[1.1]Nous venons encore une fois demander à la presse asile pour nos doctrines. C’est aux prolétaires et aux hommes généreux qui s’occupent de l’amélioration de leur sort, que nous nous adressons avec confiance. Nous offrons pour garantie de ce que nous ferons, ce que nous avons fait. Dans cette circonstance, une profession de foi est-elle nécessaire de notre part ? nous ne le pensons pas ; mais il est facile de nous soumettre à l’usage.
Un journal sans doctrines1 serait une chose essentiellement mauvaise, si ce n’était un mensonge pour cacher des opinions rétrogrades, des doctrines qu’on ne veut ou qu’on n’ose avouer.
Nous dirons franchement que nous avons des doctrines, et qu’elles sont purement démocratiques. Ce n’est que par le triomphe de la démocratie que nous croyons possible la réforme sociale demandée de toutes parts, réforme qui a pour base l’émancipation physique et morale des prolétaires, dont plusieurs ne comprennent pas encore toute la portée, que beaucoup, sans oser le dire, redoutent plus qu’ils ne désirent. En vérité, le décret de l’émancipation des prolétaires ne peut être promulgué que par des hommes sortis de leurs rangs, vivant de leur vie habituelle ; c’est folie ou trahison d’enseigner qu’une aristocratie quelconque consente jamais à se suicider elle-même. Ainsi, nous ne nous contentons pas de dire, comme les prêcheurs des intérêts matériels : Tout pour le peuple ; nous ajoutons : Tout par le peuple2. Néanmoins, nous n’avons garde de l’oublier, pour mériter et comprendre son émancipation, le peuple doit être moralisé et éclairé. C’est vers ce but qu’ont tendu nos efforts et qu’ils tendront toujours.
Il y a bientôt deux ans, qu’un simple chef d’atelier, M. Falconnet, éleva la première tribune prolétaire dont la France ait joui. Par cette création (justice doit lui être rendue), il a fait faire un pas immense à la cause du prolétariat. L’Echo de la Fabrique n’a pas été sans retentissement ni sans influence ; moins redouté, il eût été moins haï. Appelés, il y a treize mois, à le rédiger, nous y avions voué notre existence, nous y avions apporté sinon des talens transcendans, du moins du zèle, de bonnes intentions [1.2]et surtout du courage. Nous aurions voulu ne jamais le quitter ; mais un point important nous séparait de quelques-uns de nos collègues actionnaires. Le voici : Nous concevions ce journal sur une large base, nous voulions en faire une œuvre de propagande au lieu de le restreindre dans les bornes étroites et mesquines d’un cahier de doléances… Nous voulions en faire une tribune ouverte à tous les prolétaires, et non à telle ou telle classe, quelque nombreuse qu’elle fût, parce qu’à nos yeux tous les prolétaires sont solidaires. La question d’émancipation qui s’agite est la même pour tous… Pour parvenir à cette émancipation, nous voulions l’abolition non pas de tel ou tel privilége, de tel ou tel monopole, d’un abus quelconque choisi entre mille, mais l’abolition complète de tous les priviléges, de tous les abus, de tous les monopoles, parce que tous s’enchaînent, se coordonnent, et tous sont hostiles au peuple, aux hommes de travail, tous grèvent la société au profit de quelques-uns. Nous avons été inopinément arrêtés au milieu de cette lutte. L’Echo de la Fabrique a changé la direction que nous lui avions imprimée, il est rentré dans la spécialité3 dont nous avions cru devoir nous écarter. Devons-nous aujourd’hui, avant d’avoir obtenu la victoire, nous retirer, déserter lâchement une cause aussi sainte ? Non ! notre conscience ne nous reproche rien ; nous livrons notre conduite politique et privée à toute investigation sérieuse et loyale.
Nous nous sommes constitués les défenseurs de la classe laborieuse, autant par sympathie que par nécessité. Simples prolétaires, nous n’avons point, comme tant d’autres, de ménagemens à garder, de protection à justifier ; entre les priviléges et nous, on le sait, c’est guerre à mort. Ce n’est donc pas le sot orgueil d’élever tribune contre tribune, autel contre autel, qui nous fait rentrer dans l’arène ; nous renoncerions de bon cœur à reprendre une plume froissée mais non brisée, si nous n’avions la conviction d’être encore utile.
