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9 novembre 1833 - Numéro 3
 
 

 



 
 
    
DES TRAVAILLEURS.

L’homme est doué de deux sortes de facultés : physiques et intellectuelles. La nature les lui donne dans une proportion plus ou moins forte ; l’éducation et l’usage les développent. L’éducation sans l’usage deviendrait bientôt inutile ; l’usage ne peut venir que de l’éducation (nous prenons le mot éducation dans le sens général qu’il doit avoir). Quiconque fait usage, c’est-à-dire, emploi des facultés physiques ou intellectuelles dont il a été plus ou moins abondamment pourvu par la nature, est un travailleur. Quiconque n’en fait pas usage est un oisif. C’est pour les premiers que nous écrivons, c’est à eux que cette feuille s’adresse. On le voit, notre cadre est immense, il embrasse toute la société active et pensante. Nous n’avons garde de restreindre le mot de travailleurs aux hommes qui ne s’occupent que de travaux manuels ; nous désignons aussi par ce mot ceux qui s’occupent de travaux intellectuels. Ces derniers, nous les appellerons, si cette expression est permise, des artisans de la pensée. Dans cette catégorie viennent se ranger tous les hommes de lettres, tous les artistes ; nous devons donc aussi écrire pour eux. Leurs travaux ne sont pas à dédaigner, puisque sans eux les facultés intellectuelles créées par la nature seraient stériles ; dès-lors une confraternité doit exister entre tous. Les uns ont exalté les facultés de l’esprit aux dépens de celles du corps, et réciproquement ; heureux ceux qui les réunissent toutes. Notre but est donc de rétablir l’équilibre entre ces diverses facultés, car elles sont toutes dans la nature. L’usage seul ou l’éducation a modifié les unes au détriment des autres : en effet, l’artisan des travaux manuels est loin d’être privé de facultés spirituelles ; l’artisan des travaux de l’esprit n’est pas non plus privé de la force physique nécessaire pour l’accomplissement des travaux manuels.

Le bon sens du maraud m’épouvante est une pensée plus vraie qu’on ne le croit communément. Descendez dans toutes les classes de la société, même dans celles que l’orgueil appelle basses classes ; prenez un homme dans la force de l’âge, mettez-le à son aise et vous serez étonné des réflexions, de la science naturelle de ce prolétaire ; il ne lui a manqué que l’éducation. C’est donc à donner aux prolétaires cette éducation qui développera leurs sens moraux, comme la gymnastique [2.1]développe les sens physiques, que doivent tendre tous les efforts des hommes philantropes. Alors l’équilibre étant rétabli, les hommes forts, les prolétaires jouiront de toutes leurs facultés, suivant un degré plus ou moins éminent, tel que la nature les en aura gratifiés. Par conséquent, la moralité se trouvera réunie à la force. Une race nouvelle, c’est-à-dire régénérée, prendra possession du globe, et l’émancipation de la classe prolétaire ne sera plus un problême ; il n’y aura plus ce que dans son langage insultant l’aristocratie appelle populace. Eclairé par la dégustation du fruit que l’arbre de ;la science produit, Adam eut honte de sa nudité : éclairé par la dégustation d’un fruit pareil, l’Adam social aura honte aussi de sa nudité.

C’est donc une œuvre d’avenir que nous entreprenons ; il ne nous sera peut-être pas donné de voir l’accomplissement de nos désirs, mais quelqu’éloignée que puisse être la réussite, nous devons marcher pour atteindre le but. Ce but, nous l’avons déja proclamé ailleurs, en le formulant ainsi : égalité sociale (V. l’Echo de la Fabrique, 1832 ; n. 30, 31, 33 et 34). Par égalité sociale nous entendons une condition uniforme de bien-être, résultat d’un accord parfait, d’un développement intégral dans tous les hommes de leurs facultés morales et physiques ; ce qui n’existe pas encore.

Voila pourquoi nous nous adressons aux travailleurs, car c’est eux qu’il est urgent de moraliser, c’est à eux qu’il est utile de faire comprendre que leur bien-être physique dépend de leur bien-être moral, et qu’un homme n’est entier ou pour mieux dire complet, que lorsqu’il jouit de tous deux.

Nous n’avons rien à dire aux oisifs ; qu’ils consument en paix leur vie inutile, qu’ils se gorgent de jouissances achetées, eux, inhabiles à produire d’autres jouissances pour leurs semblables.

L’état social, par suite de ses transformations successives, se trouve aujourd’hui divisé en deux camps : celui des travailleurs ou prolétaires, celui des oisifs ou non producteurs. Nous avons planté notre drapeau dans le camp des premiers, nous saurons le défendre.

Marius Ch.

 

 

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