire, répondit Larochefoucault au monarque, nous combattions alors contre les Espagnols et les Anglais. Contre qui avons-nous combattu depuis ? Contre des Français. Quelles batailles et quels ennemis ? A Saint-Denis, à Dreux, à Jarnac, à Moncontour ; j’y ai vu quatre-vingt mille Français séparés en deux armées, sous les plus braves et les plus habiles chefs de l’Europe, s’élancer les uns contre les autres et s’égorger. Ah ! peut-on mettre au rang de ses services le massacre de ses pareils, de ses compatriotes, des Français !… En 1380, le connétable duguesclin4, au siège de Château-Neuf-de-Randon Châteauneuf-de-Randon, était malade et sentait sa fin approcher. Il baisa son épée de connétable et affirma par serment n’avoir jamais rien fait contre l’honneur. Ses capitaines fondant en larmes l’environnaient. « Souvenez-vous, leur dit-il, en quelque lieu que vous fassiez la guerre, que les femmes, les enfans et le pauvre peuple ne sont pas vos ennemis ! » Un des sous-officiers du 2e régiment, qui tient garnison dans notre ville, le jeune Petetin, frère du rédacteur du Précurseur de Lyon, de ce courageux écrivain qui devant les masses ameutées ne craignait pas d’appeler sur lui la haine des partis, en prêchant le respect pour les décisions de la justice, stigmatisant de toute l’énergie de son âme la scène déplorable qui le 5 avril préluda aux sanglans événemens du 9, vient d’être cassé, par ordre du jour de M. le maréchal-de-camp commandant par intérim la 6e division militaire, de son grade de fourrier, pour, porte cet ordre, avoir professé ici et à Dijon des sentimens républicains pour lesquels il a déjà été réprimandé et puni, pour avoir reçu le journal de Lyon le précurseur, feuille hostile au gouvernement. (M. le maréchal de camp aurait dû ajouter : Et que son frère rédige.) Cet ordre du jour, auquel nous ne voudrions pas croire si nous n’en avions vu une copie dont l’exactitude nous a été certifiée par des hommes dignes de la plus grande foi, se termine ainsi : « Le sieur Petetin est prévenu, de la part du général, que, s’il continue à recevoir cette feuille au 1er mai, il sera désigné pour une compagnie de discipline. » En publiant ce fait, nous nous abstiendrons de toute réflexion ; notre amitié pour le jeune Petetin, pour son frère notre courageux collègue, les rendrait peut-être trop acerbes, et d’ailleurs de tels faits parlent trop haut pour qu’il soit nécessaire de les qualifier. (Le Patriote Franc-Comtois.) Hier a eu lieu au cimetière du Mont-Parnasse l’enterrement d’un jeune étudiant mort, disait-on, par suite de blessures reçues dans les journées du 13 et du 14. Au moment de l’inhumation dans la fosse commune, les nombreux amis du défunt ont réclamé une fosse à part, et sur l’observation que la demande n’en avait point été faite, une collecte a eu lieu sur-le-champ, et une députation a été envovée à la Préfecture pendant que les assistans gardaient le corps. Un homme dont l’extérieur a inspiré quelques soupçons s’est vu entouré et questionné. Sommé avec menaces de déclarer qui il était, il a avoué sa qualité d’agent de police. On l’a fouillé, et on a trouvé sur lui une liasse de mandats d’arrêt en blanc. Cette découverte a failli lui devenir fatale. Ce malheureux s’est précipité aux genoux de ces jeunes gens, et leur a demandé la vie en pleurant. Ils se sont contentés de le chasser du cimetière. La gendarmerie est accourue un moment après, mais le tumulte avait complètement cessé. (Bon Sens). [8.2]La sympathie est si grande pour les malheureuses victimes de la rue Transnanian, et le nombre des visiteurs bienfaisans est toujours si considérable, que les troncs qui ont été placés aux portes sont remplis plusieurs fois chaque jour. On lit sur l’un de ces troncs : « Offrandes pour le jeune Breneau, âgé de 13 ans, blessé très dangereusement, neveu de la portière. Il est sans ressources. » Sur un second : « Offrandes pour la veuve Pajo, portière dans la maison, dont le fils unique, âgé de vingt ans, a été tué. Il était son seul appui. » (Le Temps). On parle de révélations sinistres qui seront produites à l’enquête ouverte par la décision qui saisit la cour des pairs. Une dame respectable, échappée seule de sa famille au désastre de la maison, rue Transnenain, doit par sa déposition porter la plus grande lumière sur ce fatal incident de la plus lugubre journée. Un garde national veut aussi faire éclaircir un fait dans lequel il a été a été acteur. Le détachement dont il faisait partie arrive près d’une barrière en construction, près de laquelle on ne voyait personne en armes. Il proposa la destruction de ces travaux. Non pas, répondit le commandant ; demain matin nous y retrouverons les factieux, et nous en ferons bonne justice. Est-ce que l’on renoncerait à réprimer le mal pour s’en réserver la punition. (Messager.)