Nous avons profité de cet état de choses pour agrandir notre cadre, et donner au journal que nous publions un titre plus vrai. Il s’appellera l’Echo des Travailleurs ; [2.1]et par ce mot Travailleurs, nous n’entendons pas seulement ceux qui s’occupent de travaux manuels, mais tous les hommes qui font emploi de leurs facultés physiques et intellectuelles, et concourrent à l’avantage de la société. Il continuera d’être le Journal de la fabrique de Lyon, attendu que cette industrie est celle qu’à Lyon exploitent le plus grand nombre des citoyens, mais il ne sera pas exclusif. Toutes les industries auront en lui un organe dévoué et toujours prêt. Les corporations ont comme les individus un égoïsme funeste à la liberté ; c’est pour le rompre autant qu’il est en nous, que nous élevons un drapeau sous lequel tous les travailleurs sont conviés à se rassembler ; enfin, il sera par dessus tout le journal du progrès social.
L’Echo des Travailleurs paraîtra deux fois par semaine, le mercredi et le samedi soir, 4 pages même format que le présent prospectus.
Il donnera le récit succint de toutes les causes qui, dans les grandes et petites audiences du conseil des prud’hommes décideront un point nouveau de jurisprudence ou mériteront de fixer l’attention de la classe ouvrière. Il portera le flambeau de la discussion même dans ces séances où, sous le nom de conciliation, les prud’hommes ont jugé commode de rétablir le huis-clos de leurs prédécesseurs. L’Echo jettera de temps à autre un coup-d’œil sur les audiences des tribunaux civils, de commerce, de justices de paix, de polices correctionnelle et municipale, des cours d’assises, soit à Lyon, soit dans l’intérieur de la France et même à l’étranger, lorsqu’elles seront de nature à intéresser les lecteurs.
Toutes les questions relatives à la fabrique de Lyon seront successivement traitées ; à cet égard, nous continuerons sous un autre titre la rédaction de l’Echo de la Fabrique ; les lecteurs décideront, par leurs suffrages, si elle était convenable. Pour justifier son titre, l’Echo des Travailleurs s’attachera, ce qui n’avait encore été entrepris par aucun journal, à reproduire les griefs de toutes les classes industrieuses, et à leur assurer leurs droits jusqu’ici méconnus. Il leur fait dès à présent un appel public. Plusieurs y ont déja répondu en s’associant à nous.
Des articles relatifs à l’émancipation des prolétaires seront fréquemment insérés. Cette thèse est neuve, elle a besoin de grands développemens, et d’être considérée sous toutes ses faces. Elle est la question du siècle, car elle se résume dans ces deux mots : Réforme sociale.
La littérature, les théâtres, les nouvelles locales trouveront place dans ce journal ; les sciences et arts n’en seront pas non plus exclues, mais seulement dans une juste proportion ; des variétés, des anecdotes, histoires viendront en augmenter l’intérêt.
Nous avons conservé tous nos anciens collaborateurs ; de nouveaux, en apprenant la scission survenue, se sont empressés de nous offrir le tribut de leurs veilles, nous l’avons accepté avec reconnaissance.
Une correspondance suivie avec tous les conseils des prud’hommes de France, nous mettra à même de donner [2.2]la primeur des nouvelles industrielles ; et par l’appréciation de leurs doctrines, de fonder cette jurisprudence fixe que nous n’avons jamais cessé de réclamer. L’on n’ignore pas que c’est notre insistance à cet égard qui a été cause de nos dissensions avec les prud’hommes de Lyon.
Surtout nous n’oublierons jamais que l’Echo des Travailleurs doit être un journal de progrès. Le progrès dans tous les genres sera notre but constant.
De nombreux actionnaires concourent à notre entreprise, et se la sont rendue propre. Une commission de surveillance prise parmi eux, et à laquelle ils seront appelés à tour de rôles ; non-seulement maintiendra le journal dans le but que ses fondateurs se sont proposé, mais par les documens qu’elle apportera, permettra de varier la rédaction, et de lui donner cet intérêt local qui est un élément de succès.
Enfin, la gérance, qui, convenablement exercée, est loin d’être une sinécure, la gérance, qui demande à la fois un homme éclairé, ferme, consciencieux et patriote, sera confiée exclusivement à un ou plusieurs chefs d’atelier, afin qu’il soit bien dit et constant que l’Echo des Travailleurs ne doit jamais dévier de la route où il entre aujourd’hui.
Lyon, ce 5 octobre 1833.
Marius Chastaing,
Ex-rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique.