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13 novembre 1833 - Numéro 4
 
 

 



 
 
    

Expositions publiques

de l’industrie.

L’Echo de la Fabrique contient, dans son avant-dernier numéro, un article intitulé : A quoi servent les expositions des produits de l’industrie ? Cet article est extrait du Peuple Souverain, journal de Marseille ; mais, par le fait de sa seconde publication, le gérant de l’Echo de la Fabrique se l’est rendu propre et l’a approuvé, nous devons du moins le croire. Il importe dès-lors de prémunir les ouvriers contre la doctrine erronée qui est professée dans cet article. Nous pouvons prendre la défense du haut commerce et de l’industrie de luxe, sans donner lieu à aucun soupçon fâcheux : nos preuves sont faites. Nous ferons observer d’abord que notre critique s’adresse davantage à la reproduction de l’article dans le journal d’une ville manufacturière, qu’à son insertion primitive dans le journal d’une ville de commerce maritime. On le sent, la différence est grande, et toutes les opinions empruntent plus ou moins le reflet de l’atmosphère où elles vivent ; elles ont toutes une couleur locale qui les rend vraies ou fausses relativement. Ce n’est qu’en parlant des vérités incontestables et fondamentales que la philosophie a pu se plaindre que la chose vraie d’un côté du détroit ne le fût pas de l’autre.

Marseille, par sa position géographique, qui a déterminé ses habitudes commerciales, est étrangère à l’industrie. Marseille remplit à l’égard du commerce l’office d’un voiturier : comme ce dernier elle transporte la marchandise, spéculant plutôt sur la quantité du chargement que sur sa qualité ; l’Océan est sa route, des vaisseaux lui servent de fourgons. Il n’est donc pas étonnant qu’une opinion mesquine sur les avantages de l’industrie ait pris naissance dans cette ville ; mais une semblable opinion dans nos contrées industrieuses, c’est une anomalie choquante. Nous devons, au contraire, encourager les expositions publiques de l’industrie. Les médailles qu’on y décerne sont les croix d’honneur du commerce. Il ne s’agit pas de faire de l’opposition pour paraître indépendant et ami du peuple ; il faut avant tout être juste, et remercier le gouvernement lorsqu’il agit bien. Nous appelons de tous nos vœux les expositions ; nous nous bornerons seulement à demander que l’intrigue et la faveur ne puissent y avoir accès. Et quelles sont les objections qu’on présente contre cette mesure d’intérêt général ? Aucune, ou à peu près, on va en juger. On n’ose pas dire qu’on n’ajoute aucun prix aux brillans [1.2]produits dont quelques fabricans distingués ont enrichi notre industrie ; mais on regrette que pour être bien vue à l’exposition, il faille que la fabrication emprunte des habits du dimanche et l’appareil des fêtes. Sans doute il est bon, dit-on, que nos filateurs de laine et de coton essaient de filer les numéros les plus élevés ; mais si l’on songe à la petite quantité qui s’en consomme par rapport à ceux qui servent à tisser les calicots et les draps ordinaires, on verra quels sont ceux qui méritent le plus d’intérêt. Nous pensons, nous, qu’il est naturel que l’industrie prenne ses habits de fêtes lorsqu’elle va poser en public, de même qu’un homme lorsqu’il va rendre ou qu’il attend une visite importante. Quant au reste de l’objection, ne sait-on pas que tout s’enchaîne dans l’ordre industriel comme ailleurs ; et lorsque les filateurs de laine et de coton seront parvenus à filer les numéros les plus élevés, leur expérience réagira sur les qualités inférieures. Pour rendre notre pensée plus complète, supposons qu’un article de quincaillerie ou d’ébénisterie, d’un travail magnifique, soit admis à l’exposition, sans doute un homme riche pourra seul présentement l’acquérir ; on pourrait répondre que c’est un impôt sur le luxe ; mais il arrivera aussi que l’industrie, toujours agissante, s’emparera de ce modèle, de ce nouveau terme de comparaison, et quelques années plus tard, ces deux branches d’industrie produiront des objets totalement semblables pour la main-d’œuvre (la seule qu’il faille considérer, les métaux précieux ne faisant qu’y ajouter une valeur idéale) et à bien meilleur prix. La perfection est le but vers lequel il faut toujours marcher, lors même qu’on n’espérerait pas d’y arriver.

Nous nous prononçons donc hautement, malgré l’avis du journaliste de Marseille, copié par l’Echo de la Fabrique, en faveur des expositions publiques ; mais nous désirerions que, pour qu’elles atteignent leur but, deux ou trois jours par semaine soient réservés aux ouvriers seuls ; ce serait pour eux un cours normal d’instruction théorique et pratique ; les autres jours seraient réservés aux visites d’appareil et aux achats des riches et des curieux. Nous reviendrons sur cette idée que nous croyons utile.

Marius Ch......

 

 

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