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22 janvier 1832 - Numéro 13
 
 

 



 
 
    

[3.1]Il ne faut pas confondre le baume avec la ciguë1, nous écrivait-on ces jours derniers ; et notre correspondant avait deviné toute notre pensée. Confondre le bon avec le méchant, l'égoïste avec l'homme généreux, ce sont des actes de perversité qui ne souilleront jamais notre feuille. Si notre but est d'extirper par des moyens de légalité, les abus sans nombre qui pullulent dans la fabrique d'étoffes de soie, au moins nous saurons faire la part du fabricant qui veut que les ouvriers vivent, et ne se croit point un être tellement supérieur à eux, qu'il doive les abreuver d'outrages et les accabler de mépris. Nous saurons faire la part de celui qui n'aura que des projets d'amélioration, et celle de l'homme appelé à prononcer entre les ouvriers et les commerçans, qui, n'écoutant que sa conscience, frappera d'une condamnation la fraude et la cupidité.

Par exemple, nous disons que jamais homme ne comprit mieux sa mission que M. le président du conseil des prud'hommes : ferme dans le ministère qui lui est confié, rien ne le fait dévier de la route tracée par la justice : les considérations, les sentimens de l'amitié, tout s'évanouit auprès de lui, et la voix impérieuse de la vérité est la seule qu'il entende, comme dans les arrêts il n'écoute que celle de sa conscience.

Voilà les hommes que nous nous plaisons à signaler, de même que ceux dont les ames généreuses ne rêvent que le bonheur de la classe ouvrière, et qui ne croient pas s'abaisser en se concertant avec nous et dans nos bureaux, afin d'aviser au moyen de faire cesser cet état de détresse et de dénuement, qui pèse depuis long-temps sur nos manufactures. Nous pourrions en citer un assez grand nombre, si nous ne craignions pas de blesser leur modestie ; ceux-là ne croient point compromettre leur dignité en siégeant parmi les organes des industriels, et en signant les articles qu'ils nous communiquent. Ceux-là sont, comme le disait un journal de notre ville, les vrais amis des ouvriers, sans se croire pourtant leurs chefs naturels.

Maintenant, que pourra-t-on nous dire si nous frappons de notre fouet ce petit nombre d'égoïstes qu'on voit traîner deux fois par semaine devant le conseil des prud'hommes, où ils se débattent d'une manière vraiment scandaleuse et indigne d'un honnête homme, pour arracher quelques sous à leurs ouvriers, qu'ils vont ensuite engloutir dans un café ou au spectacle, tandis que les malheureux auxquels ils ont frustré une partie de leur travail, ne peuvent donner à leurs familles que la moitié du pain qu'il leur faudrait pour les nourrir.

Nous savons que des méchans doivent se courroucer contre quelques phrases acerbes de notre feuille ; mais nous le demandons à tous les hommes de bonne-foi, peut-on passer sous silence les insultes que l'égoïsme démasqué dirige contre des êtres vertueux dont tout le tort est d'être pauvres et de vouloir vivre du fruit de leurs travaux ? peut-on avoir des ménagemens pour des hommes qui commettent tous les jours des petitesses envers la classe ouvrière, tout en voulant singer la grandeur ? Si leur haine n'était dirigée que contre notre feuille, peut-être pourrions-nous la mépriser, mais quand elle attaque cette classe intéressante que nous avons mission de défendre, le silence serait une lâcheté et même un crime de notre part.

Il est un moyen de faire cesser nos débats ; que nos adversaires marchent avec nous vers le même but, afin d'obtenir une amélioration pour la classe pauvre. Nous ne dirons pas comme les hommes d'une certaine époque : [3.2]Nous accuserons quand même… Au contraire, nous tendrons la main à ceux qui viendront nous faire part de leurs vues philantropiques, oubliant les erreurs du passé et nous confiant à l'avenir, comme devant tout effacer.

Ainsi, que quelques hommes cessent leurs ridicules accusations de provocation à la haine qu'ils dirigent assez maladroitement contre nous ; qu'ils pensent que le pays n'a pas de citoyens plus dévoués, et le trône de juillet de défenseurs plus ardens ; comme les ouvriers n'auront jamais des organes plus fidèles et des amis plus désintéressés.

Notes ([3.1] Il ne faut pas confondre le baume avec...)
1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

 

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