BANQUE DE PRÉVOYANCE.
Cette banque, fondée depuis 14 ans sous les auspices du gouvernement, procure aux familles un moyen facile de former la dot de leurs enfans, ou de fonder des revenus progressifs sans aliénation des capitaux. Avec 50 fr. de rente, on obtiendra un revenu de 500 f. Avec 100 fr. id. on aura id. de 1,000 f. Avec 500 fr. id. on aura id. de 5,000 f. On y reçoit aussi des placemens à termes fixes, où on peut obtenir : au minimum : 8 pour cent par an en plaçant pour 5 ans 11 pour 0/0 id. id. pr 10 ans 15 id. id. id. pr 15 ans 22 id. id. id. pr 20 ans Nul établissement ne peut offrir de plus grands avantages et de plus sûres garanties. S’adresser, pour de plus amples renseignemens, à M. Willermoz, directeur de la succursale de Lyon, dans l’étude de Me Casati, notaire, place des Carmes, n. 10. (Communiqué).
AVIS DIVERS.
(324) A VENDRE un petit fonds de liquoriste. Le propriétaire donnera ses recettes et se chargera de mettre au courant de la distillation. S’adresser au Bureau. (323) A VENDRE, un atelier de trois métiers de peluches pour chapeaux, et pliage, avec mobilier et appartement à louer. S’adresser au bureau. Un jeune homme, qui a fait d’excellentes études et a déjà obtenu la confiance de plusieurs personnes pour l’éducation particulière de leurs enfans, désirerait trouver encore quelques élèves. S’adresser hôtel Bourgoin, place de la Boucherie-des-Terreaux, n° 1. (322) A VENDRE, pour cause d’infirmité, un magasin d’épicier-revendeur, bien achalandé, dans un quartier d’ouvriers. S’adresser à la Croix-Rousse : place de la Visitation, grande maison Perrein ; n. 1, au sieur Reyjoly, épicier.
Notes (Alors que des lois anti-sociales, immobiles...)
. Il s’agit du dernier numéro de L’Écho de la Fabrique qui aura donc connu cent trente livraisons régulières depuis octobre 1831. Après une interruption de cinq mois, l’organe des mutuellistes reparaîtra du 21 septembre 1834 au 4 juillet 1835 sous le titre L’Indicateur. Journal industriel de Lyon. Une dernière tentative sera lancée en août 1835 avec Le Nouvel Écho de la Fabrique qui ne connaîtra qu’une livraison, avant que l’attentat de Fieschi ne conduise, à l’automne 1835, à la suppression de la liberté de la presse.
Notes ( Les deux Epoques.)
. Charles de Rémusat (1797-1875), philosophe proche de l’éclectisme, puis, dès 1830, député de la Haute-Garonne, proche du pouvoir orléaniste. Référence aux mots de Blaise Pascal, « je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger », publiés dans ses Pensées.
Notes ( ANGLETERRE.)
. Ces années marquent, en Grande-Bretagne, les réalisations du gouvernement Whig, du Reform Bill de 1832, au Factory Act et au Poor Law de 1833 et 1834. L’opinion de radicaux ou progressistes comme John Roebuck (1802-1879), Joseph Hume (1777-1855) ou Robert Slaney (1792-1862) avait accéléré les réformes d’un gouvernement dirigé par Earl Grey et où figuraient des hommes comme William Lamb (Lord Melbourne) 1779-1848, ou John Charles Spencer (Lord Althorp) (1782-1841). Mais le chartisme commençait à se développer, débordant et radicalisant l’esprit de réforme. Au début de l’année 1834, fédérant une partie des associations ouvrières anglaises, avait été créé le Grand National Consolidated Trade Union. En mars 1834, six agriculteurs du village de Tolpuddle allaient être durement condamnés par le pouvoir Whig pour avoir initié une association ; cette condamnation allait être l’occasion pour les différentes associations ouvrières d’une première vaste et générale marche de protestation. Au lendemain des massacres de Vaise, L’Écho de la Fabrique reproduit ici la nouvelle sur plusieurs pages ; mais il faut noter que les ouvriers anglais suivaient également de près les évènements de Lyon depuis, au moins, la grève de février 1834. . Les deux journaux anglais mentionnés dans cet article sont probablement le Weekly True Sun, journal ouvrier lancé en 1833 et The Albion, créé à Londres en 1830.
Notes ( Faits Divers.)
. Référence ici à Louis-Charles Vierne (1804-1834). . Il s’agit ici du général Camille (vers 446-365 av. J.-C.). . Mention d’un épisode fameux entre Henri III (1551-1589) et Charles de la Rochefoucault (1520-1583). . Bertrand Duguesclin (1320-1380).
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