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2 novembre 1833 - Numéro 1
 
 

 



 
 
    

Tailleurs d’habit de la ville de Lyon.

société de travail desloge et ce.i

Nous avons annoncé, dans le N° 21 p. 173 de l’Echo de la Fabrique, la formation de cette société dont nous avions rédigé l’acte social. Nous dîmes à cette occasion, en parlant des tailleurs d’habits, que eux aussi étaient exploités, mais que cette exploitation allait cesser. Cette société, qui a eu un commencement d’exécution le 25 septembre dernier, vient en effet de faire paraître un prospectus que nous croyons devoir transcrire en entier.

« Les prolétaires de toutes les professions se réunissent et s’associent afin de s’entendre pour leurs intérêts communs, et deja ils ont à se louer du bon résultat de leurs efforts ; serions-nous les derniers à les imiter, nous ne le pensons pas. Nous allons, en conséquence, mettre sous vos yeux notre but principal et la base fondamentale de notre association.

Nous avons contracté un acte sous-seing privé, et sous la raison sociale de desloge et Ce, sous la date du 15 mai dernier, enregistré au greffe ledit jour, conformément aux lois ; mais le but de notre association étant mal connu de chacun, les travailleurs ont quelquefois hésité à se joindre à nous, et en ont été quelquefois détournés par ceux qui ont intérêt à diviser les travailleurs. Mais pour que chacun puisse porter un jugement raisonnable, nous allons exposer quelques-unes de nos plaintes et de nos griefs.

D’abord, notre profession est une des plus ingrates pour les travailleurs, à cause des morte-saisons qui arrivent périodiquement deux fois par an, et qui durent au moins six grands mois, pendant lesquels les trois-quarts des ouvriers ne gagnent pas leur existence et celle de leurs familles. Cette suspension de travail est encore augmentée par la quantité de marchandises confectionnées, qu’un grand nombre de marchands tirent de Paris, aux dépens de l’ouvrier de Lyon ; ce n’est pas que cet ouvrage soit mieux confectionné, au contraire, l’étant plus mal, il est meilleur marché. Ce mal là nous en produit un autre ; c’est-à-dire, la concurrence que se font entre eux les exploiteurs, aux dépens des travailleurs ; mais puisque c’est à eux à supporter la concurrence aux dépens de leur santé et de leur existence, eux seuls doivent y mettre des bornes ; pour cela il ne faut que s’entendre, et pour s’entendre, il faut s’associer : c’est ce que nous avons fait ; et voici quelques-unes des conditions et des avantages que nous pouvons en retirer, et que nous vous proposons. Dans notre association, la morale et la philantropie sont les premières conditions ; nous nous faisons un devoir sacré de nous secourir mutuellement dans le cas de malheur, maladie grave, incendie, ou autre accident.

Chacun de nous a des talens et des bras : pourquoi ne les exploiterions-nous pas à notre profit, c’est qu’individuellement nous n’avons pas des fonds suffisans. Réunissons ceux que nous avons, et faisons des économies en nous privant, non pas du nécessaire, mais de quelque superflu ; ces fonds et ces économies sont destinés à former une maison centrale de commerce, propre à notre profession. L’administration est et sera confiée à des hommes choisis [2.2]par la société, qui géreront en nom collectif en ce qui les concerne, et en commandite en ce qui concerne les actionnaires, sous la surveillance d’un comité également élu, et renouvelé tous les 3 mois. Les fonds sont formés par actions de 100 fr., et même par coupons de 25 fr. ; chaque action et coupon a part au bénéfice, proportionnellement à sa valeur ; et pour faciliter la formation de ces coupons, chaque Sociétaire s’engage à une rétribution mensuelle, dont le minimum est fixé par le Réglement particulier. Lorsque, par le moyen de ces rétributions, un Sociétaire a versé 25 fr., il lui est délivré par le caissier un coupon d’action tiré d’un registre à souche. Les gérans délivreront des marchandises au prix fixé par le comité de surveillance, à tous les actionnaires, jusqu’à concurrence des quatre cinquièmes de leurs actions ou coupons, sans que ceux-ci ne puissent rien perdre de leur bénéfice, pourvu toutefois qu’ils ne gardent pas plus d’un mois, entre les mains, les valeurs prises en marchandises ; ainsi, un Sociétaire pourra donc jouir, pour ainsi dire, toute l’année de son argent, être sûr de n’être jamais trompé sur le prix des marchandises et sur la qualité des étoffes, et à la fin de l’année, sa part du bénéfice de l’établissement viendra augmenter son capital.

Mais, si nous nous bornions à ce seul établissement, il n’y aurait avantage que pour ceux qui ont des pratiques, et ceux qui travaillent à façon n’en auraient aucun : telles ne sont pas nos intentions. Aussitôt que l’établissement possèdera des fonds suffisans, l’administration fera confectionner dans la morte-saison pour occuper les Sociétaires sans travail, et l’on ouvrira un magasin d’habillemens ; alors, nous ferons un appel qui sera entendu, nous avons la certitude et même la promesse de tous nos frères les travailleurs de toutes les professions, et principalement de ceux réunis en société ; parce qu’ils savent tous comme nous que les prolétaires sont délaissés par ceux qui les exploitent, et qu’alors ils se doivent mutuellement aide et protection ; indépendamment de ces motifs, les consommateurs trouveront chez nous la confection bien supérieure à celle venant de Paris ; parce que chaque travailleur sera intéressé à la prospérité de l’établissement, et en outre, les façons lui seront plus payées, attendu que le surplus du cours établi ailleurs, c’est-à-dire, le prix de confectionnement, restera à la maison jusqu’à l’inventaire qui aura lieu le 1er janvier et le 1er juillet de chaque année ; à cette époque, la retenue qui leur aura été faite leur sera remboursée, ou restera à la maison pour former une action ou coupon. Ainsi nous croyons avoir assez prouvé les avantages et l’amélioration qui peut résulter de notre association ; nous n’avons pas besoin de dire que la prospérité d’un pareil établissement est assurée ; d’abord, la rétribution mensuelle lui assure un accroissement de fonds autant de temps que durera l’association ; la clientelle est aussi assurée, puisqu’elle est formée par les Sociétaires eux-mêmes qui sont tous intéressés à sa prospérité.

Nous ne répondrons rien à ceux qui trouvent la difficulté dans nos ressources pécuniaires, si non, que nous avons pour nous la bonne volonté et la patience, il ne nous faut que de la confiance ; elle ne s’acquiert qu’avec le temps et la moralité : l’avenir est à nous. »

 

 

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