Notre feuille est tout industrielle : le seul but, en la créant, a été de provoquer des améliorations pour une classe laborieuse qui a fait la gloire de notre cité, et qui se meurt dans les angoisses de la misère. Pour y parvenir, il fallait extirper les abus qui se commettent chaque jour dans la fabrique d'étoffes de soie, qui sont le fléau de nos manufactures et par conséquent de la société. Des malheurs que nous ne cesserons de déplorer, nous ont écartés de la route tracée de prime abord devant nous ; nous avons été obligés de prendre la défense des ouvriers qu'on appelait rebelles, de prouver leur attachement au trône de juillet, tandis qu’on les montrait dans les départemens comme les instrumens d'une faction ennemie du pays et de nos institutions : nous avons eu peu de peine à convaincre la France entière de leur patriotisme ; la conduite des chefs d'ateliers et des ouvriers a mieux parlé que nous.
La feuille que nous publions n'est pas politique, et nous nous soucions fort peu d'entrer dans de pareils débats : il a fallu pourtant montrer notre opinion ; nous [1.2]l'avons fait sans crainte et avec franchise, parce que nous pensons que l'homme n'a qu'à se glorifier d'être le défenseur de nos libertés et de cette charte proclamée dans la fumée des barricades. Pour la dernière fois, nous le dirons : Nous sommes des hommes de juillet, amis de la paix publique, de la prospérité de notre patrie, et ennemis de ceux dont les vœux coupables appellent l'étranger.
Maintenant nous allons reprendre notre mission, nous allons consacrer notre plume aux véritables intérêts de la classe ouvrière, nous allons signaler, extirper les abus ; nous les saisirons corps à corps et ne laisserons aucun repos à ceux qui les commettent, tant qu'il en existera un seul : c'est par là que nous croyons servir ceux qui nous ont confié leur défense, et la France entière qui souffre de ce malaise, et peut être entraînée dans des malheurs que nous devons prévenir par tous les moyens ; car la misère est la sœur de l'émeute.
Les abus que nous nous proposons de combattre les premiers, sont : 1° que le bénéfice du chef d'atelier ne soit pas absorbé par les frais de montage de métier, ou que, dans ce cas, il y ait indemnité proportionnée aux frais de montage de la part du négociant ; 2° indemnité au chef d'atelier pour les courses inutiles ; 3° du passage des nuits sans aucune gratification ; 4° du paiement des ouvriers à jour fixe, au lieu de les payer en rendant leur coupe ou pièce ; 5° de la différence des prix dans le même magasin et pour le même article, abus qu'on ne sait comment qualifier ; 6° que les livres doivent être réglés à toutes les pièces et en présence du chef d'atelier ; 7° que le poids des matières et les sommes d'argent doivent [2.1]être écrits en toutes lettres sur les livres ; 8° que le chef d'atelier ne doit jamais se dessaisir de son livre ; 9° que le temps accordé pour monter un métier soit écrit sur la disposition, indemnité à accorder au chef d'atelier s'il attend sa pièce ou son dessin ; 10° que le prix des façons doit être convenu contradictoirement entre le négociant et le chef d'atelier ; 11° des tirelles et déchets suivant les articles ; 12° indemnité à accorder au chef d'atelier pour l'emploi des mauvaises matières ; 13° que l'enlacement des dessins ne soit plus à la charge du chef d’atelier ; 14° que les prix des matières doivent être payés également, soit en arrière, soit en avance ; 15° qu'une règle générale doit être établie pour tous les magasins.
Voilà les abus que nous nous proposons de combattre de toutes nos forces et avec persévérance. Ceux qui s'en rendront coupables ne seront point épargnés ; car nous croyons que là est la plaie du commerce et la perte de l’industrie. A compter de notre prochain Numéro, nous les attaquerons un à un, nous sonderons la profondeur du mal et nous chercherons le véritable remède : heureux si, pour prix de nos constans efforts, nous parvenons à sortir nos concitoyens de cet état de détresse où ils sont tombés, et à concourir au bonheur de tous, en rendant à la ville de Lyon sa splendeur commerciale.
Après avoir porté le dernier coup aux abus que nous venons de citer, nous en signalerons un grand nombre qui se sont glissés dans les ateliers, et nous croyons que les ouvriers nous en saurons gré ; car le bonheur ne dépend souvent que de quelques réformes salutaires.
Nous recevrons avec reconnaissance tous les renseignemens soit des fabricans, soit des chefs d'ateliers, qui auront pour but de détruire les abus et d'amener une amélioration dans nos manufactures : et, c'est en réunissant leurs efforts, que tous les hommes généreux verront se rétablir parmi nous cette confiance sans laquelle le commerce ne peut fleurir.